Cecile's Blog

  • LeSongeDeBorgesBlancaRiestraLe titre de livre est assez racoleur parce que Borges, c’est cinq pages du roman. Par contre, c’est un roman absolument génial, genre coup de cœur.

    L’objet-livre est d’une qualité exceptionnelle (surtout pour 19,90 euros). Le papier est épais tout en étant souple, la couverture est solide avec deux rabats. Pour témoigner de la qualité du livre, après une semaine de lecture dans le métro à le trimbaler dans mon sac à main, il est comme neuf. Il n’y a pas les marques de salissures sur la tranche, la couverture n’est pas cornée, sale ou chiffonnée (en fait, un coin si mais je l’ai fait tombé). Il y a certaines grandes maisons d’éditions qui devraient en prendre de la graine (je ne cite personne mais G… édite plutôt des livres à lire chez soi, à mon avis).

    On est à Harvard, un an avant la mort de Borges. Notre narrateur principal (parce qu’il va y en avoir deux), lecteur d’espagnol à l’université, est appelé par le célèbre écrivain. Au rendez-vous, Borges lui explique qu’il va lui dicter un songe qui va prendre la forme d’un roman. Passé la première stupeur, Borges n’ayant jamais écrit de roman, notre narrateur accepte évidemment.

    On va se retrouver à Prague, en 1665, dans le cimetière juif, en compagnie du docteur Marcus Marci, recteur de l’Université Caroline, et du fossoyeur Zounek. Ce dernier va raconter les événements qu’il a vécu à la cour de Rodolphe en 1608-1609 au recteur. C’est à partir de de moment que le livre est extraordinaire parce que tout simplement on y est : tout s’efface autour de vous pour laisser la place à une Prague sombre, pleine de magie, de mort, de sortilèges et de croyances étranges. Le livre est construit en cinq actes comme une pièce de théâtre ; l’auteur organise des respirations pour nous rappeler l’histoire de 1665 et de maintenant mais finalement, ce que l’on retient c’est les événements de 1609.

    Zounek est fils d’un savetier, non juif, installé dans le ghetto. Son père est savant et s’intéresse à l’alchimie et aux choses un peu magique. Il va se retrouver emprisonner au château de Rodolphe mais avant, il fait promettre à son fils de fuir. Celui qui n’a alors que seize ans ne va pas obéir et décide même de tuer Rodolphe. Il se rend au palais où après une méprise, il se retrouve serviteur de l’empereur sous un faux-nom. Il parcourt le palais, y trouvant notamment des fosses puantes où sont entassés des prisonniers jusqu’à leur mort. Il découvre aussi des personnages extraordinaires, tirés de roman : Kepler (pas du tout présenté comme un scientifique d’ailleurs), John Dee et Edward Kelley (dont une jambe a été amputée suite à la chute d’une tour d’où il tentait de s’évader), Catherine la vierge qui fut la maîtresse de Rodolophe. C’est cette ambiance un peu cour des miracles, magique … qui m’a énormément plus et surtout dépaysée. L’histoire est celle du fossoyeur mais est aussi centrée sur la manuscrit de John Dee, qui verse dans l’alchimie. La chute avec Borges est aussi très bien. Blanca Restra est une auteur qui sait terminer ses romans.

    En plus, le livre est très facile à lire car il est constitué de chapitres très courts (trois pages au maximum avec une mise en page aérée), qui rythme le récit, même quand on se dit qu’il ne se passe rien.

    En gros, il faut le lire (même si mon billet est brouillon).

    Références

    Le songe de Borges de Blanca RIESTRA – traduit de l’espagnol par Aline Janquart-Thibault (Éditions Orbis Tertius, 2013)

  • BuriedInABogSheilaConnollyMon cerveau ayant besoin de détente, j’ai pris ce livre dans ma PAL. Avec une telle couverture, cela ne peut être qu’un petit mystère, sans prétention (vous ne serez pas toucher par la grâce de l’écriture), qui ne casse trois pattes à un canard mais qui détend parce qu’il ne faut pas trop réfléchir.

    Sheila Connolly est américaine, écrit des séries policières (the Museum mysteries, the Orchard Mysteries, the County Cork Mysteries dont je vous présente ici le premier volume)(pour une fois, j’ai commencé par le premier volume) mais surtout a fait des recherches généalogiques. Comme vous le savez, Connolly est un nom irlandais (c’est son grand-père qui a émigré d’Irlande) et donc ses recherches l’ont amenée à s’intéresser à ce pays, et plus particulièrement à la région de Cork, qu’elle a visitée plusieurs fois pour « mieux comprendre ». C’est ce qui lui a donné l’idée de cette série.

    Maura Donovan vient de perdre sa grand-mère à laquelle elle était particulièrement attachée puisque c’est elle qui l’a élevée, son père étant mort et sa mère l’ayant abandonnée. La vieille dame lui a fait promettre sur son lit de mort, d’aller en Irlande pour elle (elle est enterrée aux États-Unis avec son fils), pays qu’elle avait quitté après la mort soudaine de son mari tant aimé (j’espère que vous suivez toujours qui est mort et à quel moment).

     Maura étant une jeune femme décidée, et surtout sans travail, sans famille, sans copain, elle liquide l’appartement de la grand-mère, paie le reste des factures … part avec le peu d’économies qu’elle a (de quoi tenir une semaine en Irlande) pour l’Irlande donc (j’espère que vous avez compris que cela se passe en … Irlande).

