Cecile's Blog

  • J’ai trouvé ce roman par hasard à la bibliothèque. Je cherchais un autre livre dans les N. Comme j’aime beaucoup cette collection, j’ai retourné celui-là pour lire la quatrième de couverture et je l’ai pris.

    Je ne connaissais pas Taslima Nasreen mais elle semble très connue depuis de nombreuses années en France au moins. Je résume un peu sa biographie car je trouve que cela permet de mieux comprendre son travail. Taslima Nasreen est née en 1962 au Bangladesh. Elle fait des études de médecine (et suit ainsi les traces de son père), avec une spécialisation en gynécologie, spécialité qu’elle exercera pendant plusieurs années. Parallèlement, elle écrit des poèmes (son premier recueil est publié en 1986), des éditoriaux (qui la font connaître du grand public) et des romans … C’est pour un de ses romans, Lajja,  « dénonçant l’oppression musulmane sur une famille hindoue » (d’après Wikipédia), qu’une fatwa sera prononcée contre elle en 1993. Ce qui l’amènera sur les routes de l’exil, dans différentes villes européennes et à New York. Elle continue pour autant à dénoncer la condition féminine dans les pays musulmans. Dans les années 2000, suite à un discours en Inde, une prime est offerte par un groupe islamiste pour sa décapitation. Malgré tout, elle défend toujours aujourd’hui ses idées à travers le monde.

    Ce livre comprend deux récits : L’alternative et Un destin de femme, les deux récits étant sûrement inspirés de ses expériences personnelles et médicales au planning familial.

    Le premier récit prend une forme épistolaire. Deux sœurs séparées depuis longtemps s’écrivent pour se raconter leur vie, et surtout leurs choix de vie. En effet, la sœur aînée, Jamuna, s’est affranchie d’un mari ne pouvant pas vivre avec une femme ne souhaitant pas s’effacer devant lui, d’autant que Jamuna a fait de bonnes études et gagne très bien sa vie. Bien sûr, sa famille ne soutient pas son désir de vie indépendante et s’inquiète pour elle. Elle explique dans ses lettres, sa nouvelle vie, son nouveau mariage (et son nouvel échec) et son désir de vivre vraiment enfin libre. Sa petite sœur, Nupur, vit encore chez ses parents et, est de plus très croyante. Elle aussi a fait de bonnes études mais arrive le temps où sa famille veut la marier. Alors qu’au début du récit, Nupur critique Jamuna (même si la critique n’est jamais véhémente) car elle ne vit pas selon les préceptes selon lesquels elle a été élevée. Au fur et mesure qu’elle se retrouve confrontée aux mêmes problèmes que sa sœur, son point de vue change et elle comprend mieux ce qui a poussé Jamuna à agir comme elle l’a fait et comme elle continue à le faire. Ce récit aborde donc les thématiques de la religion, de la condition féminine, du mariage (forcé ou non), de la sexualité féminine.

    Ce dernier thème devient prépondérant dans le deuxième récit, Un destin de femme. Une jeune fille de bonne famille, Hira, est mariée, juste après la fin de ses études au lycée, à un très bon parti, Altaf (beau, intelligent avec de l’argent). Dès lors, elle ne vivra plus que dans la famille de son mari, ne pourra vivre (sortir, voir ses amies …) sans en référer à sa belle-famille. Elle n’a aucun a priori négatif sur cette situation et est même plutôt prête à tout faire pour s’adapter à sa nouvelle vie. Sauf qu’il y a un problème. Le monsieur parfait est impuissant, Hira en ressent un très grand malaise et une très grande frustration car tout d’abord, elle ne sait pas ce qu’il se passe (car elle n’a jamais réellement eu d’éducation sexuelle ; elle comprend au fur et à mesure) et quand elle commence à en parler à son mari, celui-ci devient un tyran jaloux, refusant qu’elle sorte même de chez elle. Il se plaint de son attitude à ses parents, qui prennent son parti à lui. Hira devra lutter contre sa famille, sa belle-famille, son mari et même la société pour réaliser son rêve de reprendre ses études.

    On voit bien dans ces résumés que ces deux récits sont inspirés de l’expérience de Taslima Nasreen ; les thèmes en sont la sexualité féminine mais aussi la condition féminine dans les classes supérieures de la société. Il n’y a que très peu d’allusions à la religion. On ne peut qu’être concerné et consterné par ces histoires. L’auteur parle bien de l’emprise de l’éducation et de la pression sociale énorme qui s’impose à ses femmes pour qu’elles perpétuent un mode de vie qui devient de moins en moins tenable (d’autant que beaucoup rêvent d’études). Leur solitude et leur courage sont aussi très bien décrits. On ne peut pas critiquer ce que l’auteur raconte car elle nous parle d’expériences réelles et horribles. Le problème que j’ai rencontré (et qui a fait que j’ai mis un peu de temps à lire ce livre) est que l’écriture semble un peu simpliste, un peu sujet verbe complément parfois (la construction des histoires est très bonne par contre). On a parfois l’impression de lire plutôt une démonstration qu’une oeuvre littéraire. Cela manque de description de l’environnement, des personnages … L’auteur est tout à son idée et à sa dénonciation, sans forcément se soucier que le lecteur visualise les récits.

    En conclusion, c’est une bonne lecture, édifiante et intéressante. Par contre, je pense que j’essaierais plutôt un roman pour découvrir le talent littéraire de l’auteur.

    Références

    L’alternative suivi de Un destin de femme – récits traduits du bengali par Philippe Benoît (La Cosmopolite / Stock, 1997)

  • J’ai enfin terminé les examens pour les cours que j’ai suivis cette année. C’est une bonne chose de faite, même si ce n’est qu’un début (en tout cas je l’espère), puisqu’il faut bien que cela aboutisse à quelque chose. Mais en attendant, je peux reprendre un rythme de lecture normal et retrouver un peu de temps pour moi et mes loisirs. En fait, ce n’est pas vraiment le rythme qui posait problème mais les lectures : si j’avais rédigé des billets pendant la période de révision, vous auriez eu un billet par jour (voire plusieurs) mais avec des BD.  Une fois ma disponibilité d’esprit retrouvé, j’ai commencé à lire les romans de la rentrée littéraire que j’avais repérés, dont celui-ci : Pêche de Emma Glass.

    Il s’agit d’un premier roman d’une auteure galloise, travaillant à Londres en tant qu’infirmière. Vous avez sûrement déjà dû lire des avis très contrastés sur ce livre, soit on aime, soit on n’aime pas, souvent à cause de la langue, parfois à cause des situations irréalistes ou des scènes insoutenables. Personnellement, j’ai trouvé le livre assez brillant pour la langue justement et pour la manière dont l’auteure nous fait ressentir la détresse de la jeune fille.

    Pêche est une adolescente tout ce qu’il y a de plus normal : elle a un petit ami, Vert, des amis, qu’elle rencontre à la cafétaria, fait de la natation. Ses parents viennent d’avoir un bébé et sont plus amoureux que jamais (quitte à être indécent pour leur fille). Sa vie bascule le jour où elle se fait violer, en rentrant de chez son petit ami, par un adolescent (?) Lincoln, qui dégage une affreuse odeur de saucisses. Son corps est meurtri, elle est déchirée et doit se recoudre seule, pour ne pas dévoiler son secret. Car oui, elle va tout garder pour elle, garder son secret. Ce n’est pas difficile vis-à-vis des parents car eux ne veulent rien voir : ils sont dans leur bulle d’amoureux. Le petit-ami, les amis, un professeur voient tous, dès le lendemain, qu’il y a un problème car Pêche grossit de manière anormale, de plus en plus.

