Cecile's Blog

  • Je suis subjuguée par cette histoire depuis hier soir. Je l’ai ouvert et je l’ai terminé aujourd’hui (parce qu’entre temps j’ai du dormir, manger)(aller au travail, lire dans le parc à la pause de midi, revenir du travail, cela ne compte pas parce que j’ai lu à ce moment-là).

    C’est une excellente nouvelle, très victorienne. Je crois que Mary Elizabeth Braddon ne l’aurait pas renié.

    Latimer est un jeune homme qui se veut posséder l’âme romantique. Il en a l’âme mais malheureusement pas le génie créateur qu’il aspire pourtant à posséder. Il passe une jeunesse languissante en Suisse, une jeunesse faite de rêverie et de mélancolie. Un jour, il tombe malade. Son père le rejoint et l’aide pour sa guérison. Quand il se sent mieux, il s’aperçoit qu il a acquis un don : ce n’est pas celui de la création mais celui de la clairvoyance. Il a des visions et arrive à savoir ce que les gens pensent.

    La première vision qu’il a est celle de la ville de Prague qu’il n’a jamais et qui s’avèrera exactement comme il l’a pensé le jour où il s’y rendra. La deuxième est la vision de la fiancée de son frère qu’il n’a absolument jamais vu et qui s’avèrera elle-aussi exactement comme il l’a vu.

    De cette première vision de la fiancée, il tombera en amour. Ce n’est pas réciproque bien évidemment (il le sait parce qu’il le lit dans ses pensées). Pourtant, il a une vision qu’un jour elle sera sa femme. Manque de chance quand elle sera sa femme, ils ne s’entendront pas et elle souhaitera sa mort plus d’une fois. Il ne lui reste qu’à patienter pour voir son rêve s’accomplir même si il sait que cela va mener au désastre (Ah ces hommes ! ils ne sont pas compliqués du tout). Son frère meurt dans une chute de cheval. Le mariage va pouvoir avoir lieu …

    Le début est accrocheur (comme tout le reste de la nouvelle : il y a une montée du suspens qui est assez génial car le rythme ne faiblit jamais. Il n’y a pas vraiment de temps morts même si il y a parfois des petites leçons de vie) :

    Ma fin est proche. Ces derniers temps, j’ai été sujet à des attaques d’angina pectoris et du train où vont les choses, si j’en crois mon médecin, j’ai lieu d’espérer que ma vie ne se prolongera pas au-delà de quelques mois. A moins que je ne sois affligé et physiquement et moralement d’une constitution exceptionnelle, je ne subirai plus bien longtemps l’odieux fardeau de cette existence terrestre. S’il devait en être autrement et que je vienne à atteindre l’âge désiré et envisagé par la plupart des hommes, je pourrais alors juger si les tourments de l’espérance déçue l’emportent sur ceux de la connaissance extra-lucide. Je prévois en effet l’heure de ma mort et le détail exact de mes derniers instants. Dans un mois jour pour jour, le vingt septembre mille huit cent cinquante, je serai assis dans ce même fauteuil, dans ce même cabinet de travail, à dix heures du soir, et j’attendrai la mort, las de cet éternel don de pénétration et de prévision, à bout d’espoir et d’illusion.

    Moi j’y ai vu surtout une histoire pour dire que vivre il valait mieux ne pas tout savoir. Dans la postface de Marianne Tomi, on se rencontre qu’il peut y avoir plein de lectures possibles (et que d’après elle, c’est quand même pas le même niveau que Mary Elizabeth Braddon, trop populaire) : il y a des éléments biographiques dans le texte, une des leçons que l’on peut tirer est que Latimer cherche trop à avoir ce qu’il ne peut pas avoir : la femme de son frère, le don de créer…

    Vous pouvez lire cette nouvelle comme moi, juste parce qu’elle est captivante et très bien écrite (en gros prendre cela comme un très bon divertissement) ou comme Marianne Tomi, en spécialiste de George Eliot, et trouver le texte intéressant mais pas majeur dans l’œuvre de l’auteur.

    Références

    Le voile soulevé de George ELIOT – nouvelle traduite de l’anglais par Alice Artaud – traduction revue par Chantal Tanet – postface de Marianne Tomi (Ombres, 1989)

    La personne qui a écrit sur le livre de la bibliothèque n’est pas très sympa car en même temps que je lisais, j’ai du jouer les Sherlock Holmes pour savoir pourquoi elle avait souligné tel ou tel passage (mystère que je n’ai pas réussi à élucider d’ailleurs).

  • Quatrième de couverture

    On croit dévorer des livres, quand nous ne sommes plus que leur pitance.

