Cecile's Blog

  • Continuons dans la thématique maritime, avec Dans les eaux du Grand Nord de Ian McGuire, qui a été sélectionné en 2016 sur la « long-list »du Man Booker Prize.

    Dans les eaux du Grand Nord est un roman historique dont l’action se situe en 1859-1860, à une période où l’huile de baleine est remplacée progressivement par le pétrole, pour l’éclairage intérieur. Cela a donné lieu à une chasse extensive de la baleine dans les eaux du Grand Nord. Il est d’ailleurs dit, en passant, dans ce livre, que la population baleinière dans ces eaux est en très nette décroissance, à l’échelle temporelle de la carrière d’un homme. Dans ce livre, le lecteur va suivre une saison de chasse à la baleine, sur un navire bien particulier, peuplé de bras cassés. En effet, cet armateur et ce capitaine ont déjà perdu un navire et traînent une mauvaise réputation. Ils cherchent à remonter une expédition cette année-là et seuls les cas désespérés veulent bien monter avec eux. On peut citer Henry Drax, un « harponneur brutal et sanguinaire », comme le dit la quatrième de couverture. On apprend dès les premières pages du livre qu’en plus, c’est un pédophile qui aime tuer ses victimes après (j’avoue avoir été choquée dès les premières pages, justement pour cela, car c’est extrêmement violent).

    Le personnage principal du livre, Patrick Sumner, ne détonne pas dans cet environnement. C’est un ancien médecin militaire désargenté, blessé à la jambe, renvoyé des Indes pour une sombre affaire de bijoux, affaire que le lecteur découvre progressivement dans le roman. À cause de sa blessure, c’est aussi un drogué notoire, qui ne peut dormir sans sa dose. N’ayant pas d’autres plans, il s’engage sur le navire en tant que médecin, en pensant qu’il n’y aura pas grands choses à faire, puisqu’il n’aura qu’à soigner les petits bobos des marins ou à constater leurs décès.

    Voilà donc notre équipage parti et commence alors la chasse à la baleine. Un jeune garçon de cabine vient un jour consulter Sumner pour un mal de ventre. Il s’avère qu’en réalité il a été violé. Le jour suivant, il est retrouvé mort dans un tonneau. Sumner gardant quand même un fond d’humanité cherche le coupable et identifie Henry Drax assez rapidement. Commence alors sur la bateau une lutte entre les deux hommes, qui se terminera sur la glace. Dans ces conditions, il est bien évident que cette lutte se transformera rapidement en une lutte pour leur propre survie.

    Dans les eaux du Grand Nord est un excellent roman d’aventures. Il y a quelques années, j’avais lu 200 pages sur 250 (ne me demandez pas pourquoi je ne l’avais pas terminé, car je ne saurais pas vous répondre) des carnets de Arthur Conan Doyle, qu’il avait tenus lors de sa saison sur un navire parti à la chasse dans le Grand Nord. On retrouve, dans ce roman, beaucoup des expériences et des sentiments de Doyle (en tout cas, pour Patrick Sumner), notamment, les descriptions de chasses à la baleine et de chasses aux phoques. Elles sont certes extrêmement violentes et sanguinolentes, mais sont des moments très intenses dans le livre. Le lecteur souffre pour la baleine, espère que les hommes vont s’en tirer, essaie d’anticiper tout ce qu’il va se passer… votre cœur bat à cent à l’heure dans ces moments-là. Et, en fait, il y a énormément de moments comme cela dans le livre car la narration est menée tambour battant. Et encore, je ne vous parle pas de la survie sur la glace, c’est juste effrayant. De ce point de vue, je trouve que le roman est excellent, le lecteur étant toujours maintenu en haleine. De plus, c’est une très bonne reconstitution historique, de ce que je peux juger après avoir lu les carnets de Doyle.

    C’est donc un quasi coup de cœur pour ce livre. Pourtant, une chose m’a gêné, mais genre énormément ! L’histoire d’Henry Drax. Quand je lisais, je vivais toute cette partie comme un moment de repos dans ma lecture, ce qui est tout de même malheureux à dire pour une histoire de pédophilie. J’ai trouvé que Ian McGuire n’arrivait pas à l’introduire dans son récit. C’est comme un deuxième fil dans la narration qui apparaît de-ci de-là et dont on ne sait pas quoi faire. Pour le lecteur, c’est juste de la violence gratuite à mon avis, faite uniquement pour le choquer. Je trouve que l’auteur aurait pu garder cette idée de combat entre deux hommes dans un univers hostile, sans pour autant y mêler un pauvre gamin.

    La narration hachée apparaît aussi à un autre moment du roman, dans la deuxième partie. Henry Drax et Patrick Sumner se retrouvent séparés sur la glace. Nous suivons Sumner car toute l’histoire est racontée de son point de vue et on va oublier, avec lui (en tout cas, j’en ai eu l’impression), Henry Drax. Comme je vous le disais, Ian McGuire est très fort pour rendre au lecteur les expériences intenses. C’est encore le cas ici puisque Sumner lutte pour sa survie tout de même ! On est à fond avec lui, on vit à travers lui. Et tout à coup, l’auteur en remet un coup sur Drax et fait tout retomber, pour rien finalement. Il est obligé ensuite de fournir un effort pour refaire décoller son histoire. Un peu comme aux montagnes russes en fait.

    Je peux quand même dire que ces côtés négatifs seront quand même éclipsés dans ma mémoire sélective par les côtés positives : un excellent roman d’aventures, un excellent thriller et une formidable reconstitution historique, tout cela en un seul livre. Par contre, je ne vous le conseille pas si vous êtes très sensible.

    Références

    Dans les eaux du Grand Nord de Ian McGUIRE – traduit de l’anglais par Laurent Bury (10/18, 2017)

  • Pendant cette pause estivale, j’avais fait huit « merveilleux » billets que je n’avais pas publiés car j’avais la flemme de les mettre en page (j’ai découvert à cette occasion qu’en fait, j’aimais toujours rédiger des billets et que c’est vraiment la mise en forme qui me posait problème, je vais essayer de combattre cela cette année). Comme je ne les avais pas mis en forme, je ne les avais pas copiés dans LibraryThing, ce qui n’aurait pas posé de problèmes si le serveur qui abrite mon blog n’avait pas crashé et que la sauvegarde n’était pas datée d’un mois. Donc mes huit billets sont perdus à jamais parce que je n’ai pas particulièrement envie de refaire ce que j’avais déjà fait (et qu’en plus, beaucoup des livres étaient de la bibliothèque donc cela donnerait des billets moins précis et intéressant je pense). J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps mais bon, il y a quand même moyen de se réjouir : je n’avais pas encore fait de billet sur Le sel de la mer qui est un coup de cœur absolu. Je vous le conseille très vivement si vous aimez les romans maritimes. C’est un des meilleurs que j’ai lus jusqu’ici, avec une force descriptive et psychologique incroyable.

