Cecile's Blog

  • MythographesHannoMillesi

    Le narrateur est un historien qui a décidé de tuer un de ses collègues. Pas n’importe lequel, le plus médiatisé. Notre héros vit depuis tout le temps une vie que personne ne remarque. Il vit seul. Il va à la librairie admirer la jolie libraire rousse (qui ne sait toujours pas son nom depuis le temps) et acheter des livres pour mener ses recherches. Il rentre chez lui. Il étudie le plus de documents possibles pour produire des sommes complètes sur son sujet de recherche. À son avis, son travail n’est pour l’instant pas apprécié à sa juste mesure par ses collègues. Par exemple, on ne parle pas de ses travaux dans les grandes revues du domaine. Lui met cela sur le compte de son sujet de recherche : les années 1927 à 1938 en Autriche. Il s’est emparé du sujet pendant sa thèse alors qu’il était encore très peu étudié et il ne l’a plus jamais lâché. C’est aussi de là d’où vient sa déception car il est un des premiers à avoir fait une étude systématique de cette période.

    On peut dire que comme la plupart des chercheurs, c’est un besogneux. Personnellement, je me console en me disant qu’il faut bien faire ce travail pour préparer le terrain au génie qui va tout voir, tout unifier …

    Ici, le génie se nomme Allmeyer. Il est très vite reconnu, plus pour son « aisance » et son « habitus social » que pour ses travaux car d’après le narrateur, ils n’ont pas un niveau recherche mais s’adressent à un public très très large. Il n’y a qu’une lecture et pas de contextualisation. Il énonce des généralités à partir d’un cas particulier.

    Forcément cela le met en rage, d’autant plus qu’il le fréquente quand même beaucoup. Le roman commence par une scène digne d’un polar. Le narrateur, après avoir dit au revoir, à Allmeyer, se retourne pour le prendre en filature dans le but de connaître ses habitudes car il a décidé de le tuer. Le livre revient en arrière pour comprendre le pourquoi de la chose.

    J’ai aimé ce livre pour sa forme et les sujets abordés.

    La forme est celle du monologue. On suit les actions mais aussi les pensées du narrateur. Je suis toujours admirative de cette manière d’écrire (quand c’est bien fait) car à mon avis il est toujours difficile de rendre cohérent des pensées, qui sont par définition non formulées clairement. C’est d’autant plus intéressant quand, comme ici, le personnage est obsessionnel.

    Les thèmes abordés sont dans mes centres d’intérêt. Il est donc normal qu’ils m’aient intéressée. Il s’agit donc de la recherche (ici, c’est en Histoire mais c’est un peu pareil tout de même), de la médiatisation, de la période de l’entre-deux-guerres, de la révision de la perception que l’on a de l’Histoire.

    Je me rappelle que Fashion avait parlé en des termes positifs du recueil de nouvelles, Murs de papier, paru chez cet éditeur. Je vais essayer de le lire aussi pour voir si ma bonne impression se confirme.

    L’avis du libraire de chez Ptyx, où j’ai découvert ce livre (merci Niki !)

    Références

    Mythographes de Hanno MILLESI – traduit de l’allemand (Autriche) par Valérie de Daran (Absalon !, 2012)

  • LesCobayesLudvikVaculik

    Le début de la présentation du livre par l’éditeur donne un bon aperçu de l’histoire du livre

    Vachek, le héros des Cobayes, travaille dans une banque d’État dont les employés passent leur temps à voler des billets de banque. À Noël, il offre à ses fils un cobaye, puis un deuxième. Il est tellement fasciné par ces animaux qu’il commence à les observer de manière systématique.

    Ce livre a été écrit en 1970 en Tchécoslovaquie, diffusé en Samizdat et « connu dans le monde entier grâce à ses éditions étrangères » (la première édition française date de 1974). Ce type de diffusion s’imposait puisque l’auteur, Ludvík Vaculík, était à l’époque mis « au ban de la société », suite à plusieurs actes d’engagement fort contre le Parti. L’éditeur précise, par exemple, que son discours au Congrès des écrivains en 1967 est vu comme l’un des signaux du Printemps de Prague.

    Le livre ne peut donc pas se lire en ignorant son contexte d’écriture.

    Vachek fait sur ses cobayes, à prendre dans les deux sens du terme, les expériences que le pouvoir fait sur lui, à son travail.

    Ses expériences sur les cobayes vont de la simple observation – la manière dont ils mangent, dorment, se reproduisent, font face à des intrusions dans leur milieu – à l’expérimentation réelle. Le passage où Vachek tente de noyer un cobaye dans une baignoire est tout à fait saisissant car on pourrait pratiquement oublier qu’il s’agit d’un animal et d’un homme et peut être ainsi lu dans le contexte plus général de l’époque.

