Cecile's Blog

  • Ce livre est dans ma Pile À Lire depuis 1998. Ma prof de français de seconde (elle portait très mal son nom : elle était aussi joyeuse qu’un jour d’enterrement) nous a parlé de La Religieuse de Diderot en nous expliquant que l’héroïne était rousse car elle était le fruit du péché et que sa famille l’avait enfermée dans un couvent pour expier les péchés de la famille entière. J’avais dit à ma mère (c’était elle qui achetait les livres à l’époque) que cela avait l’air trop bien cette histoire et qu’il fallait qu’on l’achète pour la lire (parce que nous n’avions pas de bibliothèque familiale à l’époque ; j’ai réparé cela depuis). Voyage suivant à Gibert Jeune (nous n’avions pas encore découvert Gibert Joseph) : on le trouve d’occasion dans une édition publiée en 1989. Nous le prenons. Je rentre à la maison. Je l’ouvre. Je lis trois pages (en témoigne des notes parce que la même prof de français nous avait dit qu’il était important de faire des fiches sur les classiques). Je le referme parce que je trouve ça chiant. Maintenant, vous comprenez pourquoi je me suis dirigée vers des études scientifiques.

    2012. Ys met dans son challenge ce livre. Pensant avoir légèrement progressé intellectuellement, je me dis que c’est le moment de le lire pour le sortir de mes piles. Cela a marché ! J’ai trouvé que le roman était excellent mais je n’ai absolument pas vu où il était que l’héroïne Suzanne Simonin était rousse (soit j’ai mal lu (j’étais très concentré pour trouver ce fameux détail pourtant) soit même la prof de français ne l’avait pas lu).

    Je l’ai lu en partie en version électronique sur la bibliothèque électronique du Québec et en partie dans l’édition du livre de poche que ma maman m’avait achetée. Je commence donc par la version électronique. La première phrase est assez énigmatique puisqu’il est écrit

    La réponse de M. le marquis de Croismare, s’il m’en fait une, me fournira les premières lignes de ce récit.

    Je me suis demandée qui était ce marquis et j’ai passé. Il s’avère dans la suite que Suzanne Simonin nous raconte son histoire. Ses parents avaient trois filles dont elle. Le problème est que sa mère n’avait pas couché avec son père pour l’avoir (mais avec un autre homme rassurez vous) et qu’elle s’en est repenti toute sa vie. Il paraît que d’après la Bible les enfants paient les péchés de leurs parents. La mère décide donc que les deux « vraies » filles seront favorisées. Elle enferme Suzanne au couvent. Pendant ce temps, elle marie les deux autres avec des dots très importantes (quitte à ruiner les chances de mariage de Suzanne). Pour l’héritage, au moment du décès, il en sera de même.

    Mais les deux filles une fois mariées, il n’est pas question de sortir Suzanne du couvent. Elle doit prendre l’habit de gré ou de force. Au terme de son noviciat, elle ne veut pourtant pas. Avec un chantage affectif, cependant, sa mère arrivera à ses fins (la narratrice sera plus ou moins forcée à dire oui). Suzanne intentera un procès pour que ses vœux soient déclarés comme faux. Il s’ensuivra alors des persécutions physiques et psychiques. Elle ne gagnera pas mais sera changé de couvent : elle passera de Longchamp à Sainte-Eutrope près d’Arpajon. Ce ne sera pas beaucoup mieux car elle s’attire les assiduités de sa Supérieure (celle-ci étant très amoureuse), qui est d’humeur changeante et pour qui Dieu n’est pas une priorité. Elle réussira à s’enfuir (même si cela ressemble un peu à un enlèvement). Elle écrira alors ce mémoire pour solliciter l’aide du marquis de Croismare.

    Tout au long du texte, on découvre plusieurs choses : le sort qui était réservé aux jeunes filles à l’époque mais aussi le fait que les religieuses restent avant tout humaines et peuvent donc avoir tous nos traits de caractères. Sœur Suzanne connaîtra trois Supérieures :  une « ascétique », une « cupide » et une « d’une sensualité éperdue qui fait vivre tout le couvent en fête » (ces termes viennent de la quatrième de couverture du livre de poche). Ses consœurs ne sont pas épargnées car elles peuvent être gentilles tout autant que jalouses et perverses. Diderot nous dépeint aussi très bien un esprit de groupe qui est très fort : une fois que l’on a trouvé une bouc-émissaire, on tape dessus ! D’après Diderot, cet effet de groupe est encore accentué par le fait que les religieuses sont oisives et recluses.

    Ce que j’ai aimé tout au long de ce texte, c’est l’impression d’intimité, de vérité, de sincérité et de candeur qui s’en dégage. On n’a jamais l’impression d’une charge contre la vie dans les couvents (et pourtant s’en est une). Cela fait vrai. L’écriture est des plus agréables et compréhensibles (il n’y a pas besoin de notes de bas de pages ou de fin d’ouvrage pour comprendre le livre). Cela prouve que j’ai progressé depuis la seconde.

    Au cours de la lecture, il faut garder en tête que l’histoire est inspirée d’un fait réel, celui de Marguerite Delamarre (1758) et que la sœur de Diderot est morte au couvent à l’âge de 29 ans.

    Une fois fini le livre électronique fini, j’ai ouvert le livre papier car il y avait une postface constituée de lettres entre Suzanne Simonin, le marquis de Croismare et une Madame Madin. Naïvement, je croyais que cela faisait partie du livre mais en fait non. C’est plutôt des lettres qui expliquent le contexte de la création du livre. Le livre a été commencé en 1760 dans un contexte bien particulier. Diderot et ses amis voulaient attirés de nouveau le marquis de Croismare car il leur manquait depuis qu’il s’était « exilé » en Normandie. Ayant porté intérêt au cas de Marguerite Delamarre, ils sont utilisés ce fait pour essayer de faire bénéficier la religieuse de ses bontés en sollicitant son aide. Le truc est que cela n’a pas marché pour diverses raisons et qu’ils ont dû se dénoncer (le marquis l’ayant bien pris ; on est homme de bien ou on ne l’est pas). Pourtant Diderot gardera cette histoire en tête et retravaillera les mémoires fictives de Suzanne en 1780. Une partie en sera publié en feuilleton entre 1780 et 1782 et le tout à titre posthume (il avait déjà eu des ennuis avec l’Église) en 1796.