    (…)

    Quand je vous aurai fait vivre l’expérience de mon histoire, vous réfléchirez à deux fois avant de me traiter de fou.

    Si, toutefois, vous avez encore les moyens de réfléchir.

    La Maison-Livre surprendra bien des lecteurs. Gérald Duchemin arpente ici, dans ce roman colérique, teinté de fantastique, des sentiers non encore battus. Et si le livre contenait de vrais dangers ? Pourtant, cette histoire n’est qu’une déclaration d’amour à la littérature. Paradoxal ? Oui, comme toute histoire d’amour.

    Après Carmélia, L’Échafaud ou L’Excentrique M. Céraste, Petits Contes Macabres et La laiteuse et son chat, Gérald Duchemin poursuit sa trajectoire d’écrivain, comme qui dirait son bonhomme de chemin.

    Mon avis

    Ce livre est à lire, relire, offrir … à tous les amoureux des livres que vous connaissez. Et même aux autres.

    Vous vous doutez de comment et pourquoi je l’ai pris à la librairie. Il y avait le mot livre dans le titre. L’histoire parlait d’amoureux des livres. Cela marche à chaque fois sur moi. Cela n’a pas loupé car  j’ai dévoré tout d’un coup hier soir.

    C’est un mélange de La Maison en papier de Carlos María Dominguez, du Bibliomane de Jean-François Kierkowski, de la Reine des Lectrices avec du Edgar Poe pour le chat, la maison et l’ambiance de la maison.

    Georges Malaga, potentiel acheteur d’une très jolie maison à Montpellier, est en train de le visiter quand il rencontre d’une manière bien particulière l’ancien propriétaire qui n’est plus vraiment lui-même. Celui-ci va lui raconter son histoire. Il a acheté la maison peuplé d’étagères et où il y avait encore les meubles (c’était un cadeau de l’ancien propriétaire). Il a pensé qu’il y avait des gens complètement fous pour lire au temps. Il s’est dit qu’à la première occasion, il démonterait les étagères pour gagner de l’espace. Le propriétaire lui donne entièrement raison car il déménage pour cette raison (il va même donner ses livres !) Une fois tout seul, il tombe sur un exemplaire oublié (ou qui s’est échappé, allez savoir) Les Fleurs du Mal de Baudelaire et il a le malheur d’ouvrir le livre. Il est donc pris !

    Pourquoi démonter les étagères ? Il suffit d’acheter des livres pour les remplir. Il commence à nous raconter son addiction : ses parcours en librairies, sa relation fusionnelle avec ses livres. Au début, c’est gentil mais après il sent son espace professionnel, social, matériel se faire grignoter par cette multitude de livre. Ils sont en train de prendre tout l’espace (bientôt, ils vont attaquer les fenêtres). Il y a des personnes d’À la recherche du temps perdu qui joue des scènes dans sa maison. Il se sent en danger (son chat Edgar le confirme). La maison semble hantée !Il faut faire quelque chose … C’est pourquoi il faut lire le livre (pour savoir ce qui va vous arriver si vous continuez à être book addict).

    J’ai donc refermé hier soir ce livre, en pleine nuit donc. J’ai fermé ma lumière de chevet en regardant tous mes livres dans leurs étagères et ceux qui sont en pile par terre. J’ai espéré qu’il ne se passe rien et que je me réveille en pleine forme ce matin. C’est le cas ! Je pense donc que je ne suis pas franchement très atteinte (on se rassure comme on peut).

    L’écriture de Gérald Duchemin est rapide, alerte. Elle est prompte à déclencher l’addiction, à tourner les pages de manière compulsive : une fois pris, vous ne pouvez pas fermer ce livre comme cela. C’est comme un thriller pour lecteur boulimique !

    Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture.

    Références

    La Maison-Livre de Gérald DUCHEMIN (Éditions Le Chat Rouge, 2012)

    La photo de couverture est moche car c’est moi qui l’est prise. Ceci explique cela. En fait le livre est marron pas gris sale.

  • Quatrième de couverture

    Esther Rudomin avait dix ans quand son monde bascula. Jusque-là elle avait cru que sa vie heureuse dans la ville polonaise de Wilno durerait toujours. Elle chérissait tout, depuis les lilas du jardin de son grand-père jusqu’au pain beurré qu’elle mangeait chaque matin à son petit déjeuner. Et lorsque les armées d’Hitler envahirent la Pologne, en 1939, et que les Russes occupèrent Wilno un an plus tard, le monde d’Esther resta intact : pour elle, les guerres et les bombes s’arrêtaient à la grille du jardin.