    Je tournai le robinet de droite. L’eau froide se mit à couler, immédiatement absorbée par le trou de vidange. Le cobaye recula de quelques pas et éleva plus manifestement le regard vers le rebord de la baignoire. Il cligna un œil, plus exactement, il tiqua d’une moitié du visage. Il allongea le nez. Il tournait en rond, par bonds rapides. Des gouttes d’eau qui s’écrasaient sur le fond volaient jusqu’à lui. Mais il me paraissait plus effaré par le bruit du désastre que par le désastre lui-même. Si l’eau s’écoulait, elle ne s’en accumulait pas moins, peu à peu au fond. Une flaque se forma qui atteignit bientôt les pattes du cobaye. Il recula, s’élança contre la pente la plus douce, à la tête de la baignoire, d’où naturellement il retomba, glissant en arrière. Il se tourna vers la direction opposée et pénétra dans l’eau. En secouant ses pattes, il fit le tour complet des parois. Il s’arrêta et essaya d’enlever l’eau de ses pattes en les léchant. Il se mouilla le museau, s’assit sur le derrière et tenta de s’essuyer avec les pattes de devant, mais il ne réussit qu’à se mouiller encore davantage. C’est alors qu’il a tout abandonné, tout plaqué, perdu toute volonté, tout désir et tout courage, qu’il n’avait plus d’idées, qu’il a tout laissé tomber, qu’il a faibli, plié, commencé à s’en foutre ; seuls ses poils se sont hérissés ; bouche entrouverte, il s’est mis à trembler, à claquer des dents. Vite, pour qu’il ne souffre pas du froid, j’ai tourné le robinet de gauche et ajouté de l’eau chaude. L’eau commença de s’accumuler rapidement. Mais le cobaye ne bougeait toujours pas ; pourtant je pense qu’en son for intérieur il a dû apprécier avec gratitude le réchauffement de l’eau. Au fur et à mesure que l’eau montait, le cobaye se redressait d’autant, lui qui d’ordinaire ne se met jamais debout sur ses pattes de derrière, mais s’accroupit comme un lapin ou un lièvre. Maintenant donc il s’appuyait sur ses pattes de derrière et dressait son corps au-dessus de l’eau. Il touchait toujours le fond. Une dernière fois il partit, cette fois-ci sur la pointe des pieds – faire le point de sa situation, bien emmerdante dois-je dire, pour s’arrêter enfin à mes pieds, devant moi, près de moi, en ma présence.

    […]

    J’arrêtai les robinets. Ce fut le calme, la paix, le soulagement. Je remarquai la pression dans mon crâne, une excitation fébrile que je n’avais jamais connue auparavant, la vibration de mes nerfs. Je mis la main dans le fond de la baignoire. Je levai Ruprecht dans l’air, en vertu d’un pouvoir miraculeux ; il s’agrippa à ma main, se cramponnant de toutes ses griffes. Je l’approchai de mon visage et l’entendis respirer, la gorge serrée, en sifflant faiblement.

    Une partie du livre ressemble donc à un gigantesque cahier d’expériences, écrit au jour le jour, sur les cobayes. Au fur et à mesure de l’avancée des travaux, les cobayes s’anthropomorphisent ; on glisse dans le fantastique où de plus en plus le destin de notre héros semble lié à celui de ses animaux.

    Ainsi, il s’exclut progressivement du monde. Les informations venant de sa femme, de ses enfants lui semblent de moins en moins concrètes. Il ne prête plus attention qu’aux rumeurs qui circulent sur une prochaine crise à cause des vols de billets qui ont lieu dans la banque. Il se débat pour trouver des informations fiables dans le but d’adapter son comportement mais aussi pour comprendre les agissements énigmatiques des policiers qui sont censés empêcher ces vols. Son agitation devient de plus en plus frénétique.

    Le livre est donc très intéressant à lire à cause de toutes les images qu’il y a derrière (j’aurais bien aimé plus de contextualisation dans la postface). Par contre, il nécessite une lecture attentive, malgré une écriture assez simple, surtout quand on glisse dans le fantastique, sous peine de devoir relire pour comprendre.

    Un petit bémol tout de même. Comme d’habitude chez Attila, le livre est très beau et surtout sent très bon, ce qui est très appréciable surtout dans les transports en commun. Le problème est que la personne qui a inventé la couverture détachable (la spirale ressort de la couverture pour ceux qui n’ont pas vu le livre en librairie), n’a pas pensé que cela s’abimait très facilement dans un sac.

    Un autre avis (en anglais).