    Si vous lisez ce livre (ou si vous l’avez lu), j’espère que vous me direz où est-ce qu’il est dit que l’héroïne est rousse (si c’est vrai).

    Références

    La Religieuse de Denis DIDEROT (Livre de Poche, 1989)

    Pour la petite histoire, c’est la même prof qui nous avait fait une interrogation sur Madame Bovary mais un peu spéciale où il fallait savoir de quel type était la voiture utilisé pour tel voyage, la couleur du chien, combien il y avait de médicaments de la pharmacie. En gros, elle ne nous interrogeait pas sur l’histoire, sur ce que l’on en avait pensé ou quoi que ce soit mais sur des détails qui devaient pour elle être mémorable et nous rendre l’œuvre à nous aussi mémorable.

    Livre lu donc dans le cadre des 12 d’Ys dans la catégorie Classiques français (catégorie que je n’avais pas encore faite).

  • L’objet livre est magnifique en lui-même. Il est sous la forme d’un vieux grimoire : la tranche est celle d’un vieux livre lu et relu, la couverture est elle-aussi faussement usé. Au toucher, on sent le grain du carton (je ne sais pas si on dit comme cela mais si ce n’est pas le cas Matilda nous éclairera de son savoir). L’intérieur (juste après la couverture) est comme les vieux livres aussi. Vous savez les dessins tout coloré en zig-zag, comme en volute. Si vous ne voyez pas, il faut aller feuilleter le livre chez votre libraire ou à la bibliothèque. Ce sera sans aucun doute plus clair. Le seul truc qui cloche, le prix assez élevé (même si c’est une intégrale et qu’il y a quand même un sacré soin pour le livre).

    Je ne regrette pas ma lecture. Je ne connaissais pas avant de voir ce titre dans la liste d’Ys mais les commentaires lus sur Amazon m’ont persuadé. Il s’agit de 16 « historiettes criminelles », historiettes car ce sont des histoires très courtes, 8 à 10 pages à peu près.

    Green Manor est un club pour gentlemen dans le Londres victorien, un club d’un genre un peu particulier puisque les membres sont un tantinet obsédés par le crime : la réalisation, la résolution, la théorie.

    Chacune des histoires est marquée par l’humour. Un humour anglais, c’est-à-dire avec une dose d’ironie dans la conclusion, un côté « c’est la vie qui se venge ».

    On peut citer par exemple l’historiette qui s’appelle Jeux d’enfants. Un serveur du club se fait humilier systématiquement par un des membres du club. Un autre se vante de pouvoir faire assassiner qui il veut sans jamais être mis en cause. Il propose de faire profiter de ses relations au serveur, un peu comme si il parlait à une âme inférieure comparée à lui et son intelligence. Le serveur commence par lui expliquer que ce n’est absolument pas morale mais il insiste. Le serveur trouve le moyen de lui faire payer pour ses crimes en utilisant ses anciens jeux d’enfants.

    Il y a dans une autre nouvelle deux gentlemen qui essaient de se tuer mutuellement pendant une semaine pour savoir qui est le meilleur. À  la fin de la semaine, pas de réponse mais deux morts tout de même.

    Bien sûr, comme on parle de l’époque victorienne, deux de nos gentlemen essaye de tuer Conan Doyle en lui projetant du haut d’un clocher 21 hallebardes sur la tête au cours d’une conférence.

    J’ai trouvé que les historiettes étaient toutes réussies chacune dans son genre avec comme je le disais une constance sur l’humour anglais.

    Les dessins ne m’ont pas subjugué mais j’ai trouvé qu’ils servaient parfaitement l’histoire : les décors retranscrives bien l’époque et les visages les émotions des personnages. Un point important : le dessinateur n’a pas dans sa palette qu’une seule forme de visage. Chacun est différent et caractéristique. Cela permet de les reconnaître très facilement.

    C’est donc un très bel album avec à l’intérieur des histoires criminelles où il est important que le crime soit élégant. Vous sourirez sans aucun doute (à mon avis).

    Références

    Green Manor – l’intégrale de Denis Bodart (dessins), Fabien Vehlmann (scénario), Scarlett (couleurs de tous les épisodes), Denis Bodart et Étienne Simon (couleurs des épisodes de 12 à 16) (Dupuis, 2010)

    Livre lu dans le cadre des 12 d’Ys dans la catégorie Romans graphiques / Intégrales.

  • Présentation de l’éditeur

    Ce sont les années de l’Occupation. Jérôme Bourdaine est un dandy, un « bavard et joueur, buveur et coureur, adepte de la vie considérée malgré tout comme une valse ». Un jour il décide de s’installer dans un hôtel niché sur les hauteurs de Monte-Carlo. Il se retrouve dans un lieu au charme désuet et suspendu où il est accueilli par un étrange couple d’aubergistes, gardiens des fantômes d’une époque révolue. Après des journées solitaires et rêveuses, l’arrivée inattendue de deux nouveaux hôtes change la donne.

    Mon avis

    C’est le libraire qui m’a dit que ce livre était bien. Il est tout timide mon libraire alors quand il me voit regarder la table des coups de cœur et qu’il s’arrête dans son travail pour m’en parler, je trouve cela trop gentil. Enfin, maintenant, je commence un peu à le connaître, il est timide et contemplatif, il regarde beaucoup, réfléchit mais n’en pense pas moins. Il rêve d’évasion aussi. Je l’aime beaucoup mon libraire, en tout cas l’image que ses goûts littéraires donnent de lui.

    J’ai lu récemment que ce qui faisait fuir un blogueur c’était les digressions. Il aimait qu’un blog de lecture ne parle que de lectures. J’en suis bien incapable parce que je pense qu’un livre ne s’apprécie pas forcément de la même manière suivant les différents moments de la vie, vacances, travail, stress, malheur et bonheur, mais aussi suivant l’endroit où on le lit, dans les transports (avec la folle qui parle au téléphone juste en face de vous et qui s’étonne que vous fermiez votre livre parce que vous n’arrivez pas à vous concentrer un minimum), dans votre lit, dans le silence, dans le bruit, dans le jardin. Il n’y a que les gens dont c’est le métier qui peuvent prétendre à reconnaître le « niveau » d’un livre de manière objective, sans tenir compte des contraintes extérieures. J’ai la chance d’être lectrice et non journaliste littéraire ou critique universitaire alors j’en profite.

