Quatrième de couverture
« Vous devriez écrire quelque chose sur ceci. » Notre protagoniste se retourne et regarde l’inconnu qui lui a adressé la parole. La tension est palpable. Un incendie vient d’interrompre abruptement la célébration du quatre-vingt-huitième anniversaire du patriarche local, don Guido Carrión, et l’exhibition des plus beaux chevaux andalous de son haras annoncée dans les cartons d’invitation. Visiblement inquiets, les hommes de la sécurité ne tardent pas à se déployer autour du domaine, comme pour rassurer les quelque trois cents personnes qui ont fait le déplacement jusqu’à Palo Verde, l’une des plus belles propriétés du Guatemala, dans l’arrière-pays de la côte Pacifique.
« Vous devriez écrire quelque chose sur ceci », insiste l’inconnu alors que la nouvelle devient le principal sujet de conversation parmi les invités : le corps de Douro II, l’étalon aux cent mille dollars, l’un des animaux préférés de don Guido, a été retrouvé carbonisé au fond des écuries. Derrière cette découverte macabre, il n’est pas difficile d’imaginer en effet une histoire, mais notre protagoniste comprend aussitôt qu’elle ne sera pas facile à raconter. Car nul n’ignore qu’en Amérique latine, aujourd’hui, le prix à payer pour s’engager dans ce type d’aventures littéraires peut être à la fois très élevé et extrêmement cruel.
Rodrigo Rey Rosa nous offre ici un thriller passionnant que le lecteur dévore d’une traite, en essayant de suivre les méandres d’une affaire dont les multiples tiroirs dévoilent graduellement la face cachée d’une famille et d’un pays rongés par la violence et le mal.
Mon avis
Le monsieur qui écrit les quatrièmes de couverture chez Gallimard a un réel talent : il arrive en deux paragraphes serrés à délayer dix pages de livres. Vous avez l’impression à lire son texte qu’il vous raconte tout le livre mais en fait non, il ne raconte pas grand chose et en plus il transforme un peu ce qui est dit dans le livre (son métier secret doit être écrivain).
Vous aimerez peut-être ce livre car cela parle un peu de chevaux, que la couverture vous fait penser à une série télé avec un cheval noir. Je ne crois pas pourtant que c’est ce que j’en retiendrais. Comme le dit la quatrième de couverture, le livre se lit d’une traite. La preuve, je l’ai fait hier soir et je pense que j’ai eu raison de faire comme cela car cela aurait gâché l’état d’esprit dans lequel le livre m’avait plongé.
Le narrateur est un écrivain qui accompagne son père, très connu dans le milieu hippique du Guatemala, a une fête pour les 88 ans d’un éleveur de chevaux. Cela se passe dans une grande propriété. Seuls les hommes y sont admis (il y a une femme dans l’histoire, une allemande qui monte le cheval qui va périr dans l’incendie). Il y a clairement beaucoup d’argent réuni là ; les hommes ont tous des gardes du corps. Déjà, on prend peur. L’ambiance n’est pas des plus joyeuses pour un anniversaire mais ressemble plutôt à une démonstration de force du vieux monsieur. Clairement, notre narrateur semble déplacé et est plutôt observateur (rôle de l’écrivain dans ce cas-là) plutôt qu’acteur. On est plongé dès le début dans une écriture très froide, descriptive plutôt que sentimentale, où il y a clairement une économie de moyen (pas d’adjectifs superflus).
Dans cette ambiance des plus sympathiques, un accident. Le feu prend dans les écuries. Bilan : un mort, le cheval le plus cher et le plus beau. C’est un réel drame d’autant plus que c’est un meurtre. On a voulu blesser le propriétaire des lieux. Notre narrateur continue à observer mais l’avocat qui lui dit « vous devriez écrire quelque chose sur ceci » va le forcer à devenir acteur en l’aidant à mener une pseudo-enquête et en l’introduisant dans la famille du vieux monsieur.
À partir de là, la lectrice que je suis a eu l’impression d’être sur des sables mouvants, de ne pas savoir sur quel pied danser. Le narrateur semble se faire mener en bateau par l’avocat puis par la famille tout en jouant le rôle important d’élément extérieur à la situation. Pourtant, le lecteur a l’impression de se faire mener en bateau par le narrateur dans le sens où le récit, à travers son écriture, semble maîtrisé par lui. Tout le long des 150 pages, c’est ce qui se passe.
La fin n’en ai que plus stupéfiante parce que ce jeu du chat et de la souris va se conclure entre l’avocat, le narrateur et la famille mais le lecteur lui ne pourra que deviner comme si il y avait un pacte entre les trois parties et que le lecteur était exclu. C’est en tout cas ce que j’ai ressenti.
Références
Manège de Rodrigo REY ROSA – traduit de l’espagnol (Guatemala) par Claude Nathalie Thomas (Du Monde Entier / Gallimard, 2012)