    Références

    Les Cobayes de Ludvík VACULÍK – traduit du tchèque par Alex Bojar et Pierre Schumann-Aurycourt – postface de Marion Ranoux – dessins de Jérémy Boulard Le Fur (Attila, 2013)

    Prix Nocturne 2011

    Un siècle de littérature européenne – Année 1970
  • JolieLibraireDansLaLumiere

    Je ne sais plus chez qui j’ai piqué cette idée de lecture mais je l’en remercie. Je venais de finir La liste de mes envies et j’avais besoin d’un livre qui me rappelle pourquoi j’aimais lire. On ne m’y reprendra plus, je ne mettrai jamais plus de best-sellers dans ma liste sur amazon car après que tout le monde en ait parlé, il reste juste le livre. Pour être un peu plus précise, je connaissais déjà l’histoire du livre avant de l’ouvrir tellement on en a parlé (je la trouvais intéressante, jamais lue) mais quand c’est le cas, pour moi, le livre doit pouvoir se lire malgré tout grâce au style de l’auteur. Dans le cas de La liste de mes envies, cela n’a pas marché.

    L’histoire est très bonne mais surtout l’écriture est lumineuse. On ne sort pas complètement déprimé du livre de Frank Andriat, contrairement au livre de Grégoire Delacourt. La personne qui fait les quatrièmes de couverture chez Lattès n’a pas du finir le livre. L’héroïne dit à la fin qu’elle ne peut plus aimer, En quoi cela ressemble à « une histoire lumineuse » ? Tous les personnages ont leurs vies gâchées ! Dans Jolie libraire dans la lumière, tous les personnages voient leurs vies changer en mieux. Ils résolvent quelques uns de leurs problèmes. L’auteur ne cherche pas à passer d’un état à un autre pour la vie de ses héros mais cherche plutôt à décrire un moment fort de leurs vies.

    Ici, les phrases sont travaillées, sans clichés. Leurs longueurs correspondent aux propos. Je ne sais pas si je l’ai déjà dit sur ce blog mais je n’ai jamais dépassé le stade de la lecture orale. Cela se traduit par le fait que quand je lis j’entends le texte dans ma tête. C’est aussi pour cela que je lis très lentement. Tout cela pour dire qu’en général, je lie le texte aux sentiments que je ressens à la lecture. Dans La liste des mes envies, les phrases étaient trop courtes par rapport à la tristesse qui se dégage du texte. Je n’arrivais pas à mettre les points au bon moment. Dans le texte de Frank Andriat, je n’ai pas eu du tout ce problème. Le texte dégage une impression, grâce à son héroïne, de douceur, d’introspection, de réflexion, d’attente malgré une vie difficile. On n’a pas l’impression de voir uniquement la forme extérieure du personnage principal féminin.

    C’est un très bon livre, un livre doudou en cas de panne de lecture.

    J’en viens ENFIN à l’histoire. Une jeune femme, libraire de son état, vient de découvrir, par hasard, dans les offices, un livre qui lui parle. En effet, l’histoire reprend un épisode dramatique de sa vie en utilisant les prénoms réels. Le livre va alterner les deux périodes dans la vie de notre libraire, jusqu’à ce qu’elles fusionnent lors de la rencontre avec l’auteur. Ce livre va définitivement changer la vie d’au moins cinq personnes !

    En conclusion, un livre qui parle de livres, de libraire, de librairie, un beau texte, une histoire bien écrite. Il va rester dans ma bibliothèque en cas de coup de blues.

    Références

    Jolie libraire dans la lumière de Frank ANDRIAT (Desclée de Brouwer, 2012)

  • UnNotairePeuOrdinaireYvesRavey

    Madame Rebernak habite une petite ville en province avec ses deux enfants, et ce depuis le décès de son mari. Son fils va rentrer à la rentrée à l’Université et en attendant travaille à la station essence pour se faire de l’argent de poche. Il est le narrateur du livre, à la fois intérieur à l’histoire et extérieur puisqu’il voit des choses qui en réalité ne lui sont pas accessibles. La fille de Madame Rebernak, Clémence, a dix-sept ans, prépare son bac français, sort avec le fils du notaire. Elle a son âge et se débat pour ne pas être gênée par le côté sur-protecteur de sa mère.

    La vie calme de Madame Rebernak va être bouleversée par l’arrivée de son cousin, Freddy. Celui-ci vient de purger 15 ans de prison pour avoir violé une petite fille de la classe de Clémence. Forcément, Madame Rebernak se fait du souci pour Clémence car elle pense que Freddy représente un danger pour elle. Avec l’avancée de la narration, pourtant, on observe un déplacement du danger.