    Et c’est là où je voulais en venir. Je crois que Hôtel de la solitude est un livre qui ne s’apprécie pas n’importe où et où il faut être dans un certain état d’esprit. J’ai donc lu ce livre hier après-midi (il ne fait que 120 pages) dans mon jardin (je suis toujours en vacances) et au soleil (sous le parasol tout de même), allongée sur ma chaise longue. J’ai la chance d’avoir un jardin de bonne taille pour la région parisienne, d’avoir des voisins de droite au travail, une voisine de gauche discrète (c’est ma marraine si vous voulez tout savoir), qui m’a dit bonjour et qui après s’est occupé de son jardin en ne faisant qu’un clac-clac très régulier avec son sécateur avec son sécateur. Je n’ai pas de vis-à-vis car je suis juste derrière une ligne de RER. La nationale est suffisamment loin et il y a suffisamment d’arbres entre nous pour que je n’entende pas le bruit des voitures et que celui-ci soit couvert par les oiseaux. Je me suis donc mise sur le ventre sur ma chaise longue et j’ai commencé à lire, un peu comme dans un rêve, à moitié endormie, à moitié rêveuse (les lectures dans le jardin, c’est aussi des souvenirs d’enfance), en pleine torpeur. Je crois que c’est l’état d’esprit idéal pour aborder ce livre.

    Ce court roman de René Laporte a paru pour la première fois en 1944 et est aujourd’hui republié par Le dilettante qui a pris cette excellente habitude de nous faire redécouvrir des écrivains du XXième siècle légèrement oublié (ou inconnu dans mon cas).

    On est en plein dans les années d’Occupation. Jérôme Bourdaine, « bavard, « joueur » et « coureur » décide de prendre le vert dans un hôtel de La Turbie. La Turbie est apparemment, d’après les photos, un très joli petit village qui surplombe le rocher de Monaco et qui donne donc sur la mer. L’hôtel est un ancien palace déserté par les grands de ce monde. Depuis l’occupation ? Non pas du tout. Depuis que le chemin de fer à crémaillère que l’on prenait depuis Monte-Carlo s’est cassé : un chaînon de la crémaillère a cassé, le train est redescendu, a défoncé la gare. Bilan : 2 morts. Pour les deux personnes qui s’occupent de l’hôtel, c’est cela la catastrophe et non la guerre ou l’occupation. Ils ne semblent même pas s’en rendre compte (il n’achète pas au marché noir par exemple) car ils vivent dans leurs souvenirs de princes, de princesses, de roi, de reine, de riches joueurs. Tout l’hôtel semble vivre comme cela. On comprend que cela amène à Jérôme Bourdaine un sacré dépaysement. Il a l’impression de revivre son enfance (certains éléments du décor lui y font penser) mais aussi de s’échapper de la guerre. Un jour arrive deux nouveaux clients arrivent (Jérôme était seul jusqu’à présent). Un couple de slaves. Le mari n’est jamais là : il travaille en bas et la femme prend ses repas seule. Une histoire d’amour d’un autre temps commence (il n’aurait pu en être autrement dans un tel décor). En même temps, la guerre s’infiltre lentement dans le paysage.

    J’ai mis un peu de temps avant de rentrer dans le livre, le temps qu’il m’a fallu pour me rendre compte de l’état d’esprit du livre : celui de torpeur. Pourtant, j’étais prévenu dès le premier paragraphe :

    Dès le premier soir, la porte poussée, il était devenu citoyen d’un autre monde. Il y avait maintenant cinq jours qu’il habitait là et qu’il prenait le même incroyable plaisir à se sentir absent. Qui viendrait le chercher ici ? Cette impression qu’il dépistait toutes les polices de l’univers, qu’il compliquait les enquêtes sentimentales de ses maîtresses, qu’il contrariait les perquisitions intéressées de ses amis, comme elle était agréable ! Elle emplissait béatement le creux vaste de sa torpeur.

    Ce n’est pas évident car l’écriture de René Laporte au début du livre est en soubresaut. Il y a des phrases que j’ai du relire deux fois car le rythme m’avait échappé, la chute aussi d’ailleurs (cela m’a fait cela jusqu’à ce que Jérôme prenne ses marques dans sa chambre). J’ai trouvé que lorsque l’histoire s’installe, le style s’uniformise. De manière générale, celui-ci est très classique et élégant, ni sec ni redondant.

    J’espère que Le Dilettante proposera d’autres livres de cet auteur (il a une sacré bibliographie en plus).

    Références

    Hôtel de la solitude de René LAPORTE (Le dilettante, 2012)

  • Présentation de l’éditeur

    « C’est fou le temps que peut mettre un livre à brûler », songea-t-il. Et puis tant mieux. Certaines de ces pages en train de noircir lui revenaient en tête et lui inspiraient une grimace à la fois de dégoût et de honte.

    Richard Carter n’est pas, par inclination, un grand lecteur. Il a fallu qu’il tombe sur ce livre à la maison de la presse du bourg voisin. Un livre dont il est le héros. Enfin, façon de parler, car le « roman » en question, signé par un auteur inconnu, dévoile à mots à peine couverts des événements de sa vie qu’il croyait enfouis à jamais. Carter s’aperçoit que sont également mis en cause trois autres anglais installés comme lui en Dordogne. Qui est cet écrivain décidé à les conduire au désastre ? Quelles sont ses motivations ?

    Les esprits s’échauffent, le soupçon et la haine arrivent à ébullition… Jusqu’à provoquer l’irréparable.

    Louis Sanders déploie tout son talent pour tirer (au fusil de chasse) sur l’hypocrisie des Anglais de bonne famille. Des gens si bien, pourtant.

    Mon avis

    J’ai découvert ce livre en cherchant quels livres avaient reçu le Grand Prix du Roman Noir du festival de Cognac et en 2003, c’était ce livre dans la catégorie roman français. Pour information, je cherchais cela car en 1999 c’était Fin de chasse de Jean-Paul Demure que j’ai lu il n’y a pas longtemps.

