Cecile's Blog

  • Récits fantastiques russes est un regroupement de trois nouvelles du 19e siècle, où il est question de fantastique. Sur la quatrième de couverture, on peut lire un extrait d’un article du Monde d’Anne Rodier :

    Le choix des textes qui composent le recueil a l’intérêt de présenter trois aspects de ce genre littéraire qui s’épanouit à Saint-Pétersbourg entre 1820 et 1840 : la notion de double (Le Cosmorama), l’apparition (Chtoss) et les forces du mal (Une maison solitaire sur l’île Vassilievski).

    J’ai aimé la première nouvelle et la troisième mais la deuxième m’a paru étrange dans un recueil car elle est inachevée (une nouvelle est déjà courte alors si on en met une inachevée …) Les trois nouvelles ont en commun d’être originale dans l’histoire et même dans le ton.

    Le Cosmorama (1840) de Vladimir Odoïevski (1803 – 1869). Le texte est introduit par le prologue suivant :

    La passion que j’ai de fouiller dans les vieux livres me conduit souvent à de curieuses découvertes ; j’espère à la longue en livrer la plupart au public cultivé, mais j’estime que beaucoup d’entre elles nécessitent un prologue, une préface, des commentaires et autres appareils critiques ; il va de soi que tout cela exige du temps, aussi ai-je résolu de proposer aux lecteurs certaines de mes trouvailles simplement en l’état dans lequel elles me sont parvenues.

    Pour commencer, je voudrais leur faire part d’un étrange manuscrit que j’ai acheté à une vente aux enchères, avec tout un lot de vieux livres de comptes et de papiers de famille. On ignore qui l’a écrit et à quelle époque, mais l’important est que la première partie, qui constitue un récit en soi, est rédigée sur du papier à lettres, d’une écriture assez récente et même fort belle, si bien que j’ai pu la remettre à l’imprimeur sans la recopier. Il n’y a donc rien ici qui soit de ma plume ; il se peut néanmoins que certains lecteurs me reprochent d’avoir laissé de nombreux passages sans explication. Je m’empresse de les rassurer en leur annonçant que je prépare environ quatre cents commentaires, dont deux cents sont déjà achevés. Tous les évènements racontés dans ce manuscrit y sont expliqués comme deux et deux font quatre, si bien qu’il ne restera plus la moindre ambiguïté ; ces commentaires constituent un volume in quarto assez considérable et seront publiés à part. Entre-temps, je travaille sans relâche à déchiffrer la suite du manuscrit, malheureusement rédigée d’une écriture tout à fait illisible, et je ne tarderai pas à la livrer à la curiosité du public ; pour l’instant, je me contenterai de l’informer que la suite a un certain lien avec les pages ci-dessous, mais embrasse la seconde moitié de la vie de l’auteur.

    Un jeune garçon de 5 ans reçoit un jour un cosmorama. Par curiosité, il regarde dedans alors que cela lui était interdit. Il voit alors sa tante, qui l’élève, très proche d’un homme qui n’ai pas son oncle. Quelques temps plus tard, il s’avère que cet homme arrive dans la propriété et qu’il est l’amant de sa tante. Ce « malheureux » incident donne l’impression qu’il est capable de double vue et cela sera comme cela toute sa vie (qui nous est racontée de manière plaisante et de long en large dans la nouvelle). L’idée est bien plus originale que cette histoire de double vie. En fait, le petit garçon en regardant dans le cosmorama est rentré en contact avec un autre monde où les actions qui sont effectués dans cet autre monde se répercute dans le monde du narrateur. Il ne comprend pas ce qui lui arrive puisqu’il n’est pas au courant de ce qui se passe dans cet autre monde (il voit juste). Par exemple, si il est désagréable avec ses domestiques dans l’autre monde, il aura de la déveine dans le sien mais il ne comprendra pas pourquoi. De plus, les abominations de l’autre monde semble s’expliquer parce qu’il a au fond de son cœur. L’idée est tout à faire morale en réalité : ce que l’on a de mauvais au fond de soi s’exprime toujours et cela finira toujours mal pour nous (exprimée comme cela, cela fait bête mais l’auteur le dit beaucoup mieux). Tout cela, on ne le comprend qu’au fur et à mesure ; on est dans une ambiance fantastique et tragique (on s’attend à un dénouement comme dans les nouvelles anglaises) et au final, la fin est moraliste sans avoir l’air d’y toucher.

    Chtoss (1841) de Mikhaïl Lermontov (1814 – 1841). La nouvelle est donc inachevée et finalement, on ne comprend pas le but de l’histoire et on reste sur sa faim. Un peintre emménage dans un appartement qui a toujours été loué mais jamais habité. Il y découvre un tableau fascinant peu après son emménagement. Quelques temps après, il a l’apparition d’un homme qui veut jouer contre de l’argent (apparemment c’est le gars du tableau si j’ai bien tout compris). Il va jouer tous les jours mais à un moment désire s’arrêter et là, il a une autre apparition, celle d’une femme. Il ne peut s’empêcher de jouer car il veut la revoir mais on ne saura rien d’autres. C’est très raconté ne vous y trompez pas mais on n’a juste envie de savoir quelle suite Lermontov aurait voulu écrire.

    La petite maison solitaire de l’île Vassilievski (1828) de Vladimir Titov (l’histoire a été soufflée à l’auteur par Pouchkine). C’est l’histoire de l’amour entre deux jeunes gens contrarié par le Diable. La conclusion m’a fait sourire :

    Mais mes honorables lecteurs seront plus à même que moi de juger s’il faut y croire, et d’où vient aux démons ce désir de se mêler des affaires des hommes alors que personne ne leur demande rien !

    L’intérêt de la nouvelle, qui reprend le mythe des amants tragiques, vient des nombreuses péripéties qui surviennent (et aussi de la naïveté du jeune homme) et de la découverte du Saint-Pétersbourg de l’époque. Il y a bien sûr aussi la tristesse qui s’en dégage.

    Références

    Le Cosmorama de Vladimir ODOÏEVSKI – Chtoss de Mikhaïl LERMONTOV – La petite maison solitaire de l’île Vassilievski de Vladimir TITOV – traduit du russe par Sophie Benech – préface par Vitaly Amoursky (Les Massicotés / José Corti, 2007)

     

  • J’ai commencé mes lectures « tchekhoviennes » par la nouvelle dont parlait le Point Références dans son édition sur L’âme Russe. Le moins que l’on puisse dire est que je suis séduite.