    J’ai bien aimé ce livre pour plusieurs raisons :

    • La description surannée de la vie en province dont notamment l’importance démesurée du notable dans la vie de la famille Rebernak. Par exemple, il peut faire licencier la mère comme il l’a fait embaucher. Autre exemple : on ne peut que lui faire confiance, dans ses jugements notamment.
    • La distillation progressive des indices. Dans mon résumé, j’ai dit ce qu’avait Freddy mais avant de rentrer dans le livre, on ne sait rien. Tout arrive progressivement : Freddy revient ; il sort de prison ; Madame Rebernak est réticente à aider à sa réhabilitation ; elle veut empêcher qu’il approche sa maison ; elle va à la police ; il faut penser à la petite Sonia et on en arrive enfin à la révélation.
    • Le fameux déplacement du danger dont j’ai parlé. Pour moi, c’est le point fort du livre. Je n’ai pas compris à quel moment cela arrive ; c’est imperceptible ! Je crois que cela vient du fait que dans la première partie, Yves Ravey met la pression sur son lecteur en lui donnant l’impression d’un danger imminent, il est alors difficile de déplacer son attention sur une autre source de danger que celle désignée. Le livre présente donc un côté thriller qui en fait son charme.

    Le livre a en apparence une langue très simple, très centrée sur l’action. Pourtant, l’auteur arrive à faire vivre son exte, notamment les sentiments de ses personnages, en faisant varier le rythme des phrases, des dialogues, en ne donnant aussi les informations qu’au détour de phrases, obligeant son lecteur à être attentif (d’un côté, le livre ne fait que 100 pages). Comme toujours aux Éditions de Minuit, on admire la maîtrise dans la brièveté !

    L’excellent billet de Mobylivres.

    Références

    Un notaire peu ordinaire de Yves RAVEY (Les Éditions de Minuit, 2013)

  • LeChienIodokAleksejMeshkov

    Malgré le nom de l’auteur et le fait que l’action se situe à Moscou, ce livre est traduit de l’italien. Le chien Iodok du titre est un homme-chien. C’est un opposant traqué par le Zoo qui a tué un chien et qui s’est mis dans sa peau, pour y vivre dorénavant. Dans ce monde, il ne peut pas rester sans maître. Il deviendra la « brave bête » de son nouveau maître, le directeur de la clinique vétérinaire. Toute l’histoire est narrée du point de vue du chien, qui reste humain dans l’âme.

    Je dirais que le livre développe principalement deux thématiques : l’installation progressive d’une dictature et l’adaptation de l’homme à sa nouvelle condition.

    Ce qu’il faut noter, c’est que souvent le livre laisse la place à l’interprétation car il ne semble pas livrer tous les détails. Par exemple, je n’ai pas réussi à comprendre en quoi le chien Iodok était un opposant qui devait fuir le Zoo. Le chien, quand il parle de sa vie d’avant, parle plus souvent de son amies avec qui il était heureux dans son isba. Le Zoo présente Iodok comme un meurtrier en série. Pourtant, il m’a semblé évident qu’il était implicitement un opposant au régime. Tout cela pour dire que je vous présente mon interprétation. Quelqu’un d’autre pourrait avoir compris le livre autrement.

    Le Zoo est principalement constitué de chiens qui se sont rassemblés en meute. Le pouvoir en place est constitué par les humains. L’histoire se passe à Moscou car le pouvoir humain se situe là. Le Zoo reste une force invisible qui rôde autour de la ville, cherchant à s’y infiltrer. Le livre raconte les techniques employées pour rentrer dans la ville et prendre le pouvoir : corrompre les humains, torture, fausses accusations… Cette thématique parle surtout de personnages qui se mettent au service de tous les pouvoirs sans n’avoir aucune conviction.

    Les passages sur les transformations du chien Iodok traitent plutôt d’une adaptation progressive à la dictature, l’idée étant de se fondre dans la masse, tout en n’oubliant pas ses convictions. En effet, l’auteur insiste sur les transformations physiologiques que subit Iodok : au niveau des glandes, au niveau de la peau / fourrure. Pourtant, il est répété plusieurs fois que la peau blanche de l’humain est toujours présente sous la fourrure. De même, les actions classiques d’un chien ne sont que mimées et ne sont pas devenues des réflexes.

    J’ai adoré ce livre bien évidemment car pour moi, c’est un très bon exemple de littérature intelligente, qui interroge. La quatrième de couverture dit que ce livre est un « hommage à la littérature qu’engendrèrent les pires dictatures » par l’usage de l’image pour dire ce qu’il y a à dire. C’est très bien écrit et traduit. La pensée de Iodok est froide et pragmatique. J’ai été hypnotisée par ce texte. J’espère que l’Arbre Vengeur traduira d’autres livres de cet auteur dont l’œuvre est présentée comme très originale.

    Références

    Le chien Iodok de Aleksej MESHKOV – traduit de l’italien par Lise Chapuis (L’Arbre vengeur, 2012)

  • ConanLoydeLEtrangeCasDuDocteurWatsonEtSherlockHolmes

    Petite nouvelle électronique (moins de 30 pages), lue sur les conseils de Méloë.