    Après 14 heures de bus (parce qu’elle conduit mais elle n’aime pas trop cela), elle arrive à Leap (le « grand » village d’à côté de chez sa grand-mère). Elle n’est pas franchement impressionnée par le temps tout gris qui l’accueille. Pour se renseigner, elle rentre au pub Sullivan où elle rencontre Rose (une quinzaine d’années), Jimmy (son père, qui est censé s’occuper du business, mais qui depuis la mort de sa femme a plutôt tendance à s’occuper des bouteilles) et Mick, co-gérant, petit-fils de la dame chez qui elle veut se rendre pour parler de sa grand-mère. Celle-ci, très heureuse, a prévenu tout le monde et a organisé son hébergement chez Ellen, ses quatre-enfants et son mari. Tout se passe bien pour Maura. La vieille dame lui prête même la voiture de son défunt mari pour favoriser ses déplacements (Maura qui n’a conduit que très rarement depuis son permis de conduire n’est pas franchement très à l’aise avec ces petites routes bordées de fossés).

    Par hasard, le deuxième jour de son séjour (le premier de beau-temps où elle peut admirer le fameux vert-émeraude du pays), elle est là quand la police « repêche » un cadavre vieux de quatre-vingt ans dans une tourbière (bog in english). À la fin de la journée, elle va voir Rose au pub qui est débordée parce que tout le monde veut savoir ce qu’il se passe. Maura, dont le métier est de tenir un bar, l’aide toute la soirée et se fait donc proposer un travail par Jimmy et Mick. Le troisième jour de son séjour, elle se rend donc à son nouveau travail, fait du nettoyage, trouve une lettre qui va jouer un tour décisif dans l’enquête mais fait aussi la rencontre d’un homme qui va se faire assassiner quelques temps après.

    Son séjour devant durer initialement une semaine, l’enquête se résout très vite grâce à son aide (que l’on pourrait plutôt appeler ses intuitions ou coups de chance).

    Maintenant, mon avis. Ce n’est pas du tout une série policière ou avec un quelconque mystère. Il y a bien deux meurtres mais leur résolution est plutôt au second plan (je dirais même que s’ils étaient restés irrésolus, cela n’aurait choqué personne). Le livre est plutôt le prétexte pour Sheila Connolly de célébrer l’Irlande, ses habitants « si » gentils, « si » attachés à leur terre et à leur généalogie. Cela fait un peu cliché mais cela fait du bien de se dire qu’il existe encore des gens normaux. Bien sûr, nous sommes d’accord que ces Irlandais sont de la campagne, pas de Dublin (où il n’y a visiblement que des délinquants dans la tête des gens). Cela contraste un peu  avec l’Irlande de Ken Bruen.

    Le seul point noir du livre est que Maura dit tout le temps avoir eu une vie très malheureuse avec sa grand-mère parce qu’elle n’avait pas assez d’argent pour sortir de Boston (où elles habitaient), que la grand-mère travaillait et ne faisait qu’aider les autres, qu’elle a décidé de ne pas faire d’étude pour aider financièrement. Puis quand on fait le bilan, on se dit que sa grand-mère l’a quand même sacrément bien élevé, qu’on n’est pas obligé d’avoir vu le monde avant ses 20 ans, ni d’avoir trouvé sa vocation avant cet âge, qu’elle a le temps de reprendre des études (elle n’a que 25 ans, elle n’est pas encore à l’article de la mort). Tout cela pour dire qu’à mon avis, l’auteur aurait pu se passer de ces passages récurrents (qui en plus ralentissent le texte et le rendent un peu long parfois) et dire que Maura et sa grand-mère avait eu une vie très simple mais pas malheureuse, que Maura aurait dû profiter de la grand-mère pour qu’elle lui parle du pays (ce que se disent tous les gens qui perdent un proche).

    Dans le même genre, je n’ai pas été trop convaincu par le rôle protecteur que Maura veut jouer auprès de Rose. Cela n’a pas de sens parce qu’elle n’a que vingt-cinq ans, ne s’est pas encore trouvé et n’a aucun recul sur sa situation. Je ne vois pas ce qu’elle peut lui expliquer.

    Sinon, je ne vous conseille pas de lire la couverture du deuxième tome car cela vous spolie le premier.

    Références

    Buried in a bog de Sheila CONNOLLY (Berkley Prime Crime, 2013)

  • PourlamourdupeupleStasiparleJ’ai emprunté ce livre à la bibliothèque pour en savoir plus sur la Stasi. Il s’agit d’un livre de la collection Histoire à deux voix, chez Albin Michel. Dans une première partie, il y a le témoignage d’un officier de la Stasi et dans une deuxième partie (que l’on pourrait qualifier de postface) un historien, ici Alexandre Adler, éclaire le texte en le remettant dans son contexte.

    Le témoignage anonyme de l’officier de la Stasi est censé avoir été écrit au moment de la dissolution de celle-ci, le jour donc où cet officier est licencié. Le Mur de Berlin est tombé, l’Allemagne pas encore réunifié. L’officier revient sur sa vie et son engagement pour son travail. Si vous voulez lire ce livre pour les mêmes raisons que moi, il faut abandonner de suite car il ne décrit absolument pas ce qu’était son travail (à part quelques bribes sur le recrutement et l’utilisation des collaborateurs non officiels, mais avec ses yeux cela reste assez inoffensif). En lisant, on a l’impression de lire le témoignage d’un cadre licencié dans la plus inoffensive entreprise. Il s’est dévoué à son travail, n’a pas compté ses heures, est monté dans la hiérarchie à la force du poignet, a mis sur pied une équipe de collaborateurs extraordinaires… Il ne comprend pas comment tout cela peut se terminer. De plus, son « entreprise » tout de même était la meilleure, celle qui pouvait le plus servir au peuple. Tout ce qu’il a fait, c’est pour aider le peuple, lui épargner tous ces gens qui étaient contre la sécurité, l’État. Il n’y a aucune réflexion, aucun repentir, rien (il faut dire que c’est un témoignage écrit à chaud et donc sans recul).

    Bien sûr, l’auteur revient sur les récents évènements qui n’étaient absolument pas prévus par la Stasi qui écoutait vraiment tout pourtant. J’ai eu l’impression qu’il regardait cela de loin, comme s’il ne pouvait plus maintenant changer l’Histoire, son histoire. Il analyse cela plus cruellement (pour lui) puisque la dernière phrase du texte est « Nous devrions laisser à d’autres le soin de trahir les idéaux… » (sous entendu nos idéaux).