    C’est la force du roman d’Emma Glass. Tout passe par le corps et les sensations. Plus que de longues descriptions psychologiques, c’est la description des sensations (de la peur, de l’angoisse) qui vont nous faire nous approcher un peu de la jeune fille. Dans cette optique, et dès le début, j’ai interprété la masse dans le ventre de Pêche, non comme un bébé mais comme le poids du secret, un secret qui l’empêche d’avoir des relations normales avec ses amis, qui l’empêche de plus en plus d’agir comme auparavant. En traitant le sujet de cette manière, l’auteur ne pouvait pas finir de manière « réelle » et pour moi la fin tire plus vers la métaphore. J’avoue me poser encore des questions sur la dernière page : est-ce que la masse était un bébé ou non ? Est-ce que je me suis trompée ? Il faudrait relire car il y a un test de grossesse négatif tout de même. Je suis intéressée par votre avis si vous avez lu le roman.

    De la même manière (c’est plus anecdotique), Pêche a une très belle peau (très douce), Vert a de long bras (un peu un corps de légume en fait), les amis s’appellent Patate (il est tout rond bien sûr) et Sable (pas très solide en face d’autres personnes), le professeur est Mr Mélasse (très collant en plein soleil). C’est la première fois que cela m’arrive mais je n’ai pas vu, pendant ma lecture les personnages avec corps, tête, jambes et bras mais uniquement par la caractéristique dont les affuble l’auteure (le moment où Vert et Patate se disent bonjour est un très beau passage). Seule Pêche était incarnée en tant que personne à mon sens. C’est intéressant car finalement, l’auteure arrive à nous faire comprendre le monde à travers les yeux de la jeune fille puisqu’on est dans son imaginaire. C’est pour cela que je vous parlais d’un livre plutôt brillant.

    Pour ce qui est de l’écriture, je parlerais d’une écriture vive, alerte, rapide, joueuse, imaginative mais qui peut être fatigante à la longue (surtout si on n’a pas le temps de se plonger dans le livre) ou paraître factice. Personnellement, j’ai tout de suite aimé car je suis friande d’écriture avec des jeux de mots, avec une suite logique d’idées très rapide. Le premier paragraphe donne une bonne idée de la virtuosité de l’écriture (il faut admirer le travail du traducteur) :

    Poisse épaisse poisseuse empoissant la laine lourde engluée dans les plaies, mes pas pressés ravaudant ma peau fendue, ma mitaine humide raclant le mur. Briques rouges rêches déchirant la laine. Déchirant la peau. Peau rêche rouge. Tête rêche rouge. Je grimace en ôtant le gant plucheux, la laine lacérée érafle mes doigts meurtris. Il fait nuit. Le sang est noir. Sec. Grince grinçant grincement. Le relent de gras grillé m’obstrue les narines. Je porte mes doigts à mon visage, essuie le gras. Il colle à ma langue, glisse dans ma glotte, coule sur mes dents, mes joues, goutte au fond de ma gorge. Je vomis. Le vomi est rose au clair de lune. Charnu. Gras. Je m’appuie contre le mur, ferme les yeux. Ravale ma bile. Goût de chair. De viande. Je vomis encore. Mes yeux dansent. Éclairs roses. Retour au noir. Le corps racle la brique. Je vois noir. Noir poix. Gras. Mes paupières sont grasses. Enflées. Noires et gonflées par les gifles. Graissées par les gluantes saucisses de ses gros doigts. Sa voix violente me vrille les oreilles. Ferme les yeux. Ferme les yeux et ouvre ta – ferme-les. Ferme-les. Ferme-les.

    Un autre passage, moins virtuose mais plus représentatif du roman :

    J’ouvre la porte de la cuisine et jette un œil. Ils me sourient exagérément. De grands yeux. Énormes. Fixes. J’essaie de sourire. Je m’assois à côté de Papa. Sur l’assiette, devant moi, des légumes. Verts et jaunes. Des pâtes. Jaune clair. Couleurs. Pas de rose. J’ai faim. Ça a l’air bon, dis-je à Maman. Elle sourit. Elle observe. Elle veut me voir manger. Alors je mange. Lentement. Je coupe le maïs. Coupe les haricots. Enroule les pâtes autour de la fourchette. En tournant. Je les mets dans ma bouche. Mâche. Papa enfourne les spaghettis dans son sourire. Je ne sens pas leur viande. Nous mangeons. Je suis pleine. Je bois de l’eau. Je la sens stagner dans mon estomac saturé. Ça clapote quand je me lève pour aller dans l’autre pièce.

    En conclusion, une excellente découverte dans mon cas, et qui promet pour les prochains romans de cette auteure.

    L’avis mitigé de Jostein et l’avis très positif de Nathalie.

    Références

    Pêche d’Emma GLASS – traduit de l’anglais par Claro (Flammarion, 2018)

  • J’ai acheté ce livre sous forme électronique, après avoir lu un article dans le Matricule des Anges de ce mois-ci, dans l’idée de le lire pendant ma semaine de vacances. Je ne regrette pas du tout mon achat car comme d’habitude avec les livres conseillés par ce magazine, c’est un livre qui me titille, me dérange, m’interroge et c’est ce qui compte en littérature finalement.

    Le Mangeur de citrouille raconte le mariage de Mrs. et Mr. Armitage, de son point de vue à elle (qui est de loin le plus intéressant). Le livre s’ouvre sur l’annonce aux familles du mariage. Les deux futurs mariés s’attendaient aux réactions mais elles semblent rudes au lecteur. Le père du marié ne comprend pas le choix de madame car son fils ne peut être un bon mari et surtout un bon père pour les enfants qu’elle a déjà d’autres mariages car il n’est pas suffisamment mature. Les parents de la mariée ne comprennent pas le fait que le jeune homme veuille prendre autant d’enfants, qui ne sont pas les siens, à charge car notre personnage principal en est tout de même à son quatrième mariage (deux divorces et un veuvage ont clôturé les précédents). Personne ne s’oppose au mariage, même si le père de la mariée (avec le soutien du futur) oblige sa fille à abandonner ses trois premiers enfants (plus exactement, il veut les envoyer en pension et les prendre chez lui pour les vacances, leur mère ne les voyant plus de fait). Malgré de nombreux scrupules, elle le fait pour pouvoir se marier avec son nouvel amour.

    Le mariage se fait et le début se passe bien. Le mari, qui travaille dans le cinéma, a de plus en plus de succès, l’argent lui permettant d’engager de nombreux domestiques pour décharger sa femme. Le problème est que le couple s’éloigne de plus en plus, lui étant absent et elle n’assumant plus le rôle d’épouse et de mère qu’elle affectionne. Elle déprime de plus en plus, d’autant qu’au bout de neuf ans de mariage, son mari la trompe avec une jeune femme qu’ils hébergeaient. Son mari l’envoie chez un psychiatre (idiot), qui lui fait revenir sur son enfance, son adolescence, ses précédents mariages … sans jamais penser que le problème est peut-être le mari. Pour lui, le cœur du sujet est cette volonté d’avoir trop d’enfants, alors que l’époque lui permet de contrôler cela (le mari, les parents, tout le monde est d’accord sur le côté pathologique). Ces séances n’améliorent absolument pas l’état de la dame, qui elle veut tomber enceinte parce qu’elle estime que son couple ira mieux, qu’elle-même ira mieux. C’est un désir qu’elle ressent profondément.