    Mais un matin de juin 1941 deux soldats russes, baïonnette au canon, se présentèrent.

    Ce livre commence par une tragédie et la tragédie n’est jamais loin tout au long de l’histoire d’Esther, mais il est aussi un témoignage émouvant sur la résistance de l’esprit humain, par la façon dont les Rudomin gardèrent courage d’un bout à l’autre des cinq années que dura leur exil, malgré la faim et les privations.

    Voici la véritable histoire d’une enfance sibérienne : elle a été applaudie comme « un grand document qui vivra longtemps dans la mémoire de chaque lecteur ».

    Mon avis

    Encore un livre que j’ai découvert grâce à mes errances sur Library Thing qui est vraiment une mine d’idées pour moi. Ce livre est un véritable coup de cœur ! Je regrette de ne pas l’avoir découvert plus jeune (la première parution en français s’est faite en 1986), même si la lecture est faite pour les grands et les petits.

    Esther Hautzig signe donc ici une autobiographie magistrale de son enfance, ou plutôt adolescence, sibérienne. Elle était une enfant heureuse de la bourgeoisie polonaise. Elle habitait une grande maison divisée en appartements mais où tous les habitants de la maison étaient de la famille : grand-père, grand-mère, cousins, cousines, tantes, oncles … Ses grands-parents paternels ne vivaient pas très loin non plus ; il suffisait de traverser le parc pour leur faire un coucou. La guerre n’est pour eux qu’un écho lointain qui ne les a pas encore atteint.

    Mais en 1941, les Russes qui étaient encore, à ce moment-là, les alliés des Allemands arrivent chez eux. Ils détiennent le père d’Esther. « Heureusement », toute la famille a pu fuir sauf Esther et sa mère. Ils seront relégués en Sibérie, ainsi que la grand-mère paternel, en tant qu’ennemis de classe (comprendre qu’ils sont d’affreux capitalistes). Le grand-père paternel sera séparé d’eux sur le quai de la gare. Comme six semaines de voyage dans des wagons à bestiaux et la descente aux enfers. Quand ils arrivent, ils apprennent qu’ils devront travailler dans une mine de gypse. Le père devra travailler au transport du gypse une fois extrait, la mère au dynamitage, la grand-mère devra manier la pelle et Esther désherber les pommes de terre pour que tout le monde puisse manger. C’est une vie très difficile car pour l’instant il fait très chaud sur la steppe. Ils ont peu à manger … Mais les Russes deviendront les ennemis des Allemands. Leurs vies changent. Ils devront aller travailler au village. Le père sera comptable. La mère travaillera à la boulangerie (pas en tant que vendeuse). Ils devront loger dans une petite cabane à onze personnes mais Esther pourra « enfin » aller à l’école ! Elle ne connaît pas très bien le russe mais veut absolument y aller.

    Esther alors devient une enfant-adulte. Elle a toutes les envies d’une jeune fille qui grandit : avoir les mêmes affaires que les autres, se faire accepter, avoir des bonnes notes, être aimée de ses professeurs, avoir des beaux habits. On vit ses premières amours aussi. Il y les demandes aux parents, les stp, stp, stp …Mais d’un autre côté elle doit subir tous les malheurs qui s’abattent sur ses parents : les changements de logement, la pauvreté, la faim, l’envoi de son père sur le front, la séparation, la peur du lendemain, de l’effroyable hiver sibérien. Elle doit aussi aider sa mère à s’occuper de la maison, gagner un peu d’argent pour aider ses parents … Elle troque au marché.

    C’est ce que j’ai énormément aimé. Beaucoup plus que le journal d’Anne Franck (je l’ai lu beaucoup plus jeune aussi ; ceci explique cela). Esther Hautzig ne nous cache rien mais elle garde toujours cette appétit de vivre (qui lui vient de sa famille, de ses souvenirs aussi), de s’adapter (ce dont on aurait pu douter au vu de son enfance assez protégée). Elle ne se plaint jamais des méchants Russes, de ce qui lui arrive. Elle va toujours de l’avant. C’est impressionnant (je ne pense pas que j’aurais été capable d’en faire autant). À la fin de la guerre, elle aura de la peine de rentrer en Pologne, de quitter la vie qu’elle s’est construite (sa mère lui dit qu’elle est complètement folle), le semblant de sécurité qu elle a obtenu.