    J’ai adoré cette nouvelle car elle présente une explication follement novatrice de l’existence (j’ai toujours envie de rajouter et de l’unicité par déformation professionnelle) de Sherlock Holmes et du docteur Watson.
    Jugez plutôt !

    Le docteur Watson se réveille au son de la voix de Holmes, fin décembre 2098. Ils se retrouvent avec deux énigmes à résoudre :

    • Que s’est-il passé en deux siècles ? Le plus rapide est d’ouvrir le journal. Bien sûr, Holmes arrive à tout voir et à tout comprendre, sauf une annonce …
    • C’est cette annonce qui constitue la deuxième énigme et le moteur de l’histoire :

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    C’est une énigme qui arrive même à faire sécher le grand Sherlock Holmes.

    Vous connaissez mon penchant pour la cryptographie et tout ce qui touche aux messages secrets et autres anagrammes, Watson. Et bien, je dois vous avouer que pour le moment je sèche. Toute l’étendue de mon savoir ne me permet même pas de déchiffrer cette annonce. Voici où j’en suis, Watson, et je compte sur vous pour m’aider à avancer. J’ai besoin d’un raisonnement simple comme vous êtes capable d’en avoir, car mon esprit élabore des hypothèses, je le sens, beaucoup trop complexes pour ce simple message.

    J’en ai déduis que si je devais faire appel à Sherlock Holmes, il ne faudrait pas que je lui écrive en langage SMS.

    L’histoire commence à partir de là et nous attire dans un monde dont nous ne soupçonnons pas l’existence. On se laisse guider, plutôt que l’on cherche à deviner (en tout cas, moi, je n’avais pas compris là où l’auteur voulait en venir).

    C’est en plus un texte qui n’est pas dénué d’humour. La preuve en est mon éclat de rire à la lecture d’une réplique de Holmes

    Peut-être pour ça que vous ne m’avez jamais fait le plaisir d’avoir des petits Watson…

    Le texte n’est pas cher, original et bien écrit. Il ne vous reste plus qu’à…

    Références

    L’étrange cas du docteur Watson et de Sherlock Holmes de Conan LOYDE (Syllabaire éditions, 2012) MiniLogoDilettantes

  • ArcadiaTomStoppardTom Stoppard, dramaturge britannique, a décidé quand j’avais dix ans d’écrire une pièce de théâtre rien que moi, une pièce que je lirais quand j’en aurais trente. Jugez plutôt ! Cette pièce aborde énormément de thèmes : littérature anglais du 19ième siècle à travers la personne de Lord Byron, jeux littéraires, mathématiques, informatique, programmations, découverte scientifique, monde universitaire, publication, algorithmes.

    Plus sérieusement, il a fallu que je traîne au rayon littérature en anglais de Gibert, au 4ième étage du magasin de Paris, pour entendre pour la première fois de cette pièce et de son auteur. Il se trouve que ce texte est au programme de l’agrégation d’anglais 2012. Comme rien ne me fait peur, j’ai commencé par lire ce livre en anglais. Cela se comprend plutôt bien mais il y a quand même énormément de vocabulaire que je ne connaissais pas, ce qui n’a pas rendu ma lecture fluide. Je l’ai donc relu ensuite en français.

    Plantons le décor. « Une grande pièce donnant sur un parc dans une propriété du Derbyshire. » « Portes fenêtres, hautes fenêtres sans rideaux. » « On n’a pas forcément besoin d’avoir un aperçu du parc : idée de lumière, d’espace, de ciel ouvert. » Dans mon imagination, cela correspond exactement à Pemberley. J’espère que dans la vôtre aussi. Toute l’histoire se passe dans cette pièce.

    Le texte est divisé en deux actes, sept scènes et se déroule sur deux périodes : une période moderne et un période ancienne, avril 1809 et trois ans plus tard.

    La scène 1 s’ouvre donc en avril 1809. Septimus Hodge, 22 ans, est le précepteur de Thomasina Coverly, 13 ans, fille des propriétaires des lieux. Chacun est d’un côte d’une grande table. Septimus est en train de lire de la poésie tandis que Thomasina se concentre sur son livre de mathématiques et la démonstration du théorème de Fermat. Tom Stoppard a fait de la jeune fille un génie scientifique qui a une très bonne intuition des phénomènes, que d’autres n’appréhenderont que deux siècles plus tard. Septimus se consacre à la lecture de la poésie d’un invité du domaine, Ezra Chater, qui visiblement n’est pas brillante. Thomasina interrompt ce silence studieux pour demander à Septimus le sens de l’expression « étreinte charnelle ». En effet, elle a surpris Jellaby, le majordome, parler de cela avec la cuisinière à propos de la femme du poète Chater et d’un homme. Il s’avère que cet homme est Septimus, ce que Thomasina ignore bien évidemment. Septimus est donc en délicatesse avec le poète qui vient lui demander en pleine leçon une explication, quitte à en venir au duel.

