Je suis subjuguée par cette histoire depuis hier soir. Je l’ai ouvert et je l’ai terminé aujourd’hui (parce qu’entre temps j’ai du dormir, manger)(aller au travail, lire dans le parc à la pause de midi, revenir du travail, cela ne compte pas parce que j’ai lu à ce moment-là).
C’est une excellente nouvelle, très victorienne. Je crois que Mary Elizabeth Braddon ne l’aurait pas renié.
Latimer est un jeune homme qui se veut posséder l’âme romantique. Il en a l’âme mais malheureusement pas le génie créateur qu’il aspire pourtant à posséder. Il passe une jeunesse languissante en Suisse, une jeunesse faite de rêverie et de mélancolie. Un jour, il tombe malade. Son père le rejoint et l’aide pour sa guérison. Quand il se sent mieux, il s’aperçoit qu il a acquis un don : ce n’est pas celui de la création mais celui de la clairvoyance. Il a des visions et arrive à savoir ce que les gens pensent.
La première vision qu’il a est celle de la ville de Prague qu’il n’a jamais et qui s’avèrera exactement comme il l’a pensé le jour où il s’y rendra. La deuxième est la vision de la fiancée de son frère qu’il n’a absolument jamais vu et qui s’avèrera elle-aussi exactement comme il l’a vu.
De cette première vision de la fiancée, il tombera en amour. Ce n’est pas réciproque bien évidemment (il le sait parce qu’il le lit dans ses pensées). Pourtant, il a une vision qu’un jour elle sera sa femme. Manque de chance quand elle sera sa femme, ils ne s’entendront pas et elle souhaitera sa mort plus d’une fois. Il ne lui reste qu’à patienter pour voir son rêve s’accomplir même si il sait que cela va mener au désastre (Ah ces hommes ! ils ne sont pas compliqués du tout). Son frère meurt dans une chute de cheval. Le mariage va pouvoir avoir lieu …
Le début est accrocheur (comme tout le reste de la nouvelle : il y a une montée du suspens qui est assez génial car le rythme ne faiblit jamais. Il n’y a pas vraiment de temps morts même si il y a parfois des petites leçons de vie) :
Ma fin est proche. Ces derniers temps, j’ai été sujet à des attaques d’angina pectoris et du train où vont les choses, si j’en crois mon médecin, j’ai lieu d’espérer que ma vie ne se prolongera pas au-delà de quelques mois. A moins que je ne sois affligé et physiquement et moralement d’une constitution exceptionnelle, je ne subirai plus bien longtemps l’odieux fardeau de cette existence terrestre. S’il devait en être autrement et que je vienne à atteindre l’âge désiré et envisagé par la plupart des hommes, je pourrais alors juger si les tourments de l’espérance déçue l’emportent sur ceux de la connaissance extra-lucide. Je prévois en effet l’heure de ma mort et le détail exact de mes derniers instants. Dans un mois jour pour jour, le vingt septembre mille huit cent cinquante, je serai assis dans ce même fauteuil, dans ce même cabinet de travail, à dix heures du soir, et j’attendrai la mort, las de cet éternel don de pénétration et de prévision, à bout d’espoir et d’illusion.
Moi j’y ai vu surtout une histoire pour dire que vivre il valait mieux ne pas tout savoir. Dans la postface de Marianne Tomi, on se rencontre qu’il peut y avoir plein de lectures possibles (et que d’après elle, c’est quand même pas le même niveau que Mary Elizabeth Braddon, trop populaire) : il y a des éléments biographiques dans le texte, une des leçons que l’on peut tirer est que Latimer cherche trop à avoir ce qu’il ne peut pas avoir : la femme de son frère, le don de créer…
Vous pouvez lire cette nouvelle comme moi, juste parce qu’elle est captivante et très bien écrite (en gros prendre cela comme un très bon divertissement) ou comme Marianne Tomi, en spécialiste de George Eliot, et trouver le texte intéressant mais pas majeur dans l’œuvre de l’auteur.
Références
Le voile soulevé de George ELIOT – nouvelle traduite de l’anglais par Alice Artaud – traduction revue par Chantal Tanet – postface de Marianne Tomi (Ombres, 1989)
La personne qui a écrit sur le livre de la bibliothèque n’est pas très sympa car en même temps que je lisais, j’ai du jouer les Sherlock Holmes pour savoir pourquoi elle avait souligné tel ou tel passage (mystère que je n’ai pas réussi à élucider d’ailleurs).