    Commençons par parler de l’auteur qui était jusqu’à présent pour moi un grand inconnu. Édouard Peisson est né en 1896 à Marseille et est mort à Ventabren (aussi dans les Bouches-du-Rhône) en 1963. À l’âge de 18 ans, en 1914, il commence une carrière, qui durera 10 ans, dans la marine marchande. Suite à des réductions de personnel, il se retrouve sans travail. À la suite de sa réussite à un concours administratif, il entame une nouvelle carrière en tant que fonctionnaire préfectoral. On se doute facilement que ce travail ne pouvait lui plaire : il le trouve en effet « inutile » et « ennuyeux ». Il commence cependant à écrire pendant cette période et en 1936, il décide de se consacrer entièrement à la littérature. Sa bibliographie sur Wikipédia compte 37 ouvrages, publiés de 1928 à 1963. Le sel de la mer a paru pour la première fois en 1954, il est considéré comme son plus grand roman.

    1914. Sur la ligne Naples-New-York le commandant Joseph Godde déroute son paquebot, le Canope, pour porter secours à un cargo italien alors que la tempête se déchaîne sur l’Atlantique Nord. Manoeuvre périlleuse, mais dictés par le « devoir sacré » d’assistance en haute mer… Bientôt c’est le drame. Le Canope, alourdi à son tour par des masses d’eau et les machines manquant de pression, sombre lui aussi. Deux cents passagers paient de leur vie l’acte de bravoure du commandant Godde [p. 4, préface]

    Le livre se déroule trois mois plus tard lorsque Godde se retrouve devant la commission d’enquête pour expliquer ce qu’il s’est passé. Les membres de la commission d’enquêtes qu’on entend dans ce livre sont dans un premier temps Cernay, vieux capitaine au long cours et ensuite Latouche, inspecteur de la Navigation, qui n’a pas d’expérience maritime. Dans la première partie (les 2/3 environ), on assiste au dialogue entre deux gens de mer, un dialogue fort car Cernay veut faire accoucher Godde des événements, ce qui est très difficile car celui-ci est dans une position défensive. En effet, il n’est entendu qu’après trois mois, le dernier en fait, après trois mois d’isolement pour le capitaine du Canope. Cernay est bienveillant et compréhensif mais Godde est isolé dans sa carapace, dans son idée. Il n’est pas en position de pouvoir écouter et encore moins de comprendre ce que Cernay veut faire.

    Pendant cet entretien, tout ce qui est mené au fait va y passer. On commence par la mort en mer du père de Godde, que Cernay a connu. Personnellement, j’ai trouvé que cela avait placé tout de suite la relation que Godde pouvait avoir à l mer. Il y a ensuite le parcours même du Canope. C’était un navire acheté récemment par la compagnie, qui faisait son premier voyage commercial pour celle-ci. C’est un navire qui avait déjà été plusieurs fois revendu ; une personne entendue s’étonne même qu’il n’est pas encore coulé. En effet, Godde, en tant que second a participé, au transfert de Londres à Naples. Plusieurs incidents ont montré que ce navigation avait des défauts au niveau de la conception. Il y a eu notamment un roulis inquiétant en mer plate. On passe ensuite sur sa prise de pouvoir controversée. Le capitaine, marin reconnu et homme caractériel, a eu à Naples une attaque, huit heures avant le premier voyage commercial, obligeant Godde à prendre le commandement au pied levé. Sauf que plusieurs de ses hommes lui ont demandé de renoncer : à cause des défauts techniques, des aménagements faits à la va-vite pour recevoir des passagers aussi. Lui l’a pris comme une crainte face à son inexpérience. Les hommes se sont inclinés, je pense que cela a été pour moi, la première fois où j’ai questionné le personnage : est-il vaniteux, trop fier ? (C’est aussi à ce moment-là que je me suis dit que le nom du capitaine voulait peut-être dit quelque chose). Ensuite, commence le voyage vers l’Atlantique. Godde répète sans cesse que le navire s’est bien comporté malgré une mer déchaînée, qu’il ne faut pas tenir compte des événements précédents, ne profitant pas des perches (qui ne sont pas des faveurs) que lui tend Cernay. Il y a un côté implacable au récit car le lecteur connaît le drame qui lui a déjà été raconté (une baleinière, avec femmes et enfants, écrasés par le Canope), et cherche donc avec les deux hommes ce qui a bien pu être la cause du naufrage. Pourtant, on ne trouve pas mais on continue à voir les événements défilés. Pour moi, c’était la facilité, tous les événements ne pouvaient mener qu’au drame.

    Édouard Peisson écrit en homme d’expérience. Les descriptions de la mer, du comportement du navire en pleine mer, des sentiments humains sont absolument saisissantes. On admire la précision des termes ainsi que la force descriptive. On admire aussi le courage qu’il a fallu à Godde pour prendre des décisions qui engageaient tant de gens, mais aussi à ses hommes qui ont lutté jusqu’au bout, au péril de leur vie, pour respecter des décisions qu’ils n’approuvaient pas forcément, pour sauver leur navire aussi. Le dialogue entre les deux hommes est extrêmement tendu et puissant, on sent Cernay lutté pour sauver Godde de lui-même, pour l’aider à comprendre ce qu’il s’est passé. Là-dessus arrive Latouche, qui n’a aucune expérience de la mer comme je le disais, et qui place tout de suite le dialogue sur un plan psychologique. En effet, la commission d’enquête s’est déjà fait une idée, basée sur les faits mais aussi sur leur examen par d’autres capitaines au long cours.  C’est lui qui va arriver à percer la carapace de Godde et à le faire redescendre.