    Plus que le témoignage d’un officier de la Stasi, cela m’a semblé être le témoignage d’un homme qui est en train de tout perdre, qui doit tourner un page parce que l’Histoire est en train de la tourner pour lui, peut être un peu trop vite pour pouvoir être digéré facilement. Je n’ai pas eu l’impression que le contexte allemand soit important dans ce livre. En fait si, parce que les gens de la Stasi ont été rendu à la vie civile alors que dans d’autres pays où les régimes se sont effondrés, les fonctionnaires sont restés dans les administrations, qui ont juste été renommées et réorganisées. Cela m’a donné une impression bizarre parce que ce n’est pas ce que je cherchais en lisant ce livre.

    Pour la postface d’Alexandre Adler, je suis par contre très mitigée. J’ai été intéressée par la première partie qui fait un parallèle entre la violence de la bande à Baader et celle de la Stasi, par l’analyse sur le fait que la Seconde Guerre mondiale (absence de père, prisonnier ou mort …) a préparé le terrain pour l’Allemagne de l’Est (ce que tu ne trouves pas chez toi, l’État te le fournira). C’est une analyse que l’on retrouve dans The File de Timothy Garton Ash (livre beaucoup plus intéressant à mon avis). La deuxième partie de la postface est beaucoup moins intéressante car elle fait un peu étalage de confiture. Alexandre Adler resitue la Stasi dans l’histoire des services secrets, de manière rapide, un peu comme pour écrire un roman d’espionnage. Cela n’a que peu ou pas de rapport avec le texte de la première partie. Ce n’était pas nécessaire, d’autant que cela n’ouvre que peu de perspectives si je veux en savoir plus sur la Stasi.

    Références

    Pour l’amour du peuple – Un officier de la Stasi parle (Albin Michel, 1999)

    Première parution en Allemagne : 1990
  • LesAnneesDAngleterreNorbertGstreinJ’ai trouvé ce roman poisseux (au sens propre comme au sens figuré). Une psychiatre autrichienne se retrouve à Londres dans une exposition organisée par l’Institut autrichien où elle tombe sur une photo de Hirschfelder, un écrivain autrichien très secret, qui a émigré en Angleterre juste avant la Seconde Guerre mondiale. Le nom de cet auteur ne dit pratiquement plus rien à personne. Ce n’est pas son cas car le monsieur a été le sujet des recherches de son ex-mari, Max, dont elle est séparée depuis cinq ans (une des causes pourrait en être la communication écrite par Max sur l’auteur). A cette exposition, il y a aussi la troisième et dernière femme de l’auteur, Margaret. Elle la convie chez elle où elle lui parle de son mari défunt, de leur vie mais aussi du passé de l’écrivain.

    En effet, en 1940, lorsque l’on craignait l’arrivée des Allemand en Angleterre, Hirschfelder a été emprisonné dans un camp sur l’île de Man. Son émigration était le fait de son père (non juif et influent) qui voulait le protéger et se protéger aussi (pensez-donc, il n’assumait pas d’avoir fait un enfant avec une femme de confession juive). De plus, sa mère et son beau-père venait de se suicider aux regards des évènements qui se passaient dans le pays. Son père, donc, l’avait envoyé dans la famille de sa secrétaire-maîtresse, la famille d’un juge où il devait faire différents travaux et apprendre l’allemand aux enfants. Là dessus, il tombe amoureux de la bonne Clara, la femme (un brin psychopathe et parano) le prend en grippe et en souffre douleur, il se prend d’affection pour la grand-mère, il laisse le juge indifférent. Tout cela aurait pu bien se passer mais tout le monde prend peur : Clara fuit, la mère ne le soutient pas quand la police vient pour l’emmener. Et donc le voilà dans un camp sur l’île de Man. Un camp que les Anglais trouvaient un peu trop bien pour leurs prisonniers puisque quand Londres était sous les bombes, l’île restait épargnée. Il rencontre là-bas des compatriotes qui sont bien sûr différents de lui et se rapproche de deux hommes le Blafard et le Balafré (deux amis qui ont une histoire commune) et d’un troisième Harasser qui se prétend de la même région que notre écrivain. Ce dernier a aussi une histoire compliquée puisque ses parents l’ont envoyé en Angleterre après qu’il soit tombé amoureux d’une jeune fille juive qui se cachait, avec son père, dans l’hôtel de la famille (où ils ont été arrêtés si on simplifie).

    Sur son lit de mort, Hirschfelder confie à sa femme avoir tué un homme, Harasser. Elle, elle ne sait pas qui c’est au moment où il lui en parle. C’est la psychiatre autrichienne qui va découvrir tout cela après enquête. En fait, non, elle va imaginer tout cela après enquête et rencontre des deux autres femmes. On va alterner présent (et donc enquête et rencontre) et passé (récit à la deuxième personne du singulier, inventé par la psychiatre suivant ce qu’elle croit savoir). Ce qu’elle va découvrir, c’est que tout le passé de l’homme est différent de ce qu’elle croyait mais aussi que l’identité de cet homme est multiple puisque chaque personne qui l’a rencontré le décrit de manière différente et surtout contradictoire. J’ai lu que c’est un roman sur l’identité mais personnellement je crois que c’est plutôt un roman sur l’absence d’identité. L’homme est changeant, multiple, incohérent, menteur et finalement, ce que je retiens est que l’identité est faite par l’homme qui la possède et non par son entourage.

    Pourquoi ai je trouvé ce roman poisseux ? Tout simplement parce qu’il n’y a rien qui illumine le roman. On reste aux niveaux de petites mesquineries, de trajectoires de vie qui n’ont rien apporté à personne. Rien n’élève le débat ; cela donne l’impression d’être englué dans une histoire d’usurpation d’identité, de mensonge (mais aussi d’insatisfaction pour la psychiatre) et de ne pas pouvoir en sortir. J’ai lu le livre en entier avec intérêt mais à chaque fois que j’ai fermé le livre, je ne me suis pas sentie bien et je n’avais aucune envie de le reprendre.

