Cecile's Blog

  • Quatrième de couverture

    Été 1926. Un coup de feu éclate dans la montagne autrichienne. Triste spectacle : un homme à la tête sanglante gît, un pistolet à la main… Suicidé ! C’est le professeur Kammerer, biologiste bien connu à Vienne, spécialiste des batraciens ! Pourquoi donc ce geste funeste ? Est-ce le dénouement tragique d’une violente controverse scientifique, qui dure depuis plus de quinze ans et dont le héros est … un simple petit crapaud ? Est-ce l’aveu d’une fraude, récemment révélée, et dont le scandale retentira à jamais ? Est-ce pour de toutes autres raisons, aux enjeux idéologiques, voire politiques ? Mais ne peut-on aujourd’hi, grâce aux plus récentes découvertes, interpréter cette énigme de façon tout à fait différente ?

    Mon avis

    J’ai piqué ce conseil de lecture chez Tiphanya. Quoique pas emballée, elle m’a donné envie de le lire car c’est une parfaite continuation de la lecture du livre de Luc Perino. Surtout, j’avais lu la biographie que consacrait Catherine Bousquet à Darwin et que cela m’avait beaucoup plu.

    Dans cette histoire des sciences romancée, on est environ 50 ans après le premier débat sur les théories de Darwin. Dans la communauté scientifique, il y a toujours les pro-Lamarck et les pro-Darwin. Le point principal d’achoppement est entre caractère acquis (pour les partisans de Lamarck, l’homme s’adapte à son environnement pour y survivre et le caractère obtenu est transmis aux futures générations) et « loi du plus fort » (pour les partisans de Darwin, l’environnement (dans le sens de nature et pas humain)1 va provoquer une sélection progressive des caractères qui permettront l’adaptation progressive de l’espèce). Le contexte est cependant différent de la bataille d’Oxford de 1860. Puisqu’en 1900, de Vries redécouvre les lois de Mendel, lois génétiques qui tendent à confirmer la théorie de Darwin. Il y a toujours des sceptiques. Kammerer en fait partie.

    Ses travaux portent sur la reproduction des crapauds. Il en regarde deux sortes : ceux qui se reproduisent sur terre et d’autres dans l’eau. Il essaye de se faire reproduire dans l’eau ceux qui se reproduisent sur terre. Pour cela, il exerce des conditions qu’il suppose favorables. Il regarde ensuite si c’est possible et surtout si les crapauds, au fur et à mesure des générations, prennent les caractères de ceux qui se reproduisent dans l’eau (acquisition de sorte de ventouses qui permettent de retenir la partenaire dans l’eau et surtout de garer les œufs car c’est le crapaud qui est censé les couvés). C’est le cas. Pour lui, c’est la preuve flagrante que Lamarck avait raison. Bateson, scientifique anglais, grand partisan de Mendel, est très sceptique. Commence alors une confrontation scientifique très difficile car elle se fait pendant une période très troublée où les voyages n’étaient pas des plus évidents et après dans un contexte politique très idéologisé (je sais que cela ne se dit pas mais je n’arrive pas à trouver le mot). En plus, il y avait la mauvaise foi des deux parties. Tout cela va mal tourner.

    L’apport de Catherine Bousquet dans l’histoire est indéniable. Son style alerte lui permet de nous livrer une narration très agréable à lire, très claire mais surtout ses connaissances de la biologie permettent de jeter un regard moderne sur cette histoire. Kamemerer n’est plus regardé comme le « fraudeur scientifique » du XXième siècle mais comme une victime de son temps. En effet, Catherine Bousquet explique à la fin de son livre les théories les plus modernes pour interpréter les résultats de l’expérience (elle s’appuie sur des articles de fin de l’année 2010 tout de même). C’est cette conclusion que j’ai particulièrement aimé : les résultats de l’expérience de Kammerer étaient là mais pas forcément les théories pour les interpréter. Ce qui m’a aussi beaucoup plu, c’est que Catherine Bousquet ne se concentre pas sur les aspects les plus glauques comme la tricherie ou le suicide (elle nous livre quelques interprétations dans un style bon enfant) mais se concentre sur l’explication des résultats et des enjeux scientifiques.

    J’ai beaucoup aimé mais ce n’est que mon avis.

    Références

    Mourir pour un crapaud … un authentique drame scientifique de Catherine BOUSQUET (Le Pommier / Romans et plus, 2011)

    P.S. Je ne suis pas biologiste alors si j’ai mal dit ou mal compris quelque chose, n’hésitez pas à corriger dans les commentaires.