    Quand elle tombe enceinte, le mari encourage fortement sa femme à avorter et à se faire stériliser. Celle-ci accepte, même si cela va la mutiler, car elle aime toujours son mari et souhaite tenir compte de ses désirs (plus que des siens en fait). Elle découvre après, mais cela se passe au même moment, que son mari la trompe avec une amie du couple et que celle-ci est enceinte (alors qu’il ne voulait pas d’enfants de sa femme). Cela va bien évidemment remettre en cause son statut de mère et d’épouse, mais aussi lui permettre de s’envisager, de s’affirmer en tant que femme.

    J’en dis beaucoup dans ce résumé (comme le faisait l’article du Matricule des Anges) mais ce qui est important ici, plus que l’histoire, c’est de suivre et de saisir les sentiments de Mrs. Armitage, vis-à-vis des événements.

    Cela a été très difficile pour moi de comprendre Mrs. Armitage. Le roman étant largement autobiographique, je pense que cela vient du fait que le personnage n’est pas un personnage de fiction et que l’auteur a mis beaucoup d’elle dans ce roman (tout est décrit avec tellement de sincérité mais aussi de lucidité, c’est assez poignant). Ainsi, le personnage principal a un côté dual, hésitant que l’on peut comprendre dans la réalité. Je m’explique. Son histoire avant son quatrième mariage trace pour moi le portrait d’une femme forte et indépendante, qui suit ses instincts, ses amours, plus exactement ce qu’elle pense bien pour elle, sans se soucier de ce que son entourage pense. Je ne pense pas que dans les années 60 ce comportement était si courant que cela.

    Je n’ai pas compris son changement total de comportement avec son nouveau mari . Qu’est-ce qui s’est passé ? Je comprends l’enfermement dans le quotidien, dans la routine … mais qu’est-ce qui fait qu’elle est restée cette fois-ci, alors qu’; il demande beaucoup tout de même. Un reste d’amour, de tendresse ? La pression du mari, qu’il faut satisfaire ? J’ai trouvé que ce n’était pas assez expliqué (cela devait être clair pour Penelope Mortimer, vu qu’elle l’avait vécu). Je pensais toujours en lisant « mais pars avant qu’il ne soit trop tard ! Il va te détruire ! » Ce qui a amplifié ma perplexité, c’est le fait qu’après l’opération, elle prend encore sa défense, et se prend même à penser que c’est bien car elle va pouvoir enfin faire l’amour sans « craindre » une grossesse. Craindre est son mot et là, je me suis dit mais les enfants, tu les as fait en connaissance de cause (c’est ce que j’avais compris au début), ou tu as pris les choses telles qu’elles sont venues et tu les as aimés, comme c’est normal. Et dans ce cas-là, je n’ai pas compris ce qui avait changé.

    En conclusion, Penelope Mortimer aurait pu faire beaucoup plus long, parce que son roman est important et très intéressant, son personnage principal incarné ; cela méritait encore plus de profondeur. Je conseille ce roman car il fait réfléchir sur ce que l’on peut accepter par amour, et surtout à quel point on peut être aveuglé. C’est un appel à se faire confiance !

    Références

    Le Mangeur de citrouille de Penelope MORTIMER – traduit de l’anglais par Jacques Papy (Belfond / Collection Vintage, 2018)

    Un siècle de littérature européenne – Année 1962
  • J’ai découvert récemment que je pouvais emprunter tous les mois, gratuitement, avec mon abonnement premium sur Amazon, un ebook. En cherchant au hasard dans le top des ventes, car le catalogue n’est pas terrible quand on fait seulement une recherche sur des titres récents, je suis tombée sur une série de romans policiers, se passant dans le Oxfordshire. Murder at home est le sixième de la série et le cinquième que je lis (ne me demandez pas pourquoi je n’ai pas lu le premier, je n’en sais absolument rien).  Pour l’instant, je n’ai jamais été déçue par les histoires, les personnages sont de plus attachants, intéressants et très bien plantés. Rapidement, la lecture de cette série est devenue mon petit plaisir du mois, un vrai rituel. J’emprunte l’ebook le premier, je ne le lâche plus jusqu’à l’avoir terminé. Un emploi du temps un peu chargé fait que ce mois-ci, je l’ai lu en fin de mois. D’où mon billet aujourd’hui.

    L’action se situe dans le Oxfordshire, dans des petits hameaux ou villages où même l’inspecteur Barnaby serait satisfait du taux de morts violentes (au crédit de Faith Martin, ces histoires sont très crédibles, et surtout jamais exagérées ou glauques). Les causes de ces morts sont (en général) trouvées par la police de la Thames Valley. Nous suivons, nous, Hillary Greene et les membres de son équipe, qui résolvent dans chaque tome une affaire de meurtre.

    Hillary Greene est une femme de quarante ans, plutôt jolie (même si elle en doute, la poussant à toujours surveiller son poids) et très intelligente. Tout le monde, des membres de son équipe à ses supérieurs, s’accordent pour louer ses talents d’enquêtrice, elle allie intuition et déduction, à un grande empathie pour le genre humain. Elle a un taux de résolution de 100% (ce qui est plutôt positif pour le lecteur puisqu’il est sûr d’avoir la solution du problème à la fin du livre). Elle a été mariée mais son mari, lui-même policier, s’est tué dans un accident de voiture, alors qu’il était sous le coup d’une enquête pour un trafic juteux. Cela ne change pas grand chose pour elle, puisqu’ils étaient en instance de divorce. Pourtant, les enquêteurs ont aussi étudié son cas pour savoir si elle était mêlée au trafic de son mari. Bien sûr, ils n’ont rien trouvé (sinon elle ne serait pas notre héroïne) mais Hillary en garde un peu l’idée qu’elle doit toujours faire ses preuves et une certaine incertitude sur la place qu’elle occupe. Dans les premiers tomes que j’ai lu, Hillary Greene n’avait pas de vie privée (elle était embourbée dans les histoires de son mari) mais dorénavant, elle sort avec Mike Regis, inspecteur des mœurs fraîchement divorcé, qui lui tournait autour depuis un certain temps. Hillary, bien qu’heureuse et épanouie, semble dans ce tome, s’interroger pour savoir jusqu’où elle peut aller avec lui (jusqu’à emménager chez lui alors qu’elle est si heureuse sur son petit bateau). Le supérieur d’Hillary souhaite en profiter pour tirer son épingle du jeu et faire valoir ses propres qualités.

    Hillary Greene est secondée par Janine Tyler, jeune femme blonde, belle et intelligente (décidément toutes les femmes sont belles et intelligentes dans cette série) mais aussi arriviste, avec les dents qui rayent le parquet. Pour cela, elle travaille d’arrache pied et apprend beaucoup d’Hillary, même si parfois, elle doute des décisions de sa supérieure. Sa relation avec Mel Mallow, deux fois divorcé avec une très jolie maison héritée de son deuxième divorce, ancien supérieur d’Hillary, et qui est monté récemment d’un échelon, paraîtrait suspecte à n’importe qui. Pourtant, ce n’est pas le cas, ils vont même se marier dans ce tome. Mel Mallow, personnage très posé, tempère efficacement le caractère impulsif et explosif de Janine.