    À mon avis, c’est le seul point faible du livre. Édouard Peisson a maintenu son lecteur pendant 240 pages (en gros) dans une très grande tension. J’ai trouvé qu’il n’arrivait pas à la faire redescendre. On ne ressent pas de soulagement à la fin de la lecture, on est juste épuisé en fait. On sent que Latouche et Cernay ont livré toutes leurs cartouches, que Godde a compris, a peut-être admis, mais tout reste en suspens, un peu en milieu de digestion. C’est un peu compliqué pour le lecteur d’admettre que cela se termine comme cela. Je pense que cela vient du fait que le lecteur ne suit pas la commission d’enquête du point de vue de Godde, mais se retrouve bien en position extérieure. À partir de là, la solution aurait peut-être été de faire un roman un peu plus long mais d’un autre côté, je pense que le roman aurait perdu en force et aurait peut-être gâché alors. Tandis que là, le lecteur sort impressionner du récit et doit juste admettre qu’il n’a assisté qu’à un moment du drame, que Godde va continuer à vivre avec ce qu’il s’est passé et que c’est lui seul qui va terminer la digestion des faits.

    Un autre point fort du roman dont je ne vous ai pas parlé est la force des personnages secondaires qui sont particulièrement forts, notamment le personnage de Charrel, qui est le chef mécanicien du navire. On pourrait même dire que les personnages secondaires sont autant incarnés que Godde, en apparaissant pourtant beaucoup moins.

    En conclusion, j’espère vous avoir persuadé de donner une chance à ce livre.

    Sur ce, je m’en vais faire une copie de ce billet sur LibraryThing …

    Références

    Le sel de la mer de Édouard PEISSON (Grasset / Les Cahiers rouges, 1995)

    Un siècle de littérature française – Année 1954
  • Elisabeth Laureau-Daull situe l’action de ce livre, La jument de Socrate, dans la Grèce de Socrate, c’est-à-dire au Vième siècle avant Jésus-Christ. Plus exactement, on est le jour où Socrate doit avaler la ciguë puisqu’il a été condamné à mort par le tribunal.

    Cette journée si particulière n’est pas racontée du point de vue de ses élèves, dont on peut lire par ailleurs les récits, mais de celui de sa femme, Xanthippe, que l’on peut traduire par « jument jaune » en grec. Mais que sait-on de la femme de Socrate me direz-vous, si votre culture grecque est au niveau de la mienne (c’est-à-dire au ras des pâquerettes). Personnellement, je ne me suis pas posé la question quand j’ai acheté le livre mais uniquement quand j’ai ouvert le livre. Wikipédia nous éclaire quelque peu sur la question. Visiblement, Xanthippe est l’incarnation même de la mégère. Plus exactement, c’est la version qui a été propagée par les élèves du philosophe. Ici, l’auteur en fait un tout autre portrait, celui d’une femme extrêmement moderne, attaché à son mari dont elle admire l’intelligence et qu’elle remercie infiniment de tout ce qu’il lui a apporté mais aussi pour la liberté de paroles et d’actions qu’il lui laisse.

    La narration se déroule en une journée, à Athènes. Le livre commence par la vie de Xanthippe à son mari, celui-ci entouré de ses élèves qui ne demandent qu’à l’écouter une dernière fois (un seul veut essayer de le sauver). Xanthippe s’emporte, est donc congédiée par son mari et décide de faire quelque chose pour sauver Socrate. Elle veut aller voir le juge pour discuter avec lui (une femme discutant avec un homme de justice était quelque chose d’impensable à l’époque). En chemin, toute sa vie lui revient mémoire : sa vie de fille, sa vie de femme, ses enfants, son mari … Comme je le disais, l’auteur a fait de Xanthippe une femme moderne avec toute la liberté de parole que cela implique. On a son avis sur la place de la femme dans la Grèce antique, sur la place de celle-ci dans le couple … tout ce à quoi Xanthippe aspire à ne pas obéir. C’est ce qui fait d’elle un très bon personnage. On s’identifie facilement à cette femme qui aimerait être considérée comme l’égal des hommes ; elle a adopté cette position grâce à l’ »éducation » que lui a donnée son mari.

    Après, je dirais que le livre a le défaut de ses qualités. Ici, on fait parler une femme sur qui on ne dispose que de témoignages à charge. Comme le dirait Julian Barnes, c’est un matériel très intéressant pour un écrivain sans aucun doute. De là à lui prêter les idées du féminisme modernes. C’est une mauvaise expression formulée comme cela. Plus simplement, prêter des pensées et/ou des idées contemporaines à des personnages vivants un siècle en arrière est quelque chose qui peut-être déjà compliqué (par exemple, on se doute qu’à l’époque victorienne on se doute qu’il y avait des femmes avec un caractère fort, vu les mouvements qu’il y a eu pendant et après dans la société), mais ici à l’époque de Socrate, j’ai plus de mal à voir où on peut piocher les informations sur des idées féministes. Sur internet, on peut trouver des informations sur la place des femmes dans la Grèce antique, sur la place des femmes dans la vie (sentimentale) de Socrate mais je ne suis pas sûre qu’il existait déjà des féministes à l’époque.

    Tout cela pour dire qu’il ne faut pas chercher à voir dans ce livre quelque chose d’historique malgré un contexte très bien reconstitué (je dis cela car c’est justement ce qui m’avait poussé à acheter le livre). Sans aucun doute le caractère moderne du personnage est voulu. Dans ce cas-là, je pense plutôt qu’il faut lire le livre comme une image ou un exemple inspirant sur la place que peut avoir l’éducation et la confiance dans la volonté d’émancipation d’une femme. Je trouve que c’est déjà pas mal, même si ce n’est pas ce que je cherchais au début. Je ne voudrais pas que cela apparaisse comme un commentaire négatif pour ce roman car je l’ai avec grand plaisir. C’est en le renfermant et en voulant écrire ce billet que je me suis demandée quelle était l’intention de l’auteur et qu’est-ce qu’aurait pu être le roman si l’auteur avait voulu faire un roman historique parce que le sujet et la thématique choisis sont vraiment très intéressants.

    En conclusion, une bonne lecture, dans un contexte original sans aucun doute.

    L’avis de Niki.

    Références

    La jument de Socrate de Elisabeth Laureau-Daull (Éditions du Sonneur, 2017)

  • Cela ne se voit pas au niveau des billets mais j’ai lu le premier tome de cette série fin juin, et celui-ci cette semaine. Je ne suis pas en train de faire une orgie de roman policier allemand, ne vous inquiétez pas pour moi.