    On s’attache tellement à Esther qu’on se demande pourquoi elle arrête de nous raconter sa vie après son retour en Pologne. J’étais toute triste de la quitter …

    Le moment est triste est quand on apprend que toute sa famille paternelle et une très grosse partie de sa famille maternelle est morte durant la Shoah. Esther vivra encore plus le fait d’avoir été relégué en Sibérie comme une chance qui l’a sauvé. Sa mère regrettera éternellement de ne pas avoir dit aux militaires russes qui sont venus en de matin de juin que l’homme qui sonnait à la porte était son frère, et non pas un inconnu.

    Références

    La steppe infinie de Esther HAUTZIG – traduit de l’américain par Viviane de Dion (L’École des loisirs / Médium, 1986)

    La photo sur la couverture, c’est Esther adolescente.

  • Quatrième de couverture

    Dans une vie d’entre-deux-guerres, un village au travail voit ses peurs et ses rancœurs révélées par un fait divers anecdotique et presque drôle : un muet pris d’une envie soudaine de déféquer (était-ce l’eau saumâtre du matin ?) demande à une jeune fille par des gestes explicites les latrines les plus proches. Seulement, dans un monde où la violence a formé les âmes simples, les gestes les plus anodins peuvent être interprétés comme des agressions réelles. Cette jeune fille ,se croyant ainsi l’objet d’une tentative de viol, hurle, crie, alerte. Le pauvre hère, comprenant la méprise, croit que courir le sauvera. Pourtant, cela devient un véritable aveu de culpabilité et le conduit inexorablement au gibet, où la vindicte populaire pourra montrer l’étendue de ses peurs. Petit à petit, à travers les passés traumatisés des acteurs de cette histoire, on assiste aux interrogations de tout un peuple sur ce que sont la justice et la difficulté d’être ensemble… À force d’évoquer l’inavouable, celui-ci s’est produit !

    Mon avis

    Je continue mes découvertes des premiers romans parus en 2012 et ce grâce aux bibliothèques de Paris.

    Avouez qu’à lire la quatrième de couverture, ce roman a plein de qualité : il présente une intrigue très originale, qu’à mon avis vous n’avez jamais eu l’occasion de lire. C’est un peu la transcription au Burundi des affaires de village que nous a décrit dans Fin de chasse Jean-Paul Demure. La différence est qu’ici la foule est virulente, moins taiseuse, moins fourbe et donc plus prompte à s’indigner, à s’emporter. L’effet de masse fait le reste. Roland Rugero, jeune auteur puisque né en 1986, nous décrit une tentative de lynchage, de jugement par le peuple sans la neutralité de la justice. Rassurez-vous le pire sera évité grâce à un homme plein de sagesse.

    Roland Rugero a un style très intéressant à mon goût car il mêle une narration classique de son histoire à ce qu’il m’a semblé être des contes ou des légendes transmises de génération en génération qui ont sur moi l’effet de gouttes de sagesse qui nous étaient diffusées en perfusion, pour entrecouper un récit difficile. Il y a aussi les phrases qui tombent comme des sentences pour nous permettre de mieux comprendre les enjeux de l’histoire. On peut citer par exemple la toute fin du livre :

    Toute la vie n’est qu’agitations, d’ailleurs. Mais le plus important, c’est d’agiter cette vie, sans la laisser choir. La vie c’est l’eau qui coule par terre et qu’on ne peut ramasser… Ainsi chemine la pensée de la vieille borgne.

    C’est une très jolie découverte mais il faut accepter de ne pas tout comprendre (en particulier l’intervention des différents personnages qui servent surtout à la description de la vie de village).

    Références

    Baho ! de Roland RUGERO (Vents d’ailleurs, 2012)

  • Quatrième de couverture

    Un paisible facteur abat froidement un de ses concitoyens lors d’une partie de chasse, faisant croire à un accident.

    Sur les pentes abruptes des monts d’Ardèche se dresse une ferme solitaire, forteresse d’un temps aboli. Un père et sa fille y tracent les gestes ancestraux de la survie.

    En bas au village, les langues vont bon train, surtout quand Cédric, jeune et séduisant étranger, débarque sur sa moto rouge pour se retrouver au cœur d’une tragédie dont il sera l’un des acteurs involontaires.

    Jean-Paul Demure évoque d’une plume caustique et souvent drôle l’univers impitoyable de la paysannerie où, à force d’isolement, les individus finissent par se détruire.

    Ce livre a reçu le grand prix du roman noir français au festival de cognac en 1999.