    Frank Ross est le boulet de l’équipe. C’est un ancien copain de l’ancien mari d’Hillary, mouillé dans les trafics, même si rien n’a pu être prouvé. Il ne travaille pas beaucoup, passe son temps au pub (sous prétexte d’enquête), fait des remarques acerbes. Il est placé dans l’équipe d’Hillary parce que personne n’en veut. Pourtant, au fur et à mesure, on découvre un personnage qui a un bon fond. C’est un policier à l’ancienne avec des méthodes pas forcément orthodoxes, qui connaît particulièrement bien les bas-fonds de sa région grâce à un réseau d’indics assez impressionnant (en tout cas, c’est ce que l’on peut penser car Faith Martin ne nous raconte jamais comment il en arrive à ses résultats).

    Dans ce tome apparaît un nouveau personnage, Keith, qui vient de la police de Londres, muté après avoir frappé son officier supérieur (pour de bonnes raisons d’après les explications qui nous sont données). Il cache cependant quelque chose sur sa vie privée, car l’auteur nous indique qu’il reçoit un visiteur mystérieux dans sa chambre (je me doute du secret mais je peux me tromper). On en saura sûrement plus dans le tome 7. Tout cela pour dire qu’on n’en sait encore pas assez sur lui pour que je puisse raconter quelque chose. L’ancien personnage a quitté la série à la fin du tome 5 (il devait coûter trop cher) après avoir eu une promotion et s’être marié.

    Comme vous pouvez le constater, la description des personnages est vraiment très précise et incarnée. On sait tout de leur caractère, de leur vie privée, de leurs ambitions, de leurs sentiments et opinions. Pourtant, ce n’est pas la partie la plus importante du roman, l’histoire est toujours prépondérante dans les romans de Faith Martin. On n’oublie jamais l’histoire, sur quoi on enquête …

    Ici, l’histoire est assez simple mais la résolution inattendue. Une vieille femme est retrouvée un matin, poignardée dans son fauteuil, devant sa télé toujours allumée, peu de jours avant son soixante dix-septième anniversaire.  Il n’y a pas de traces de violence, comme si elle s’était laissée surprendre dans son sommeil. Qui pouvait bien en vouloir à cette vieille femme qui n’avait absolument rien et vivait de bonheurs simples ? En plus, elle était mourante, souffrant d’un cancer incurable. Ses voisins et amis sont formels : elle n’avait pas d’ennemi, c’est absolument incompréhensible. Il y a bien son petit-fils, un drogué qui venait lui demander régulièrement de l’argent, qu’elle lui donnait. Mais cette piste est rapidement abandonnée, quand on le retrouve mort d’une overdose dans un squat. Hillary retrouve une vieille photo qui semblait avoir de l’importance pour la vieille femme. Cela ne mènera pas loin non plus, même si on en découvre un peu plus sur la vie de la victime.

    C’est d’ailleurs le secret de fabrication de Faith Martin. Ses livres sont addictifs (et courts, environ 230 pages) et ont deux piliers : d’une part la déduction et le raisonnement logique pour la résolution de l’enquête et d’autre part la découverte de la vie et de la personnalité de la victime. Hillary Greene utilise volontiers les interrogatoires et autres discussions pour avancer dans son enquête, employant ainsi un de ses points forts : son empathie et son intuition vis-à-vis de ses contemporains. Le travail et l’organisation de la police sont peu décrits (le porte à porte, la médecine légale est abordée mais légèrement, et uniquement du point de vue des résultats). Les personnages, principaux et secondaires, sont décrits grâce à leurs actions dans l’enquête.

    Tout cela fait qu’on a un roman ramassé mais fouillé, plein de rebondissements, avec des personnages attachants : on ne le lâche pas ! Vous aurez compris que pour moi, cette série est à la même place que celle d’Isabel Dalhousie, même si elles sont très différentes, dans le sens où j’attends la lecture du prochain tome avec beaucoup d’impatience car je veux toujours savoir ce qu’il se passe pour les personnages.

    Références

    Murder at Home de Faith MARTIN (Joffe Books, 2017)

  • Cela vous aura peut-être échappé, mais début juin est sorti le douzième tome des aventures d’Isabel Dalhousie. Si vous suivez ce blog depuis un peu de temps, vous savez tout l’amour que je porte à cette série. Elle me fait tout oublier et j’en ai bien besoin en ce moment. Le livre est  donc sorti au bon moment et c’est un très bon cru. On gagne de plus en plus en profondeur, je trouve.

    Isabel Dalhousie, philosophe, éditrice d’une revue universitaire, réfléchissant sur des problèmes philosophiques de la vie de tous les jours, est maintenant mère de deux jeunes garçons, Charlie et Magnus. Le père est bien sûr Jamie, son mari qui possède toutes les qualités : jeune, beau, gentil, serviable, bon père, bon mari, assumant tous les rôles, tout en donnant des cours de musique à des élèves peu doués et se produisant en concert avec des orchestres ou groupes plus petits. La famille est aidée par Grace, qui avant la naissance des enfants était la dame qui s’occupait de la maison, et qui est maintenant une nourrice assistante.

    Les journées des personnages de fiction faisant elles-aussi 24 heures (c’est anormal que même dans un roman, on ne puisse pas changer le temps), Isabel, Grace, Jamie … tout le monde est débordé. Jamie, qui comme je vous le disais est parfait (heureusement que la fiction réussit à créer de tels personnages…), explique à Isabel qu’il va falloir lever le pied et lui propose d’embaucher une aide pour faire l’édition de la revue et une jeune fille au pair pour faire le ménage, pas pour s’occuper des enfants. Jamie explique à Isabel qu’il va aussi falloir réduire sa présence à l’épicerie fine de sa nièce. Isabel est sceptique mais s’incline devant tant de bon sens. J’avoue que j’aurais été de l’avis d’Isabel, dans son cas, faire entrer autant d’inconnus dans sa maison, en un coup, cela fait beaucoup.

    Grâce aux hasards de la fiction, elle réussit à trouver deux perles, en tout cas au premier abord.

    En rendant visite à son ennemi juré, le professeur Lettuce, elle rencontre son étudiante en thèse, qui lui fait une très forte impression. Elle décide de l’engager. La jeune étudiante lui donne satisfaction, en lui apportant une aide dont elle a besoin, pourtant Isabel est gênée rapidement par la proximité entre l’étudiante et son directeur de thèse. Je vous laisse imaginer tout ce que cela implique de réflexions dans la tête toujours en ébullition de notre philosophe préférée.

    La jeune fille au pair est trouvée grâce à une agence spécialisée. Isabel n’ayant pas de préjugés, ne donne pas d’instructions précises (contre l’avis de tout le monde). Elle se retrouve avec une jeune italienne, qui parle déjà très bien anglais. Elle est rapide, efficace, dure à la tâche … la maison redevient propre ! Isabel propose à la jeune fille d’aider à l’épicerie fine (qui vend des produits italiens). Elle y travaille bien, mais séduit le jeune homme qui y travaille, un jeune homme connu pour être très fragile. Tout va de travers pour Isabel … Je pense qu’elle aurait dû laisser Jamie choisir les deux jeunes personnes, car il voit tout de suite ce qu’il se cache sous les apparences.