    1: je précise que toute sélection provoquée par l’homme n’est pas un processus darwinien (même si certains veulent le penser) mais un processus imbécile, qui ne veut rien dire et ne sert absolument à rien à part à servir des idées stupides, le mot est très faible. Tout commentaire portant sur ces questions sera supprimé.

  • Rodolphe Töpffer (1799 – 1846) était un inconnu pour moi avant que je rencontre son nom dans le catalogue de la Bibliothèque électronique du Québec. Pourtant, il est le premier auteur de BD suisse et est très connu pour ses caricatures.

    J’ai choisi ce roman bien évidemment parce qu’il y avait le mot bibliothèque dans le titre. L’histoire en fait n’a rien à voir ; on comprend le titre à la fin. Il s’agit de l’initiation amoureuse d’un jeune garçon en trois étapes. C’est plein d’humour car le jeune homme est un rêveur a qui il arrive des catastrophes car il est distrait, tout à ses amours plutôt qu’à en prévoir les conséquences.

    Dans la première partie, le héros, jeune orphelin, placé sous la protection de son vieil oncle est éduqué sous la houlette d’un tuteur qui lui apprend le dégoût des femmes. Alors, quand il tombe amoureux d’un portrait de femme, il se cache pour aller l’admirer mais entre temps il fait plein de maladresses qui entraînent des catastrophes. Il ira jusqu’à la fugue pour cacher ses bêtises mais c’est la femme du portrait qui va le secourir. Dans la deuxième partie, il s’agit de son véritable premier amour qu’il n’oubliera jamais, par delà la mort (c’est beau n’est-ce pas ; surtout qu’il est toujours aussi maladroit) et dans la troisième partie, c’est là où il va épouser une vraie femme (il était jeune quand il a dit qu’il n’oubliera jamais son premier amour).

    L’humour est présent tout au long du roman. Le style est de l’époque pour être polie. Le côté suranné a un charme qui opère tout au long de la lecture. Ce que l’on peut reprocher, c’est une construction brouillonne qui fait que parfois, on a du mal à suivre. D’un autre côté, ce n’est pas un thriller américain hyper-calibré qu’il faut chercher dans ce type de livre …

    Un extrait

    Imaginez-vous que tous les cerveaux sont faits de même ; j’entends qu’ils ont tous le même nombre de loges, contenant les mêmes germes, ainsi qu’en toute orange même nombre de pépins habitent même nombre de loges pareillement disposées. Mais voici que bientôt, de ces germes, les uns avortant, les autres se développant outre mesure, il résulte des disproportions d’où éclatent ces différences de caractères qui font les hommes si dissemblables.

    Ce qui est curieux, c’est qu’il y a un de ces germes qui n’avorte jamais, qui s’alimente de rien comme de beaucoup, qui prend sa croissance l’un des premiers, et décroît le dernier de tous ; si bien que, celui-là mort, on peut être assuré que le reste de l’homme a cessé de vivre : c’est celui de la vanité. Je tiens ceci d’un visiteur de morts, lequel m’a confié que, pour sa part, il s’en tenait à ce signe, le regardant comme plus sûr que tout autre ; en sorte qu’appelé auprès d’un défunt, il s’assurait tout d’abord qu’il n’y eût plus envie aucune de paraître, aucun soin de son air, de sa pose, nul souci du regard des autres ; auquel cas, sans même tâter le pouls, il donnait son permis ; et que, pour avoir toujours pratiqué cette recette, il était convaincu de n’avoir jamais envoyé en terre un vivant, ce que, disait-il, font souvent ses confrères, lesquels s’en tiennent au pouls, au souffle, et autres signes incomplets.

    Il prétendait, ce visiteur, que ce n’est pas tant selon la condition, la richesse ou la profession, que ce bourgeon-là varie ; que, si quelque chose influe, ce serait plutôt l’âge. Dans l’enfance, il n’est pas le premier à se montrer ; dans la jeunesse, il n’est pas le plus gros ; mais, dès vingt ans, c’est un tubercule respectable et vorace, qui s’alimente de tout.

    Références

    La bibliothèque de mon oncle de Rodolphe TÖPFFER – Nouvelles genevoises, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1897.

  • Encore un texte d’un illustre inconnu (pour moi en tout cas et pas que puisqu’il n’est plus édité en France) trouvé dans le catalogue de La Bibliothèque Russe et Slave. Il n’y a que cette nouvelle, ou plutôt ce conte, de disponible pour l’instant. Je trouve que cela promet.

    Jugez plutôt les premières pages :

    Nos écrivains commettent tous la même faute : ils dépensent trop d’argent. Ai-je besoin d’ajouter : sur le papier seulement !