    Mon avis

    Le roman est construit en flash-back. Chapitre 1 : Vidal tue Bleyrieux au cours d’une partie de chasse. Ce n’est pas un accident mais bel et bien prémédité. Il rentre chez lui. Sa mère le félicite de son geste. Vidal a une cinquantaine d’année, vit avec sa mère car célibataire, travaille à la Poste et regrette d’avoir abandonné les terres que son père mettait tant de soins à cultiver. Comment Vidal, personnage doux et serviable, a-t-il pu en arriver là ? Comment se fait-il que sa mère le félicite d’avoir tuer quelqu’un ? C’est ce que l’on apprend dans la suite du roman.

    On est en Ardèche. Les autochtones voient passer les Zollandais comme on regarde les animaux dans un zoo. Ils ont cependant le désir de leur soutirer un maximum d’argent avec un minimum d’investissement. Tout le village s’y est mis, en particulier Pielou. Pielou c’est l’ennemi de Bleyrieux, qui a la ferme adjacente. C’est une question de terrain, de querelles ancestrales … un truc dont personne ne se rappelle mais chacun a son idée sur qui a raison et sur qui a tort. Bleyrieux n’ai pas aimé du village car c’est un solitaire, un hautain, un fier. Sa fille, Émilie, on ne la connaît pas franchement. Elle semble bête, pas très finie, pas très jolie. Pielou, lui, a la chance d’avoir un fils et une fille (beaucoup plus avenante qu’Émilie), une femme aussi qui gère les gîtes. Là dessus, arrive Cédric, un marseillais, fâché avec sa famille. Il vient faire un stage pour apprendre un nouveau métier, paysan. Il va aller de ferme en ferme. Le premier mois chez les Pielou et le deuxième chez les Bleyrieux. Cela va mal finir pour lui. Il pourra pourtant compter sur le soutien sans faille de Vidal le facteur.

    Cela m’a rappelé où je pars en vacances car il y avait deux fermes qui s’affrontaient et si tu parlais aux uns tu ne pouvais pas parler aux autres (surtout nous comme était les parisiens). Cela a fini par se calmer quand l’héritier de la deuxième ferme s’est suicidé. Forcément, il n’y avait plus de ferme. Dans ce roman, on retrouve ce côté vie de village où chacun s’observe (je vous dis cela mais dans ma rue c’est un peu la même chose), où tout le monde commente la moindre information qui circule (et ça il y en a de l’information), le moindre changement physique, le moindre changement dans les actions. On se dit qu’en Ardèche il y a de l’espace mais en fait non pas tant que cela puisque tout le monde sait tout sur tout le monde. Jean-Paul Demure arrive très bien à faire ressentir ce climat très pesant.

    Sur le côté destin qui doit s’accomplir, je trouve aussi que l’auteur a très bien réussi son coup car quand il présente la vie d’Émilie, il décrit une vie non choisie et subie sans pourtant que cela gêne la jeune femme. Elle n’a pas de sentiments et ne semble pas avoir le temps d’en avoir (par contre, elle pense beaucoup aux terres dont elle va hériter). C’est l’arrivée de Cédric qui va lui en donner. Le drame du livre est qu’elle va devoir choisir si elle veut garder sa vie d’avant ou d’après Cédric. On le ressent dans le choix des mots de Jean-Paul Demure.

    J’ai eu un peu de mal avec le classement roman noir. Je crois que cela vient de mon habitude de lire surtout des romans noirs qui se passent dans les villes. Pourtant, si on réfléchit bien, cela correspond. On prend un lieu. On décrit des personnages dont le destin est tracé d’avance et il n’est jamais des plus paisibles ce destin. La différence est que là cela se passe à la campagne.

    Un roman intéressant et qui sonne juste. Sur Library Thing, il conseille Le méchant qui danse de Pierre Pelot. C’est un peu la même chose mais dans les Vosges cette fois-ci. Je l’ai déjà repéré à la bibliothèque.

    Références

    Fin de chasse de Jean-Paul DEMURE (Rivages/Noir, 1998)

  • Quatrième de couverture

    Robi et Mordi se retrouvent par hasard sur le quai d’une gare, quelque part en Europe, après la guerre. Deux ombres grises dans la brume d’une ville en ruine, qui parlent un langage d’ombres. Deux hommes réduits à leur plus simple expression. Ils se connaissent d’avant, mais on ne sait rien ou presque de leur passé. Ils vont ensemble à la soupe populaire, et c’est pour eux un luxe de refuser ce repas quand il est froid. Alors que Robi recherche sa famille, rêve d’amour et de fortune, Mordi reste prostré chez lui, à essayer de comprendre. L’affaire chocolat pourra-t-elle leur apporter la richesse, ainsi que Robi l’imagine ?