    Mais en attendant la fin du roman, et le licenciement des deux jeunes filles (oui, je spoile mais j’ai remarqué que personne ne lit vraiment cette série comme moi, en attendant chaque tome avec beaucoup d’impatience), Isabel a trouvé un nouveau problème sur lequel se pencher (raconté par Jamie … quand je vous dis qu’il est parfait) : Jamie a entendu parler d’une histoire avec une collègue musicienne. Celle-ci a eu un enfant, dont elle clame que le père est un organiste de la ville que tout le monde connaît. Elle l’a d’ailleurs baptisé du même nom que lui pour que cela se sache. Lui a reconnu l’enfant, paie une pension pour son éducation, alors qu’il n’a pas le droit de le voir. Toute la ville a pris en pitié le pauvre organiste, certains doutent même de la paternité. Isabel est de ceux-ci. Si vous ne connaissez pas la série, il faut vous imaginer qu’Isabel ne supporte pas les injustices et à tendance à vouloir les corriger, même si elles ne la concernent pas, même si elles concernent la vie privée d’autres personnes. Et cela ne loupe pas, ici, c’est une trop grande injustice pour elle et elle décide de sympathiser avec la musicienne, Charlie devient même ami avec le petit garçon. Mais après la rencontre, il s’avère qu’Isabel n’aime pas le personnage, car dès le début, elle se montre manipulatrice. Voyant le danger, et malgré sa curiosité, elle décide de s’éloigner, mais la ville d’Édimbourg est petite et on se recroise rapidement.

    Je trouve que cette série s’améliore. Les trois histoires sont intéressantes et s’entremêlent de manière harmonieuse. Cela n’a pas toujours été le cas : il y avait souvent une histoire plus faible que l’autre, ou une histoire prépondérante par rapport à une autre (on ne comprenait pas alors vraiment l’intérêt de cette deuxième histoire). Ici, les histoires familiales et l’enquête d’Isabel prennent, je dirais, chacune une moitié du roman. Les intrigues se mêlent justement, car on rentre ici plus précisément dans la « vraie vie » d’Isabel Dalhousie. Pourtant, vous l’avez sûrement compris, en lisant le billet, une chose manque encore, la vie, les avis, mais aussi les défauts de Jamie. Pour l’instant, ce personnage reste trop superficiel à mon goût, et ressemble à un figurant dans la maison d’Isabel, qui fait des apparitions pour lui permettre de se libérer du temps pour enquêter sur les ragots de la ville. C’est le premier tome, dans lequel cela me frappe. Cela vient du fait qu’ici Isabel se met en danger physiquement et que Jamie a une réaction que je trouve faible et peu claire. Et après, je ne pouvais plus m’enlever de la tête qu’il faudrait qu’on en sache plus sur lui.

    Un tome que je vous conseille donc. J’espère qu’Alexander McCall Smith entendra ma remarque sur le personnage de Jamie pour le prochain volume. Si vous voulez le contacter pour moi, n’hésitez pas …

    Références

    The Quiet Side of Passion d’Alexander McCall SMITH (Little Brown, 2018)

  • Je me suis un tout petit peu mis (mais pas trop) au manga, mais pas trop. Cela a commencé par un article dans Historia, je pense, sur la série Pline, racontant la vie du célèbre Romain. J’ai été accrochée dès le premier tome (le tome 6 vient de paraître, il en reste deux) par les reconstitutions de l’époque mais aussi les trésors d’imagination déployés, tant au niveau du scénario que du dessin. Puis de fil en aiguille, j’en ai emprunté quelques-uns à la bibliothèque. Mais en juin, j’ai reçu un email de pub d’Izneo pour ce manga ; et, j’ai été curieuse. Bien m’en a pris car c’est absolument génial, plein de trouvailles formidables aussi, et surtout à contre-courant du canon holmésien.

    XIXè siècle. Angleterre. La famille Moriarty a adopté deux orphelins, « William » et « Louis », et ce à l’instigation de l’aîné des enfants, Albert, qui a rencontré les deux enfants lors d’une visite à l’orphelinat. C’est bien le seul qui est content de les avoir là. Le père a bien voulu céder à son fils, mais uniquement pour pouvoir dire qu’il est un homme bon et charitable. En effet, au moment de l’adoption, Louis était très malade et son adoption lui a permis de se remettre. En permettant à Louis de se remettre et en adoptant la fratrie, le père a fait ce que les convenances victoriennes attendaient de lui. Quand sa femme et son fils, William, le vrai, lui demandent de virer les deux malotrus, car ils ne voient pas pourquoi ils seraient obligés de parler à des gens qui ne font pas partis de leur classe sociale, le père refuse par peur du qu’en-dira-t-on. Le seul qui accueille bien les enfants, c’est Albert qui lui, est complètement, à l’opposé de sa famille. Il ne supporte plus le mépris, la condescendance, le sentiment de supériorité … D’autant que « William » présente une intelligence hors-norme et connaissances énormes pour son âge, surtout en mathématiques, acquises seul dans les livres. Les deux enfants vivent donc mieux qu’à l’orphelinat mais pas dans un paradis : ils doivent supporter les dénigrements, insultes, corvées et autres humiliations. « William » se distrait en se faisant passer en ville pour le vrai William (qui ne sortirait pas de sa calèche) pour parler avec le « tout-venant ») ; il y est très bien apprécié pour les différents conseils qu’il peut donner et impressionne pour ses capacités à prédire le résultat des jeux de cartes. Mais un jour, s’en est trop ; Albert, « William » et « Louis » vont mettre au point un plan criminel pour éliminer, en mettent le feu, la famille Moriarty au grand complet, domestiques compris. Cela fonctionne. Albert hérite du titre, malgré son jeune âge et présente à tout le monde William et Louis comme ses deux jeunes frères. Une nouvelle époque commence.

    C’est la première histoire du manga, qui en est composé de trois. Les deux autres se déroulent un peu plus tard. Les trois frères se sont installés à Duhram, où William vient d’avoir un poste de professeur de mathématiques à l’Université (à seulement 21 ans). Il a aussi une activité annexe, celle de conseil, qu’il avait déjà quand il vivait chez les Moriarty, mais là il le fait de manière beaucoup plus sérieuse et officielle. Son principal souci est de venger la veuve, l’orphelin … et les autres des injustices que subissent ces gens à cause de la classe dirigeante du pays, n’hésitant pas à exploiter le monde pour pouvoir maintenir leur train de vie. Le problème est que William Moriarty n’est pas Sherlock Holmes : la vengeance passe dans les deux cas par la mort, avec un petit côté loi du talion. En faisant cela, il s’allie les personnes, qu’il aide, pour la vie et qui lui jurent allégeance. Par contre, on ne sait pas pourquoi et qu’est-ce qu’il fera de ces gens plus tard. En tout, à la fin du premier tome, Molan vient s’installer dans la maison avec les trois frères, promettant un second tome encore plus sanglant.

    Je ne suis pas fan des dessins mais je ne m’en cache pas, c’est qui ne m’a jamais attiré dans les mangas. Les personnages semblent avoir tous la même tête. En plus, ils semblent tous avoir le même âge et je ne comprends jamais leurs expressions faciales. Et, pourtant, je regardais les dessins animés du club Dorothée quand j’étais petite … je devrais être habitué, mais non.

    Mais là, l’histoire est absolument excellente !  Il y a pas mal de versions sur qui est Moriarty pour Sherlock Holmes, comment est-il devenu le mal absolu … Ici, toutes les réponses ne sont pas encore données mais je trouve que cette histoire d’adoption est bien trouvée, cette volonté de casser ce système de castes correspond bien à l’idée que l’on se fait de l’époque (on retrouve des éléments de la BD Shi, qui est elle aussi une réussite, le premier tome plus que le second). De plus, les vengeances de William sont toujours très malignes et bien trouvées, montrant déjà un esprit très retors. Il veut faire le bien, en utilisant des méthodes répréhensibles. Je me demande comment il se transformera par la suite en ennemi public numéro un.

    L’attente du tome 2, jusqu’en septembre, va être très longue.