    Références

    Les années d’Angleterre de Norbert GSTREIN – roman traduit de l’allemand par Bernard Lortholary (Du monde entier / Gallimard, 2002)

  • PlanDSimonUrbanCela fait longtemps que je n’ai pas écrit ici. Je pourrais vous donner plein de raisons : j’ai fait des folies au salon du livre la semaine dernière (c’était génial comme d’habitude surtout pour la découverte des petits éditeurs mais du coup, mes pieds étaient fatigués et mon cerveau aussi), je travaille (en tout cas j’essaye), j’étudie mon allemand (cela me plaît moins depuis que mon cours s’est transformé en cours de bien-pensance), je suis bloquée dans le RER (enfin sur le quai parce que souvent il me lâche avant destination mais la bonne nouvelle est que j’ai battu mon record : 2h40 pour aller au boulot et donc impossible de lire tellement j’étais stressée). Tout cela est vrai mais en fait, j’étais plongée dans ce gros roman excellentissime mais gros et donc long à lire.

    Plan D est un peu une uchronie, avec un fond criminel, d’espionnage avec de l’argent et du sexe (voire de l’amour). On est en 2011. Le mur de Berlin n’est pas tombé. Il y a donc toujours deux Allemagne et deux Berlin : une Allemagne de l’Ouest prospère mais dépendant énergétiquement et une Allemagne de l’Est moribonde qui a subit la Réanimation il y a 20 ans, dont principal soucis n’est pas l’énergie mais l’afflux d’argent. En effet, dans quelques jours doivent commencer les négociations qui permettront au gaz russe de passer par le territoire est-allemand pour rejoindre le territoire ouest-allemand. Cela amènera un droit de passage bienvenu à l’Allemagne de l’Est. Le problème est que l’Allemagne de l’Ouest ne négociera qu’avec une Allemagne de l’Est démocratique. Or, on vient de trouver pendu à un pipeline, dans une zone interdite, un vieillard de 80 ans. Il semble avoir été tué selon les anciennes méthodes de la Stasi et après enquête, il s’avère que c’est une éminence grise de la Réanimation et qui a mis le chef actuel du pays au pouvoir. C’était aussi un formidable visionnaire qui avait envisagé tous les évènements qui sont en train de se passer. Devant la gravité de la situation, les deux Allemagne, en fait un enquêteur de chaque pays, vont collaborer pour que les négociations tant attendue est quand même lieu.

    Il y a du rebondissement, des fausses pistes, des mensonges, des trahisons à tous les étages. J’ai eu du mal à suivre à certain moment ; je me demandais de quel côté était tel personnage, s’il était un méchant, s’il était impliqué (il faudrait que je lise plus de romans d’espionnage à mon avis pour que mon esprit devienne agile sur ces questions). Au final, j’étais tellement prise à savoir qui était qui que j’ai du relire plusieurs fois le dénouement pour comprendre. Je sais qui c’est maintenant mais je n’ai pas compris comment l’enquêteur de l’Allemagne de l’Est a réussi à s’enfuir (si quelqu’un peut me dire comment, ce serait gentil). J’ai remarqué qu’à la fin il y a beaucoup d’éléments qui manquent ou qui ne sont pas exploités. Par exemple, la trahison de l’ancien chef de l’enquêteur d’Allemagne de l’Est nous est dite mais qu’est-ce qu’on en fait après ? On pense juste que sa vie sera toujours aussi pourrie et qu’il ne passera jamais à l’Ouest comme il le désire. Il y a d’autres éléments qui manquent sur cet ancien chef (par exemple où est-il maintenant ?) : soit l’auteur prépare une suite soit il a regardé son fichier Word et a vu qu’il était déjà trop long et a donc décidé d’abréger (je précise qu’il écrit des nouvelles d’habitude ; c’est son premier roman et il attaque avec un truc de 570 pages). À part ces problèmes à la fin, l’enquête et l’action sont vraiment très bien.

    Cependant, les deux points que j’ai le plus aimé dans le roman, ce sont les personnages et la reconstitution Allemagne de l’Est / Allemagne de l’Ouest.

    Il y a deux personnages principaux : l’enquêteur de l’Allemagne de l’Est et l’enquêteur de l’Allemagne de l’Ouest mais tout est vu du point de vue du premier. Celui-ci a 56 ans, s’est fait largué par l’amour de sa vie il y a un an, a subi une procédure disciplinaire il y a un an suite à la recherche de documents dans les locaux de la Stasi (il voulait comprendre pourquoi et comment son ancien chef venait de disparaître). Il est extrêmement sarcastique, ironique au niveau du régime. En fait il porte un regard non formaté sur celui-ci, Tout cela fait qu’il n’est pas au mieux de sa forme. C’est encore plus souligné si on le compare à l’Allemand de l’Ouest qui avec ses trois ans de plus arrive avec un physique de rêve, un sourire blanc, des pantalons à la dernière mode (même les sous-vêtements sont différents), une bagnole que même un ministre de l’Allemagne de l’Est ne se paierait pas. J’ai beaucoup aimé donc le côté tourmenté de l’inspecteur de l’Allemagne de l’Est, particulièrement ses états d’âme sur le régime et son obsession pour son ancienne copine, qu’il ne veut pas considérer comme ancienne (elle ne semble pas s’y opposer). Par contre, j’ai été gêné par la manière dont l’auteur introduit les passages concernant les états d’âme de son héros (même tous les moments en rapport avec sa vie personnelle). Cela m’a semblé comme des cheveux qui tombent dans la soupe : cela brisait à chaque fois le rythme du récit et souvent n’avait pas de rapport alors que c’était de très longs passages. Parfois, il y avait des moments de vulgarité non nécessaire (à moins que les hommes pensent comme cela).