    Le titre du livre fait référence à l’épigraphe du roman :

    It is my opinion that your detective stories are the normal recreation of snobbish, outdated, life-hating, ignoble minds. (Anthony Schaffer, Sleuth)

    Je suis de l’avis que vos histoires policières sont le passe-temps habituel d’âmes snobs, démodées, morbides et ignobles.

    L’histoire est exactement celle décrite par l’éditeur. On est en Dordogne, pays anglais en pleine France (on nous l’a assez souvent dit au journal télé), pays magnifique où nos immigrés anglais trouvent un bonheur inégalable entre gens de bonnes sociétés. Louis Sanders met un coup d’arrêt à tout cela.

    Un livre vient de paraître. Il fait du bruit dans cette région car il décrit par le menu les petits secrets d’Anglais de la région (escroqueries, meurtre par explosif, meurtre par empoisonnement). Le truc est que derrière les personnages de fiction, on reconnaît très facilement quatre personnes de la région. Enfin, ils se reconnaissent eux-mêmes surtout. Ils décident de se liguer car l’union fait la force pour retrouver le lâche qui écrit sous pseudonyme ! Il le trouve bien évidemment. Évidemment est un grand mot car ils sont tellement alcoolisés, désespérés et pas très intelligents qu’ils vont vers une solution assez immédiate. De même pour la résolution de leurs problèmes, ils décident de tuer le jour où ils pensent avoir trouver la solution dans une soirée autour d’une bouteille de whisky. Et pof ! deux décharges de chevrotines dans la tronche du gars ! Manque de chance, ce n’était pas le bon. Six mois après paraît la suite des esprits de nos quatre compères. Les esprits s’échauffent. Cela se termine dans le sang et l’alcool.

    Louis Sanders écrit un roman très drôle et très prenant. Très drôle car il a réussi à incarner une galerie de personnage très caricaturaux, dans leurs attitudes et manière de penser : il y a la hippie (comme dans les épisodes de Barnaby avec les choses feng-shui, les colliers de pensée …), le pacifique meurtrier, le faux aristocrate stupide qui se fait diriger par sa femme aux multiples amants, l’hypocondriaque qui couche avec son médecin (elle elle est français comme son frère le curé intégriste), le vieux imbu de sa personne. Ils sont tous plus ou moins alcoolos (en tout cas, ils passent tous leur temps à boire dans le livre). À ces personnages s’ajoutent le style de Louis Sanders alliant un style très libre (souvent parlé) et des petites piques pour ses personnages.

    Le livre est aussi très prenant car malgré tout, il y a l’enquête et la question de savoir qui a écrit le livre qui déclenche cette vendetta. J’avoue que je n’ai rien vu venir tellement j’étais en train de rigoler à cause des personnages. La solution n’est donnée qu’à la page 186 sur 188. C’est assez rare pour être souligné.

    C’est à mon avis une excellente lecture d’été surtout si vous êtes en Dordogne bien évidement !

    Références

    Passe-temps pour les âmes ignobles de Louis SANDERS (Rivages/Noir, 2002)

  • J’ai encore pris cette idée de lecture dans le Times Literary Supplement, dans un article consacré aux romans historiques cherchant à reconstituer l’Angleterre du 19ième siècle. J’ai aimé mais tout de même moins que Tom-all-alone’s de Lynn Shepherd.

    On est à Oxford (c’est un très bon point dans mon cas) en 1887. Edward Fraser, étudiant en théologie, et Stephen Chapman, étudiant en médecine, partage un appartement fourni par l’Université. C’est pour tous les deux un heureux hasard de s’être rencontré car tout de suite un véritable lien d’amitié se noue entre eux. Enfin l’amitié c’est pour Stephen parce que Edward, qui est le narrateur du livre, cela ressemble plutôt à un amour non avoué (à lui-même comme à Stephen d’ailleurs).

    Un jour, Stephen revient de l’église surexcité. Une femme, une veuve, Mrs Diana Pelham, l’a abordé ppour qu’il l’aide dans son projet d’ouvrir un refuge pour prostituées dans le quartier de Jericho. Il les soignera. Cela lui permettra de continuer ses recherches dans son thème de prédilection : les maladies vénériennes. Bien sûr, Edward est contre son projet car il n’est pas franchement très chrétien (il vaut mieux se dévouer à l’obstétrique d’après lui : faire naître des bébés c’est quand même mieux que soigner des prostituées) mais surtout il pense que ce projet va éloigner Stephen de lui. Il en est encore plus persuadé quand il rencontre LA femme.

    En effet, celle-ci es la même qu’il a rencontré quelques années plus tôt et qui a été à l’origine d’un drame pour deux des amis d’Edward. En effet, Diana courrait deux lièvres à la fois, un peintre pour l’amour et la complicité, et un étudiant pour la richesse et le sexe. Le truc, c’est qu’Edward s’en est rendu compte et a démasqué l’affaire. Cela s’est terminé par un duel avec un mort et un blessé grave.

    Pour empêcher Diana de lui prendre Stephen, Edward va tout expliquer à son ami mais cela ne va pas se terminer comme il le croyait et en plus, il sera encore à l’origine d’un drame.

    Je peux vous dire que pendant la lecture, j’ai maudit le Edward (je n’ai pas jeté le livre car je le lisais en électronique et du coup cela aurait cassé mon reader) car il se veut trop bien pensant. Il ne se rend même pas compte que son soi-disant sens moral est à l’origine de choses très graves, de morts, de détresse, de pauvreté, de souffrances. Ces réactions sont bêtes. Il n’agit pas en réfléchissant aux conséquences de ces actes ; il pense que le fait d’être au fait de la religion fait qu’il ne peut pas se tromper. Le truc, c’est que quand même trois des cinq parties du livre sont racontées par lui (une est racontée par Stephen et l’autre par Diana). On le maudit, je vous dis.pourtant on ressent dans l’écriture une très grande lassitude et une très grande nostalgie (le récit est raconté par Edward après la mort de tous les protagonistes). C’est ce qui fait qu’on ne peut s’empêcher de continuer. Il ne regrette pas ces actions mais pour autant il présente son parcours comme une progression (il faut absolument que j’arrive à ne pas vous raconter la fin) dans son jugement. C’est un livre d’une très grande tristesse car rien de positif ne ressort de tout cela.