    L’histoire est triste bien évidemment : un médecin psychiatre, André Efimytch Raguine, a la responsabilité du service psy dans sa ville. Il n’a pas choisi sa profession mais elle lui a été imposée par son père. Il travaille mais se rend compte qu’il n’aura jamais les moyens d’améliorer la vie de ses malades ; il ne peut même pas appliquer les nouvelles techniques qui sont mises en place dans les villes. Il ne veut plus exercer, il se retire de l’hôpital où il laisse œuvrer ses subordonnés pendant que lui vit une vie de reclus. Il survit plutôt ; il attend quelque chose. Un jour, par le plus grand des hasards, il suit un de ses malades jusqu’à sa « chambre », ou plutôt jusqu’à la salle où il vit et là, la salle n°6, il rencontre un homme qui va changer sa vie, Ivan Dmitritch Gromov, car il va enfin pouvoir parler de ce qui le touche. Cet homme va lui ouvrir les yeux mais va aussi le mener à sa perte car le médecin ne sera alors plus comme les autres.

    J’ai aimé particulièrement deux choses dans cette nouvelle : la manière dont Tchekhov traite ses deux personnages principaux à égalité et aussi la manière dont il fait se retourner la situation, tout en ayant insisté au départ sur le fait que c’était prévisible.

    En effet, la nouvelle démarre par la narration complète de la vie malheureuse de Ivan Dmitritch. Je pensais que cela allait être lui le personnage principal. Tchekhov insiste sur le fait que ce sont ses malheurs qui l’ont rendu paranoïaque (il a peur que des gens rentrent chez lui pour l’agresser ou le mettre en prison ; d’un autre côté dans la Russie de l’époque, ce n’est pas étonnant. C’est un peu la société qui l’a rendu comme cela). Puis il continue sur la description de la vie du docteur, comme si il la mettait en parallèle, sur un pied d’égalité, avec celle d’Ivan Dmitritch. Il continue ensuite la narration avec les deux personnages pour ne plus finir qu’avec le docteur.

    Dès le départ, Tchekhov prévient que le docteur est un inadapté. Finalement, on le tolère car il ne dérange personne et surtout pas l’ordre établi. Dès qu’il va commencer à s’exprimer, à émettre un jugement contraire à ce que l’on attend de lui, les ennuis vont commencer. Tchekhov met en place cela dès le départ en parlant de l’hôpital, des conditions de vie des malades. Pourtant, j’ai été surprise de la violence du dénouement et notamment de la descente aux enfers du médecin.

    Anton Tchekhov dénonce le fait que des hommes puissent juger la « normalité » d’autres hommes. Il se demande dans quelle mesure et surtout avec quelle légitimité, on peut établir ce critère de normalité ainsi que les petites excentricités que l’on peut tolérer. Finalement, est-ce que dans une société où règne la bêtise et l’intolérance, ce critère n’exclura pas de plus en plus de monde ?

    Quelques extraits

    Si l’humanité se met à adoucir ses souffrances par des pillules et des gouttes, elle rejette par là toute religion et toute philosophie dans lesquelles on a trouvé jusqu’à présent non seulement un refuge contre tous les maux, mais même le bonheur.

    Mais des dizaines, des centaines de fous se promènent en liberté parce que votre ignorance ne sait pas les discerner des gens bien portants ! Pourquoi ces malheureux que voici, et moi, sommes-nous obligés de rester ici pour tous les autres comme des boucs émissaires ? Vous, l’économe, l’aide-chirurgien, et toute votre séquelle hospitalière, êtes, dans l’ordre moral, infiniment au-dessous de nous tous ! Pourquoi donc sommes-nous ici, et vous pas ? Où est la logique ?

    « Mon Dieu ! songea-t-il, eux qui ont étudié si récemment la psychiatrie, qui ont passé des examens … d’où leur vient une ignorance si grossière ? Ils n’ont pas la moindre idée de la psychiatrie ! »

    Je n’ai d’autre maladie que de n’avoir, en vingt années, trouvé dans cette ville qu’un homme spirituel et c’était un fou. Je n’ai aucune maladie.

    Références

    La Salle n°6 de Anton TCHEKHOV – traduit du russe par Denis Roche (Plon, 1961)

  • Livre habilement sous-titré « a mystery inspired by Sherlock Holmes and one of his most famous cases » (c’est le Chien des Baskerville pour tout vous dire).

    La première page

    My name is Violetta Aristotle. […] I have always wanted to be a librarian. There is something so comforting about the smell of a new book; the pristine white pages practically glow and the aroma of the ink and paper is like fresh baked cookies to me. Even when I was a little girl I used to play library and would check out books to all my teddy bears. I don’t know where I got this obsession, mom and dad are well-read, but not bookish, so I can’t say it runs in the genes. But libraries are my passion, as were my late husband’s. Some people like to say that libraries are a good place for eccentric people to work or to hide, and maybe they’re right. You’ll have to judge for yourself.

    Mon avis

    J’ai rigolé du début à la fin. Pendant tout le début, je cherchais à voir où était le lien avec Sherlock Holmes. Je me disais que si le seul lien était qu’un des livres préférés du bibliothécaire, fort justement appelé Hugo, était Le Chien des Baskerville, on était très mal parti. J’ai failli écrire à l’éditeur en lui expliquant que tout roman policier n’était pas forcément inspiré de Sherlock Holmes. Me concentrer sur cet aspect des choses aurait pu me faire échapper le pouvoir humoristique de ce livre.

    Violetta Aristotle est une jeune femme de 32 ans, habitant Chicago, veuve depuis cinq ans et qui depuis cinq ans vit dans le souvenir de son mari. Ses parents sont italien et grecque (j’entends d’ici que vous me susurrez le mot cliché à l’oreille … les Français ne s’appellent-ils pas tous Dupont ?) Elle est responsable d’un département où elle aime que es gens se sentent bien et c’est pour cela qu’elle pratique le feng shui. Elle travaille avec des gens aussi bizarre qu’elles et qui portent des noms des plus étranges : Scarlett, son assistante, Lois Vandermeer (texane dont on peut se moquer sans vergogne), Hieronymus Wilde, directeur du département d’histoire (qui s’habille, se comporte comme Oscar Wilde qui est son auteur favori)(quoi, vous pensez, encore à un cliché ; c’est être mauvaise langue à mon avis), Dolly Wilde, la femme de ce dernier (ouvertement trompée mais qui aime d’amour son mari), Peter Lancaster, le petit-ami de Scarlett et qui ressemble à Beethoven, Mark de Winter (qui veut reconquérir sa femme) et Roxanne de Winter, la femme du dernier et maîtresse de Wilde.

