Ce livre est dans ma Pile À Lire depuis 1998. Ma prof de français de seconde (elle portait très mal son nom : elle était aussi joyeuse qu’un jour d’enterrement) nous a parlé de La Religieuse de Diderot en nous expliquant que l’héroïne était rousse car elle était le fruit du péché et que sa famille l’avait enfermée dans un couvent pour expier les péchés de la famille entière. J’avais dit à ma mère (c’était elle qui achetait les livres à l’époque) que cela avait l’air trop bien cette histoire et qu’il fallait qu’on l’achète pour la lire (parce que nous n’avions pas de bibliothèque familiale à l’époque ; j’ai réparé cela depuis). Voyage suivant à Gibert Jeune (nous n’avions pas encore découvert Gibert Joseph) : on le trouve d’occasion dans une édition publiée en 1989. Nous le prenons. Je rentre à la maison. Je l’ouvre. Je lis trois pages (en témoigne des notes parce que la même prof de français nous avait dit qu’il était important de faire des fiches sur les classiques). Je le referme parce que je trouve ça chiant. Maintenant, vous comprenez pourquoi je me suis dirigée vers des études scientifiques.
2012. Ys met dans son challenge ce livre. Pensant avoir légèrement progressé intellectuellement, je me dis que c’est le moment de le lire pour le sortir de mes piles. Cela a marché ! J’ai trouvé que le roman était excellent mais je n’ai absolument pas vu où il était que l’héroïne Suzanne Simonin était rousse (soit j’ai mal lu (j’étais très concentré pour trouver ce fameux détail pourtant) soit même la prof de français ne l’avait pas lu).
Je l’ai lu en partie en version électronique sur la bibliothèque électronique du Québec et en partie dans l’édition du livre de poche que ma maman m’avait achetée. Je commence donc par la version électronique. La première phrase est assez énigmatique puisqu’il est écrit
La réponse de M. le marquis de Croismare, s’il m’en fait une, me fournira les premières lignes de ce récit.
Je me suis demandée qui était ce marquis et j’ai passé. Il s’avère dans la suite que Suzanne Simonin nous raconte son histoire. Ses parents avaient trois filles dont elle. Le problème est que sa mère n’avait pas couché avec son père pour l’avoir (mais avec un autre homme rassurez vous) et qu’elle s’en est repenti toute sa vie. Il paraît que d’après la Bible les enfants paient les péchés de leurs parents. La mère décide donc que les deux « vraies » filles seront favorisées. Elle enferme Suzanne au couvent. Pendant ce temps, elle marie les deux autres avec des dots très importantes (quitte à ruiner les chances de mariage de Suzanne). Pour l’héritage, au moment du décès, il en sera de même.
Mais les deux filles une fois mariées, il n’est pas question de sortir Suzanne du couvent. Elle doit prendre l’habit de gré ou de force. Au terme de son noviciat, elle ne veut pourtant pas. Avec un chantage affectif, cependant, sa mère arrivera à ses fins (la narratrice sera plus ou moins forcée à dire oui). Suzanne intentera un procès pour que ses vœux soient déclarés comme faux. Il s’ensuivra alors des persécutions physiques et psychiques. Elle ne gagnera pas mais sera changé de couvent : elle passera de Longchamp à Sainte-Eutrope près d’Arpajon. Ce ne sera pas beaucoup mieux car elle s’attire les assiduités de sa Supérieure (celle-ci étant très amoureuse), qui est d’humeur changeante et pour qui Dieu n’est pas une priorité. Elle réussira à s’enfuir (même si cela ressemble un peu à un enlèvement). Elle écrira alors ce mémoire pour solliciter l’aide du marquis de Croismare.
Tout au long du texte, on découvre plusieurs choses : le sort qui était réservé aux jeunes filles à l’époque mais aussi le fait que les religieuses restent avant tout humaines et peuvent donc avoir tous nos traits de caractères. Sœur Suzanne connaîtra trois Supérieures : une « ascétique », une « cupide » et une « d’une sensualité éperdue qui fait vivre tout le couvent en fête » (ces termes viennent de la quatrième de couverture du livre de poche). Ses consœurs ne sont pas épargnées car elles peuvent être gentilles tout autant que jalouses et perverses. Diderot nous dépeint aussi très bien un esprit de groupe qui est très fort : une fois que l’on a trouvé une bouc-émissaire, on tape dessus ! D’après Diderot, cet effet de groupe est encore accentué par le fait que les religieuses sont oisives et recluses.
Ce que j’ai aimé tout au long de ce texte, c’est l’impression d’intimité, de vérité, de sincérité et de candeur qui s’en dégage. On n’a jamais l’impression d’une charge contre la vie dans les couvents (et pourtant s’en est une). Cela fait vrai. L’écriture est des plus agréables et compréhensibles (il n’y a pas besoin de notes de bas de pages ou de fin d’ouvrage pour comprendre le livre). Cela prouve que j’ai progressé depuis la seconde.
Au cours de la lecture, il faut garder en tête que l’histoire est inspirée d’un fait réel, celui de Marguerite Delamarre (1758) et que la sœur de Diderot est morte au couvent à l’âge de 29 ans.
Une fois fini le livre électronique fini, j’ai ouvert le livre papier car il y avait une postface constituée de lettres entre Suzanne Simonin, le marquis de Croismare et une Madame Madin. Naïvement, je croyais que cela faisait partie du livre mais en fait non. C’est plutôt des lettres qui expliquent le contexte de la création du livre. Le livre a été commencé en 1760 dans un contexte bien particulier. Diderot et ses amis voulaient attirés de nouveau le marquis de Croismare car il leur manquait depuis qu’il s’était « exilé » en Normandie. Ayant porté intérêt au cas de Marguerite Delamarre, ils sont utilisés ce fait pour essayer de faire bénéficier la religieuse de ses bontés en sollicitant son aide. Le truc est que cela n’a pas marché pour diverses raisons et qu’ils ont dû se dénoncer (le marquis l’ayant bien pris ; on est homme de bien ou on ne l’est pas). Pourtant Diderot gardera cette histoire en tête et retravaillera les mémoires fictives de Suzanne en 1780. Une partie en sera publié en feuilleton entre 1780 et 1782 et le tout à titre posthume (il avait déjà eu des ennuis avec l’Église) en 1796.
Si vous lisez ce livre (ou si vous l’avez lu), j’espère que vous me direz où est-ce qu’il est dit que l’héroïne est rousse (si c’est vrai).
Références
La Religieuse de Denis DIDEROT (Livre de Poche, 1989)
Pour la petite histoire, c’est la même prof qui nous avait fait une interrogation sur Madame Bovary mais un peu spéciale où il fallait savoir de quel type était la voiture utilisé pour tel voyage, la couleur du chien, combien il y avait de médicaments de la pharmacie. En gros, elle ne nous interrogeait pas sur l’histoire, sur ce que l’on en avait pensé ou quoi que ce soit mais sur des détails qui devaient pour elle être mémorable et nous rendre l’œuvre à nous aussi mémorable.
Livre lu donc dans le cadre des 12 d’Ys dans la catégorie Classiques français (catégorie que je n’avais pas encore faite).