    L’opposition des deux héros fait partie intégrante de la description de l’opposition Allemagne de l’Est / Allemagne de l’Ouest. La première est décrite comme un pays moribond où l’idéologie socialiste n’a plus trop sa place, un pays prêt à livrer son âme à l’Ouest capitaliste mais surtout comme un pays menteur et corrompu, ne souhaitant pas le bonheur de ses citoyens (plutôt garder comme des prisonniers). L’Allemagne de l’Ouest n’est pas épargnée car elle est présentée comme un pays corrompu par le capitalisme, un pays tout aussi menteur mais dont on donne aux citoyens l’impression d’être heureux en les endormant avec des beaux pantalons et de belles brosses à dents. L’arrivée des envoyés de l’Ouest contribue à déciller notre inspecteur de l’Est sur ce que ce que le pays où il espère aller un jour est vraiment : tout ce qu’ils ont est beau mais semble vain, juste plus enrobée. Ici, il faut souligner le travail du traducteur qui a mis énormément de notes explicatives car il y a de nombreuses références historiques, qui auraient pu échapper aux lecteurs français. Cela m’a donné envie de fouiller un peu plus bien évidemment sur des évènements que je ne connaissais pas.

    Comme je le disais au début, j’ai beaucoup aimé malgré tous les petits défauts (je les excuse parce que c’est un premier roman et qu’il est très réussi).

     Références

    Plan D de Simon URBAN – traduit de l’allemand par Brice Germain (Stock / La cosmopolite noire, 2013)

  • MatiereNoireDrorBursteinL’histoire est simple à décrire même si elle n’est pas simple à vivre et à lire. Un fils, Ouri, va voir son père Amos pour qu’il lui explique pour sa sœur de 10 ans son ainée s’est suicidée, à l’âge de cinquante ans, il y un an. Le livre commence ainsi par un rapport de force entre les deux hommes. En fait, Ouri s’interroge sur son père, sur sa relation avec lui, sur le passé, plutôt qu’il ne l’interroge sur le suicide de sa sœur. La sœur, Dorit, reste une présence dont on ne parle pas. Le père, lui, ne se rend pas compte des interrogations de son fils, ou les évite, en divaguant. Cette partie du livre fait 70 pages et on comprend dès le début qu’on n’a pas affaire à une famille comme les autres.

    Il s’agit plutôt de quatre individualités rassemblés par un même nom mais aussi par une manière de penser, un manière d’écrire, de rêver, de philosopher. En cela, Dorit était la plus exceptionnelle car dès le plus jeune âge, elle sortait d’elle des pensées et des questionnements d’adulte. Ses poèmes, par leur brièveté (un ou deux vers), étaient (sont ?) transcendants de justesse car il dévoile tout un monde d’images de beauté, comme de souffrances, une attention portée à la nature extraordinaire. Ouri a choisi le métier d’avocat mais c’est une vocation ratée. Il découvre sur le tard son admiration pour les textes hébraïques d’il y a 1000 ans. Le père s’est réfugié dans la religion ; avant il était professeur. Seule la mère, Rita, d’origine anglaise et professeur d’anglais en Israël, semble moins dans ce caractère, plus ancrée dans la vie réelle. Pourtant, son amour pour ses enfants est aussi très particulier (en tout cas par rapport à ce que je connais, c’est-à-dire mes parents) : elle semble ne pas montrer son amour comme si pour ses enfants, c’était évident mais elle reste sur la réserve par rapport à ses enfants qui semblent distant. Une autre chose que je n’ai pas compris, c’est si Rita et Amos étaient séparés, divorcés ? ou quelque chose comme cela. J’ai du mal à m’imaginer leurs vies de couple, de parents. Les seuls personnes de cette famille qui semblent vraiment proche, c’est Ouri et Dorit. Ce n’est pas une proximité de confidence, d’entraide mais plutôt une complicité en terme de manière de penser, de se comprendre.

    La suite du roman fait un retour en arrière, un an auparavant avec des flashbacks. L’auteur fait des parties où seul certains personnages parlent (je n’ose écrire se parlent) par exemple Rita, Dorit, Amos puis Ouri et Rita, Rita, Amos et Ouri (encore). Dorit n’interviendra qu’à la fin pour donner sa version (cette partie est rédigée d’un point de vue extérieure). il faut voir qu’un an auparavant Ouri attendait une greffe de rein, que ses parents lui ont caché pendant deux mois la mort de sa sœur comme ils ont caché à sa sœur la maladie de son frère pendant cinq ans (il ne lui a pas dit non plus).

    Pour moi, c’est un livre très beau, très poétique. On se laisse embarquer par l’univers des personnages, même si ce n’est pas le nôtre. C’est un peu comme si on se servait de leur univers pour nous laisser entraîner par nos pensées, par notre imaginaire (je ne suis pas sûre d’avoir bien compris l’histoire du coup…) C’est un livre qui met dans un certain état de pensée, qui influence l’humeur la manière de voir les choses pendant qu’on le lit. On revient vers le livre plus pour cela que pour l’histoire. Cependant, ce livre restera pour moi une expérience de lecture étrange car je n’ai pas réussi à comprendre ce qui unissait ses quatre personnages (ou en tout cas Amos, Ouri et Dorit). On arrive au mauvais moment car Dorit est encore là, parmi eux, et aucun n’a réussi à faire avec son absence. C’est comme cela que je me suis expliquée cette drôle de famille : ils n’ont pas encore réussi à construire de nouveaux liens familiaux.