    Dans cette bibliothèque, tout le monde couche avec tout le monde et a des griefs contre Hieronymus Wilde. Il est donc normal qu’il meurt empoisonné par des cookies grecs à l’arsenic, après avoir été frappé à la tête par une canne de marche et une statue de Shakespeare, lors d’une petite fête à la bibliothèque. Bien sûr, c’est Violetta et Scarlett qui le trouvent et qui le déplacent (parce que quand quelqu’un est mort et que c’est visible, il est d’une logique incroyable de le déplacer pour le vérifier). Là-dessus arrive le beau Mick McGuire, beau policier musclé, irlandais et qui est donc forcément roux avec des yeux verts (quoi, encore un cliché … les suédoises ne sont-elles pas toutes blondes, grandes avec une forte poitrine). C’est le coup de foudre avec Violetta mais aucun des deux n’osent se l’avouer. Mais l’auteur, dans son infinie mansuétude, ose nous faire partager les pensées de ces deux personnes. Pour vous imager un peu la chose, c’est comme si vous l’entendiez elle dire « suis-je sexy ? » et lui « j’ai envie de la prendre là sur la table ou même contre l’étagère des dictionnaires (ou des atlas, vous pouvez mettre ce que vous trouvez le plus torride) ». Après deux épisodes comme cela, je guettais plus cela que la résolution du crime ou même un quelconque rapport à Sherlock Holmes (car franchement, c’est tout ce qu’il y a de plus chiché, c’est fait sans aucune subtilité et du coup, cela n’a pas arrêté de me faire rire). Comme l’enquête n’avançait pas (forcément le policier avait autre chose dans la tête), il y a un autre meurtre. Mark de Winter est tué par une épée plantée dans la gorge (pourra plus reconquérir sa femme celui-là). C’est encore Violetta qui le trouve mais cette fois-ci elle ne le déplace pas car elle se rend compte qu’il est mort (elle apprend vite). Elle est  traumatisée mais Mick n’enquête toujours pas ; il passe son temps à savoir comment elle va, à la nourrir … Comme il reste un peu trop de monde à la bibliothèque, tout le reste du personnel est empoisonné à la strychnine lors de la cérémonie en mémoire de notre ami Hieronymus. Même Violetta. Toujours aucune de la part de Mick (heureusement, il a des subordonnés efficaces … apparemment c’est l’attribut de tous les grands hommes). Mais heureusement Violetta est là pour aider notre pauvre policier car elle, elle a lu Le Chien des Baskerville (c’est aussi un attribut des grands hommes … la femme qui se cache derrière lui).  Mais là je vous laisse découvrir tout seul ce qui a bien pu se passer.

    Pour information, ils ne coucheront pas dans ce volume (parce qu’il va y avoir une suite … l’impatience m’a déjà gagné) car on les laisse dans l’escalier.

    Marion, Matilda, j’ai honte de mettre ce livre pour la SSHD mais il parle un tout petit peu de Sherlock Holmes … et quand cela arrive, c’est même surprenant !

    Références

    Murder in the library de Felicia CARPARELLI (MX Publishing, 2011)

    P.S. J’ai remarqué la même chose que Matilda. Les phrases en français sont bourrées de faute d’orthographe. Les mots ne sont pas en italique, comme si finalement c’était du texte en américain (ils ont apparemment inventé leur propre français), alors que les mots en grec sont eux en italiques.

  • Comme j’avais envie de Russie, j’ai écumé ma PAL (parce que c’est le plus simple et le plus rapide et après en général, je rajoute des livres parce que dans le livre de ma PAL, on en parlait d’autres). J’y ai trouvé ce livre de Iouri Dombrovski, écrivain soviétique (1909 – 1978). Sur la quatrième de couverture, on nous précise la biographie de l’auteur.

    Diplômé des cours supérieurs Iouri Dombrovski est assigné  à résidence au Kazakhstan en 1932. Il travaille au Musée national d’Alma-Ata et commence à publier. Arrêté à cinq reprises, prisonnier dans les camps, il est libéré du bagne sibérien de Taïchet en 1957, puis réhabilité. Le Conservateur des antiquités le consacre comme l’un des plus grands romanciers soviétiques et le premier analyste perspicace du stalinisme.

    Je n’avais jamais entendu parler de cet auteur avant de l’acheter au salon du livre. Depuis, j’en ai rajouté un dans ma PAL sans même capter que c’était le même auteur. Il paraît que son ouvrage le plus connu c’est La Faculté de l’Inutile (mais bon, celui-là, je ne l’ai pas dans ma PAL).

    Une citation

    Une effroyable myopie (l’impuissance à raisonner historiquement) est sans doute le propre de tout despote. Il n’arrive pas à dépasser par l’esprit les cadres de sa propre vie. Il est incapable de regarder plus loin que son mausolée. (p. 196)

    Quatrième de couverture

    Ce conservateur des antiquités qui nous raconte son histoire est un fonctionnaire d’Alma-Ata, capitale du Kazakhstan [maintenant, c’est Almaty, la plus grande ville du pays, mais ce n’est plus la capitale, qui est elle, Astana], où les civilisations successives ont laissé leurs vestiges. Ainsi tourné, par goût et par métier, vers un passé prestigieux, il est aussi un témoin du présent, celui de la société stalinienne de 1937, de ce temps où la peur et la police étreignent la vie quotidienne. Mais il appartient lui-même à l’univers qu’il veut éclairer : c’est le Huron des contes philosophiques. Entre lune et terre, dans le clocher d’église transformé en salle d’étude, ce héros perché décrit la passivité des braves gens et leur accoutumance au tragique quotidien, l’absence de sens critique, l’ »espionite », la justification tranquille de la délation par les meilleurs esprits, sur le ton d’un Fabrice del Dongo vivant sous une terreur quasiment onirique.

    Analyse du phénomène stalinien comme manifestation du despotisme universel hérité de la Rome impériale et de Byzance, Le Conservateur des antiquités se situe au rang des chefs-d’œuvre de la littérature occidentale du XXe siècle.

    Mon avis

    À cause de mon manque de culture, je n’ai pas compris les analogies que l’auteur faisait avec Rome (la postface remarquable explique tout très clairement). Mais comme ce n’est qu’une petite partie, ce n’est pas grave (et je pourrais le relire quand je serais intelligente) car le reste m’a beaucoup intéressé.

    En fait, surtout deux choses m’ont plu.

    La première : le conservateur des antiquités loge dans une tour, une tour d’église reconvertie en musée, pour faire son travail, c’est-à-dire veiller sur les antiquités sur des périodes ancienne. Cet homme qui ne sera jamais nommé aime à rester dans cette période. Finalement, les seuls moments où ils quittent sa tour pour se jeter dans le présent ce n’est jamais à son initiative. C’est toujours les autres qui le ramènent parmi eux. Quand il est dans le présent, il n’a qu’un souhait c’est retourner vers ses antiquités. J’ai trouvé que c’était très marquant car dans l’histoire c’est un des seuls personnages à avoir des « doutes » sur les « informations » qui pouvaient être fourniers par les Autorités.