    SEPTIMUS. Je vous assure. Madame Chater est très avenante et spirituelle, avec un port élégant, une voix charmante : elle résume les qualités que le monde aime à voir dans le beau sexe. Mais ce qui fait sa gloire c’est cet état d’alerte permanent qui la maintient dans une espèce de moiteur tropicale propre à faire pousser sous ses jupes des orchidée en plein mois de janvier.

    CHATER. Taisez-vous, Duncan [Hodge dans la version anglaise] ! Je ne vais pas souffrir plus loin votre insolence ! Vous battrez-vous, oui ou non ?

    SEPTIMUS. Non. Il ne nous reste guère que deux ou trois poètes d’envergure, je ne vais pas courir le risque d’en expédier un ad patres pour un incident de kiosque avec une femme dont une compagnie de mousquetaires ne suffirait pas à défendre la réputation.

    Là-dessus intervient Lady Croom la mère de Thomasina en plein tourment car Noakes, jardinier, est en train de lui saboter son jardin classique en jardin digne des Mystères d’Udolphe. Il y a aussi le Capitaine Brice, le frère de Lady Croom qui intervient. Celui-ci aime aussi Mme Chater, voit donc Septimus comme un ennemi et monte Chater contre-lui.

    Dans la scène 3, on apprendra que Lord Byron est aussi présent dans le domaine ainsi que le père et le frère de Thomasina. Cela fait beaucoup de testostérone dans un environnement où il y a une femme très ouverte aux propositions et une Lady Croom qui n’aime pas beaucoup qu’on lui fasse de l’ombre. 1809 correspond aussi à l’année où Byron est parti d’Angleterre pour deux ans. De là à dire qu’il y a un rapport …

    … il n’y a qu’un pas qui sera franchi dans la partie moderne de la pièce, qui alterne avec la partie ancienne.

    L’action se situe dans la même pièce, qui n’est plus une salle d’étude, mais un lieu de passage entre la maison et le jardin. On y garde cependant les archives du domaine. C’est là qu’on croise à la scène 2 Bernard Nightingale, universitaire dont le sujet de recherche est Lord Byron. Il pense avoir trouvé une piste inédite. Il aurait identifié des critiques inédites de l’auteur et en plus, il serait capable d’expliquer pourquoi Byron a quitté l’Angleterre en 1809.

    Il vient essayer de confirmer sa piste en consultant les archives et surtout Hannah Jarvis qui travaille aussi sur le l’histoire du domaine, en particulier sur son jardin et ses modifications successives. Elle travaille aussi sur l’identité de l’ermite qui a habité l’ermitage aménagé par le jardinier-paysagiste Noakes. Alors que la théorie de Bernard n’est confirmé par aucun élément probant, il s’y engouffre sans même considérer d’autres interprétations tout aussi plausibles suggérées par Hannah qui est dans ce cas la voix de la raison. Il veut ABSOLUMENT publier rapidement pour être reconnu par ses pairs. Devant l’explication scandaleuse qu’il propose, il publiera même d’abord dans un journal à scandale. Le texte illustre bien le processus de recherche universitaire pour certains, un processus guidé plutôt par la reconnaissance que la connaissance, quitte à se fourvoyer.

    Dans cette partie interviennent aussi les trois enfants du domaines dont deux sont particulièrement marquants.

    Il y a Chloë Coverly, 18 ans, jeune fille en quête d’amour, de sensationnel, un peu évaporé sur les bords et qui semble sérieusement manqué d’éducation. Elle s’attachera donc forcément à Bernard dans la pièce.

    Il y a aussi Valentine Coverly, 25-30 ans, étudiant (ou chercheur) en informatique. Il se penche sur les travaux de son aïeule et découvre que celle-ci était un génie uniquement bloqué par les moyens de calcul mis à sa disposition (elle n’avait pas l’informatique à l’époque). Alors que son travail à lui est imputable, son travail à elle l’est et est en plus remarquable. J’ai trouvé ce type de discours très intéressant. L’informatique ne peut pas résoudre tous les problèmes s’il n’y a pas un cerveau humain derrière. En clair, on ne peut pas mettre toutes les données dans l’ordinateur et attendre qu’il sorte la solution. L’ordinateur n’est qu’un moyen. On peut même se resservir de ce que d’autres ont fait si c’est pertinent (et là j’ai souri parce que dans mon travail on m’a expliqué deux fois le contraire, comme si une théorie mathématique pouvait avoir une date de péremption).

    ArcadiaTomStoppardFrancaisCe que j’ai énormément aimé c’est la manière très intelligente dont une partie renvoie à l’autre, ainsi que l’ensemble es réflexions porté par le texte. Le texte ne fait qu’une centaine de pages et il y a une multitude de thèmes qui sont abordés Tout est brillant ! Jusqu’à la tortue qui se retrouve dans les deux époques de la pièce.