    Suivez un de leurs héros dans ses pérégrinations à travers dix pages. Pour l’ordinaire, il n’a ni état, ni emploi lucratif ; cependant il loge dans les meilleurs hôtels, il fait la plus exquise chère et fume les plus fins cigares ; il n’a guère moins d’un ducat à la main pour les mendiants qui le sollicitent, et comme pourboire il ne donne que de l’or. Veut-il faire une course à cheval par une nuit sombre, un vaillant coursier est toujours à son service. Il va aux bains de mer ; il voyage en Italie, et, après avoir ainsi vécu pendant neuf pages d’une vie prodigue, il trouve encore, à la dixième, une somme suffisante pour se précipiter dans le tourbillon des plaisirs, à seule fin d’oublier la perfidie de sa maîtresse et pour noyer ses tristes souvenirs dans les flots de champagne, pour faire bombance, tapage et s’abrutir dans les orges… Comme je viens de le dire, nos écrivains ne connaissent pas la valeur de l’argent !

    Les sommes un peu modérées sont tout à fait en dédain chez eux. Les appointements dont ils parlent sont toujours de quelques millions, sinon au dernier minimum de quelque quarante à soixante mille francs… Ils n’osent pas descendre au-dessous. Quelqu’un, parmi vous, a-t-il jamais lu, par exemple, qu’Arthur touchait quatre-vingt-dix francs par mois ?

    À cette première faute s’en ajoute une autre.

    En dessinant leurs personnages, nos écrivains laissent toujours de côté un trait essentiel. Ils décrivent longuement la taille, les cheveux, l’ajustement, le caractère… ; mais ils passent, à dessein, sous silence une chose très importante, je crois. Ils nous laissent jeter un coup d’œil sur la garde-robe de leur héros, dans les replis mystérieux de ses pensées, dans les tréfonds les plus sombres de son âme, bref partout, sauf dans… sa bourse. Et c’est justement celle-là qu’ils devraient ouvrir la première. De cette manière le lecteur saurait au premier moment à qui il a affaire. La silhouette de la personne serait éclairée du coup.

    Je vais timidement tenter mes premiers pas dans cette voie.

    Par contre, comme il le dit si bien, il continue « timidement ». La narration perd son côté accrocheur mais reste intéressante. L’auteur a choisi d’être dans les codes du conte. Le personnage est pauvre et, pour s’enrichir, il doit vendre son caractère (qu’il devra rembourser dans cinq ans) et non pas son âme comme d’habitude. Au début, je me suis demandée si cela venait de la traduction ou si vraiment c’était quelque chose d’original. Au fur et à mesure du récit, on comprend que le héros a perdu son caractère et est devenu un béni-oui-oui. Au bout de cinq ans, on retrouve les mêmes … Ce qu’il faut dire pour terminer, c’est que la chute est très drôle et surtout pas morale pour un sou.

    J’espère qu’il y aura bientôt d’autres titres de l’auteur disponible.

    Références

    Le Caractère donné en gage (1871) de Svatopluk ČECH – traduction de G. Fanton et Id. Zahor, parue dans Les Mille Nouvelles n°5, 1910

  • Quatrième de couverture

    Fernando Pessoa est né à Lisbonne le 13 juin 1888. Son père est décédé lorsqu’il avait cinq ans et, entre 1896 et 1905, il a vécu à Durban, en Afrique du Sud, où le second mari de sa mère exerçait les fonctions de Consul. De retour au Portugal, il n’a guère quitté Lisbonne, où il est mort le 30 novembre 1935, pauvre et méconnu du grand public, malgré son rôle incontesté de chef de file du modernisme portugais et l’importance, qualitative et quantitative, de ses collaborations aux revues littéraires de l’époque.

    Paru en 1922, dans la revue Contemporânea, Le Banquier anarchiste, seule œuvre de fiction publiée de son vivant, a connu un destin étrange. Mentionnée avec condescendance par les « spécialistes » ès Pessoa quand ils daignaient la citer, ce n’est que tout récemment qu’on a commencé à la lire.

    Avec ses « faiblesses de construction » et son évident « amateurisme », ce dialogue paradoxal, à la fois logique et absurde, conformiste et subversif, d’une naïveté assez lucide ou, si l’on préfère, d’une lucidité assez naïve, n’a rien perdu de son pouvoir de provocation.

    Mon avis

    J’ai beaucoup aimé ce petit ouvrage parce qu’il symbolise pour moi ce que l’on voit souvent dans la vie (en tout cas dans la mienne). Une personne qui parle bien, une personne qui maîtrise l’art oratoire, fait un discours en expliquant que son raisonnement est logique et scientifique. Il parle tellement que vous n’avez pas le temps de réfléchir et de formuler des objections. Au final, vous vous retrouvez à acquiescer à une conclusion que vous savez stupide mais dont vous ne savez pas dire la stupidité.