    La deuxième chose qui m’a frappée, c’est le décalage entre l’ambiance supposée et l’ambiance réelle. La postface insiste dessus aussi (mais c’est mieux dit bien évidemment). Je m’explique. Les personnages sont tous sympathiques : du vieux menuisier au commissaire de la NKVD. Du coup, l’auteur nous décrit les actions, qui semblent tirées d’une pièce de théâtre absurde, mais on ne ressent pas la peur ou la terreur de se faire bientôt arrêté. Les personnages sont heureux et affrontent les proscriptions comme une petite difficulté quotidienne qu’il faut gérer comme tant d’autres choses. Ce décalage est vraiment frappant à la lecture.

    Tout le monde est sympathique donc sauf pour les gens stupides, c’est-à-dire ceux qui appliquent sans réfléchir, qui appliquent en n’ayant en tête que la peur sans même se dire que peut-être ce qu’ils font n’a pas de sens (la monitrice qui décroche des portraits du musée car il pourrait éventuellement être déclaré par la suite des ennemis du peuple). Finalement, maintenant, que j’écris ces lignes, je pense que la quatrième de couverture a raison et que c’est cela qu’a voulu dénoncer Iouri Dombrovski.

    Références

    Le conservateur des antiquités de Iouri DOMBROVSKI – traduction du russe et postface par Jean Cathala (Culte fictions / La découverte, 2005)

  • Comme vous le savez, j’ai une vie trépidante, qui le sera encore plus quand j’aurais trouvé un travail (je pourrais vous en raconter de belles sur ce que l’on m’a dit hier à ce sujet mais sachez que j’en ris encore).

    Je cherchais à remplir gratuitement mon tout beau reader (parce que comme je l’ai lu chez Fasion, avoir une PAL électronique, on s’en fiche). Il faut dire que je l’avais un peu rempli avec des trucs payants en anglais et que j’avais téléchargé Tchekhov (en français, et si cela me plaît, je m’offrirais quand je serais vieille et riche les Pleiades), et que du coup j’avais envie de Russie après avoir lu Ceux de Podlipnaïa (et puis sur ce, j’ai ressorti de ma PAL revuesque le dossier du Point : L’âme russe – les textes fondamentaux). Je suis tombée sur ce site magnifique qui je pense va combler mon envie (j’ai aussi acheté des vrais livres dans le même but mais on ne le dira pas).

    Sur cette entrée en matière fascinante de platitudes, je vais vous parler du premier texte que j’ai lu : une nouvelle d’Ivan Vazov. Ivan Vazov, cela fait longtemps que je lorgne sur un autre texte de lui (mais je ne l’ai toujours pas lu … parce que chez Fayard, il n’aime pas trop sortir en poche), qui semble son texte le plus connu : Sous le joug. Frustrée, je me suis rabattue sur cette nouvelle.

    Ivan Vazov (1850 – 1921) est bulgare (et pas russe mais bon j’avais envie de découvrir)(je pense que déjà le titre prend plus de sens pour vous).

    Ce qu’il y a à retenir, c’est qu’il est reconnu comme poète et écrivain mais aussi comme homme politique pour avoir participé à la renaissance de la Bulgarie après la fin de la période d’occupation ottomane (1396 – 1878). D’après ce que j’ai compris de mes errements sur Wikipedia, le début de la fin a été l’insurrection bulgare d’avril 1876 (en fait, elle a duré deux mois : avril et mai) qui a entraîné indirectement la guerre russo-turc de 1877-1878, qui s’est terminée par le traité de San Stefano du 3 mars 1878. Ce dernier permet à la Bulgarie d’acquérir le statut de principauté autonome (ce n’est pas l’indépendance totale pour autant).

    Ivan Vazov, dans ses œuvres, parle beaucoup du patriotisme bulgare contre l’occupation ottomane ; cette nouvelle n’y échappe pas. La Bulgare, c’est une vieille femme qui veut emmener son petit-fils malade au monastère de la Sainte Vierge, à Tcherepietz. Pour cela, elle va faire le voyage à pied dans un pays en « guerre ». En effet, la nouvelle se déroule sur deux jours, en commençant le 20 mai 1876 (là, normalement, vous vous dites que mes billets mine de rien sont construits). Vous vous imaginez alors l’ambiance puisqu’on est dans une phase répressive et brutale de l’insurrection. Il y a des troupes de bachi-bouzouks qui rodent dans la région. Les Bulgares ont peur et sont près à dénoncer tout le monde et à n’aider personne pour sauver leur peau. Ivan Vazov excelle pour décrire cette ambiance. En 21 pages, vous arrivez à ressentir ce climat (c’est le point fort de cette nouvelle). Cette femme veut franchir tous les dangers pour « sauver » son petit-fils. Sur le chemin, elle rencontrera un insurgé, blessé. Elle fera tout pour l’aider quitte à s’oublier elle-même.

    Inutile de vous dire que cela renforce mon idée de lire Sous le joug pour avoir un aperçu plus étendu des talents de l’auteur.

    Références

    La Bulgare (1899) d’Ivan VAZOV – traduction de « Nad. », parue dans La Renaissance, année 2, numéro 2, 1915 (La bibliothèque russe et slave)

  • Vous pouvez lire ce livre ici, grâce aux éditions Sillage. Vous pouvez aussi trouver sur leur site une biographie de Ambrose Bierce (1842 – 1914 ?), qui est entre Mark Twain et le docteur Watson. Sa biographie explique un peu (même beaucoup) le style très acéré et acrimonieux d’Ambrose Bierce.

    Il s’agit d’un recueil de trois nouvelles, qui ont toutes en commun le fait que le narrateur a tué ses parents, intentionnellement ou non d’ailleurs. De plus, les parents comme le narrateur ne sont jamais des gens ordinaires (les narrateurs ont quand même tuer leurs parents).

    La première nouvelle À l’épreuve du feu (titre original : An imperfect conflagration) raconte comment après avoir tué son père et sa mère, le narrateur, homme de pouvoir, a échoué à camoufler ses crimes.

    La deuxième nouvelle Huile de chien (titre original : The Oil of Dog : A tragic Episode in the Life of an Eminent Educator) parle de comment le narrateur, à la suite d’une « erreur fatale » a poussé ses parents à se tuer.

    La troisième nouvelle L’Hypnotiseur (titre original : John Bolger, Hypnotist) explique comment un jeune garçon pour se venger de « maltraitances » a poussé ses parents à s’entretuer en les hypnotisant.