    Le premier tome était à 50% centré sur l’enquête, à 50% centré sur l’introduction des personnages, du village … Dans ce deuxième volume, Rita Falk introduit très peu de nouveaux personnages (n’ayant pas de rapport avec l’enquête bien évidemment). L’enquête va donc gagner en profondeur.

    Les personnages supplémentaires sont au nombre de deux. Il s’agit de la nouvelle femme de Leopold, une très très jeune Thaïlandaise, qu’il a ramenée de ses vacances dans ce pays, et leur petite fille, Uschi, que Franz et à sa suite le père et la grand-mère, appelle Sushi (c’est ce que j’avais lu au début et le pire est que je trouvais cela tout à fait normal comme prénom). Franz est le seul à trouver grâce aux yeux de sa nièce. Il la fait sourire, dormir, il la calme aussi. Le baby-sitter parfait en gros ! Rôle qu’il prend avec plus ou moins de plaisir, après avoir vu que cela faisait enrager son frère. Cela donne lieu à des scènes toutes mignonnes et aussi très drôles.

    L’enquête commence très rapidement, après le début du roman. En effet, Franz Eberhofer a pris de l’assurance, après avoir résolu sa première enquête, même un peu trop, comme le montre un incident gênant. Mais là, il a un pressentiment. Il est appelé par le directeur d’une école, un certain monsieur Höpfl. On a peint sur le crépi de sa maison une menace de mort : Stirb, du Sau! (je vous laisse faire la traduction avec google). Franz Eberhofer craint pour la vie de Höpfl, surtout quand celui-ci disparaît peu de temps après. Tout le monde lui dit que le monsieur est adulte et qu’il est peut-être tout simplement parti sans en parler à personne. On lui demande donc de ne pas enquêter, on a d’autres priorités : Franz doit veiller sur la nouvelle star de l’équipe locale de football. Mais Franz persiste (cela donne vraiment l’impression qu’il s’ennuie depuis qu’il a (re)découvert qu’enquêter peut être passionnant) et découvre qu’une bonne partie des élèves mais aussi des professeurs ne supportaient pas le directeur. Höpfl revient une journée après mais avec de graves blessures. Pourtant, Höpfl le décourage de l’aider. Durant la soirée suivante, Eberhofer est appelé sur les lieux d’un accident : Höpfl vient de mourir écrasé par un train. L’enquête sérieuse peut enfin commencer.

    J’ai beaucoup aimé ce livre mais il est assez différent du premier. J’ai ri aussi mais j’étais surtout très intéressée par l’enquête, que j’ai trouvé sehr spannend. Côté « familial », le livre se concentre sur la relation entre Franz et Sushi d’une part, et Franz et Susi d’autre part (cela va mal : elle en arrive à partir en vacances toute seule en Italie…). La relation avec la grand-mère est moins présente (et pourtant c’est vraiment un très bon personnage), le couple Franz-Rudi est moins efficace (l’enquête est plutôt assurée par Franz). Les situations sont cocasses mais moins diverses.

    L’enquête est elle plus profonde et plus poussée, moins ponctuée de bourdes. Ce que j’ai apprécié, c’est la logique du déroulement de l’enquête : c’est très sensé. Le lecteur peut trouver avant ou après le fin mot de l’histoire (suivant son niveau et son entraînement) mais c’est logique, même extrêmement logique.

    J’en viens à un point que je trouve assez négatif (mais ce n’est pas si important en fait) et que j’ai retrouvé dans les deux premiers volumes de cette série. J’ai l’impression que Rita Falk ne sait pas terminer ses livres. Je m’explique. Comme je le disais, on rit beaucoup à la lecture, mais le dénouement est absolument déprimant. Les deux derniers chapitres sont tellement terre à terre, sans humour. On se croirait en train de dire adieu à des vieux amis qui vont partir pour un très très long voyage en bateau. Ils vont nous quitter, alors que nous, nous restons sur place. On peut aussi assimiler cela à une phase de descente après une période intense. Cela m’a déprimé pour les deux volumes en fait.

    Il me reste le troisième volume dans ma PAL et j’ai déjà hâte de le lire, je pense à la fin de ce mois ou le mois prochain.

    Références

    Dampfnudelblues de Rita FALK (DTV, 2011)

  • J’ai acheté ce livre l’été dernier en Allemagne, dans une petite librairie de Michelstadt, après l’avoir vu plusieurs fois de suite sur internet. Il s’agit du premier tome de, je pense, plus ou moins, la série la plus connue de romans policiers régionaux (comme je vous l’ai déjà dit, il s’agit d’un genre très apprécié outre-Rhin ; on a vraiment le choix si on aime ce genre).

    La preuve que cette série est reconnue est que ce premier tome a été traduit cette année en français et a paru aux éditions Mirobole, en mars 2017, sous le titre de Choucroute maudite. Comme cela, vous n’aurez pas l’excuse de la langue pour me dire que vous ne lirez pas ce livre.

    Cette série a comme personnage principal, Franz Eberhofer, le policier d’un petit village bavarois, Niederkaltenkirchen. Il est originaire du village, où il est né il y a une quarantaine d’années. Il a quitté son village quelques années pour exercer son métier à Munich, avec Rudi Birkenberger, son ancien collègue. Ce dernier a été viré de la police après avoir émasculé un pédophile. Il a fait quelques années de prison et s’est reconverti en détective privé. Il est toujours prêt à aider Franz dans ses enquêtes, même s’il habite lui toujours Munich. À la suite de l’histoire avec Rudi, Franz Eberhofer a pété les plombs et a fait plusieurs fois usage de son arme de manière inappropriée. Sa hiérarchie a décidé de ne pas le licencier, mais de le muter dans son village, où il est le seul policier, ce qui est bien suffisant vu ce qui se passe là-bas.

    De retour chez lui, Franz a choisi de retourner chez sa grand-mère et son père. Sa grand-mère est une petite femme toute sèche, complètement sourde, accro aux promotions, mais surtout une cuisinière extraordinaire. C’est très important pour Franz qui ne pense qu’à ses repas, le travail ne représentant que des pauses entre ces moments. Il adore sa grand-mère, passe son temps à l’emmener faire des courses et elle lui rend bien. Le père est plus distant avec son fils. Cela s’explique par le fait que c’est un grand fumeur d’herbe (qu’il cultive au nez de son fils, policier). Il passe son temps à écouter les Beatles à fond, même si cela dérange tout le monde (sauf la grand-mère sourde d’ailleurs). Franz a aussi un frère Leopold, libraire de profession, qu’il n’aime pas du tout parce qu’il est un peu crétin. Il se marie très rapidement et il divorce tout aussi rapidement. On découvre ici une nouvelle femme, la deuxième en date, qui sera remplacée par la troisième à la fin du roman.

