Quatrième de couverture
Ce roman, lors de sa parution au Népal en 1965, fit scandale. L’auteur, une jeune femme – chose extraordinaire en soi – osait par surcroît se mettre dans la peau d’un soldat d’âge mur, cynique et désespéré, qui, revenu d’une guerre sans gloire, s’éprend de la sœur de son seul ami. Jugé décadent et vulgaire par certains – que choquèrent la description des expériences sexuelles du narrateur, tout autant que les cheveux coupés et l’attitude « libérée » de l’héroïne – le livre fut finalement reconnu comme un chef-d’œuvre et marqua pour son auteur les débuts de sa célébrité. Le lecteur français découvrira ici un monde inconnu, une société où l’illettrisme est une condition ordinaire, où s’engager dans l’armée est un sort enviable, perdre un bras ou une jambe à la guerre aussi, puisque cela assure une pension et donc la survie, où tuer est une gloire. Un monde où se côtoient cynisme et sentimentalité, et qui se situe à l’opposé de la vision assez mièvre que l’on a généralement du Népal en Occident.
Né à Darjeeling en 1937, et installée dès 1954 à Katmandou, où paralysée depuis l’enfance, elle est morte en 1993, la romancière et poétesse Parijat est considérée comme le plus grand écrivain népalais et certainement le talent le plus novateur de la littérature de son pays. Elle a laissé une œuvre abondante, très influencée par ses idées progressistes et féministes.
Mon avis
Autant le dire tout de suite, le côté sulfureux, pour nous, lecteurs occidentaux, ne se voient pas (l’époque et le lieu joue). Cependant, cette histoire d’ »amour » est très sympa à lire et nous apprend beaucoup de choses sur le Népal.
Comme il est dit dans la quatrième de couverture, le livre est centré sur deux personnages assez atypiques. On a un homme, un ancien soldat, de 46 ans, célibataire, alcoolique, sans famille et une jeune femme, malade (et qui reste à la maison), intelligente (elle veut poursuivre des études supérieures, ce que son grand frère l’encourage à faire), avec des idées très « féministes » et très tranchées sur l’amour. Le point de vue de l’ancien soldat est assez classique : au début, il n’aime pas la jeune fille puis en tombe amoureux à mourir. Il alterne entre les sentiments de jalousie, de mésestime de soi, de rejet de son sentiment. On suit tout cela de très près puisque c’est le narrateur. On voit aussi évoluer la jeune fille qui va avoir, de mon point de vue, du mal à concilier ses idées avec son intérêt pour le soldat. En tout cas, j’ai interprété ses réactions comme de l’amour (elle le taquine quand même beaucoup). Finalement, celle que l’on va croire la plus forte s’avèrera la plus faible. Il y a quand même un côté très frustrant d’avoir ce portrait féminin à travers les yeux u yeux car elle me semble de loin être le personnage le plus complexe et le plus à même de nous expliquer à la fois ses sentiments contradictoires et la société népalaise de l’époque.
Bien sûr, ce livre permet aussi de découvrir, même si il n’y a pas de descriptions à proprement dit, la société népalaise, en tout cas un portrait d’une certaine frange de la société népalaise, loin des stéréotypes (bon, d’un autre côté mes idées stéréotypées, j’en avais perdu une partie quand le prince avait décimé la famille royale en 2001). Je ne m’étais pas rendue compte que c’était une structure de société assez proche de la société indienne (ils sont voisins vous allez me dire mais naïve comme je suis je croyais que c’était plutôt comme au Tibet).
Ce roman est un des romans fondateurs de la littérature népalaise moderne comme l’explique l’avant-propos de la traductrice :
Dans ce pays riche en tradition orale, et où la rédaction de poèmes était autrefois un passe-temps royal, recueils de contes et de poésie ne manquent pas. La littérature écrite en langue népali s’est développée tardivement, après l’unification nationale au XVIIIième siècle par un roi hindou, ancêtre de la dynastie actuelle. C’est à cette époque que le népali, ou gurkhali, d’origine sanskrite, s’est imposé comme la langue de l’unité nationale devant le néwari, langue tibéto-birmane de la vallée de Katmandou, et la trentaine de dialectes parlés par les différentes ethnies du pays. Les hautes castes d’origine indienne ont longtemps monopolisé la culture littéraire : la plupart des textes, rédigés en sanskrit, étaient religieux ou politiques. Si la poésie a une longue tradition au Népal, la prose, elle, ne s’est véritablement développée qu’à partir des années trente, et l’essor du roman et de la nouvelle, genre très prisé aujourd’hui, date des annéessoixante. Sous l’emprise de la censure, la littérature est longtemps conservatrice et très conventionnelle. Prises de conscience politique, ouvertures aux influences occidentales, modifications profondes de la société traditionnelle, condition de la femme, ont formé le terreau du roman moderne, et le processus de démocratisation du pays enclenhé en 1990 a contribué à la liberté d’expression.
La publication de Shirish ko phul (La Fleur bleue du jacaranda) en 1965 a marqué un tournant radical dans cette évolution : pour la première fois, un roman, écrit par une femme issue d’une caste pauvre et bouddhiste, était voué non à l’apologie de la société traditionnelle hindoue, mais au contraire à la dénonciation de ses normes inhumaines.
Références
La Fleur bleue du jacaranda de PARIJAT – traduit du népali par Corinne Atlan (Stock / Nouveau Cabinet Cosmopolite, 1998)