    Un extrait

    Elle a ramassé ses cheveux sur sa nuque et les a secoués, les gouttes m’ont éclaboussé, elle m’a regardé et a dit que le lien entre frère et sœur était à ses yeux le plus beau, car il contenait le meilleur de ce qui liait un homme et une femme, sans tout le mal qui découlait de la passion et des déceptions, quand il n’assouvissait pas les désirs de chacun et la volonté de transformer l’autre en instrument de sa passion, ou de sa détresse, […]

    Références

    Matière noire de Dror BURSTEIN – roman traduit de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech (Actes Sud, 2014)

  • DesDommesDeTeteBirkefeldHachmeisterJ’ai piqué ce livre samedi à la bibliothèque et j’ai dévoré ses 400 pages en quatre jours, quitte à lire le soir dans les transports (même avec des gens qui crient dans mes oreilles fragiles), quitte à lâcher ma fourchette le midi et à remercier le dieu du sport qui ne m’a jamais pris dans ses filets mais qui a capturé mon chef pour l’emmener deux fois à la piscine en ce début de semaine et qui m’a permis de passer ma pause tranquille.

    On est en Allemagne en 1926, dans le milieu des courses moto. Le sport automobile est pour moi, dans mes préoccupations, l’absolue contraire de la lecture : cela n’occupe aucune case de mon cerveau. Vous pouvez donc lire ce livre si vous êtes dans le même cas que moi. Si vous voulez lire un billet d’une fan de choses à deux roues, je vous conseille le billet d’Argali.

    On suit deux personnages : Arno Lamprecht et Falk von Dronte. Tous les deux sont munichois d’origine et cherche à oublier ce qu’il s’est passé pour eux en 1923.

    Arno Lamprecht est un ex-soldat de la Première Guerre mondiale qui est revenu choqué de cette expérience, détruit psychologiquement en fait. Il a du mal à vivre de la passion qu’il s’est trouvé à la guerre, la motocyclette. Il noie sa vie dans l’alcool, le jeu et les magouilles. Pour pouvoir payer le loyer, et ainsi rassurer sa femme Véra, il est obligé d’aider Eckhard Bammel, malfrat et magouilleur, profiteur durant l’inflation. Par exemple, il va hors des frontières pour ramener des produits ou de l’argent. Il rentre un jour d’une de ses virées, après avoir bu tout de même ,s’allonge, se réveille et découvre que sa femme est morte assassinée et décapitée. Il est bien sûr accusé mais sera innocenté par un alibi qui lui sera donné par Bammel car lui ne se rappelle de rien et que Bammel ne veut pas qu’il parle de ses trafics. Trois ans après, Arno est toujours aussi malheureux car il ne se remet tout simplement pas du décès de sa femme. Cette année va cependant changer se vie puisqu’il va participer au championnat d’Allemagne, sur une moto belge Sarolea.

    Il va y affronter son ennemi depuis toujours, en fait depuis le début des années 20, Falk von Dronte. Ce type est un aristocrate pur jus (je me le suis imaginée comme le stéréotype de l’Allemand aryen), qui croit aux idées d’honneur, de patrie, de la suprématie de la nation … Son grand regret est de ne pas avoir pu s’engager dans l’armée. Un homme va en profiter, un colonel qui va lui proposer d’agir pour la nation après la trahison des « traitres de Novembre. Ainsi en 1923, il va lui faire assassiner un homme, avec des complices. Ils vont l’enterrer dans un endroit désert. En 1926, cette affaire resurgit car une dénonciation vient de permettre de retrouver le corps mais il lui manque la tête. Le colonel s’inquiète, d’autant qu’il veut se lancer en politique. Il demande donc à von Dronte de régler le problème mais lui a changé de vie, d’opinion sous l’influence de sa nouvelle amie Théa.

    À tout cela se combine une série de meurtres, tous ayant lieu autour des circuits des compétitions.  Ces meurtres sont barbares puisque le coupable repart avec la tête.

    Je vous prie déjà d’admirer le titre qui est absolument très délicat et bien trouvé par le traducteur (on sent l’humour de l’homme…) J’ai préféré Arno à Falk (les chapitres alternent entre les personnages parce que comme ils sont ennemis, ils ne se parlent pas sauf à la fin où ils vont s’entraider car ils vont comprendre que leurs affaires ont des similarités ? des têtes coupées ?) Falk est trop lisse, trop crédule. Il ne semble pas avoir de personnalité et suit d’abord le colonel, puis Théa aveuglément qui eux ont leurs idées. Il ne semble pas se les approprier. Il semble encore en construction. Arno lui est un homme fait, qui pense juste, peut être en opposition de phase par rapport au reste de la société (merci à mon chef pour ce type d’expression) mais ses idées sont les siennes et sont réfléchies. Il décide de sa vie, en assume les conséquences, défend les causes qu’il croit juste. En plus, j’aime les personnages tourmentés, moins lisses. Il avait tout pour me plaire. J’attendais les chapitres sur lui avec grande impatience.

    La deuxième chose qui m’a intéressée, c’est le contexte historique : la montée du nazisme, les mouvements ouvriers, communistes mais aussi la mise en relief de l’importance politique du sport. Il est bien rendu dans le roman que la motorisation est vue comme le principal instrument de la reconstruction de l’Allemagne mais aussi que la moto qui doit gagner le championnat d’Allemagne doit être allemande et avoir un pilote allemand. Le vainqueur doit en plus avoir fait cela pour la Nation et sa fierté d’y appartenir. Le sport est donc vu plus comme un instrument politique qu’un dépassement humain.

    Après, il y a des passages où je me demande si les auteurs n’ont pas lu l’histoire a posteriori. Par exemple, quand ils font dire à Arno que ceux qui ont fait la guerre la referont dès qu’ils pourront car ils en ont tout simplement profité. Il y aussi un manque de développement sur le personnage de Théa car elle est décrite avec un caractère fort, essayant toutes les nouveautés mais elle nous est plus souvent présentée comme la fille qui fait la bise au vainqueur, un peu futile.

    Ces défauts sont mineurs par rapport à la qualité du livre, qui est vraiment très divertissant tout en étant instructif. En plus il est très bien traduit !