    Franz a un chien, Ludwig (que j’ai passé mon temps à confondre avec le frère…), avec qui il fait un tour tous les soirs, jusqu’au pub de Wolfi. Il y a rencontre son ami Flötzinger, le chauffagiste, parfois le boucher avec qui il entretient de bonnes relations (vu ce qu’il aime manger), mais aussi sa petite amie Susi. C’est une relation qui est peu suivie, elle aimerait plus, mais lui est moins attaché, en tout cas en apparence.

    Je vous ai fait un portrait détaillé des personnages car j’ai l’intention de lire plusieurs romans de cette série et cela m’évitera de le recommencer plusieurs fois. Je pense aussi que cela donne une bonne impression du village. Ce sont des personnages sympathiques, voire excentriques. On n’est pas en présence du policier le plus malin de la planète (son intelligence est parfois plutôt endormie) ; c’est ce qui va faire le charme de ses enquêtes car il va enchaîner les bourdes (professionnellement mais aussi personnellement).

    Jugez plutôt ! Cette première enquête se concentre sur une famille du village, la famille Neuhofer. La mère a été retrouvée pendu, dans la forêt. Le père s’est électrocuté alors qu’il était électricien. Seuls sont restés les deux fils. Ils ont décidé de faire des travaux sur le terrain. Un des frères meurt malencontreusement écrasé par une charge tombée d’une grue. Tout cela se passe en moins de deux moins. Absolument tout le monde trouve cela normal dans le village, une série de tragiques accidents. Le fils restant vend le terrain à une firme pour 50000 euros. On apprend peu de temps après que ce terrain, extrêmement bien placé, va être utilisé pour faire une station-service. À partir de là, cela intrigue tout de même un peu Franz Eberhofer. Il commence à poser quelques questions. Le problème est que sa hiérarchie ne l’encourage pas franchement à enquêter. Il décide quand même de continuer un peu.

    Il est cependant distrait dans ses investigations par l’arrivée d’une nouvelle la très belle Mercedes Dechampes-Sonnleitner, qui est chargée de faire rénover la maison de ses parents. Franz et Flötzinger se disputent les faveurs de la dame, qui devient pour la Ferrari. On voit facilement que l’enquête ne peut qu’avancer lentement dans ces conditions (je n’ai pas arrêté de me dire que ce Franz était vraiment très très naïf). Heureusement que Rudi et la grand-mère sont là pour remettre les choses en place.

    Clairement, ce roman est une parodie de roman policier. Il vaut surtout pour les personnages, qui forment un petit village très sympathique, et la cocasserie des situations. L’enquête ne démérite pas pour l’instant. On voit assez logiquement ce qui va se passer, mais des détails peuvent échapper.

    Personnellement, ce que j’ai beaucoup aimé est que cela m’a beaucoup fait rire. Mais je préfère prévenir, cela ne marche pas avec tout le monde (j’ai peut-être fait de gros contresens aussi mais je n’ai pas honte de les afficher dans un billet de blog). J’ai lu les commentaires sur Amazon pour le livre en français et clairement il y a un avis où la personne trouve que le livre n’est pas drôle. J’ai testé sur mon père et mon frère, qui m’ont dit que c’était bizarre et/ou nul. Soit je ne sais pas raconter, soit il faut avoir un humour particulier. La seule chose que je peux dire est que c’est une lecture extrêmement prenante et plaisante, elle m’a mis d’excellente humeur.

    Références

    Winterkartoffelknödel de Rita FALK (DTV, 2010)

  • Je ne sais pas si vous vous rappelez mais en 2014, j’avais adoré Une fille, qui danse de Julian Barnes. En janvier 2016, lors d’une descente à Gibert Joseph, j’ai acheté The Noise of time du même auteur. Depuis, il est sorti en français au Mercure de France sous le titre Le fracas du temps (je ne sais pas pourquoi les éditeurs ont choisi ce titre car on perd un peu le lien avec Ossip Mandelstam ; si vous avez lu la version française, peut-être avez-vous l’explication). Après plus d’un an et demi dans ma PAL, je l’ai enfin lu. J’ai encore une fois adoré, peut-être encore plus qu’Une fille, qui danse.

    Une fois que je vous ai parlé de Ossip Madelstam, vous avez peut-être compris que l’histoire se passe en Russie, au temps de l’URSS. On suit ici le personnage de Dimitri Chostakovitch, le compositeur de la Valse Numéro 2 (pour ceux qui ont comme comme une culture musicale qui se résume à la publicité). Julian Barnes explique dans sa postface que Chostakovitch a beaucoup parlé de lui, a donné parfois donné plusieurs versions du même événement. L’auteur nous explique que tout cela est un matériel inespéré pour un auteur, car il peut trouver une place dans la vie réelle d’un homme.

    Julian Barnes divise son livre en trois parties, correspondant toute à une année (bissextile) décisive de la vie du compositeur : 1936, 1948, 1960. Toutes les dates sont espacées de douze ans (j’ai le même chiffre pour les éléments marquants de ma vie).

    1936 est la date de la première dénonciation de Chostakovitch. Plus exactement, en 1932, Chostakovitch avait fini de composer son opéra Lady Macbeth du district de Mtensk. Celui-ci fut créer pour la première fois en 1934 et jouer par la suite dans le monde entier. Mais en 1936, Staline, qui se pique d’aimer la musique, assiste à l’opéra et le déteste. Deux jours plus tard paraît dans la Pravda un article intitulé « Le Chaos remplace la musique », où le compositeur est accusé de ne pas produire de la musique conforme aux idéaux communistes, c’est-à-dire s’adressant au peuple. Commence alors les premiers ennuis de Chostakovitch avec le Pouvoir. La première partie commence ainsi en fait en 1937. Chostakovitch passe ses nuits dans l’ascenseur de son immeuble pour éviter à sa famille le spectacle de sa future et probable arrestation. C’était chose courante apparemment dans ces temps de Purges. Ces moments sont propices à la réflexion. On suit ainsi le mouvement de pensée du compositeur : il se remémore son enfance, tout ce qui a pu se passer durant cette année, sa vie de famille, ses amis déjà disparus, ses interrogatoires. Julian Barnes, pour rendre compte de cela, n’utilise pas une narration linéaire mais des courts paragraphes, qui n’ont pas forcément de liens les uns avec les autres. C’est ce qui peut peut-être rendre difficile le livre car il nécessite une certaine concentration pour pouvoir sauter d’une idée à une autre comme cela.