    L’auteur arrive à très bien reconstitué les goûts douteux en matière de sexe des aristocrates anglais du 19ième siècle. C’est le troisième livre depuis le début de l’année que je lis là-dessus après La Maison de Soie et Tom-all-alone’s (cela a l’air d’être un sujet très mode en Angleterre) et c’est la première fois que j’ai l’impression que cela avait pu se passer comme cela (dans ma tête, j’ai mis les décors de la série Inspecteur Morse car il y a un épisode qui se passe à Jericho et cela passe plutôt pas mal).

    Références

    The Whores’ Asylum de Katy DARBY (Fig Tree, 2012)

    Le texte est agrémenté de quelques dessins comme celui de la couverture.

  • Présentation de l’éditeur

    Le grand scientifique Kurt Gödel est misérablement décédé, à Princeton, en 1978. Sa veuve et ses collègues venus assister à la veillée funèbre évoquent leurs souvenirs de ce scientifique atypique qui, ces dernières années, leur a donné du fil à retordre. Kurt Gödel, ou plutôt son esprit, est présent lui aussi, pour revivre les événements de sa vie, spectateur éthéré de son évolution.

    Mon avis

    J’ai découvert la parution de ce livre dans le dernier Books. Mon cœur n’a fait qu’un bon quand j’ai lu le nom de Kurt Gödel parce que bon, Kurt Gödel !

    Kurt Gödel est un extrêmement célèbre mathématicien. Il a posé des bases très solides pour la logique. Il a notamment démontré que dans tout système mathématique il y a des vérités qu’on ne peut pas démontrer. Un système mathématique est donc toujours incomplet. Le Wikipédia en anglais est très complet sur le sujet.

    Cependant, comme Daniel Kehlmann le fait dire à un de ses personnages dans la pièce, ceux qui pratiquent la logique en tant que discipline mathématique perdent très souvent la tête. Toute la pièce se passe à l’université de Princeton (à l’Institut for Advanced Study où il y avait von Neumann, Einstein, Turing … ). Gödel, en vieillissant, a tourné paranoïaque (il ne sortait pratiquement plus de chez lui) et a entre autre pensé qu’il y avait un complot pour empoisonner sa nourriture. Il est d’ailleurs mort de faim (d’après Wikipédia, il ne pesait plus que trente kilos à la fin de sa vie). Daniel Kehlmann nous fait vivre ces derniers moments. D’après l’auteur, Gödel s’est un jour disputé avec sa femme. Celle-ci est parti en claquant la porte, s’est fait renversé par une voiture. Bilan : remplacement de la hanche et donc hospitalisation. Problème : elle faisait à manger et goûtait la nourriture pour Gödel. Bilan : un mathématicien mort.

    La pièce s’ouvre sur l’enterrement du mathématicien où chacun se remémore les souvenirs (plus cocasses) qu’il a avec le mathématicien. Gödel est présent car son esprit n’est pas encore mort (logique, non ?) À l’aide de flash-blacks, l’auteur va nous faire revivre les moments de la vie de Gödel : l’enfance en Autriche (qu’il a du fuir car tout le monde le croyait juif), la rencontre avec sa femme (qui était déjà mariée et était danseuse), la maman de Gödel, l’émigration, la demande de nationalité américaine.

    Ce que j’ai aimé dans la pièce, outre ce que j’ai appris, c’est le ton adopté puisque Daniel Kehlmann utilise comme « narrateur » (dans le sens moteur de l’avancée de la pièce) plusieurs Gödel : le vrai, l’alter-ego, l’enfant et à plusieurs reprises, l’auteur utilise la folie (et les voix qu’entendaient le mathématicien) pour établir une discussion ou une réflexion ou même pour mieux nous comprendre la vie de son personnage. C’est le fait de jouer sur cette folie qui rend le texte vivant, plus léger aussi.

    Un petit bémol pour l’édition cependant : le titre original de la pièce ? quand a-t-elle été joué la première fois ? Cela aurait pu être sympa de le mettre dans le livre.

    Références

    Les Esprits de Princeton de Daniel KEHLMANN – traduction de Juliette Aubert (Actes Sud – Papiers, 2012)

  • Un jour, je suis arrivée à la bibliothèque à l’heure d’ouverture. Il y avait donc une queue monstrueuse pour rendre les livres. J’ai été m’asseoir dans la salle des magazines et j’ai pris le Times Literary Supplement (et ce n’était même pas pour me donner un genre). J’ai noté quelques titres (en particulier dans le numéro spécial Dickens) dont celui-ci.

    Le titre doit normalement vous rappeler Bleak House, Charles Dickens… Pour moi, ce n’est pas vraiment le cas car je n’en n’ai lu que la moitié (et j’ai abandonné ensuite à cause de mon déménagement). Tom-all-alone’s est le titre qui avait été choisi à l’origine par Charles Dickens pour son livre. Pour le peu que je m’en rappelle, on retrouve dans ce livre pas mal d’élément du livre dont un certain style d’écriture (l’appel au lecteur, le narrateur omniscient…), certaines scènes (le magasin qui brûle …) C’est un peu normal car Lynn Shepherd s’est inspiré de Bleak House (mais ce n’est pas une réécriture).

    Résumons un peu. On est à Londres en 1850. Charles Maddox vient d’être démissionné de la police de Londres. Il s’établit comme détective privé, en prenant comme modèle son oncle. Justement, celui-ci est mal en point. Charles va donc se réinstaller chez lui au début du roman. En plus, il est un peu en galère puisqu’il n’a qu’une affaire qui semble un peu désespéré. Un homme a viré sa fille il y a une quinzaine d’années quand il a appris qu’elle était enceinte. Il s’en repent maintenant et cherche à retrouver l’enfant car il sait que sa fille est morte. Les archives ont été perdu … Charles a peu d’espoir de retrouver quoi que ce soit mais dès qu’il y a des choses un peu suspectes, ses anciens collègues le préviennent. C’est comme cela qu’au début du roman, il se retrouve au cimetière Tom-all-alone’s car dans une tombe, il y a un cadavre de bébé (incinéré si j’ai bien compris) qui ne devrait pas être là.