    Références

    Des hommes de tête de Richard BIRKEFELD et Göran HACHMEISTER – traduit de l’allemand par Georges Sturm (Éditions du Masque, 2013)

  • PleinHiverHeleneGaudyJ’ai lu ce livre à la suite d’un avis du libraire de la librairie Ptyx. Rien qu’à lire la quatrième de couverture, j’avais deviné comment cela allait se finir (mais je ne vous raconterai pas). Le roman raconte l’histoire d’un jeune homme de dix-huit ans qui revient dans sa petite ville du nord des États-Unis, Lisbon, après avoir mystérieusement disparu il y a quatre ans. Bien sûr, cette disparition avait secoué la petite communauté (toute la ville avait été quadrillée, les gens interrogés, certains soupçonnés). Sa réapparition miraculeuse va avoir la même résonance : le nouvel ordre créé suite à cette disparition va de nouveau être bouleversé.

    Même si je me doutais du fin mot de l’histoire, je n’ai pas lâché le livre et je l’ai donc lu en deux jours (parce qu’en plus il est court, 200 pages). Pourquoi me direz-vous ? Pour plein de raisons (très constructif comme argument). Je précise que c’est mon avis mais qu’il existe sur internet des avis plutôt négatifs (visiblement c’est l’écriture qui semble avoir été pour certains trop travaillé par rapport à l’histoire).

    D’abord, j’ai aimé la description de la ville. Hélène Gaudy et moi avons du regarder les mêmes films ou séries car nous avons le même imaginaire sur les villes isolées du nord des États-Unis. Imaginez-vous un lieu entouré de montagnes plus ou moins hautes, de bois aussi, où il y a une route pour entrer et sortir de la ville, celles des camions qui roulent à toute allure. Hélène Gaudy décrit un lieu où on pourrait facilement devenir claustrophobe. On peut entrer dans la ville mais pas en sortir parce qu’une fois qu’on est dedans elle est le seul monde qui s’ouvre. On ne voit plus l’extérieur (j’ai lu Le brouillard de Henri Beugras sur ce type de lieu et c’est bien sûr un livre que je vous conseille). C’est à mon avis ce qui fait que la disparition du jeune garçon est choquante pour tout le monde. Je crois que d’ailleurs l’image est faite dans le livre : la seule solution est que la terre l’ai avalé car on ne peut pas sortir de Lisbon. À plusieurs reprises, on nous dit que Lisbon essaie de ressembler à son homonyme. C’est à chaque fois pour mieux marquer une comparaison qui ne peut être qu’en défaveur de la ville américaine.

    Il n’y a bien sur pas grands choses à faire, peu de distractions en tout cas à Lisbon. Surtout pour des jeunes. J’ai trouvé que la manière d’Helène Gaudy de le faire ressentir était très intelligente. Elle ne dit pas l’ennui, la déprime, les problèmes liés à l’adolescence. Elle donne à voir les personnages plutôt par leurs sensations (physiques peut être) que par leurs sentiments ou leurs sensations. De plus, le narrateur est extérieur. On passe donc d’un personnage à un autre comme une fée qui survole une ville. Pour donner un exemple, Davis, le garçon qui a disparu était dans une bande de quatre garçons, une fille. Il était le meneur malgré le fait que deux garçons étaient très indépendants pour leur âge. Un particulièrement essaiera de marquer sa place dans la bande. Un autre s’effacera progressivement et sera mal à l’aise. Et puis tous les garçons sont un peu amoureux de la fille (ce qui n’aide pas à l’entente). Hélène Gaudy ne va pas faire de longs dialogues. Les problèmes ou les états d’âmes ne sont pas décrits. Elle va plutôt faire sentir la chose, par des positions, des manières de se tenir, des manières d’agir par rapport aux autres (c’est un peu le propre de l’adolescence de se définir par rapport aux autres), des regards. C’est un peu comme si les personnages n’avaient pas conscience de ce qu’ils étaient.

    Bien sûr, le troisième thème est celui du retour, du retour à la vie normative (ou en tout cas la tentative de). Cela m’a fait penser aux Desperate Housewives, quand tout le monde s’épie par le rideau et où on s’empresse de ragoter ou d’aller dire des vacheries aux voisins pour bien le miner. L’auteur en parle dans tout le livre mais c’est surtout les deuxième et troisième parties qui traitent de cela. Les adolescents de la bande ne sont plus adolescents et ne forment même plus une bande. Cette fois-ci chacun est vu comme individu, comme adulte, prenant des décisions réfléchies. On le ressent dans l’écriture aussi car Hélène Gaudy décrit plus des personnages qui sont dans le cérébral que dans la sensation.

    Je pourrais parler pendant des heures de ce livre car il y a vraiment beaucoup de choses intéressantes. Ce qu’il faut retenir, c’est que le point fort d’Hélène Gaudy dans ce livre est la description de l’adolescence, où elle ne cherche pas à redevenir une adolescente, et où elle ne cherche pas à être une adulte qui voit cette période comme un médecin avec des traits typiques.

    Références

    Plein hiver de Hélène GAUDY (Actes Sud, 2014)

  • TaxiDriverSansRobertDeNiroAmpueroEncore une courte nouvelle (27 pages) publiée chez Zinnia.

    Ici on est au Pérou. Le narrateur a perdu son travail d’assistant juridique car je cite :

    les avocaillons spécialisés en droit du travail ne trouvaient plus de clients, car le nouveau gouvernement se fichait pas mal des grèves et de la stabilité du monde du travail.

    En plus, son fils a une maladie dégénérative qui l’empêche de tenir sa tête correctement. Tout cela fait que quand il a perdu son travail, le seul métier logique pour lui a été taxi car il avait une voiture, une Pontiac.

    Pour arrondir les fins de mois, notre narrateur dépouille et vend les personnes en état d’ébriété qu’il prend dans son taxi. La nouvelle raconte une aventure qui lui est arrivé en faisant cette besogne.