    La deuxième partie se concentre sur 1948 qui est l’année de la deuxième dénonciation pour Chostakovitch. Ce n’est plus lui directement qui est mis en cause, mais un certain nombre de compositeurs suite à la disgrâce d’un collègue. C’est aussi l’année d’un voyage aux États-Unis au sein de la délégation soviétique, où il aura des messages l’encourageant à fuir. Ce voyage saura aussi celui où il recevra une humiliation qu’il n’oubliera jamais.

    La troisième partie se consacre donc à 1960, l’année où il prend sa carte au Parti, devient secrétaire général de l’union des compositeurs, sans jamais le vouloir, en répondant seulement aux injonctions du Pouvoir.

    Chostakovitch n’a pas jamais fui à l’étranger, comme Stravinsky. Il n’a aussi jamais adhéré aux idées du pouvoir soviétique. C’est le portrait de cet homme, pris entre deux feux, en pleines contradictions que nous fait, dans ce livre, Julian Barnes. Il nous montre les hésitations, les rancœurs, les justifications que se donne Chostakovitch (il est comme tout le monde, il veut juste sauver sa peau et sa famille), les nombreuses peurs et angoisses qu’il éprouve, le besoin impérieux de créer alors qu’il en est empêché. C’est l’histoire d’un homme pris dans les mouvements de l’Histoire. L’auteur nous fait rencontrer un homme dans toute sa complexité, en nous donnant à lire son flux de pensées désordonné peut-être mais extrêmement crédible. J’ai personnellement trouvé ce livre vraiment formidable car très juste. On ressent l’empathie et la tendresse que Julian Barnes a mises dans ce livre. C’est fin et délicat.

    Je ne sais pas pourquoi on a un peu moins entendu parler de ce livre, que d’Une fille, qui danse par exemple, en tout cas en France. À mon avis, il s’agit vraiment d’un excellent roman.

    Le billet de Kathel.

    Références

    The Noise of time de Julian BARNES (Jonathan Cape / Vintage, 2016)

  • Sadeq Hedayat est un auteur iranien que je veux découvrir depuis plusieurs années mais le titre que j’avais en vue était La Chouette aveugle. N’étant pas sûre de pouvoir réussir à lire ce livre, je voulais l’emprunter à la bibliothèque. Le problème est que ce livre est absolument tout le temps emprunté ; à chaque fois que je vais devant l’étagère il n’est tout simplement pas là. C’est un peu comme si vous alliez à la FNAC demander le dernier best-seller et qu’il n’y en ait qu’un de disponible et que vous deviez systématiquement attendre la commande. Tout cela pour dire que la dernière fois, je me suis décidée à découvrir l’auteur mais avec ce recueil de nouvelles qui contient cinq nouvelles assez courtes, le livre ne faisant que 150 pages.

    Le livre commence par une préface de Derayeh Derakhshesh, donnant des éléments biographiques sur l’auteur, et une introduction dévoilant quelque peu le contenu des cinq nouvelles. Dès le début de votre lecture, vous êtes prévenu que Sadeq Hedayat était un « solitaire désespéré », qui s’est suicidé en 1951 à l’âge de quarante huit ans, que ses nouvelles sont le reflet de l’auteur et de sa pensée et que vous allez lire cinq nouvelles tragiques.

    La Chambre noire est la nouvelle la plus longue, la plus fouillée et celle qui m’a le plus impressionnée car j’ai supposé que c’était la nouvelle la plus autobiographique. Cela a alors suscité un flot d’empathie pour un des personnages. Un homme se retrouve à devoir accepter l’hospitalité d’un inconnu. Celui-ci lui explique qu’il lui cède volontiers son lit car la construction de sa nouvelle « chambre » est enfin terminée. Cette chambre est une chambre sans accès vers l’extérieur (sauf la porte), une chambre destinée à pouvoir s’évader de l’extérieur et à se replier sur soi-même. L’homme explique à son invité le pourquoi de la chose, et développe aussi ses vues sur la vie. Bien sûr, la nuit se termine tragiquement pour un des personnages.

    Le mannequin derrière le rideau est un nouvelle des plus surprenantes, extrêmement moderne aussi. Un jeune étudiant iranien, ayant terminé son année scolaire en France, tombe amoureux d’un mannequin (ceux que l’on utilise dans les vitrines des magasins). Il l’achète, le ramène en Iran mais est plus passionné par sa poupée que par sa fiancée qui l’a attendu six ans. Cela tourne mal là encore mais de manière assez inattendue. J’ai beaucoup aimé le personnage de la fiancée, qui m’a semblé apporter un peu de clarté dans ce monde, et redonnant un peu d’espoir au jeune étudiant désespéré.

    L’abîme est une histoire classique de jalousie dans un couple marié. Elle n’a pas été sans me rappeler Chambre obscure de Vladimir Nabokov. Un homme s’est suicidé en léguant toute sa fortune à la fille de son meilleur ami. Malgré toutes les qualités que l’homme prête à son ami décédé, il ne peut s’empêcher de penser que sa fille n’est pas sa fille. Les relations du couple s’enveniment dès lors.

    Les Masques est là encore une histoire de jalousie dans un couple de jeunes fiancés. La différence avec les deux précédentes nouvelles est que la femme joue ici un rôle très négatif, d’autant que le jeune garçon a rompu avec sa famille pour se fiancer avec la jeune fille. Ici, le désespoir et le malheur semblent arriver de l’extérieur, même si le jeune homme se monte quelque peu la tête. J’ai moins aimé cette nouvelle car elle m’a semblé moins structurée. L’auteur se pose moins sur ses personnages et j’ai eu plus de mal à me figurer la situation.

    Le miroir brisé est une histoire d’amour entre un homme et une femme qui s’observe par leurs fenêtres respectives. Leur relation marche plutôt bien, jusqu’au jour où la jeune fille fait quelque chose qui énerve quelque peu son petit ami. Cette chose est tellement ridicule : ils sont à une foire, elle ne veut pas rentrer et traîne sur les stands pour retarder le départ. Mais ce n’est pas à la hauteur de l’idée que le jeune homme se fait d’une relation et décide de lui faire payer.