    Ici, un banquier, présenté par Pessoa comme « grand commerçant et accapareur notable », dit penser et vivre selon des principes anarchiques : acquérir la liberté en luttant contre les fictions sociales (les fictions sont les fictions imposées par notre société dans le sens où elle s’oppose aux lois naturelles). Le banquier arrive, en démontrant que le groupe est forcément une tyrannie, à dire qu’il faut d’abord lutter pour soi-même et par soi-même. De plus, il explique que la nature de l’homme fait qu’il lui faut une récompense matérielle. Quelle est la plus grande fiction sociale ? L’argent. Faut-il le fuir ou le dominer ? Le dominer car la fuite (en vivant d’amour et d’eau fraîche) n’est pas une solution. Dominer l’argent et se récompenser en en amassant plein, et en devenant ainsi plus libre, quand on est né pauvre, c’est vivre selon des principes anarchistes.

    Après lecture et réflexions, je pense que le point faible du raisonnement est le fait qu’à certains endroits il repose sur des assertions plutôt que sur des démonstrations. Par exemple, à la fin, le narrateur qu’il a contribué à établir une tyrannie de l’argent. Le banquier lui réplique qu’il l’a à la limite renforcée mais qu’il ne l’a pas créée. Or l’anarchisme c’est justement ne pas créer de nouvelles fictions sociales. Cela ressemble plus à une justification qu’à un argument.

    Sur le moment, on ne s’en rend pas compte. À la fin du livre, on se retrouve surpris de la conclusion. Par exemple, j ai cru pratiquement jusqu’au bout qu’il allait nous expliquer qu’il aidait d’autres personnes à être plus libre avec son argent.

    Pour finir, une citation que certains pourraient faire leur :

    Je n’ai jamais aidé et n’aide jamais personne : cela diminue la liberté d’autrui, et m’est insupportable.

    Références

    Le Banquier anarchiste de Fernando PESSOA – fiction traduite du portugais par Joaquim Vital (Littérature / Éditions de la Différence, 6ième édition en 2011)

  • Un petit peu de culture

    Gerhard Henrik Armauer Hansen (1841-1912) scientifique norvégien qui, en 1873, a isolé le bacille mycobacterium leprae. D’où les noms : maladie de Hansen souvent donné à la lèpre, et bacille de Hansen au bacille qui en est l’agent.

    Quatrième de couverture

    Depuis des siècles, le bacille de Hansen et son cortège de lépreux vivent retranchés derrière des grilles, au fond de parcs herbeux. Qui sont ces silhouettes affublées de tuniques blanches, mi-hommes, mi-anges aux ailes meurtries qui vivent dans la dernière léproserie d’Europe, aux confins de la Roumanie ? Deux homosexuels polonais et roumain, une vieille femme russe, Zoltan le Hongrois et Robert W. Duncan, un Américain… Le chaos s’immisce progressivement dans ce huis-clos envenimé par la maladie. Hostilité et violence régissent bientôt le quotidien.

    Au-dehors, la révolution de 1989 est en marche. Un matin, l’effigie de Ceausescu qui orne les murs de la cimenterie voisine est malmenée. L’hymne national ne résonne plus dans la cour pavée. L’instant propice pour prendre la fuite et gagner l’Occident ?

    Mon avis

    Claudio Magris a dit dans Corriere della Sera :

    La léproserie décrite par Ognjen Spahic est une superbe métaphore de la dictature de la Roumanie communiste.

    J’ai choisi de lire ce livre à cause, bien évidemment, de ce thème très original. J’étais tentée pendant les soixante premières pages d’en faire une lecture très littérale. Des hommes et femmes atteints par la lèpre sont enfermés dans la dernière léproserie d’Europe. Ils essayent de se débrouiller tant bien que mal dans un univers hostile, où l’enfermement leur est imposé par leur maladie mais surtout par une société qui ne veut pas voir ses « moutons noirs ». Il n’y a pas ou peu de médicaments, pas ou peu de nourritures, pas d’aide pour tout de ce qui est du quotidien (aller chercher du bois, enterrer les corps). L’auteur décrit très précisément la maladie et ses effets sur le corps ainsi que l’histoire des lépreux au cours de l’Histoire. Toute cette partie m’a déjà énormément intéressé.

    À côté de la léproserie, il y a une usine qui sera le témoin des évènements de la révolution roumaine. On verra les scènes de joie, de résistance, de répression … À partir du moment où la Révolution commence dans l’usine, l’atmosphère de la léproserie commence aussi à changer.