    Ce qu’il faut d’abord savoir, c’est que vous n’avez jamais le point de vue des victimes des vols. Ils vous sont présentés derrière la vitre du taxi. D’autre part, le chauffeur de taxi est sympathique. On a tout de suite un peu pitié de lui car il a et a eu beaucoup de soucis : perte de son travail, enfant malade, ramener beaucoup d’argent à la maison même en temps de crise. On ne peut qu’être en empathie avec lui.

    Pourtant la morale dit qu’il ne faut pas le faire. On ne peut pas être d’accord car il profite de gens qui sont en état de faiblesse. L’autre jour, je lisais que des touristes chinois s’étaient fait dépouillés sur la partie nord du RER B (c’est à Paris pour ceux qui ne connaissent pas). Je me suis dit pauvres touristes chinois, venir si loin pour subir cela. Je n’ai pas plaint les voleurs, qui pourtant vu où cela s’est passé ont sûrement aussi des problèmes du type de ceux de notre chauffeur de taxi. Dans cette nouvelle, j’ai plaint le chauffeur et pas ses victimes. Déjà en réussissant cela, Fernando Ampuero nous situe dans un autre système de valeur, dans un autre pays, un pays où les frontières du bien et du mal sont brouillés. En réfléchissant, on ne peut être que bien triste pour ce pays.

    Dans l’aventure qui est arrivé à notre chauffeur de taxi, le phénomène est encore amplifié car un fait plus grave se passe et il devient le héros de toute une bande de gens. Il ne sera pas puni pour ce qu’il a fait alors qu’en France, ce serait un délit.

    Pour résumer, la quatrième de couverture parle de « conte politique à forte dimension critique d’un société péruvienne déliquescente ». C’est exactement cela : un pays où il n’y a plus de société puisque chacun fait de son mieux pour s’en sortir.

    Références

    Taxi Driver sans Robert de Niro de Fernando AMPUERO – traduit de l’espagnol (Pérou) par Aurélie Bartolo (Zinnia Éditions, 2013)

  • LeBraveGaspardEtLaBelleAnnetteClemensBrentanoJ’écoutais l’autre jour une émission télé (je ne regardais pas puisque je travaillais) sur le Rhin, fleuve qui a inspiré beaucoup de romantique allemand. Tout à coup, ils se sont mis à parler littérature et entre autre à citer le mythe de la Lorelei. J’ai lu un livre récemment qui en parlait d’où mon oreille attentive au sujet. Ils disaient que le premier à en avoir parlé c’était Clemens Brentano. Première chose : je ne connais rien aux romantiques allemands donc je n’en avais jamais entendu parler. D’où recherche sur internet puis achat d’un livre qui est plutôt une nouvelle et qui ne parle pas de la Lorelei. Voilà, voilà …

    Je vous ai déjà présenté plusieurs livres de cette série. Ce sont des « livraisons » choisies par un auteur sur un sujet particulier. Ici Pierre Péju a choisi six textes sur « La traversée du romantisme » dont Le brave Gaspard et la belle Annette. D’après la préface, Clemens Brentano (1778-1842) était un joyeux excentrique qui changeait d’avis tout le temps, en amour comme dans la vie de tous les jours. Il pouvait défendre une théorie un jour, soutenir le contraire le lendemain. Sur la fin de sa vie, il est même devenu mystique. D’après Pierre Péju, « comparée à ses longs récits […] dont le style est parfois embrouillé et la construction complexe », cette nouvelle « inspirée de faits réels, frappe par sa simplicité ».

    Se promenant dans la vie un soir, le narrateur de l’histoire est attiré par un attroupement autour d’une vieille femme qui s’installe sur la pas de la maison ducale pour dormir. Les passants essaient en vain de l’en dissuader. Le narrateur décide de rester pour lui tenir compagnie et qu’elle lui raconte son histoire. Il est fortement impressionner par la volonté de la vieille (plus de quatre vingt ans tout de même) et surtout par sa piété. Elle vient voir sa filleule la belle Annette pour lui annoncer le suicide son petit-fils, le brave Gaspard, à qui la jeune femme était plus ou moins fiancé.

    Le narrateur demande des explications sur ce suicide. Il s’avère que le petit-fils était obsédé par l’honneur, dont il parlait sans cesse à son père et son beau-frère, qui selon lui en manquait parfois. En fait, à mon avis, il ne s’entendait tout simplement pas avec eux. Quand on a ce genre de préoccupation, le mieux est d’aller à l’armée. C’est ce qu’il a fait et où il s’est distingué. Il vient montrer ses nouveaux galons à sa famille mais là lui arrive une aventure qui le poussera au suicide, à cause de son fameux honneur. La préoccupation de la vieille est de procurer à son petit-fils une tombe chrétienne au près de sa mère et de la belle Annette.

    On se pose des questions au début parce que Annette ne semble pas devoir mourir demain et qu’en plus elle est susceptible de se marier. Ce que j’avais oublié, c’est qu’on est en plein romantisme donc on se rend compte au fur et à mesure du récit qu’Annette va bien mourir le lendemain elle aussi pour une question d’honneur. La demande de la vieille est donc bien légitime. Le narrateur va alors tout tenter pour la faire aboutir.

    C’est un livre romantique car à la fin, tout le monde meurt sauf trois personnages. Le récit prend plutôt la forme d’un conte genre « il était une fois » « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». J’ai adoré parce que c’est follement original (jamais lu cette histoire ailleurs), le style est simple mais efficace (cela aurait pu avoir été écrit aujourd’hui). Il n’y a pas de longueurs grâce à une construction habile et des éléments disséminés dans le texte pour pousser à la lecture.

    Une bonne découverte à mon avis !

    Références

    Le brave Gaspard et la belle Annette de Clemens BRENTANO – traduction par Gabrielle Buffet Picabia – préface de Pierre Péju (Mercure de France, 1997)