    Références

    Moriarty – tome 1 de Ryosuke Takeuchi et Hikaru Miyoshi – traduit du japonais par ?? (Kana, 2018)

  • J’ai été à la librairie la semaine dernière et j’ai vu ce livre sur une des tables. Comme vous vous en doutez, c’est le mot livres dans le titre qui m’a attiré. La quatrième de couverture commence par Sceaux, or j’habite à côté de Sceaux, dans la banlieue Sud de Paris. Il y a une histoire de librairie, d’amour des livres, d’amitié … Je ne connaissais pas du tout ce livre mais il s’agit apparemment d’une réédition d’un livre qui était publié en autoédition en 2015, et qui a eu de très bons retours, ce qui justifie la publication chez un éditeur.

    Cette semaine, je n’avais pas trop le moral et j’en avais marre de lire les souvenirs d’enfance de Coetzee (j’ai un peu l’impression d’être Freud en le lisant et cela m’énerve). J’ai cherché une histoire sympa, sans prétention mais prenante et j’ai pensé à ce livre que je venais d’acheter. Il a très bien rempli son office. Je vous le recommande si vous êtes dans le même état d’esprit que moi en ce moment.

    Ce roman commence par l’histoire de deux enfants, chacune nous étant racontée séparément. On est en France dans les années 60.

    Annie est une petite fille très heureuse. Elle habite Paris, ses deux parents travaillent dans le milieu hospitalier : sa mère est infirmière, passionnée par son travail, son père est en train de finir ses études de médecine. Quand ses parents travaillent, ce sont ses grands-parents qui s’occupent d’elle. Sa grand-mère est adorable et a des idées originales pour l’époque, mais c’est surtout de son grand-père qu’elle est très proche. Il tient près du Boulevard Saint-Michel une librairie, appelée « La Compagnie des Livres ». Il a transmis son amour de la lecture à sa petite-fille, qu’il fournit en livres. Ce tableau idyllique va bientôt être gâché : le père d’Annie obtient son diplôme de médecine. Après avoir rongé son frein pendant cinq ans, il décide qu’il est temps d’imposer ses volontés à sa famille et fait déménager toute sa petite famille, en banlieue, à Sceaux pour prendre en charge un cabinet. Sa femme, parisienne, très proche de ses parents, doit arrêter de travailler car elle est femme de médecin tout de même, et sa fille ne doit fréquenter que des enfants dignes de son rang. Cela donne une femme frustrée, cantonnée à son rôle de mère (il lui enlève même le rôle de secrétaire médicale qu’elle assumait au début) et une petite fille extrêmement solitaire qui se réfugie de plus en plus dans les livres, son seul réconfort étant ses visites à son grand-père beaucoup moins fréquentes qu’avant.

    Michel habite en Auvergne avec ses deux frères et sa sœur. Ses parents s’occupent d’une ferme. La vie est dure mais ils sont heureux et surtout fiers de ce qu’ils font. Michel est lui aussi passionné par la lecture, encouragé par l’instituteur. Son père voit cette passion d’un mauvais œil (il préférerait le voir dehors) mais laisse faire. Ce bonheur simple est terminé quand un terrible accident survient, leur situation se dégradant rapidement. Pour améliorer les choses, la famille du père les pousse à venir s’installer en banlieue parisienne, une place de gardien venant juste de se libérer. Après de nombreuses hésitations, et une boule au ventre, il déménage dans cet endroit bétonné où ils n’auront plus de contact avec la nature mais où ils pourront élever plus facilement leurs enfants et peut-être ressentir moins douloureusement leur drame. Vous aurez deviné qu’ils vont déménager dans l’immeuble où Annie et ses parents habitent.

    Avec l’aide du grand-père, qui s’inquiète pour Annie, les deux enfants vont devenir amis (en cachette du père bien sûr). Le livre raconte leurs adolescences dans les années 60 (dont mai 68, bien sûr). L’auteure décrit, de manière très efficace, l’époque : les progrès pour que la femme soit reconnue comme une personne à part entière, sans être placée sous l’autorité de son mari, la place de la femme, la libération sexuelle, les drogues, les études, la banlieue, la mixité sociale. Tout cela est abordé dans l’histoire, sans cours magistral.

    Les personnages sont bien sympathiques, réalistes (l’oncle de Michel m’a rappelé l’histoire de mes voisins qui ont aménagé à la même époque dans les mêmes immeubles). Il n’y a pas de mauvais sentiments, pas d’analyses interminables comme dans le livre de Coetzee (j’y reviens parce que je suis traumatisée). On sait que quand les personnages sont en difficulté, ils vont s’en sortir car ils peuvent compter les uns sur les autres, ou leurs amis. Cela fait du bien de lire cela parfois, cela permet de se détendre.

    Il n’est pas autant question de livres que le laissait supposer le titre mais finalement, ce n’est pas si grave car l’histoire est intéressante et prenante ; il se passe toujours quelque chose dans ce roman.

    Mon seul bémol serait un style parfois maladroit : des phrases trop courtes par moments, l’emploi de phrases enfantines pour la période adolescente, des répétitions de « dit-il », « dit-elle » (si on veut voir les choses positivement, cela permet de ne pas se perdre dans les dialogues). Par contre, dans cette version, il n’y a pas de coquilles ou de fautes d’orthographe flagrantes (je précise si vous lisez les commentaires Amazon sur ce livre car cela semblait être le cas pour la version autoéditée).

    Une bonne lecture d’été, qui m’a fait du bien ! J’espère que le deuxième roman sera dans la même veine.

    Références

    La Compagnie des Livres de Pascale RAULT-DELMAS (Mazarine / roman, 2018)

  • Je suis tombée par hasard sur ce livre à la bibliothèque. Plus exactement, les bibliothécaires avaient décidé ce mois-ci de mettre en lumière leur fond sur les mémoires. Je l’ai pris sur la base de la quatrième de couverture et j’ai mis un temps fou à le lire car je n’arrivais à m’investir dans l’histoire. Pourtant, après avoir refermé le livre, je me dis que j’ai lu un roman très abouti sur la folie et l’hôpital psychiatrique, mais surtout que l’auteur a réussi à saisir de manière vraisemblable la solitude d’un homme, qui ne peut comprendre sa condition.

    On suit donc de l’intérieur la folie d’un homme. Ainsi, le livre commence lorsque l’homme rentre, de son plein gré, à l’hôpital psychiatrique pour se reposer, d’après lui. Comme c’est l’homme qui raconte, on ne connaît pas la teneur de sa folie. On a même plutôt l’impression de suivre quelqu’un de normal dans un univers de folie. Dans ces phases de « normalité », l’homme observe les autres patients, qu’ils trouvent étranges. Aucun ne veut ou ne peut rentrer en contact avec lui. Cela laisse du temps à l’homme pour réfléchir à ce qui l’a mené là. Lorsqu’il était enfant, sa mère a laissé sa famille, après avoir rencontré un autre homme. Peu de temps après, la famille a été séparée car le père ne pouvait assumer ses enfants. L’homme, déjà fragile mentalement (dans le sens où il semble vivre à l’extérieur de lui-même, il refait la vie dans un univers parallèle par le biais d’un jeu de cartes qu’il a créé), est envoyé au travail, il ne voit plus sa famille et a fortiori son frère chéri. Tout cela ne pouvait pas contribuer à aider un adolescent perturbé à se construire. Cela a donné un adulte qui a changé beaucoup de fois de travail. Il est tombé malade, s’est retrouvé dans un sanatorium, a rencontré une femme qui est morte de la tuberculose. On se dit que même nous, on aurait besoin de se reposer avec une telle vie.