    Juifs, survivants. Ces mots n’apparaissent jamais. Mais on sait. Dialogues épurés, atmosphère raréfiée, évitant tout ce qui, depuis , a pu devenir « cliché », ce roman unique a la densité de la poésie de Paul Celan, l’intense retenues des textes de Samuel Beckett.

    Mon avis

    Je n’ai pas tout compris à ce livre.

    Haïm Gouri est poète, écrivain, journaliste, ancien ministre. Pendant les années d’après-guerre, il a arpenté l’Europe pour saisir le destin des Juifs survivants. Il a d’ailleurs publié un journal relatant le procès d’Eichmann, auquel il a assisté. L’affaire chocolat a été publié pour la première fois en Israël en 1965.

    Les qualités (tout de même) : une belle écriture quand on prend chaque passage séparément (2-3 pages). Cela emporte, fait rêver. On est dans une ambiance d’après-guerre qui semble un peu cotonneuse, flottante. Il y a l’avant (en particulier la Shoah dans le cadre des personnages de ce livre) mais aussi la nécessité de retrouver une vie, de la reconstruire pour profiter de ce que d’autres ne pourront pas vivre malheureusement.

    Là où j’ai eu du mal à tout saisir, c’est dans ce qui arrive aux personnages. Je n’ai pas réussi à saisir qui était qui entre Robi et Mordi. L’auteur refuse de personnifier ses personnages (description des sentiments ou des actions inexistantes) et les laisse plus ou moins sous forme d’ombres. Cela rend très difficile la lecture. La deuxième chose est que certains passages semblent complètement déconnectés ou très métaphoriques. J’avoue ne pas avoir saisi tout le temps où l’auteur voulait en venir. Cela a encore un peu plus compliqué ma lecture.

    Pour ce qui est de l’affaire chocolat, elle n’intervient qu’à la toute fin du roman. Une rumeur court que le chocolat distribué par l’armée américaine calmerait la libido des gourmands. Les fabricants se retrouvent avec des stocks énormes. La personne qui a lancé la rumeur achète les stocks. La rumeur est démenti par cette même personne, qui revend le chocolat à des prix prohibitifs en ces temps de pénurie.

    Est-ce que vous avez lu ce livre ? Est-ce que vous l’avez mieux compris ? Est-ce qu’il faut accepter de ne pas tout comprendre comme l’écrit quelqu’un sur Amazon ?

    Références

    L’affaire chocolat de Haïm GOURI – roman traduit de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech (Denoël, 2002)

  • Ce livre est le témoignage de Luciano Bolis sur les tortures qu’il a eu à subir en février 1945 et qui lui ont été infligées par les fascistes alors que lui était partisan.

    Luciano Bolis avait 26 ans lorsqu’il fut arrêté en février 1945 à Gênes. Dans la première partie du livre, l’auteur nous témoigne de ses activités de résistance, de ses réseaux … et surtout décrit minutieusement le mécanisme qui a amené son arrestation.

    Après celle-ci, commence toute une série de tortures qui nous sont décrites par le menu. C’est impressionnant car dans le récit de Luciano Bolis, il n’y a pas de ressentiment, de pathos, d’apitoiement, de suspens faussement créé. Il y a juste la description méthodique des faits car l’intention de l’auteur est le témoignage et uniquement le témoignage.

    Dans la troisième partie, il nous parle de sa tentative de suicide qui s’est transformé en automutilation puisque après s’être tranché les veines des poignets et celles du cou, il a eu le courage de s’enfoncer les doigts dans les plaies (quitte à toucher l’œsophage, sortir sa pomme d’Adam …) pour être sûr de mourir et de ne pas être tenté de trahir.

    La quatrième partie parle des soins qu’il a reçu à l’hôpital, de l’aide qu’il a reçu des médecins, de ses amis pour qu’il puisse s’enfuir mais surtout de son infirmière, Ines, qui est devenu par la suite sa femme.

    Ce livre est très court et on devrait beaucoup plus en parler à mon avis (j’ai appris, sur Library Thing, par navigations successives l’existence de ce livre) car c’est ce type de témoignage qui permet de comprendre ce qu’est la torture. C’est un livre qui décrit le courage, la résistance pour un idéal. Il décrit ce que l’humain est prêt à s’infliger pour le défendre cet idéal.

    Michel Polac écrit sur ce livre que « c’est un texte extraordinaire, un peu comme si Jean Moulin avait échappé à Barbie et nous avait laissé le témoignage de ses tortures et de sa tentative de suicide ».