    Dans le même temps, un célèbre avocat, Edward Tulkinghorn, va proposer à Charles de retrouver l’auteur de lettres anonymes adressées à un de ses clients. Pour cela, il va proposer une véritable fortune. Charles s’y met donc parce qu’il faut bien manger. Il retrouve facilement l’auteur des lettres (qui habite au-dessus d’un petit magasin avec un propriétaire loufoque), prévient Tulkinghorn et quelque temps après le magasin brûle. Cela suscite forcément énormément d’intérêt chez Charles qui s’était pourtant engager à ne pas chercher le pourquoi du comment.

    Il s’ensuit une enquête haletante (si vous voulez en savoir plus il faut lire la quatrième de couverture qui dit absolument tout), pleine de rebondissements où il y a beaucoup de hasard qui ne semble pourtant pas tomber du chapeau (c’est rare), des coïncidences qui vont s’expliquer après. Il y a donc une logique intéressante dans la construction du roman. Les personnages sont très bien décrits et donc incarnés : on se figure assez facilement Charles Maddox (j’espère qu’il va revenir dans d’autres enquêtes) dans sa grande maison avec son oncle qui dans ses moments de lucidité lui donne des conseils en vieux de la vieille qu’il est. Il s’entraîne au tir, rencontre les grands comme les petits de la société londonienne. C’est un enquêteur entier et qui se donne à fond pour ses enquêtes (je dis cela mais il a quand même perdu un doigt d’une main). Pour vous situer le thème du livre, c’est un peu le même genre que La Maison de Soie de Anthony Horowitz. Charles Maddox va dénoncer à peu près le même type de comportement odieux de la bonne société anglaise.

    C’est un excellent roman à mon avis ! J’ai trouvé cependant le niveau d’anglais un peu rude pour moi. J’ai donc commencé le livre pendant que je travaillais  et j’ai lu 120 pages en une semaine (je ne lisais que dans les transports). Je l’ai mis de côté car je sentais que c’était un livre qui avait tout pour me plaire et que j’étais en train de le gâcher. Je l’ai repris depuis que je suis en vacances et j’ai lu les 230 pages restantes en trois jours. Cela se lit mais il faut avoir l’esprit dedans au moment de la lecture.

    J’ai quand même hâte qu’il soit traduit en français pour comprendre tous les petits détails qui m’ont échappé.

    Références

    Tom-all-alone’s de Lynn SHEPHERD (Corsair, 2012)

  • Quatrième de couverture

    « Soudain une jeune femme apparut en haut des marches, adossée à la fenêtre, avec la pluie qui frappait violemment les vitres et, à l’arrière-plan, les sommets embrumés. Aucun doute, c’était Paola, la star des bals du Westmorland. Bien qu’elle fût en contre-jour, elle me fit d’entrée beaucoup d’effet : elle était brune, svelte avec pourtant quelques rondeurs, l’allure souple, élancée et féline des Italiennes. […] Comment la qualifier ? Elle avait du style. Du chic. »

    Paola, issue du remariage du défunt Noble Godavary avec une étrangère, fait-elle vraiment partie de la famille ? Ils ne l’ont jamais acceptée ! Au moment de l’ouverture du testament, c’est plutôt une lâcheté sournoise qui les rassemble… Toute l’élégance de Vita Sackville-West.

    Mon avis

    Me voilà bien déçue par ma première rencontre avec Vita Sackville-West. Paola est une nouvelle de 120 pages, dont le titre original est The death of Noble Godavary, et qui est tirée du recueil Thirty Clocks Strike the Hour and Other Stories.

    Cela commence très bien puisque notre narrateur revient dans le nord après trente ans d’absence à l’occasion du décès de son oncle. Il n’était jamais revenu dans la propriété familiale, avait eu très peu de contact avec sa famille à part occasionnellement avec son frère. C’est très alléchant comme début d’histoire puisqu’on s’attend à un week-end en famille, sous-tension à cause de l’enterrement et de l’ouverture du testament. On s’attend à un meurtre (euh, non … ce n’est pas Agatha Christie (pourtant, j’y ai cru car il parle d’un drame terrible)) ou à une bonne critique de la bonne société anglais à travers le prisme familiale. Ben non en fait. En fait si un peu mais pas génial du tout car Vita Sackville-West ne s’attache pas à ses personnages, ne décrit pas les relations qu’ils ont ensemble. Cela reste très superficiel à mon avis pour le lecteur.

    Ce qui m’a particulièrement gêné, c’est que les personnages incarnent un type de personne dans tout le stéréotype. Paola est italienne ; elle a absolument tout ce que la société de l’époque pouvait mettre comme stéréotypes sur les Italiennes. Pareil pour la mère : c’est une mama italienne comme on peut voir dans les publicités. Je ne parle pas des Anglais qui sont tout ce que l’on peut imaginer d’une vieille famille déclinante. Tout cela manque de finesse et je dirais même de vie. Les personnages ne prennent pas vie dans la nouvelle ni par leurs actes ni par leurs sentiments.

    Cette idée est récurrente dans l’écriture de l’auteur. On met une idée ; on trouve un objet, une personne qui la représente (et non pas qui l’incarne ; le problème est là justement) et on laisse vivre. Par exemple, Paola assise sur la pierre à la fin du livre qui semble être la personne qui va diriger tout le monde. Elle incarne la nouvelle génération qui va diriger l’Angleterre ; les autres n’auront qu’à suivre (d’où l’image de la vague qui détruit tout). Par exemple, la scène de fin est très biblique :

    Je montai lentement vers la crête. Ils étaient là, tous, personne n’avait bougé. Tous réunis autour de Paola, immobile sur son rocher. Adossé à un bloc de pierre, un berger enveloppé dans sa houppelande dormait à côté d’eux. Seules quelques bêtes erraient encore à la recherche de leur pâture. Je ne ressentais aucune compassion mais du mépris pour les miens. L’un après l’autre, Michael, Stephen, Rachel, Austen levèrent vers moi un regard mélancolique et fatigué ; puis ils retombèrent dans leur stupeur, leur prostration. Je me tournai alors vers Paola. Accroupie au-dessus d’eux, elle les dominait, toujours aussi lointaine, sous le casque noir de son chapeau. Elle ne leur prêtait aucune attention, ni à moi d’ailleurs. Et sa mère était assise par terre, à ses pieds, on aurait dit une vieille gitane. Les bras serrés autour des genoux, un léger sourire au coin des lèvres, elle se balançait lentement, au rythme de pensées qui semblaient très douces.