    Les cinq nouvelles se terminent toute tragiquement, il y a au moins un mort à la fin de chaque nouvelle. Toutes comprennent le même type de personnages : un homme, qui peut avoir des raisons d’être heureux, porte son malheur en lui et déclenche des événements qui vont faire son malheur. Ce que j’essaie d’écrire est que le malheur ne vient jamais de l’extérieur, c’est bien les idées qui tournent dans la tête de l’homme qui font son malheur. Comme un cas désespéré. On voit aussi que dans ses nouvelles que le malheur vient aussi souvent de relations amoureuses (dans toutes sauf la première). On voit bien que ces nouvelles reflètent les idées sur la vie que l’on peut prêter à son auteur. Je pense donc que c’est une bonne idée de découvrir Sadeq Hedayat par ses nouvelles car elle me semble donner une bonne idée des thèmes de sa production littéraire.

    À noter, Sadeq Hedayat est un excellent écrivain de nouvelles. L’action est très concentrée, est située très rapidement soit en Iran ou en France. L’auteur se concentre sur ses personnages et leurs relations, pour pouvoir faire passer sur son ressenti sur ce qu’est la vie. À noter que la traduction est extrêmement moderne et surtout très fluide, rendant la lecture extrêmement agréable.

    En conclusion, L’abîme et autres récits est un très bon recueil de nouvelles. Les deux premières sont carrément excellentes.

    Références

    L’abîme et autres récits de Sadeq HEDAYAT – traduit du person par Derayeh Derakhshesh (Éditions José Corti, 1986)

  • Le lecteur de cadavres de Antonio Garrido est un livre que je voulais lire depuis un an environ. J’ai attendu longtemps qu’il soit disponible à la bibliothèque et finalement je me suis décidée à l’acheter en ebook, lors d’une promotion.

    Il s’agit d’un gros roman historique, 616 pages dans l’édition grand format, donc l’action se situe au treizième siècle, en Chine, sous la dynastie des Song. Le personnage a réellement existé et est considéré comme le premier médecin légiste de tous les temps. En effet, Song Cí, le lecteur de cadavres, a laissé un livre en cinq volumes, donnant des techniques sur la manière d’examiner et d’ouvrir des cadavres (ce qui n’allait pas de soi si on suivait la logique confucéenne), de détecter les différentes maladies…

    Antonio Garrido a construit son livre autour de ce personnage, dont on connaît les travaux mais assez peu la biographie, ce qui comme l’auteur le souligne dans sa postface est une très bonne chose pour un auteur de fiction. Le roman s’ouvre sur un jeune Song Cí, travaillant dans les champs. Il est revenu de la capitale (de la dynastie des Song) Lin’an, où il habitait avec ses parents et la dernière de ses sœurs, suite au décès de son grand-père, pour pouvoir assurer le deuil traditionnel. Toute la famille s’installe chez le frère de Cí, qui entre-temps a réussi à développer une activité plutôt prospère, alors que toute la famille le pensait mal parti. Cí lui doit obéissance en tant qu’aîné mais doit surtout travailler très dur pour le satisfaire. C’est un peu la douche froide pour Cí, puisque peu de temps auparavant, il travaillait pour le juge Feng, qui lui a appris à voir les dessous des affaires criminelles. Cí avait trouvé sa vocation, espérait pouvoir réussir les examens d’État, après avoir durement étudié. Il était en cela soutenu par son père, qui maintenant semble avoir changé d’idées et vouloir rester indéfiniment au village alors que lui-même avait aussi un bon travail dans l’administration lorsqu’il vivait à la capitale.

    Le roman s’ouvre donc sur Cí, dans les champs, qui découvre le cadavre d’un de ses voisins mais surtout le père de son amoureuse. Cette visite est concomitante avec la visite de Feng, venu persuadé le père de Cí de revenir à la capitale. Bien sûr, la découverte du cadavre relance le couple d’enquêteurs que forment Cí et Feng. Le problème est que les deux montrent que le coupable est le frère aîné de Cí, qui est condamné à travailler dans les mines de sel (je crois) à l’autre bout du pays. Il mourra cependant en cellule. Très peu de temps après, les parents de Cí meurent dans l’incendie tragique de leur maison.

    Cí se retrouve seul avec sa petite sœur malade. Il décide de tenter sa chance à Lin’an pour tout de même réaliser son rêve. Grâce à plusieurs rencontres, ses talents de lecteur de cadavres se trouvent rapidement reconnus, par beaucoup de gens, des classes les plus populaires aux plus élevées. L’empereur le charge ainsi d’enquêter sur des meurtres très mystérieux, à la Cour, qui laissent même les plus grands experts perplexes.

    En vous racontant tout cela, je vous ai raconté tout de même la moitié du roman, pas en détail mais en gros, vous avez l’histoire. Je vais donc commencer mon avis par les points négatifs. Le début est très très lent. Après avoir réfléchi un peu, je pense que ce problème a deux causes. La première est que l’auteur utilise toujours la même manière de retourner son action. Cí découvre / fait quelque chose de positif pour lui mais sa crédulité / son innocence le fait rapidement déchanter. Il va ainsi de catastrophes en catastrophes, ne donnant pas l’impression d’avoir la maturité qui va avec son intelligence. Cela se produit en gros toutes les dix pages et cela devient rapidement prévisible. On passe son temps à se demander ce qui peut lui arriver de pire. La deuxième cause, à mon avis, est qu’on a l’impression que l’intrigue n’est pas finie, ne se termine pas. Il est évident à la lecture que le frère de Cí n’avait aucune raison d’assassiner son voisin (il n’en donne aucune d’ailleurs), que la mort des parents est plus que suspecte. Cí, cependant, semble accepter ces faits comme allant de soi, ne se pose pas beaucoup de questions. En plus d’être crédule, il semble manquer beaucoup de curiosité d’esprit. C’est gênant pour un tel personnage. Bien sûr, à la fin du roman, tout cela est expliqué mais à la lecture, on ressent un manque de cohérence dans l’intrigue.