    Là où avant le fait qu’il y ait un « petit chef » ne dérangeait pas, il y a maintenant une rébellion des autres malades. Là où les gens vivaient en bonne harmonie dans la pauvreté, il y a conflits (qui seront même poussés jusqu’au meurtre). Comme le dit Claudio Magris, on peut sans aucun doute dire que la léproserie est une métaphore, pour l’auteur, de la Roumanie en pleine révolution. La léproserie, en pleine Révolution (où on essaiera de départager les plus faibles des plus forts), subit les attaques de chiens affamés, attirés par la putréfaction des chairs. Métaphore sans aucun doute de pays cherchant à récupérer la Révolution. Il y a aussi aussi tout ce qui est départ à l’ouest ou à l’est (les malades se scindent en deux groupes : seuls ceux de l’ouest survivront).

    Le plus tragique est la conclusion proposée par l’auteur : le néant qu’il reste après l’incendie de la léproserie. Je ne sais pas si c’est son premier roman mais en tout cas c’est le premier roman traduit en français. J’ai beaucoup aimé et je suivrais sans aucun doute les autres traductions. Si vous êtes petite nature, ne vous attardez pas sur ce livre. J’ai lu un commentaire qui disait que les descriptions de la maladie étaient un peu glauques.

    Références

    Les enfants de Hansen de Ognjen SPAHIC – traduit du monténégrin par Mireille Robin et Alain Cappon (Gaïa, 2011)

     

  • Le tableau ci-contre représente l’écrivain Leonid Andreïev (1871 – 1919), peint par Ilya Repine (tableau visible à la galerie Tretiakov). Je ne le connaissais pas du tout avant d’aller faire un tour sur le site de La bibliothèque russe et slave. Bien sûr, je n’ai pas choisi son œuvre la plus connue : Les Sept Pendus. J’aurais peut être due car autant j’ai été convaincue par le style, par la narration, autant l’histoire m’a parue bien mais sans plus (on va dire un peu trop morale à mon goût, ou plus exactement un peu trop sage).

    Kijnakof s’approcha le dernier de tous. Pendant un instant ses doigts se trouvèrent en contact avec quelque chose de vivant, de duveté comme du velours, et si délicat et si frêle que ses doigts lui semblèrent devenir étrangers à lui-même et délicats eux aussi. Alors, le cou tendu, le visage insconsciemment illuminé par un sourire de bonheur singulier, le voleur, la prostituée, l’homme solitaire et perdu restèrent là, autour de cette petite vie, chétive comme un feu dans la plaine, qui les appelait vaguement pour les mener on ne sait où, promettant quelque chose de beau, de lumineux, d’immortel, les regardait avec orgueil, tandis qu’au-dessus du plafond bas s’étageait la lourde masse de pierres de la maison, dont les chambres spacieuses étaient habitées par des gens riches qui s’ennuyaient.

    Un homme dépressif, que la mort guette, habite un appartement collectif avec ce que l’on pourrait appeler le « bas-fond » de la société. Par quelques circonstances, arrive un jour dans cet appartement une femme, mère célibataire, et son nouveau-né. Ils réconcilient tous les habitants (c’est le sens de l’extrait que l’on peut lire au-dessus). Je trouve que cela fait vraiment un peu trop Jésus et Vierge Marie. On se dit qu’après tout le monde va avoir une vie plus heureuse, plus belle, pleine de richesse dans le cœur. Mais en fait pas du tout. La dernière phrase de la nouvelle est, en parlant de l’homme dépressif,

    Mais à son chevet, la mort avide s’était déjà assise, sans bruit, et elle attendait, calme, patiente et obstinée.

    C’est ce qui fait que je n’ai pas compris. Qui faut-il voir en Leonid Andreïev ? Un écrivain chrétien ? Ou pas ? Je vais continuer à explorer ses textes pour comprendre (les éditions José Corti ont tout de même édité toute son œuvre)(en tout cas, il y en a six volumes).

    Références

    Dans le sous-sol (1901) de Leonid ANDREÏEV – traduction de Serge Persky, parue dans la Revue bleue, série 4, tome 20, 1903.

  • Le Malheur : nouvelle hautement actuelle. Un marchand « découvre » qu’il a trempé dans des affaires louches après l’arrestation du directeur de la banque locale. Il crie son innocence à tout-va et ne se rend jamais compte que finalement ne pas voir est aussi grave que d’avoir fait.

    Graine errante : rencontre entre deux hommes en pèlerinage au monastère de Sviatogorsk (ou Svyatogorsk en Ukraine). Un homme écoute, l’autre parle de sa conversion à l’orthodoxie dans le but d’atteindre son but ultime, la connaissance. Une quête qu’il n’est pas près de terminer puisque c’est un but inatteignable. Il errera toute sa vie.