    L’impression que j’ai eu en lisant ce livre est que l’auteure se regardait écrire. Quand elle a trouvé une idée, elle reste un peu dessus, fait des effets de style, des effets de manche, quitte à faire des private jokes. Elle s’admire et quand elle en a marre, elle change d’idée. Cela donne un côté trop virevoltant au livre et c’est de là qu’à mon avis lui vient le côté superficiel que je reprochais au début.

    Mais ce n’est que mon avis sur cette nouvelle. J’ai deux de ses romans dans ma pile à lire et j’espère que ce côté superficiel qui m’a agacé aura disparu.

    Références

    Paola de Vita SACKVILLE-WEST – traduit de l’anglais par Micha Venaille (Livre de Poche, 2011)

  • Cette semaine, j’ai lu l’avis d’Iris sur ce livre, qu’elle a lu dans le cadre d’un semaine spéciale sur cette auteure (semaine organisée par Miss Darcy). Bien sûr, j’avais ce livre dans ma pile à lire, vu qu’il y a deux ans tout le monde en avait parlé en très bons termes, que j’avais été tenté mais que je n’avais rien lu (bien évidemment). Mais là, je ne sais pas, son avis a fait naître une envie irrépressible que j’ai satisfaite le soir même après avoir terminé mon autre livre (Des éclairs de Jean Echenoz pour ceux que cela intéresse). Bien m’en a pris car tout le monde avait raison (Lilly en premier). C’était une lecture magique.

    Rosamond Lehamann décrit la préparation à son premier bal d’une jeune fille, Olivia Curtis, qui vient de fêter ses 17 ans. Elle vit dans un tout petit village anglais, en plein campagne, dans une famille assez bourgeoise, ni trop riche, ni trop pauvre. Dans la maison, il y a sa sœur Kate, à peine plus âgée qu’elle qui vient de finir ses études. Elle ne sait pas ce qu’elle va faire de sa vie. Elle présente pourtant une solide détermination et a beaucoup plus les pieds sur terre que sa sœur. Il y a le petit frère James de sept ans, un peu excentrique, un peu gamin, très intelligent mais dont personne ne semble se soucier de l’impliquer dans la famille. Il y a Mrs Curtis, très stricte dans la direction de sa maison et de ses enfants, qui semble s’être marié par dépit avec Mr Curtis. Il dirigeait avant son affaire mais la première guerre mondiale a rendu sa respiration très difficile et il a du céder sa place à d’autres de sa famille, en attendant que son fils prenne la direction de l’usine. Il y a aussi l’oncle (frère du père) qui habite avec eux.

    Le roman est séparé en trois partie. Dans la première partie, Rosamond Lehmann décrit la journée d’anniversaire, 17 ans donc, d’Olivia. Du lever au coucher. Cette première partie permet d’introduire l’histoire : c’est ce jour-là que sa mère va lui offrir le tissus rouge qui servira à la confection de sa robe pour le bal organisé par les Spencer, les aristocrates du coin la semaine suivante. Ce tissu rouge marque déjà un événement. Sa mère voulait un tissu pastel ; sa sœur a préféré un tissu flashant (la mère a donc finalement écouté la sœur). Olivia doit donc aller voir la couturière du village pour lui demander de tailler la robe. C’est l’occasion pour l’auteur de nous décrire le village mais aussi ses habitants puisque Olivia va rencontrer plein de monde : veuve, vieilles filles, célibataires (plus ou moins jeune) aux idées mal placées, famille très pauvre avec une multitude d’enfant, couple remarié (après que la femme ait divorcé deux fois). On prend conscience alors qu’il existe une hiérarchie dans le village comme il peut y en avoir dans les romans d’Elizabeth Gaskell ou de Jane Austen. Il y a des choses qui se font et d’autres qui ne se font pas. On l’avais  compris avec l’affaire du tissu mais c’est encore plus sensible ici. Pourtant, ce sont les principes de la mère et on sent déjà un changement entre le comportement de la mère et des filles ; les filles sont plus ouvertes et plus tolérantes face aux personnes qui ne sont pas de leur classe sociale. J’ai l’impression que c’est un des points que Rosamond Lehamann a voulu développer : la campagne et les mœurs anglaises sont en train de changer suite aux évènements et aux morts de la Première Guerre mondiale. On s’accroche à des choses du passé mais les choses bougent. Dans cette première partie, on découvre aussi Olivia en tant que personne : jeune fille rêveuse, extrêmement sensible, un peu en attente que sa vraie vie commence, peut être un peu trop gentille. Sa sœur semble plus décidée, plus terre à terre, elle semble aussi plus confiante en elle-même. Elles se rendront ensemble au bal des Spencer.

    Pour Olivia, ce sera son premier bal. C’est, comme dans les romans de Jane Austen, son entrée dans le monde. Le problème est qu’à ce genre d’évènement, il faut apporter son cavalier et de tous les hommes du coin, célibataires on s’en doute, aucun ne peut venir ! Mrs Curtis écrit donc à une vieille relation pour qu’elle lui prête son fils, un étudiant d’Oxford pensez-vous. Un fils que l’on n’a pas revu depuis qu’il était poupon. La surprise est qu’il est pasteur, n’aime pas danser … mais cela on ne l’apprend que quand il est sur place. C’est l’objet de la deuxième partie. Cela m’a trop fait penser à Orgueil et Préjugés.

    Dans la troisième partie, c’est donc le bal tant attendu. On découvre que les carnets de bal sont encore de rigueur, que les danses sont réservées. Il y a un petit charme désuet à tout cela. Ce bal est l’occasion pour Olivia de découvrir beaucoup de choses sur le caractère humain mais surtout énormément de nouvelles personnes car elle ne semble pas avoir une vie où elle voit beaucoup de monde. Elle fréquente plutôt un cercle restreint comme dirait Mr Darcy.