    Pour l’adaptation, la première chose que l’on constate est que Jean-Marie Besset a commencé par francisé les noms : Valentine est devenu Valentin (je trouve que c’est très bien car dans ma première lecture, j’avais d’abord pensé que c’était une fille), Hannah est devenue Anna, Lady Croom est devenue Lady Gray, Septimus Hodge est devenu Septimus Duncan. Cette seconde lecture en français m’a permis de me rendre compte de la grossièreté de certains échanges dans la partie moderne de la pièce de théâtre. Par contre, les échanges dans la partie ancienne m’ont semblé plus drôles, plus ironiques, plus humour anglais en anglais qu’en français. Septimus Hodge en particulier. Il semble déférent, sans impertinence envers la famille qui l’emploie, sans montrer d’esprit (en tout cas autant qu’en anglais). Pour une troisième lecture, je pense que je lirais les deux textes pour les comparer et comprendre le travail d’adaptation et non de traduction de Jean-Marie Besset.

    J’espère vous avoir donné envie de lire cette pièce génialissime ! Peut-être même l’avez-vous déjà lu ? vu ?

    Références

    Arcadia de Tom STOPPARD (Faber and Faber, 1993)

    Arcadia de Tom STOPPARD – adaptation française de Jean-Marie BESSET (Actes Sud – Papiers, 1998)

    Un siècle de littérature européenne (année 1993)
  • Enfant44TomRobSmith

    1953, URSS. C’est une année charnière car c’est l’année où Staline meurt et où le pays commence à se libérer de son emprise. Ce roman se passe avant et après cette période de transition.

    Avant. Leo est un agent très docile du MGB, la police d’État chargée du contre-espionnage. Il ne pose pas trop de questions. Il interroge, torture, tue quand on lui dit qu’il a affaire à un traitre.

    Exemple. Un des fils de son subordonné a été tué par un train. Officiellement, c’est un accident. Pourtant, les parents soupçonnent un meurtre car le petit garçon avait la bouche remplie de terre et il était nu. Leo va cependant défendre devant eux la thèse officielle sans même les écouter. Il ne se pose toujours pas de questions. On lui demande ensuite de dénoncer sa femme. Il doute un peu mais il décide de ne pas obéir et de lui faire confiance. Normalement, cela mérite la peine de mort.

    Mais Staline meurt. L’État est désorganisé. Plus personne n’ose prendre de décisions qui puissent déplaire au futur nouveau régime. Leo et sa femme seront déportés dans une petite ville. À leur arrivée, ils sont confrontés à un meurtre qui ressemble étrangement à celui du petit garçon de Moscou.

    Une enquête interdite débute. En effet, il ne peut pas y avoir de meurtrier, surtout en série, dans le pays du bonheur organisé.

    Ce livre est du genre thriller : il y a un rythme rapide avec un enchaînement continu de péripéties, un mystère, des ennemis à combatte. C’est une excellent lecture détente car on apprend finalement assez peu sur l’URSS même si le contexte historique n’est pas absent. Le dénouement a, pour moi, été inattendu car je n’avais pas fait le rapprochement entre les différents éléments. Je me suis sentie très bête quand la vérité nous a été dévoilée.

    C’est un peu hypocrite de vous parler de lecture détente car je ne l’ai pas vraiment lu : je l’ai écouté. Je pense même a posteriori que si j’avais lu ce livre, je l’aurais abandonné alors qu’avec le livre audio, cela a été un véritable plaisir grâce à la voix du lecture. Elle est magnifique, envoûtante. Il module très bien son intonation suivant les situations. Il change même de voix quand d’autres personnages parlent, avec des voix très crédibles en plus.

    J’accorde une mention spéciale à deux points :

    • à un moment, le texte dit que Leo entend la voix de sa femme avec un écho. Le technicien du son a fait un écho ! Soit il a tout écouté car il était aussi captivé que moi, soit c’est un homme minutieux (ou une femme) qui aime le travail soigné ;
    • à la petite musique qui annonce les chapitres et qui met tout de suite dans l’ambiance.

    Ce livre rentre dans le cadre de l’Hiver en Russie de Titine et Cryssilda.

    UnHiverEnRussie

    Merci à Chloé de Audiolib pour ce très beau cadeau de Noël !