    L’uniforme du capitaine : un tailleur trouve normal qu’un capitaine ne le paie pas pour son travail car un capitaine est un homme fort éduqué et instruit. Quand le tailleur insiste sur l’ordre de sa femme, le tailleur se fait souffleter.

    Chez la maréchale de noblesse : une veuve, qui a perdu son mari à cause de l’alcool, veut instaurer la tempérance dans son district. Elle organise chaque année une messe et un repas gargantuesque en l’honneur de son défunt mais sans alcool. Cependant, les invités trouvent toujours moyen de boire en cachette. Elle ne s’aperçoit de rien et se félicite même. Nouvelle très ironique et très drôle surtout, cherchant à dénoncer le penchant non réfréné pour l’alcool à l’époque (enfin on suppose).

    Vieillesse : raconte la rapacité d’un avocat et l’impossibilité pour un vieil homme de pleurer une femme, d’avec laquelle il a divorcé après lui avoir donner de l’argent pour qu’elle prenne tous les torts. Celle-ci a cherché à le dépenser dans l’alcool et la débauche, se repentant l’a redonné à l’avocat qui a tout gardé pour lui et quand elle a voulu le reprendre, il ne lui a rien redonné et l’a laissé pourrir dans la misère. D’une tristesse !

    « Vieillesse ! songeait-il. Il n’est qu’un plaisir, les larmes, et elles ne coulent pas !… »

    Angoisse : un cocher a perdu son fils cette semaine à l’hôpital mais il est obligé de continuer à travailler pour vivre. Il veut en parler à quelqu’un, essaye auprès de ses clients, qui ne pensent qu’à le battre pour aller plus vite, auprès de ses collègues qui ne l’entendent pas. Ils ne trouvent réconfort qu’auprès de son cheval. Tchekhov résume ici une vie de solitude.

    Les yeux de Iôna courent anxieux sur les groupes de gens qui se pressent des deux côtés de la rue. Ne se trouvera-t-il pas dans ce millier de gens quelqu’un pour l’entendre ? Mais les gens passent sans remarquer ni lui ni sa peine…

    Peine énorme, sans borne ! Si la poitrine de Iôna éclatait et si son angoisse s’en répandait, il semble qu’elle inonderait le monde entier, et pourtant nul ne la voit ! Elle a su se loger dans une enveloppe si mince qu’on ne la verrait même pas en plein jour avec une lumière…

    Toutes ces nouvelles sont extrêmement courtes et réussies (un peu beaucoup triste aussi) dans le sens où Tchekhov arrive à nous faire sentir une époque (et aussi à dénoncer les travers de cette époque). Comme Dans le bas-fond, le narrateur n’intervient pas et ne juge pas même si les personnages donnent leurs sentiments. Il n’y a pas de morale au sens propre du terme, de conclusion ou de chute mais pour l’instant, je n’ai été déçue par aucune nouvelle.

    Références

    Nouvelles regroupées dans le recueil Salle n°6 de Anton TCHEKHOV – traduit du russe par Denis Roche (Plon, 1961)

  • Quatrième de couverture

    « Je suis un homme ridicule. Maintenant, ils disent que je suis fou. Ce serait une promotion, s’ils ne me trouvaient pas toujours aussi ridicule. Mais maintenant je ne me fâche plus, maintenant je les aime tous, et même quand ils se moquent de moi… »

    Lassé du monde, détourné du suicide par une rencontre fortuite, le héros de ce monologue imprécatoire plonge dans un profond sommeil. Son rêve le conduit alors vers un univers utopique, un double de la terre mais sans le péché originel, un monde où les hommes vivent bons, libres et heureux. Et c’est l’occasion  pour Dostoïevski de laisser libre cours à sa veine mystique, investissant son héros, de retour dans le quotidien des hommes après avoir touché de près l’idée du bonheur, d’une mission évangélique.

    Fédor Dostoïevski (1821-1881) écrit Le Rêve d’un homme ridicule en 1877. Il s’agit d’un récit inclus dans Le Journal d’un écrivain, qui paraît plus ou moins régulièrement de 1873 à 1881 et où Dostoïevski prend position en nationaliste et en chrétien sur les grands problèmes de son temps.

    Deux extraits

    […] à la fin, toute ma science universitaire, pour moi, c’était comme si elle n’était là que pour une chose, pour me prouver et m’expliquer, au fur et à mesure que je l’approfondissais, que j’étais ridicule. [pp. 11-12]

    Le deuxième extrait vient des hommes utopiques, une fois qu’ils ont découvert le monde.