    Ce roman, c’est donc le passage à l’âge adulte d’Olivia, dans un monde en tain de changer. C’est aussi pour elle l’occasion de voir des splendeurs qu’elle ne partagera sans doute pas. Elle souligne que le bal, organisé en l’honneur de Marigold, fille des Spencer, est l’occasion aussi de lui dire adieu puisqu’elle part dans le grand monde et qu’elle, elle, reste à la même place. Pourtant, elles ont été à la même école, et ont fait semble-t-il des bêtises ensemble.

    Le seul reproche que je ferais est que la suite de ce livre étant dans ma pile à lire (elle aussi me direz-vous et je répondrais un oui innocent), j’ai donc lu la quatrième de couverture de cette suite Intempéries où il est clairement écrit qu’il y a une passion commune entre Rollo, frère de Marigold, et Olivia, qui peut être se concrétisera dans cette suite. Je n’étais donc qu’attente ! Cette passion commune ne pouvait qu’être développée dans L’invitation à la valse. Ben non. Il arrive dès le début de la troisième partie, du bal donc, où Olivia le repère de suite mais ils ne se parlent qu’à la page 220 ! Et pour franchement ne rien se dire qui montre une quelconque passion amoureuse. Une communauté de pensée peut être mais en quinze minutes que peut-on dire ! J’ai lu ensuite la quatrième de couverture de l’édition 10/18 où on parle d’un érotisme voilée présent dans le livre. C’est vrai que Rosamond Lehmann fait taire ou rougir, selon, ses personnages dès qu’il y a une allusion un peu graveleuse. On ne parle pas de sexe, pas d’alcool … Olivia ne comprend pas tout de suite ; on voit qu’elle est vraiment innocente, qu’elle est dans l’ignorance de ces choses. Elle comprend cependant à retardement ; son premier bal participant à l’élever au stade d’adulte. Du coup, je me suis demandée si je n’avais pas vu sa rencontre avec Rollo avec ses yeux à elle car ce n’est pas ce moment de la soirée qu’elle semble retenir en conclusion du roman. Elle semble ne retenir que les rencontres, bonnes ou mauvaises, avec des personnages nouveaux qui pourtant semblent pour beaucoup habiter très près d’elles. Elle retient aussi la rupture que ce bal a provoqué dans sa relation avec sa sœur.  Celle-ci ne désire plus la prendre comme confidente après la soirée (elle lui préfère Etty la cousine londonienne pour raconter les moments de bonheur qu’elle a connu pendant le bal avec Tony Hériot, cavalier dont elle rêvait avant le bal). Elle savait cette séparation inévitable puisque la semaine d’après Kate partait à Paris mais elle note que c’est ce bal qui a provoqué ce changement et qui la rend donc adulte.

    Maintenant, je vais lire Intempéries pour savoir cette histoire avec Rollo ! Non, mais.

    Références

    L’Invitation à la Valse de Rosamond LEHMANN – traduit de l’anglais par Jean Talva (Livre de poche, 1958)

    P.S. : J’ai bien rigolé avec les Hullo ! Hullo ! du traducteur. C’est peut être l’époque qui veut de franciser les mots anglais mais cela m’a fait rire à chaque fois (et il y en a beaucoup).

  • J’ai appris la parution de ce nouvel opus d’Igort par un billet de Mo. J’avais lu Les Cahiers Ukrainiens que j’avais beaucoup apprécié. Je voulais l’attendre à la bibliothèque mais il était toujours pris alors je l’ai acheté. Et je vais la garder comme j’avais gardé Les Cahiers Ukrainiens.

    Les Cahiers Russes sont nés, comme l’indique la couverture du choc, ressenti par Igort après la mort d’Anna Politovskaïa. Après la lecture de cette bd, j’ai franchement envie de lire ces livres car on a l’impression de faire sa connaissance en tant que personnes, en tant que femme, en tant que journaliste de terrain qui disait les vérités qu’elle voyait. Là, j’ai eu l’impression que c’était une femme importante pour notre monde. En regardant les reportages à la télévision, au moment de son assassinat, je me disais « oui et alors, je ne la connaissais pas avant, en quoi est-ce un malheur, en quoi est-ce triste pour moi, pour les autres » (pour la famille et les amis je n’en doute pas). C’est comme toujours dans les médias traditionnels on ne parle des gens que quand il meurt et les journalistes font comme si on savait tous qui étaient ces gens (quand ils ne le font pas et où ils refont la vie en long en large, c’est quand le gars est hyper connu et où on avait le droit à un reportage par semaine)(on appelle cela un hommage il paraît). Tout cela pour dire que l’assassinat d’Anna Politovskaïa n’était pas seulement un événement pour ce qu’il nous apprenait de l’état actuel de la Russie mais surtout parce qu’une voix qui essayait de combattre une loi du silence qui s’était abattue sur la Tchétchénie venait de s’éteindre. Et que malheureusement, il n’y avait plus grand monde pour continuer à en parler (et ceux qui restaient se sont fait assassiner). Rien que pour cela j’ai aimé cette bande dessinée parce qu’elle m’a permis de comprendre et d’apprendre.

    Igort ne se limite pas à ce sujet puisqu’il passe en revue les tortures effectuées par les soldats russes sur les tchétchènes mais aussi sur leurs compagnons de services (il passe en revue les dégâts sur les deux populations pour respecter la réalité des faits aussi comme l’aurait fait Anna Politovskaïa). Il explique aussi la tuerie de Beslan, celle du théâtre de Moscou.

    Il y a donc un propos très engagé dans ce livre.

    Igort ajoute à cela une originalité dans la mise en page et dans l’organisation de cette bd. Quand Igort met cahiers dans son titre, ce n’est pas une métaphore puisqu’il fait une sorte de collage protéiforme de ses rencontres et pensées. Il y a des bouts de textes, des bouts de pensées, des bd. C’est un peu comme si on suivait son cheminement après le choc du décès de la journaliste. Ce n’est pas un récit « travaillé » dans le sens organisé. Il se dégage une spontanéité et une émotion de cet amalgame.

    En conclusion, j’ai encore une fois fortement apprécié le travail d’Igort. Je suis d’accord avec d’autres (je crois Mo) que La ballade de Hambone est moins bon (à mon avis).

    Références

    Les Cahiers Russes [la guerre oubliée du Caucase] – un récit-témoignage d’IGORT – traduit de l’italien (?) par Laurent Lombard (Futuropolis, 2012)