    Bien sûr, cela peut donner des idées à vos enfants ou même vous donner des idée mais comme on dit à la télé, il ne faut pas reproduire tout cela car c’est dangereux et il faut toujours faire appel à un professionnel (comme si tout le monde avait les moyens de faire appel à un tueur à gage, non mais !)

    D’abord, il faut noter que Ambrose Bierce est journaliste et pas écrivain. Il n’a toujours écrit que des nouvelles et dans ces trois là au moins, on peut dire qu’il a un style journalistique. Ce qui compte c’est l’histoire, les effets dans la manière de le raconter mais par exemple il n’y a pas de travail sur la langue (ou ce genre de choses, propres aux « bons écrivains »). C’est un peu comme si vous lisiez un long texte à la fin d’un journal. Les nouvelles sont pour cela très plaisantes et distrayantes à lire (il faut aimer l’humour noir bien évidemment). Ambrose Bierce commence et finit toujours de manière remarquable (je vous mets le début des deux premières car sinon vous allez dire que je raconte l’histoire) :

    Une journée de juin 1872, au petit matin. j’ai tué mon père – cela m’a beaucoup marqué à l’époque.

    Le « à l’époque » m’a beaucoup fait rire (et il me fait toujours rire d’ailleurs).

    Je m’appelle Boffer Bings. Je suis né de parents honnêtes, dans un milieu des plus modestes : mon père était fabricant d’huile de chien et ma mère avait un petit atelier à l’ombre de l’église du village, où elle liquidait les nourrissons indésirables.

    Je pense que cela résume bien le style de cet auteur : on sait comment la phrase commence mais pas comment elle termine, mais il y aura toujours « contradictions » entre les deux propositions. Par exemple, je peux encore vous citer une phrase de la troisième nouvelle :

    On m’avait fait appeler dans le bureau du gardien et on m’avait donné des vêtements civils, une toute petite somme d’argent et une profusion de conseils qui, je dois l’avouer, étaient de bien meilleure qualité que les vêtements.

    Je ne résiste pas à vous mettre quelques définitions issues de Wikipédia (qui lui même les a reprises du Dictionnaire du Diable de Ambrose Bierce)(bien sûr, je l’ai commandé parce que cela me fait trop rigoler) :

    • Abstinent : Personne faible qui cède à la tentation de se refuser un plaisir.
    • Evangéliste : porteur de bonnes nouvelles, particulièrement (dans un sens religieux) de celles qui assurent notre propre salut et la damnation de nos voisins.
    • Frontière : En géographie politique, ligne imaginaire entre deux nations, séparant les droits imaginaires de l’une des droits imaginaires de l’autre.
    • Immigrant : Individu mal informé qui pense qu’un pays est meilleur qu’un autre.
    • Irréfléchi : Insensible à la valeur de votre conseil.
    • Patience : forme mineure de désespoir, déguisée en vertu.
    • Politesse : Forme la plus acceptable de l’hypocrisie.
    • Présidence : Le cochon le plus gras du champ de la politique.
    • Raison : propension au préjugé.
    • Bien-être : état d’esprit produit par la contemplation des ennuis d’autrui.
    • Les tableaux sont les représentations en deux dimensions des choses inintéressantes en trois.

    Références

    Le club des parenticides de Ambrose BIERCE – traduit de l’américain par Marie Picard (Éiditons Sillage, 2006)

  • J’ai lu le premier ! Je rappelle, pour ceux qui ne suivraient pas, que la semaine dernière j’avais lu, avec mon extraordinaire reader (Fashion en parle mieux que moi), le second volume de cette extraordinaire série (n’ayons pas peur des mots). Il s’agissait de Sherlock Holmes and the Sakespeare Letter.

    Ce premier volume suit en quelques sortes la trame d’Une Étude en Rouge (auquel il y même une référence avec le mot Rache). Dans une première partie, il y a la rencontre Sherlock Holmes, qui se présente sous le nom de Cedric Coombes, et James Wilson, le journaliste revenant dégoûté d’Afghanistan (je trouve que c’est vraiment excellent d’avoir utilisé ces guerres qui se répètent dans le temps). Les présentations se font dans le même contexte que dans le premier roman des aventures de Sherlock Holmes. Watson se retrouve sans logis après avoir décidé de se reposer dans un tout petit village. Il rencontre comme par hasard un ancien camarade d’Eton (que l’on retrouvera dans le second volume : c’est l’oncle), qu’il n’a pas vu depuis vingt ans, et à qui il parle de ses problèmes. Lui, se rappelle avoir entendu un excentrique qui cherche un colocataire pour louer un cottage plus grand que ce qu’il a actuellement. L’excentricité ici est aussi intéressante ici (et reflète bien l’univers de Barry Grant qui nous parle souvent de livres)  puisque Sherlock Holmes emporte chez lui des brouettes entières de livres d’occasion, qu’il ne lit pas forcément (mais il lit quand même énormément pour se remettre à la page) mais qui sont les sujets de déduction et d’analyse très profondes quant à leurs anciens propriétaires.

    Cedric Coombes, alias Sherlock Holmes, a été retrouvé dans un glacier et a été ramené en Angleterre par le petit-fils de Lestrade (que l’on retrouve beaucoup dans ce premier volume ; il y a même l’explication de toute sa généalogie) et le Dr Coleman du St Bartholomew’s Hospital (parce que tout le monde a reconnu Sherlock Holmes. Je pense qu’il est intéressant de se demander si on en serait capable nous même).

    La deuxième partie du livre porte justement sur cette histoire de glacier qui est nous est raconté tout en longueur, au moins 50 pages, et qui coupe la narration (comme dans Une Étude en Rouge). On y croit ou pas (mais alors je peux vous dire qu’il y a de la péripéties et des poursuites ; cela serait splendide au cinéma) : en 1914, il a été mandaté par le Roi d’Angleterre pour amener une valise plein de de souvenirs d’enfance au Kaiser (ils sont tous les deux les petites-fils de la Reine Victoria) pour l’attendrir et éviter la guerre. Barry Grant essaye de nous livrer une explication plus ou moins plausible pour justifier le fait que Sherlock Holmes est survécu à la congélation (c’est dû à la déshydratation pour votre information).

    Ce qu’il est intéressant de noter, c’est que dans tout le livre Sherlock Holmes a vieilli et est moins dogmatique dans sa manière de résoudre les énigmes. En fait, Barry Grant arrive à reprendre les principales caractéristiques de Sherlock Holmes tout en faisant quelqu’un d’autre.