    Références

    Mon grain de sable de Luciano BOLIS – traduit de l’italien par Monique Baccelli (10/18, 2012)

    Ce livre est paru en Italie en 1946 pour la première fois, à la Fosse aux ours en 1997, chez 10/18 en 2000 et toujours chez 10/18 (pour une fois qu’il réédite) en 2012.

  • J’étais curieuse de lire cet énorme roman graphique. Ys l’a mis dans son challenge. J’y ai vu un premier signe. Le deuxième signe a été de voir la série spéciale éditée par Casterman alors que je descendais l’escalier chez Gibert. J’ai donc agit (il me faut uniquement deux signes pour agir ; parfois je suis moins rapide malheureusement)(surtout quand il ne s’agit pas de livres d’ailleurs).

    L’histoire est assez simple. C’est celle d’un adolescent qui vit son adolescence. En allant plus loin, l’adolescent s’appelle Craig (suivez mon regard vers l’auteur SVP). Il n’arrive pas à se trouver dans le monde (ceux qui y sont arrivés très vite n’ont rien à raconter ; c’est pour cela que l’on en entend jamais parler). Il sait que sa passion c’est le dessin mais il ne sait pas comment en vivre. En attendant, il affronte le collège, le lycée, ses camarades, la colonie, l’église (qui veut en faire un de ses hommes), sa famille, son petit-frère. Cela fait beaucoup et il se sent déplacé partout.

    Un jour, il rencontre, à la colonie, une fille qui s’appelle Raina. Elle est comme lui, déplacée dans le monde qui l’entoure. Elle est romantique, fleur bleue. Lors de la séparation, ils se promettent de s’écrire. Cela continue donc comme une histoire de jeunesse, toute jolie, toute mignonne. Craig va alors passer quinze jours chez elle pendant les cours (parce qu’ils sont cool leurs parents leur permettent de sécher les cours). Elle a besoin de soutien car ses parents divorcent. Il découvre sa vie, ses amis, sa famille, ses deux frère et sœur dont elle s’occupe ainsi que du bébé de sa deuxième sœur. Il voit comme elle est obligé de se mêler du divorce de ses parents. Pourtant (et aussi c’est pourquoi) ils arrivent à passer des moments incroyablement romantique.

    La première histoire d’amour de Craig finira et ce qu’il est intéressant de voir c’est comment Craig en sortira adulte.

    Comme cela, le pitch (qui dit quand même tout ce qui se passe mais comme tout le monde a lu ce roman graphique, je ne me prive pas) ne vous paraît pas transcendant et je vous comprends. Pourtant, j’étais toute avec Craig dans cette histoire parce que la narration est centrée sur lui (on se connaît quand même mieux soi-même). L’auteur arrive à retrouver ses doutes d’adolescent, ses craintes mais aussi son premier amour sans aucune jalousie, haine ou quoique ce soit. Je crois que c’est la force de ce roman graphique : décrire l’adolescence en retrouvant les sentiments éprouvés tout en ayant le regard rétrospectif de l’adulte.

    Références

    Blankets de Craig THOMPSON – traduit de l’américain par Alain David (Casterman écritures, 2012)

    J’ai le numéro 88 de l’édition spéciale si cela intéresse quelqu’un (c’est juste pour faire genre que je dis cela).

    Lu dans le cadre des 12 d’Ys dans la catégorie roman graphique.

  • Quatrième de couverture

    « Au bord des déserts éblouissants de neige », les villageois parlent aux oiseaux comme aux plantes avec une troublante intensité et les Indiens se signent lorsque se manifeste l’indicible. Au cœur de la lointaine Cordillère des Andes, les rites et les sortilèges maintiennent naturellement un ordre qui ne peut être qu’être extrême. Le monde du dehors, « civilisé », rationnel, surgit sous la forme d’une jeune citadine blonde qui va bouleverser cet équilibre primitif.

    Extrait (de la quatrième de couverture)

    Quand ils virent don Aparicio, ils lui frayèrent un passage. L’herbe, haute et encore verte, envahissait le sol. Il parvint au bord de la tombe ; la dépouille avait déjà été descendue. On l’avait habillée d’un vêtement couleur café. Les pieds, nus et jaunes, étaient visibles. Une capuche couvrait sa tête ; sur son visage on avait placé des cotons. De ses mains croisées pendait un petit lama fabriqué avec des bouts de bois et rempli d’un morceau d’alpage. Le lama allait accompagner dans le voyage silencieux qui le mènerait à la grande tour que construisent les morts, d’après les Indiens d’Al’amare, sans jamais la finir, sur la cime lointaine du mont K’oropuna.