    Pour marquer la folie, l’auteur raconte des rêves très très très étranges de l’homme. Et c’est là que cela m’a moins plu parce que je n’ai compris aucun des rêves / cauchemars. Ils ont un côté trop fantastique pour moi. À chaque fois, cela rompait le charme du livre et me faisait refermer le livre d’ennui.  J’ai compris très tard que ces rêves / cauchemars étaient en fait des hallucinations et que donc cela correspondait à des moments où la folie s’exprimait. Au bout d’un moment, j’ai fait plus attention. L’apparition dans l’histoire du psychiatre m’a aidé. Et pour le coup, j’ai trouvé le procédé très malin. L’homme décrit ses hallucinations sans être conscient que cela en soit ; il agit aussi sans s’en rendre compte lors de ses hallucinations. Puis lors de la séance ou avec les infirmières, qui lui parle de ce qu’il fait lors des phases où la maladie s’exprime, permet au lecteur de comprendre qu’il est réellement malade. Mais comme l’homme ne peut pas comprendre que les autres le trouvent bizarre (comme tout le monde en fait), l’homme se sent seul tout au long de son hospitalisation et cela, le lecteur le ressent bien (mais pourtant ne compatit pas).

    Cela nous met dans l’ambiance de la seconde partie où l’homme sort de l’hôpital pour vivre avec une autre patiente. Et là, la solitude et l’incompréhension sont partout (et s’amplifie par rapport à la première partie), dans son couple, dans son voisinage, dans sa famille et dans la société japonaise (il ne peut plus travailler car il a été à l’hôpital psychiatrique et il doit donc se reposer sur sa femme). J’ai adoré cette seconde partie. Il n’y a plus du tout d’hallucinations incompréhensibles pour quelqu’un de « normal » et l’auteur réutilise le procédé, que j’ai tant aimé, de nous faire comprendre la folie de l’homme par le regard des autres (les plaintes du voisinage par exemple qui causent des déménagements fréquents). Cela entraîne une méfiance, symptôme de la maladie toujours présente. Ce qui m’a aussi plu est la découverte de la vie japonaise de l’époque (le roman date de 1988), les logements, les difficultés de transport, les conditions de travail, la vie de couple … C’est grâce à cette seconde partie que je me suis investie dans le livre.

    Cependant, je trouve toujours que c’est très difficile de le faire avec ce livre. L’homme s’analyse lui-même, et s’observe de l’extérieur, comme un entomologiste observe une fourmi. Tout est décrit avec une froideur clinique (comme l’indique la quatrième de couverture). Si vous avez besoin, comme moi, d’avoir un peu de sentiments et d’empathie dans un roman pour arriver au bout, je ne vous le conseille pas car il peut être difficile de s’accrocher à quelque chose dans ce roman. Par contre, comme je le disais au début, la description d’une vie avec la folie est excellente, du point de vue du réalisme en tout cas. C’est à vous de voir !

    Références

    Le journal d’un fou de IROKAWA Takehiro – roman traduit du japonais par Rose-Marie Fayolle (Éditions Philippe Picquier, 1991)

  • J’ai décidé d’écrire aujourd’hui un billet sur une BD, encore … Il s’agit d’une adaptation d’un roman que j’avais lu en français il y a quelques années : Le poisson mouillé de Volker Kutscher, qui était le premier tome des enquêtes de Gereon Rath. J’en gardais un bon souvenir, mon billet m’indique que ma lecture avait été très bonne (pour ne rien cacher, j’ai le tome 2 dans ma PAL et depuis il y a d’autres tomes qui sont sortis et qu’il me plairait beaucoup de lire) et donc quand j’ai vu qu’une adaptation en bande dessinée était sortie, je me la suis offerte et elle a attendu un an dans ma PAL… Comme le titre vous l’indique peut-être, elle n’est pour l’instant disponible qu’en allemand.

    Dans la BD, l’action me semble beaucoup plus resserrée que dans le livre (qui faisait tout de même plus de 500 pages alors que la BD n’en fait que 200). Je vais donc raconter l’histoire (de nouveau) mais comme elle est racontée dans la BD. Gereon Rath est envoyé à Berlin, après avoir tué lors d’une intervention un forcené qui était (aussi) le fils d’un notable de la ville. Son père, grâce à ses relations, lui retrouve une place à la police des mœurs de Berlin, ce qu’il vit comme un déclassement après avoir travaillé à la criminelle, d’autant que la police criminelle de Berlin est connue pour son taux de résolution proche de 100%. En attendant, il doit se contenter de ce qu’il a. Son supérieur Bruno l’accueil avec cordialité, l’invite à une fête où il rencontre des anciens de la Première Guerre mondiale, où il apprend une histoire à peine croyable : beaucoup de monde (des malfrats mais aussi la police) est à la recherche du trésor d’une famille russe immigrée après la Révolution russe, la famille Sorokine. Là-dessus, sa logeuse, avec qui il a une aventure dès les premiers jours de son arrivée, lui demande de retrouver son ancien locataire, un russe aussi, qui a disparu depuis deux semaines. Gereon Rath commence à enquêter, se retrouve rapidement à marcher sur les plates-bandes de pas mal de monde. Poursuivi, il en vient lui-même à tuer mais ce n’est rien, car il va y avoir bien d’autres cadavres dans cette histoire … Je rappelle qu’un poisson mouillé est une affaire criminelle non résolue. Ici, ce sera la version officielle mais pourtant le lecteur connaître toute l’histoire. Tout se passe en sous-main dans cette histoire, Gereon Rath enquête de manière officieuse, cela lui permet d’utiliser des méthodes peu conventionnelles.

    Arne Jysch a choisi de concentrer son scénario sur les personnages et l’action, laissant aux dessins la reconstitution de la période. Ce choix m’a fait voir des points que je n’avais pas forcément vus à la lecture du roman. L’action est extrêmement complexe et demande beaucoup d’attention à cause du rythme soutenu, dû au resserrement justement ; il y a beaucoup de machinations, de retournements de situations et changement d’alliance entre les différents clans. C’est d’autant plus compliqué qu’ici, la transcription des noms russes est en allemand, que le lettrage ne favorise pas la reconnaissance des noms propres (surtout quand on n’est pas germanophone). Le dessin est ici cependant d’une aide précieuse car les personnages sont dessinés avec précision et sont reconnaissables au premier coup d’œil.

    Pour son dessin, l’auteur a adopté les codes du roman noir des années 30 (on le voit bien sur la couverture). Les dessins, en noir et blanc, les postures, les mimiques des visages, les habits, la manière d’agir avec les femmes, la manière d’enquêter, tout est repris d’auteurs comme Raymond Chandler. La reconstitution de ces années va même jusqu’au lettrage des bulles. Le texte, hors dialogue, est écrit en police de vieille machine à écrire.

    J’aime beaucoup le personnage de Gereon Rath, avec son caractère ambigu. Sûr de lui, arriviste, ambitieux, manipulateur, il est prêt à tout pour retrouver une (sa) place, quitte à lutter contre la corruption en utilisant des moyens qui ne sont pas hors de critiques. Le caractère est plus marqué par le dessin que par le scénario et le texte. Les personnages secondaires masculins sont plus crapules les uns que les autres. Entre les dealers, les malfrats russes, les policiers véreux, ceux qui vivent dans l’attente d’une prochaine guerre, le lecteur est servi. Les femmes, avec par exemple la logeuse ou la collègue enquêtrice de Gereon Rath, sont-elles extrêmement libérées.