    Références

    Enfant 44 de Tom Rob Smith – traduit de l’anglais par France Camus-Pichon – texte intégral lu par Frédéric Meaux (Audiolib, 2009)

  • LaRavineEssenine

    Sergueï Essénine est un poète paysan très connu. Je ne le connaissais bien évidemment pas avant de lire ce livre. J’ai donc lu la page wikipédia avec attention. Voilà un garçon qui a eu une vie plus que remplie. Il a vécu de 1895 à 1925, soit 30 ans. Il est né dans un tout petit village près de Riazan, est devenu l’un des meilleurs poètes russes d’avant la révolution et il s’est suicidé, en se pendant, à trente ans, dans un hôtel à Leningrad, car un poète ne doit pas vivre longtemps. En 30 ans, il s’est marié trois fois, a eu trois enfants, a publié douze recueils de poèmes, fondé un mouvement littéraire, a voyagé en Europe, en Amérique mais aussi dans une très grande partie de la Russie. Il a chanté un certain monde rural, qu’il voyait comme un paradis. Il a aussi sombré dans l’alcool et dans la dépression. J’ai le même âge et ma biographie résumée ne tiendrait pas en autant de lignes. Je trouve cela impressionnant.

    La Ravine est sa seule œuvre en prose de grande envergure, parue en 1921 dans une revue de Petrograd. Cela ne parle pas de grand chose. Un homme quitte ses parents et sa femme. Il s’était marié à contre cœur mais a essayé de faire contre mauvaise fortune, bon cœur. Tout s’effondre le jour où sa femme le trompe avec le garçon de ferme.

    À la suite de sa fuite, sa famille partira en décrépitude en ne vivant que des malheurs et des déceptions. Lui se réfugiera à la ravine, où il sera admiré pour son courage, son talent de chasseur mais aussi choyé pour sa gentillesse et son amitié. Il vivra heureux, malgré de nombreuses morts, au milieu des paysans pauvres mais toujours solidaires, toujours actifs et prêts à se battre pour leurs droits.

    Au contraire de ce que l’on aurait pu craindre, on ne s’ennuie pas vraiment dans cette évocation de la nature et de la paysannerie russe de l’époque. C’est principalement du à la langue d’Essénine. Elle est faussement simple. En plus, par moment, il y a des phrases que l’on relit car on est sous le choc de leur beauté. Une fois relue, un autre univers s’est ouvert devant nos yeux faits des sons, des odeurs, des couleurs de la campagne russe. Cela donne envie de lire sa poésie [et ce même si je ne suis pas très poésie].

    Livre acheté à cause des antres de perdition de Niki et d’un libraire aux avis très tentants. Livre lu dans le cadre de l’hiver en Russie de Titine et Cryssilda.

    UnHiverEnRussie

    Références

    La Ravine de Sergueï ESSÉNINE – version française de Jacques Imbert (Harpo &, 2008)

  • LesNoceursBrechtEvans

    J’avais déjà lu Les amateurs du même auteur, que j’avais plutôt beaucoup aimé. Les noceurs est sa première bande dessinée (publiée) puisqu’il s’agit de son travail de fin d’études d’après le site des éditions Actes Sud. Il reprend les mêmes « codes » que pour Les amateurs : dessins à l’aquarelle, très colorés, pas de cases, pas de bulles, personnages caractérisés plus par leur couleur que par leurs traits physiques. J’ai aimé retrouvé ce côté très original qui avait fait que Les amateurs avaient été une très bonne surprise.

    Autant, l’histoire des Amateurs était plutôt sympathique, autant celle des Noceurs m’a foutu le bourdon.

    Un homme invite ses anciens amis de lycée à une petite réunion, censée être une fête, légèrement alcoolisée. Ceux-ci viennent, non pour voir le personnage, mais l’ancienne star du lycée. Ils se tirent la bourre pour savoir si c’était untel ou unetelle qui sera son/sa préférée. J’ai trouvé que déjà cela, c’était assez pathétique. Il est d’autant plus attendu qu’il est le grand absent de la soirée car on le comprendra au fur et à mesure, il hante une boîte de nuit qu’il a aidée à sauver et à rendre célèbre en plus. Les dessins sont envahis du vide de cette homme : une chaise vide par derrière laquelle on regarde la scène, un espace livre dans une pièce comble. La soirée se passe en attentes déçues pour les invités, en faux coups de fil pour l’hôte (parce qu’il n’a pas vraiment le numéro de portable de la « star »). On sent que notre « héros » est un homme très seul, au chômage avec comme seul perspective de retourner au lycée comme pion. Cette impression ne va pas s’arranger quand il va retrouver la star du lycée dans la fameuse boîte de nuit.

    J’ai oublié de dire que l’hôte est le seul personnage qui n’est pas en couleur. C’est une ombre voûtée, qui se traine dans un halo maronnasse grisonnant.

    On en vient à se dire que faire un revival du lycée pour combler le vide d’une vie n’est peut être pas une bonne idée car on risque de découvrir qu’en réalité, la vie des autres est tout aussi vide que la sienne.

    Références

    Les noceurs de Brecht EVENS – traduit du néerlandais par Vaidehi Nota et Boris Boublil (Actes Sud BD, 2010)