    Mon avis

    J’ai beaucoup apprécié ce court récit raconté comme un conte : une princesse est enlevé violemment par un prince mais elle ne peut s’empêcher de l’aimer tout de même. Sauf que le prince se tourne vers une autre princesse. La première princesse est jalouse et essaye de reconquérir son prince avec l’aide de Mariano, le serviteur préféré du prince.

    C’est très beau, très lyrique et très poétique. Quand Arguedas nous décrit la vie du village, on y est. Quand il décrit les grands espaces du Pérou, on y est aussi. C’est un livre dépaysant.

    Il y a un hic pourtant (vous vous y attendiez, non ?) : on nous dit qu’Arguedas fait partie du courant indigéniste, qu’il est « le promoteur d’un métissage des cultures andine d’origine quechua et urbaine d’origine européenne ». Je veux bien mais à mon avis l’auteur n’a pas écrit pour la traduction. J’ai eu l’impression que tout le contexte, l’enjeu social m’échappait et j’aurais aimé plus de précisions au moins pour cette édition car cela a l’air d’être cela que l’auteur voulait faire passer et pas le côté traditionnel que j’ai apprécié.

    C’est pour cela que j’ai préféré El Sexto du même auteur.

    Références

    Diamants et silex de José María ARGUEDAS – traduit par Ève-Marie Fell – préface de Mario Vargas Llosa, traduite par Albert Bensoussan (Éditions de l’Herne, 2012)

    Lu dans le cadre des 12 d’Ys, dans la catégorie auteurs latino-américains.

  • Quatrième de couverture

    Petite Japonaise, outre une part de son nom, hérita en son temps de sa mère un bordel, un travesti de père et une vie de misère.

    C’est un lupanar pour les pauvres, avec phono à aiguille – quelques pas de cha-cha-cha – et bagarres parfois. Quant au seul riche de ce hameau perdu au fin fond du Chili, s’il passe parfois au bordel de Petite Japonaise c’est moins pour s’y amuser que pour lui faire l’honneur de sa présence.

    Il faudra encore compter avec Pancho, le camionneur, avec le passé aussi, enfin avec la violence propre aux hommes qui, hagards, errent d’une faute à un crime jusqu’à la mort.

    Livre sombre, tragique, Ce lieu sans limite décrit l’enfer quotidien de ces âmes perdues par leur naissance même.

    Mon avis

    Je n’ai pas compris où l’auteur voulait en venir avec ce livre. Il est très plaisant à lire mais qu’est-ce que José Donoso voulait dire, je n’en sais rien. Voulait-il dénoncer (raconter) l’histoire des pauvres qui sont condamnés à être pauvre ou à le devenir encore plus ? Parlait-il plutôt de la domination (et le pouvoir de décider pour les autres) d’une personne sur tous les habitants du village ? Cela ne m’a pas semblé très clair car un peu trop feutré (pas assez virulent pour un auteur qui n’habitait plus au Chili au moment de l’écriture du livre) pour que j’arrive à le voir. Il parle bien à un moment cependant (il faut être honnête) du déroulement des élections pour que le riche du village soit élu sénateur. C’est édifiant comme description.

    Par contre, comme je le disais c’est une agréable pour la galerie de portrait et pour le style. Je ne suis jamais allée au Chili mais je m’imaginais le village comme un village où passe les dalton et le bordel ressemblant plutôt à un saloon. À cela, j’ai rajouté un mur qui tombe, de la moisissure car beaucoup d’humidité. Cela ne pas vraiment être comme chez les Dalton. Il faut que vous y rajoutiez de l’herbe, des vignes, de la forêt, une grande maison. Vous avez à peu près l’ambiance. Vous avez le transsexuel (je ne sais pas si c’est le bon mot mais c’est un homme qui se transforme en femme pour danser et faire la fête et qui semble plutôt aimer les hommes), la mère maquerelle psychorigide, les prostituées, les paysans qui boivent pour pouvoir profiter pleinement du bordel et des filles. C’est haut-en-couleur comme vous pouvez le constater.

    Le style est intéressant car pour de nombreux passages l’auteur nous livre les pensées de ses personnages, dans un style rapide et alerte. C’est un peu comme des transitions pour lui et aussi comme une manière d’accélérer le récit pour qu’il soit moins linéaire.

    J’ai quand même mis un autre José Donoso dans ma PAL (cela n’a pas l’air d’être non plus son œuvre principale).

    Références

    Ce lieu sans limite de José DONOSO – traduit de l’espagnol (Chili) par Alice Schulman (Le Serpent à Plumes / collection Motifs, 1999)

    Livre lu dans le cadre des 12 d’Ys dans la catégorie auteurs latino-américains.