    Computers are mere compilers and crunchers of facts. Yet facts alone, Watson … Wilson …, can never, however speedily compiled or crunched, solved anything of consequence. […] I mean any of the great mysteries of gravity, for instance. Or the mystery of why a man murders his wofe. Many years ago I too believed such problems could be solved merely by observing closely and analyzing logically. I believed that a problem was like a great river one must cross. You stood on the shore and by stepping from one logical stepping stone to the next, you eventually reached the far side. […] Anyway, long ago I imagined that I solved mysteries first by observing, then by analyzing facts I had accumulated by observing. But that is not how it is at all. I realize now that I always made an imaginative leap that landed me somewhere strange, and then I tried to prove by logic that my leap had landed me in the right spot. If not, I made another leap, till eventually I landed where logic could prove I was spot on.

    Dans cet extrait, on voit bien le côté désabusé du personnage. Barry Grant tient compte du fait que Sherlock Holmes revient après 90 ans dans un glacier et ne le fait pas revivre tel quel. Il fait aussi plus volontiers s’exprimer Sherlock Holmes sur ses sentiments (en cela il différencie l’écriture de Wilson et de Watson).

    Barry Grant fait aussi preuve de beaucoup d’humour en faisant des clins dans le livre à son propre livre.

    Watson [Wilson ne se fatigue même pas à corriger], all is patern, repetition, variations on a theme. What you have done once in life, you do again – a prisoner of your own personnality, and of life’s natural cycles. […] I dare say, if a man lived long enough, everything in his life would repeat itself – in outline if not in fine detail. Have you not noticed, Watson, how often you are in a situation and you have the feeling you have been there before ? Déjà vu. And my belief is that in most cases you really have been there before. And sometimes you can recall the earlier situation, and sometimes not. […] Why should there not be fun and meaning in repetition ? You read the same book twice sometimes, do you not, Watson, and actually get more out of it the second time through ? You sometimes go to the same movie twice. […] Your life is a movie that keeps playing different but similar scenes over and over, and you enjoy it nonetheless.

    Il y a un petit côté philosophique là-dedans, de la philosophie du même genre que celle d’Isabel Dalhousie

    Pour ce qui est du mystère à résoudre, qui est posé dans la première partie et résolu dans la troisième : il s’agit de retrouver le meurtrier d’un ancien militaire américain. Cet homme est mort dans des conditions particulièrement étranges car il a été tué dans la maison vide d’un célèbre homme de théâtre, célibataire et sans enfants, après avoir débarqué dans un tout petit village (celui où Holmes et Wilson habitent) pour retrouver une jeune fille de quinze ans qu’il a connu sur internet. Le seul indice est un livre posé sur une table. Un peu plus tard, un second militaire américain se fera agressé dans la grande banlieue de Londres. Il échappera de peu à la mort.

    En conclusion, je dirais Vivement le troisième (qui sort fin décembre, je le rappelle) ! et plus sérieusement que Barry Grant fait une réécriture intelligente et personnelle des aventures de Sherlock Holmes dans les temps modernes.

    Références

    The Strange Return of Sherlock Holmes de Barry GRANT (Severn House, 2010)

    P.S. : par contre, je ne suis pas sûre d’avoir bien compris car dans le deuxième tome, il me semblait que les deux hommes habitaient au 221B Baker Street alors que dans ce premier volume, il décide d’habiter ensemble et dans la dernière page, Wilson dit :

    I was on the Web and I found some very nice lodgings in Baker Street, your old haunt. A nice area it is, close to Regent’s Park.

    Un autre passage qui m’a fait rigolé (et du coup, je ne pense pas qu’il puisse habiter au 221B Baker Street, à moins que lui se rappelle le vrai 221B Baker Street) :

    When we found 221B, he was astonished and disconsolate. He sait it was not really the right place, though the number was plainly on the door. We went inside and found it was a museum – a Sherlock Holmes museum. Evidently Sherlock Holmes fans came here year after year to gawk. […]

    Holmes stepped to the desk, rather awkwardly, and said to the girl, ‘Hello – I’m Sherlock Holmes.’

    She laughed. ‘Of course you are,’ she said. ‘You even look like Sherlock Holmes. Here, would you care of a Sherlock Holmes map of London ?’

    Dans le même genre, il y a un personnage qui fait remarquer à Sherlock Holmes qu’il ressemble énormément à William Gillette. Pour mémoire, William Gillette s’est fait connaît pour avoir joué le rôle de Sherlock Holmes au théâtre et avoir proposé l’image moderne que nous en avons.

    P.P.S. L’auteur fait même apparaître le personnage de Willie Wiggins, âgé d’une petite quarantaine, qui travaille pour le chemin de fer, et qui aidera Sherlock Holmes à s’échapper de Londres en 1914. C’est trop attendrissant !

  • Une citation

    L’homme naît pour une vie de souffrance, qu’il supporte et traîne comme un boulet et qui finit par l’écraser… Il cherche toute sa vie un mieux qu’il ne trouvera jamais. (p. 247)

    Quatrième de couverture

    On croyait connaître la misère que la littérature naturaliste a exploitée à l’envi. Avec ce roman redécouvert après des décennies d’oubli, celle qui nous et racontée explose par sa violence et son fatalisme. Aventures de deux crève-la-faim qui vont tenter d’échapper à la mort qui les guette depuis leur naissance, Ceux de Podlipnaïa nous mène aux confins de la Sibérie à la suite de deux bourlaki, ces haleurs qui manœuvrent de lourdes barques sur des cours d’eau impitoyables, ignorants de leur condition atroce et incapables de révolte. Féroce et souvent drôle ou émouvant, écrit dans une langue rugueuse, ce texte où la vérité ne se pare pas de moralisme est un précurseur de l’essai ethnographique. Il fut publié en 1864 par un jeune auteur autodidacte qui mourut à trente ans, alcoolique et tuberculeux.

    Un livre glaçant et fascinant.

    Quelques liens

    Les bourlaki ont été peints au début des années 1870 par le peintre Ilya Repine (1844-1930) dans un tableau intitulé Les bateliers de la Volga.

    Ce tableau a été inspiré par une célèbre chanson, qui porte le même nom (qui a été « popularisée » à peu près à la même époque).

    En petit clin d’œil à ma maman qui était une admiratrice du Cœur de l’Armée Rouge, je vous mets leur version.

    [yframe url=’http://www.youtube.com/watch?v=8WD0WVL-HjE&feature=channel_page’]

    Mon avis

    La dernière fois que ce titre a paru en France, c’était dans les années 1920-1930. L’Arbre Vengeur a déterré, avec raison sans aucun doute possible, ce texte après des décennies d’oubli (j’adore quand ils font cela car ils trouvent toujours des pépites). Vous vous doutez que vu le thème c’est un livre très très fort.