    « Tant pis si nous sommes faux, méchants, injustes, nous le savons, et nous pleurons, nous nous martyrisons et nous punissons plus, peut-être, même, que ce Juge miséricordieux qui nous jugera et dont nous ignorons le nom. Mais nous avons la science, et c’est par là que nous retrouverons la vérité, mais, cette fois, nous la recevrons en toute conscience. La connaissance est supérieure aux sentiments,la connaissance de lla vie – supérieure à la vie. La science nous donnera la sagesse, la sagesse nous révélera les lois, et la connaissance des lois de la sagesse est supérieure à la sagesse. » [p. 53]

    Mon avis

    Je me rappelle bien quand j’ai acheté ce livre. C’était il y a deux ans au salon du livre et il y avait un bandeau « parfait pour découvrir Dostoïevski ».

    J’ai enfin compris la différence si fondamentale pour les connaisseurs entre Tolstoï et Dostoïevski. Il est vrai que Tolstoï écrit des récits très calmes et très construits et ce même en apparence. Par exemple, cette année, j’ai écouté le livre lu de Maître et Serviteur (la version de Gallimard / Ecoutez Lire). L’auteur avait un petit accent et lisait d’une manière très calme, très posée, comme si finalement l’histoire allait se dérouler d’elle même, que le narrateur ne faisait que raconter et les personnages faisaient l’histoire seule. Même dans les moments tragiques, il y avait une sorte de dignité. Dans ce texte de Dostoïevski c’est le narrateur, l’homme ridicule, qui raconte. Il pense rapidement un peu aussi rapidement que moi quand je parle et c’est ce que va écrire Dostoïevski. Il y a un côté chien fou.

    Pour l’histoire, j’ai apprécié la réflexion qui est amenée sur la différence entre les croyances (dans le sens où on croit sans forcément comprendre) et la science qui cherche à mettre dans notre conscience nos croyances (c’est le sens des extraits que j’ai choisi). Finalement, la supériorité est-elle dans le fait que l’on comprend ce que l’on croit (et finalement que l’on est libre de choisir ce que l’on croit) ou dans le fait que l’on croit. Dostoïevski apporte clairement sa réponse (qui n’est pas forcément celle de tout le monde) en choisissant le parti des croyances car d’après lui, elles permettent de mieux vivre en harmonie. Je trouve que le texte a le mérite de poser clairement cette réflexion qui est encore actuelle aujourd’hui. De plus, la description du monde topique est vraiment utopique est vraiment fascinante (peut être parce qu’il n’existe pas), ainsi que celle de l’après « péché originel ».

    Références

    Le rêve d’un homme ridicule de Fédor DOSTOÏEVSKI – récit traduit du russe par André Markowicz (Actes Sud / Babel, 1993)

     

  • Deuxième nouvelle du recueil. Cette fois-ci, Tchekhov n’est plus dans la réflexion sur le classement arbitraire des personnes. Il n’y a pas de tirades, pas de sentences qui expriment en une phrase ce que nous expliquerions en cinquante sans arriver à faire sentir la même chose. Ici, Tchekhov illustre et ne juge pas.

    La famille Tsyboukine habite un petit village et y exerce les fonctions du commerce. Ils ne sont pas reconnus pour leur honnêteté. Il y a Grigori Petrovitch, le patriarche, les deux fils Anissime (qui sert dans la police à la section de recherche et n’habite donc pas à la maison) et Stépane (sourd et un peu bête, qui a pris la voie de son père). Il y a Akssinia, la femme de Stépane qui dirige tout, ouvrière consciencieuse et vénale. Elle arrivera à prendre une place de plus en plus importante dans la famille pour finalement la diriger malgré la présence de la jeune femme de Grigori Petrovitch, Varvara Nikolaevna, pieuse et un peu dépassée par la personnalité de sa nouvelle famille.

    Le seul soucis est que Anissime n’est pas marié. On va lui choisir la jeune et inexpérimentée Lipa. Pour elle, cela sera le début de tout ses malheurs (mais vraiment affreux, affreux). La fin dira que finalement, la meilleure personne n’est pas celle qui a le plus d’argent mais bien celle qui a le plus de cœur.

    Comme dans La salle n°6, Tchekhov décrit par le menu tous les membres de la famille ainsi que leurs généalogies. Cela donne une impression de foisonnement comme si on s’installait dans un roman (alors que c’est une nouvelle). On rentre dans les péripéties de la famille et on ne voit pas où il veut en venir, jusqu’à l’accident. Le malheur est arrivé. Il ne reste plus qu’à voir comment cela va se poursuivre. J’ai trouve que la structure ressemblait beaucoup à celle de La salle n°6.

