Quatrième de couverture
Cuba, 1977. Sur la plage d’une île à l’ouest de La Havane, dans le vieux bungalow qu’elle a hérité d’un médecin américain, la famille Godínez s’active à barricader portes et fenêtres pour prévenir l’arrivée de l’ouragan Katherine. Sous le même toit sont réunies trois générations.
Alors que le calme s’installe avant la tempête, le jeune Jafet, qui rêve de vivre aux États-Unis, prend le large à bord d’un radeau de fortune baptisé Le Mayflower. Impuissante, la petite Valeria assiste au départ de celui qui préfère fuir le régime cubain plutôt que le cyclone, de celui qui deviendra « le navigateur endormi ».
Dans ce vieux bungalow se concentre toute l’histoire du pays : l’esclavage, la guerre contre l’Espagne, la dictature de Batista, l’ouragan révolutionnaire, la tragédie des balseros… Excellent conteur, Estévez fait de ses personnages les symboles de l’histoire et de la culture cubaines, et éclaire le présent à la lumière du passé.
Mon avis
J’ai adoré ce livre. Je vous le dis de suite pour que vous sachiez à quoi vous en tenir. C’est un livre d’accès difficile à mon avis à cause du style et du fait qu’il n’y a pas d’histoire à part de dire qu’il y a des gens dans une maison à Cuba qui attendent. L’attente dans un roman ce n’est jamais bon mais ici, cela passe grâce au style. C’est un peu le serpent qui se mort la queue : le livre est difficile à cause du style qui permet de faire passer une histoire qui n’aurait pas passionné avec un autre style.
Une phrase du livre résume son propos :
Elle commencera à écrire ce livre, qui sera l’histoire d’une vieille maison de bois devant la mer, ainsi que celle d’une ou de plusieurs évasions, d’un cyclone et de quelques fantômes. (p. 473)
L’histoire m’a fait pensé aux Vagues de Virginia Woolf. On est à la fin des années 70 dans un petit bungalow sur une plage de Cuba. Rien autour à part la mer. Sont réunis les grands-parents, les parents, la bonne de 90 ans, la fille de la bonne, les petits-enfants mais aussi les morts qui sont présents dans la tête de tout le monde : ceux qui se sont enfuis vers le Nord, ceux qui se sont suicidés, ceux qui sont des morts de l’Histoire de Cuba. Ce qui m’a rappelé Les Vagues c’est qu’aucun personnage ne se parle sauf exceptions, mais chacun vit dans son monde, se remémore son histoire propre. Il ne parle jamais de leurs histoires communes. C’est notamment l’occasion de se repasser l’Histoire de Cuba depuis les années 1890.
Comme je le disais, un autre élément important du livre est l’attente. Il y a l’attente de la tempête mais surtout d’un monde meilleur qui n’arrive pas malgré les promesses. Il y a les plus vieux qui n’en peuvent plus d’attendre après tous les malheurs qu’ils ont subi, il y a ceux qui tolèrent encore ou ceux qui fuient. Je crois que l’attente est un élément très important de la littérature cubaine ; j’avais déjà eu cette impression avec les livres de Leonardo Padura. Cette attente est à mettre avec ce que représente le Nord pour les plus jeunes habitants du bungalow :
Quoique ces perceptions fussent sans doute ultérieures, le Nord était aussi le signe de la quiétude, du plaisir, de la joie, du bien-être, ou, ce qui revenait au même, de la bonne chère, du bon travail, du bon sommeil et du bon temps. (p. 481)
Pour parler du style, j’ai lu dans Lire que c’était un style baroque. Je dirais moi que c’est un style qui ressasse, qui redit en donnant encore un peu plus de détails à chaque fois.
Cela se passa un après-midi au bord de l’étang. Un après-midi lumineux d’avril 1963. Année fameuse en d’autres lieux qui n’étaient pas Cuba, encore moins Carabello, année de la mort d’Edith Piaf et de Jean Cocteau, année de l’assassinat du président Kennedy.
Cela faisait quatre ans que les rebelles étaient entrés à La Havane. La crise des missiles avait eu lieu l’année précédente. Personne ne s’était encore vraiment rendu compte du changement définitif, sans appel, sans retour, irréversible d’une certaine vie, personne n’avait vraiment pris conscience qu’une vie différente commençait à s’imposer. Peu comprirent l’irrévocabilité de cette transformation qui avait lentement, insensiblement commencé. (p. 344)
Je trouve aussi le paragraphe final magnifique :
Alors, fermant les yeux sans cesser de ramer, il pense, ou dit :
– Sans aucun doute, ce voyage est un rêve.
Et en supposant que nous soyons d’accord et que nous croyions comme lui que ce voyage est un rêve, qui aurait le courage de révéler à ce rameur, intrépide ou naïf, que les rêves ont une fin ? (p. 488)
En conclusion, si vous ouvrez ce livre pour le lire, persistez même si cela vous paraît très difficile. C’est un livre qui en vaut la peine ; il faut juste prendre son temps pour le savourer.
Ce livre a été chroniqué dans le cadre d’un partenariat avec le site Chroniquesdelarentreelitteraire.com et dans le cadre de l’organisation du Grand Prix Littéraire du Web Cultura.
La biographie de l’auteur sur Wikipedia.
Références
Le navigateur endormi de Abilio ESTÉVEZ – traduit de l’espagnol (Cuba) par Alice Seelow (Grasset, 2010)