    Ce livre se découpe en plusieurs parties. Dans un premier temps, l’auteur nous décrit la condition des paysans que nous allons suivre. On passe par la mendicité, le vol, la fatalité devant une mort que l’on attend souvent. On parle d’une vie miséreuse de laquelle on ne pense pas pouvoir s’extraire. Il parle aussi de l’autorité qui vient d’en haut sans aucun respect des autres, de l’autorité du pope qui impose des croyances à des gens qui se débrouillent très bien avec les leurs, un pope qui maintient les gens dans l’ignorance et dans la superstition (on ne sait pas si il ne l’est pas lui-même) pour mieux les maintenir en son pouvoir.

    Les paysans vont au bar pour dépenser leur denier et là, on leur parle des haleurs sur les rivières qui mènent la belle vie, qui sont riches … Voilà nos héros partis (deux hommes, une femme, deux adolescents, un enfant). Tout est nouveau pour eux qui n’avaient jamais quittés leurs hameaux : les constructions, les villes, les usines, le travail ouvrier … Ils n’avaient même jamais vu un bateau de leur vie et se demandaient comment ils pouvaient flotter. Après plein de péripéties tragi-comiques, les voilà sur un bateau pour descendre une rivière dangereuse car très escarpée ; ils y apprennent le maniement des rames sous l’égide d’un pilote. C’est un métier difficile et épuisant, mais ils sont heureux car ils mangent enfin.

    Ce n’est rien par rapport à ce qui les attend après : la remontée de la rivière où les bateaux sont tirés à dos d’hommes (c’est ce que figure le tableau au-dessus). 15 hommes pour tirer des bateaux plats appelés kolomenki qui servait à transporter du fer. La fin est plus que tragiques.

    Parfois il y a des phrases maladroites dans le livre (mais je pense que c’est dû à des fautes de frappe) mais le style est simple. Cela rend le récit encore plus touchant. Le narrateur n’intervient pas sauf pour souligner l’absurdité d’une situation qui n’est pas près de changer.

    Vous l’aurez sans doute compris, je le conseille vivement.

    Références

    Ceux de Podlipnaïa de Theodor RECHETNIKOV – traduit du russe par Charles Neyroud – préface de Frédéric Saenen – illustrations d’Alain Verdier (L’Arbre Vengeur, 2011)

  • Livre lu par Yves, Leiloona, À propos de livres, …

    Quatrième de couverture

    1980, Nord du Chili, sous la dictature de Pinochet. Les terres arides du désert d’Atacama ne sont ensemencées que par les fosses communes du régime.

    Rocío, ancienne étudiante en médecine, a suivi son mari, Carlos, lieutenant de police, affecté à la réserve de Huara où il n’y a rien à faire et trop à méditer. Carlos consigne dans un cahier son ennui, ses doutes et ses inquiétudes concernant l’état psychologique de sa femme.

    Car Rocío, elle, n’est pas seule. À la différence des autres « Blancs », elle voit les villageois andins qui fuient leur présence comme une malédiction ; elle voit les chiens retournés à l’état sauvage [c’est ce que l’on appelle des chiens féraux] rôder, craintifs et affamés, autour de la déliquescence morale des oppresseurs ; et surtout elle entend ces voix d’enfants qui l’habitent, comme le remords de son ventre infécond, comme le cri vengeur d’un euple et d’un lieu martyrisés.

    Chiens féraux, le premier roman de Felipe Becerra Calderón, a reçu au Chili le prestigieux prix Roberto Bolaño en 2006.

    Dans ce roman polyphonique, Calderón explore les effets de la folie et de la solitude sur deux êtres ordinaires qui ont la particularité d’appartenir au camp des bourreaux. Il nous offre un texte dense, où la langue se fait schizophrène pour chanter la contagion du mal.

    Mon avis

    C’est un roman qui m’a beaucoup dérouté à cause de la quatrième de couverture, des billets que j’ai lu sur lui et des interviews de l’auteur.

    Le roman se déroule sous la dictature de Pinochet mais l’auteur précise qu’il ne faut pas chercher de métaphores dans le livre. Pourtant, il précise que c’est une période qu’il voulait mettre dans un roman mais avec l’expérience de sa génération (il n’a que 25 ans) : une expérience non directe mais par ouï-dire. Il insiste sur le fait que c’est une expérience sensitive. Je me suis dit qu’il fallait faire ce type de lecture ; se laisser porter par l’écriture. C’est un peu comme cela qu’il a écrit apparemment.

    C’est une expérience étrange car vous ne savez jamais où vous êtes. Le début du roman est structuré. Chaque personnage a son chapitre (cela restera en gros cela jusqu’à la fin), son intériorité aussi. Puis au fur et à mesure, on entend plusieurs voix pour un même personnage : l’intérieur, l’extérieur, l’écriture (pour le mari). Il y a les hallucinations auditives et visuelles (j’avoue que je n’ai pas tout compris non plus). Les personnages deviennent un peu comme autistes car ils ne « voient » plus : le mari et la femme ne se parle plus, la femme voit les villageois qui veulent lui parler (elle croira à une menace sans les comprendre alors qu’on apprendra par la suite qu’ils veulent lui parler d’un danger). En rapport avec le titre, j’ai pensé que les humains, surtout les « Blancs » de la quatrième de couverture étaient redevenus sauvage. La célébration de la fête nationale est un bon exemple. Le mari et la femme organisent la fête, convient les autochtones, les militaires en place … rapidement la fête tourne à la beuverie (les villageois sont partis) et tout le monde a un comportement sauvage. J’ai trouvé que finalement plus que la folie, présente pourtant, dont parle la quatrième de couverture, c’est de cela dont parlait le roman. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser que là-dessous, il y avait quand même le contexte national. J’ai été confortée dans cette idée par des notes de bas de pages qui nous situent des lieux dans ce contexte là.

    C’est pour cela que j’ai l’impression de ne pas avoir tout compris (en plus, c’est un roman d’Amérique du Sud ; l’impression de manquer de culture pour le comprendre a été persistante). Il m’en reste un rythme indéniablement envoûtant et très personnel (dans le sens où il est reconnaissable). J’ai aussi apprécié les recherches typographiques de l’auteur pour les deux rencontres avec le professeur Destino, maître de la torture, de la propagande et de la voyance (pas dans le mauvais terme); du dialogue structuré (et présenté de cette manière), on passe à un méli-mélo entre dialogue, texte, écrits du mari sans aucune présentation. J’ai trouvé que cela figurait bien cet emmêlement entre réel et hallucinations.