    Dominique faisait aussi remarquer que finalement dans La salle n°6, on sentait une empathie de l’auteur pour les malheurs d’autrui. Ici aussi, bien évidemment. Cependant, je n’ai pas eu l’impression qu’il dénonçait quelque chose, comme si l’auteur n’intervenait pas et laissait faire ses personnages.

    Références

    Dans le bas-fond de Anton TCHEKHOV – traduit du russe par Denis Roche (Plon, 1961)

  • L’autre jour, j’ai raté un entretien d’embauche. En fait pas vraiment. Les deux personnes que j’avais en face de moi m’ont juste expliqué que j’étais imbécile. J’avais du coup besoin de me remonter le moral. Je suis allée à la librairie bien évidemment et cela avait bien agit. Mais ce n’était pas suffisant. Alors j’ai écumé ma PAL, tout déplacé (parce que cela me détend) et j’ai retrouvé ce livre. Dedans, il y avait une dédicace de ma maman et cela m’a fait plus que plaisir « Comme le temps passe. Déjà 22 ans. Je t’aime. Maman » (je vais sur 29 ans en janvier. Cela vous donne une idée du temps que les livres passent dans ma PAL).

    Ngaio Marsh est une néo-zélandaise qui écrit des romans qui se passe dans la campagne anglaise, avec tout ce qui va avec : le thé, les commérages, le microcosme où il y a forcément un meurtrier. Surtout, il y a le beau Roderick Alleyn, beau, cultivé et très gentil (j’en étais amoureuse quand j’étais jeune)(la honte est que j’avais 18 ans) et marié avec Troy, le célèbre peintre plein de talent. Tout cela est magnifique. Il y a toujours une petite vieille, pas forcément si vieille que cela d’ailleurs, qu’il prend en sympathie et qui l’aide dans son enquête. Il y a aussi toujours un inspecteur qui lui sert de faire valoir. Ici, c’est l’inspecteur Fox, qu’il appelle l’ami Fox (c’est les bizarreries de la traduction à mon avis). En gros, c’est de la structure plus que classique.

    En général aussi, le meurtre se passe vers la 100ième page et le dénouement est très proche de la fin. Ici, cela n’échappe pas à la règle puisque Roderick Alleyn arrive après l’enquête car il y a encore des doutes. La quatrième de couverture nous dit :

    Deux fois veuve, Sybil, héritière d’une grosse fortune, de goûts snobs, d’un beau-fils affreux et d’une propriété ravissante, était d’autant moins femme à se suicider qu’une grande joie venait de lui arriver. Pourtant, depuis quelque temps, Sybil paraissait changée et avait été très contrariée que sa fille préférât un autre garçon au prétendant qu’elle lui destinait. Trop d’ombre entoure sa mort pour que le perspicace Roderick Alleyn, flanqué de l’inspecteur Fox, laisse classer l’affaire. Une intrigue machiavélique et tout le charme d’un village anglais, pour les nostalgiques d’Agatha Christie [c’est un peu surestimé Ngaio Marsh à mon avis].

    Ce qui est bien dans ce volume, c’est qu’il y a vraiment beaucoup de rebondissements, des faits dans l’enquête qui apparaissent au fur et à mesure mais aussi des faits que l’inspecteur n’avait pas remarqué. Le tout saupoudré d’un peu d’actions donne une lecture vraiment très plaisante.

    Je me suis intéressée à cette série au moment où 10/18 republiait les deux premiers tomes de toutes leurs séries mais ne republiaient jamais les autres ; et du coup, il ne restait plus qu’à faire les bouquinistes et les brocantes (d’un autre côté, on en revendait plein parce que plein de monde les avaient achetés). Cela me manque ce côté série que l’on suit à vie, que l’on ouvre en sachant où on met les pieds, où on ne prend jamais le risque d’être déçu, où il n’y a pas de violences (des meurtres, un peu quand même) et que des nobles sentiments (même si tout le monde s’en veut). Le petit côté Barnaby quoi … Je vais m’y remettre, un peu, je pense.

    Références

    Affaire à enterrer de Ngaio MARSH – traduit de l’anglais par Maurice-Bernard Endrèbe (10/18, 2000)

    P.S. Pour l’anecdote, mes parents, surtout ma mère, s’inquiétait car elle croyait que 10, 18 étaient les âges pour lesquels étaient destinés ces romans (elle les lisait aussi ; elle n’était pas snob). Quand je lui ai expliqué que c’était le format, elle m’en a acheté un par semaine en faisant les courses (maintenant vous voyez combien je peux avoir de 10/18 dans ma bibliothèque).