    Finalement, Arne Jysch offre une adaptation personnelle, équilibrée et efficace du roman, tant au niveau du scénario que des dessins.

    Pour ce qui est du vocabulaire, j’ai compris la plupart du texte, je dirais 85% (mon niveau est en gros B2+). Et le reste, je l’ai compris en regardant les dessins. C’est donc un bon choix de lecture pour les personnes souhaitant pratiquer leur allemand, tout en apprenant du nouveau vocabulaire, sans pour autant être stoppé tous les trois mots dans la lecture.

    Références

    Der nasse Fisch de Arne JYSCH – nach dem Roman von Volker Kutscher (Carlsen / Graphic Novel, 2017)

  • L’autre jour, je suis allée à la librairie pour trouver une BD conseillée dans l’émission La Dispute de France Culture. En attendant que la libraire se libère (car bien sûr, je ne trouvais pas toute seule), je regardais les BD sur les tables et je suis tombée sur cet album d’Héloïse Chochois. Au final, je ne l’ai pas acheté et le hasard a voulu que, lors de mon passage à la bibliothèque, la BD se mette sur mon passage (oui, oui, la BD a un cerveau et des jambes et a voulu que je la prenne, moi, Cécile et pour cela elle s’est jeté sur moi).

    Ce qui fait que je ne l’ai pas acheté, c’est qu’en regardant uniquement la couverture, on ne sait pas de quoi elle parle. La BD est sous-titrée Des premières prothèses à l’humain augmenté. Sur la quatrième de couverture, on peut lire

    Comment depuis l’Antiquité répare-t-on les corps ? Qu’est ce que le membre fantôme ? Jusqu’où irons-nous pour transformer l’humain afin de l’améliorer ?

    À travers le récit intime et l’aventure scientifique, découvrez un des défis les plus stupéfiants jamais relevés par la médecine.

    En feuilletant le livre, on se doute qu’il y a du contenu scientifique, plusieurs fois, des cerveaux sont représentés par exemple. Mais j’ai été incapable à la librairie de me faire une vague idée de l’histoire. Je vais essayer d’aider les futurs lecteurs à se faire une idée de ce qu’on trouve dans ce livre, car il serait tout simplement dommage de passer à côté d’un chef-d’oeuvre de vulgarisation scientifique.

    Dans cette BD, on suit un homme, boulanger de profession, qui vient de se réveiller à l’hôpital, après un accident de moto, avec un bras en moins. C’est dur à accepter (on s’en doute). Toute la partie « personnelle » est racontée sans texte, uniquement avec des dessins. On voit la surprise, les doutes, le découragement, la vie familiale avec sa compagne, le retour de l’hôpital, l’adaptation à une nouvelle vie, professionnelle entre autres. Cette partie « personnelle » sert d’intermède aux quatre chapitres : l’amputation, le membre fantôme, les prothèses, le transhumanisme. Je n’aurais jamais pensé m’intéresser à cela, mais c’est vraiment passionnant, car très bien expliqué (je le redis au cas où cela ne soit pas clair).

    Ces chapitres sont eux faits de textes et de dessins. L’homme (le boulanger) rencontre à l’hôpital, Ambroise Paré, qui sort d’un tableau, pour lui expliquer tout ce qu’il y a à savoir sur l’amputation. Il sera son (notre) guide dans tout le livre. Pourquoi Ambroise Paré ? Il était tout simplement chirurgien du roi et des champs de bataille au XVIième siècle. Par la mise au point de nouvelles techniques chirurgicales (notamment la ligature des artères), il a « inventé » l’amputation moderne et a grandement participé à l’augmentation du taux de survie suite à ce type d’opération.

    Le premier chapitre commence donc par un historique de l’amputation (où on voit que les guerres ont permis, par le nombre de patients, de faire des pas de géants dans la technique), pour se terminer par une description détaillée de la manière dont se passe une amputation.

    Le deuxième chapitre se concentre sur l’explication du membre fantôme, c’est-à-dire les douleurs ressenties par la personne opérée dans le membre qu’ils n’ont plus. Pour illustrer pourquoi je parle de chef-d’oeuvre de vulgarisation scientifique, je vais tenter d’expliquer avec du texte seulement, ce qui est expliqué si brillamment en texte et en dessins (tout ce qui est cité est entre guillemets, comme d’habitude). On distingue deux systèmes sensitifs, le système lemniscal et le système extra-lemniscal. Le système lemniscal gère la « sensibilité fine et précise », qui permet de « différencier des pointes fines très proches l’une de l’autre, de distinguer les matières », mais aussi la sensibilité profonde. Le système extra-lemniscal gère lui plutôt la douleur. Il prend plus ou moins le même chemin dans le corps humain, mais est plus lent car il utilise d’autres types de récepteurs. « La voie rapide de la sensibilité module celle plus lente de la douleur ». Le système lemniscal inhibe progressivement la sensation de la douleur, pour qu’une fois arrivé au cerveau, la sensation de la douleur soit moindre que celle normalement ressentie sans le système lemniscal ; on parle de « contrôle segmentaire ». Pourquoi le membre fantôme ? « Lors d’une amputation, parfois, les terminaisons nerveuses sectionnées bourgeonnent en névromes. Ces derniers peuvent envoyer des influx électriques anormaux. » Comme il n’y a plus de membres, il n’y a plus de système lemniscal, et donc plus d’atténuation de la douleur. « Les informations arrivent directement au schéma corporel du cortex sur lequel [le membre] est encore représenté », d’où les douleurs. Si vous n’avez pas compris, ne vous inquiétez pas car dans la BD, c’est bien mieux expliqué puisqu’il y a les dessins. Tous les mots compliqués et les idées complexes sont illustrés, permettant de comprendre le propos sans même réfléchir. Après, il faut relire pour mémoriser, mais déjà la compréhension est un bon départ.

    Le troisième chapitre traite des prothèses : les différents types, l’évolution historique, la difficulté d’avoir une prothèse de bras efficace, du fait des nombreux mouvements fins à gérer (par rapport à une prothèse de jambe). Plein de choses dont je ne me doutais même pas.

    Le quatrième chapitre ouvre le propos au transhumanisme, dont on nous donne la définition suivante (après reformulation des phrases mais avec les mêmes mots) : « améliorer les caractéristiques physiques et mentales humaines, en utilisant les sciences et les techniques ». J’ai trouvé ce chapitre intéressant car il présente les deux points de vue, pour et contre, alors qu’en général, on lit plutôt le contre.

    Je voudrais faire remarquer, pour terminer, que Héloïse Chochois est la seule auteur, c’est donc bien elle-même qui fait la vulgarisation scientifique (et pas un scientifique, comme dans d’autres BD). En lisant le livre, on se rend compte qu’elle a fait un très gros travail de recherche, complété par de nombreux entretiens (les personnes rencontrées sont citées dans les remerciements). Dans sa biographie, on lit qu’elle a étudié le design d’illustration scientifique. Elle est passionnée de « physique, chimie, médecine, astronomie, recherche et travail en laboratoire ». Elle illustre une revue, a fait des stages dans des laboratoires scientifiques … Un parcours atypique mais dans lequel on sent pointer la passion, la vocation.

    En conclusion, je vous conseille cette BD car on y apprend beaucoup, même si vous n’êtes pas intéressés par le sujet.

    Références

    La Fabrique des corps – Des premières prothèse à l’humain augmenté de Héloïse CHOCHOIS (Delcourt, 2017)