    Références

    Chiens féraux de Felipe Becerra CALDERÓN – roman traduit de l’espagnol (Chili) par Sandy Martin et Brigitte Jensen (Anne Carrière, 2011)

  • J’ai commencé par le numéro 2 de la série bien évidemment car on m’a toujours dit que dans la vie il fallait un peu de folie (je n’ai bien sûr pas fait exprès mais pour me rattraper j’ai téléchargé le numéro 1 sur mon tout joli reader en attendant la sortie du numéro 3 en décembre). Le reader c’est top pour lire des livres en anglais (surtout quand on est une quiche comme moi ; il y a deux personnes qui me l’ont dit dans le mois donc je l’ai intégré dans mon cerveau qui semble très limité d’après tous les entretiens que j’ai passés)(bien sûr, je ne suis pas déçue… enfin c’est ce que tout le monde me dit que je dois faire et penser). Revenons à nos moutons : quand on clique sur le mot la définition apparaît et on apprend plein de mot (genre conundrum qui veut dire énigme).

    L’histoire du livre est trop bien ! (c’est ce que l’on appelle de la critique constructive). Sherlock Holmes a été emprisonné dans un glacier en 1914 et en est ressorti en vie grâce à l’aide d’un docteur en 2004.

    Such things had been haunting my imagination ever since I had met Holmes four and half months earlier and had learnt the startling story of how, in a final service to King George V, he had atempted to halt the Great War by carrying a personal message from the King to Kaiser Wilhem. The whole project had come to wreck when a German agent, tracking Holmes across a glacier in Switzerland, had foolishly fired shots that brought down an avalanche.

    Je ne peux pour l’instant pas vous en dire plus car apparemment c’est dans le volume 1. Après cette résurrection miraculeuse (à laquelle ni vous ni moi ne croyons en tout cas dans l’état actuel des connaissances scientifiques ; certains personnages ont même du mal à y croire), Sherlock Holmes retourne habiter à Baker Street avec un certain James Wilson, journaliste (et dragueur invétéré) qui est dans le milieu de la soixantaine. Il habite au dessus d’une madame Cleary. Celle-ci n’est plus logeuse et chacun habite dans son appartement. Entre autre, il y a une cuisine au 221B Baker Street (c’est fou, non ?) Des fois, Sherlock Holmes cuisine parce qu’il a bien changé après 90 ans dans un glacier (en tout cas il est toujours aussi intelligent mais beaucoup plus drôle et amical). Aurait-il réussi à dire cela avant ?

    My modus operandi depends upon doing so, and is simplicity itself : gather a chaos of facts, use intuition to extract the revelant ones, and use imagination to form them into a theory.

    Il y a aussi un inspecteur Lestrade, petit fils de l’autre, qui a été chargé de mettre au point et au goût du jour le nouveau Holmes (en tout cas, de l’aider à survivre dans ce nouveau monde).

    Lestrade, seemingly so sober and thoughful, so reserved and remote, was, in truth, a warm and generous soul beneath it all – just as was his more famous Victorian grandfather. This modern Lestrade, who had kindly undertaken to supervise Holme’s recovery after « the great resuscitation » took his responsability not oly seriously but with almost religious devotion. I suppose that ever in the back of Lestrade’s mind was the remembrance that Holmes had given great assistance to his grandfather on crime cases in the old days, and that he thus had helped him to rise in the force, and later had even helped him to find a wife – so perhaps Lestrade felt that he owed not only his own job, but his very life to Sherlock Holmes.

    Ce paragraphe c’était pour vous situer à peu près les personnages récurrents. Il y aura aussi un nouveau Moriarty en la personne de Lars Lindbald, un bandit de grand chemin qui peut s’allier avec n’importe qui pour récupérer de l’argent (ce Lars n’apparaît que dans ce volume-ci et pas dans le premier apparemment).

    L’histoire de départ est qu’un professeur sir Hugh a en sa possession ce qu’il croît être une lettre de Shakespeare (je vous rappelle qu’on ne dispose d’aucun écrit et qu’il y a polémique pour savoir si Shakespeare a écrit Shakespeare (plusieurs fois l’auteur utilise cette expression) ou si Francis Bacon n’y aurait pas mis son grain de sel). Il y a donc besoin d’une expertise qui sera réalisée par la nièce d’un ancien camarade d’école de Wilson. Tout cela se passe bien évidemment dans le plus grand secret et bien sûr, comme tout grand secret, beaucoup de monde est au courant. Il n’y a donc pas trop à s’étonner si la lettre disparaît quand elle arrive au laboratoire.

    Bien sûr Sherlock Holmes (enfin celui que tout le monde pense être un doux dingue qui se fait passer pour Sherlock Holmes) est appelé en renfort. Il retrouve facilement le voleur et mets le nez dans une conspiration internationale avec Al-Qaida . On ne comprend pas trop pourquoi il voulait récupérer cette lettre mais cela s’éclaircit au fur et à mesure.

    Après il cherche toujours la lettre et découvre que toute la famille de sir Hugh était au courant pour celle-ci. Si sir Hugh est un partisan de Shakespeare a écrit Shakespeare, ce n’est pas le cas de ces deux beaux-fils, de son « beau-père » et passablement de sa femme. Il n’a que sa belle-fille (adorable pour Wilson) de son côté.

    Sur cette histoire se rajoute une série de meurtres réalisés à l’aide de micro-bombes, déclenchées à l’aide de notes de musique (il y a aussi des miro-bombes dans les chauves souris). Les victimes ont toutes subi une critique en règle dans les colonnes d’un journal.

    Vous vous demandez comment l’auteur arrive à mêler les intrigues. Je ne vous le dirais pas, mais sachez qu’il y arrive et même très bien, même si à la fin, on a l’impression de se retrouver chez Hergé dans son île noire.

    Il y a aussi de très jolis passages :

    Colonel McKenzie, late of the Indian Army, was, in the publishing industry of modern London, something of a throwback to an earlier time – not a throwback clear to the nineteenth century, perhaps, but back to the nineteen-thirties or so, to that, era when books were still read by editors, not marketing committees, and when publishing companies were family affairs and not divisions of creativity-crushing conglomerates.

    Only enough knowledge to solve the present conundrum, not all conundrums. It is not knowledge that makes life a joy, buth the lack of knowledge. For that is what makes a mystery. Could a life without probleems, without mystery, be worth living ? A life without mysteries to plumb and problems to solve would be a desert of boredom.

    Intuition is a version of logic that overleaps certain steps in order to reach a conclusion quickly.

    Dans la même veine, on a :

    Intuition is the mode of one who knows. Leaping to conclusions is the mode of one who gambles.

    Ma conclusion sera simple : ce livre mérite d’être lu pour son côté déjanté mais canonique.

    Références

    Sherlock Holmes and the Shakespeare Letter de Barry GRANT (Severn House, 2010)