    Bien sûr, il y a de nombreux points positifs aussi à ce roman. Comme je le disais, il fait 616 pages. Si la lecture n’avait été que déplaisir, je l’aurais abandonné avant la fin sans aucun scrupule. Le premier point positif est l’écriture de l’auteur. Elle est rapide et facile à lire, précise tant lors de l’évocation des sentiments des personnages que dans les descriptions de la vie quotidienne. Antonio Garrido a fait de nombreuses recherches et a été très méticuleux pour rassembler beaucoup de documents sur les plus petits détails de la vie quotidienne de l’époque. Il a su restituer cette documentation de manière agréable et non pesante pour son histoire ; son érudition sur la période n’écrase pas le lecteur car les détails, jamais superflus, s’insèrent parfaitement dans la narration. De plus, la deuxième partie du roman est beaucoup plus intéressante, même si de nombreuses fois l’auteur utilise trop facilement la crédulité de Cí pour faire rebondir son intrigue. Toute l’enquête policière et les techniques d’investigation sont passionnantes (à faire passer les Experts pour des amateurs) et surtout développées de manière extrêmement cohérente.

    En conclusion, un bon roman pour se changer les idées, en ce début d’été pluvieux.

    Références

    Le lecteur de cadavres de Antonio GARRIDO – traduit de l’espagnol par Nelly et Alex Lhermillier (Grasset, 2014)

  • Désolée pour cette absence un peu longue. J’étais trop déprimée au début du mois pour écrire quoi que ce soit (bizarrement pas pour lire par contre) et après il y a eu la canicule. Il faisait alors trop chaud pour que je me mette devant mon ordinateur. Dans tout cela, j’ai quand même eu un très bon mois de lecture, dont j’aimerais parler sur ce blog.

    Il y a trois semaines, j’ai été à la bibliothèque (c’est aussi pour cela que vous avez un billet, car je dois rendre le livre tout simplement) et en traînant dans les rayons, j’ai vu un livre dépassé, avec des écritures chinoises sur la quatrième de couverture. Il était rangé dans un rayon où je ne vais absolument jamais, celui de la poésie. J’ai été voir par curiosité. Première constatation : oui, le livre est très grand mais surtout est très beau, papier crème magnifique, reproductions de peintures anciennes sublimes. Je l’ai donc emprunté et lu le jour même.

    Le livre commence par une préface de deux pages de Pierre-Jean Rémy, de l’Académie française, nous expliquant la chance que nous avons de pouvoir lire ce document. Dans les années 1950, un libraire collectionneur a acheté un album de peintures chinoises. À une époque, il décide de faire photographier (de manière professionnelle) chacune des planches de cet album, après avoir compris que cet ouvrage avait beaucoup de valeurs (et il n’avait encore pas tout compris). Il montre bien plus tard les photos à un éditeur, qui les montre à Pierre-Jean Rémy. Ne s’y connaissant pas trop en peintures chinoises, il montre les photos à François Cheng, qui situe les images dans l’Histoire de l’Art Chinois. « Il s’émerveille et se pose aussitôt les questions : et s’il s’agissait des peintures originales ayant servi de modèles à un ouvrage imprimé ou estampé ? Et si les poèmes de Kangxi qui surmontent chacune d’elles avaient vraiment été calligraphiés par l’empereur ?  » Là, Nathalie Monnet, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France montre que l’intuition de François Cheng était juste. Il s’agit bien du manuscrit original, calligraphié par l’empereur Kangxi et illustré par un peintre de l’époque Jiao Bingzhen. Entre temps, le manuscrit original est volé au collectionneur. Ce sont donc les photographies (de très haute qualité) que nous pouvons encore admirer aujourd’hui.

    Mais de quoi s’agit, au fait ? Le Gengzhitu est un album de deux fois vingt-trois peintures chinoises, une série illustrant la culture ancestrale du riz, l’autre illustrant la fabrication de la soie. Chacune des quarante-six peintures est surmontée d’une calligraphie de l’empereur Kangxi, empereur chinois contemporain de Louis XIV, connu pour sa sagesse et son érudition.

    Après l’introduction de Pierre-Jean Rémy, se trouve une introduction de Nathalie Monnet détaillant le contexte historique (empereur, époque, vie quotidienne), les versions préalables de ce grand classique chinois, la création (commande, techniques utilisées…) et la parution de cette version, puis le devenir de ce livre dans les générations suivantes. Nathalie Monnet signe ici une magnifique introduction, longue, très instructive et complète, sans jamais être rébarbative, inabordable ou ennuyeuse. C’est son texte qui contribue à vous mettre en bouche pour la troisième partie du livre.

    C’est donc avec les yeux brillants que vous commencez à lire la traduction française de la poésie de Kangxi. Personnellement, j’ai admiré le travail d’édition. Chacune des quarante six planches est reproduite en taille moyenne, en dessous se trouve donc la traduction de la poésie de Kangxi. Comme je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, je ne comprends pas souvent la poésie, sauf qu’ici, c’est magnifique. Kangxi « raconte » les illustrations, explique très précisément chacune des étapes de la culture du riz ou de la production de la soie, magnifie la nature, inscrit ces activités dans un cadre ancestral mais aussi souligne, avec sensibilité, le dur labeur de ces sujets. Dire tout cela avec une telle concision est pour moi quelque chose d’assez extraordinaire. On peut aussi souligner au passage le travail de traduction de Bernard Fuhrer.

    Ensuite, il y a une double page pour expliquer les cachets de lecture présents sur chacune des pages de l’album. Tout empereurs qu’ils étaient, chacun mettait son cachet pour dire que le livre était dans sa bibliothèque et/ou qu’il l’avait lu. Je n’ose imaginer l’état des livres de bibliothèque, si tout le monde se mettait à faire pareil …

    Pour la dernière partie, vous avez de nouveaux les reproductions des quarante-six planches, mais cette fois-ci en très grande taille (celle du livre). Cela permet d’admirer la minutie de la peinture, de pouvoir appréhender l’ensemble des scènes qui sont illustrées (généralement, il y a plusieurs groupes de personnages et donc plusieurs points à regarder).

    À la fin de ma lecture, j’avais un sentiment d’érudition extraordinaire, d’avoir découvert un texte lumineux, surpassant tout. Je vous laisse imaginer comme je suis triste de le rendre aujourd’hui.

    Références

    Le Gengzhitu – Le livre du riz et de la soie – poèmes de l’empereur Kangxi – peinture sur soie de JIAO Bingzhen – présenté par Nathalie Monnet (conservateur en chef à la Bibliothèque nationale de France) – traduit du chinois par Bernard Fuhrer – préface de Pierre-Jean Rémy de l’Académie française (JC Lattès, 2003)

  • J’ai découvert cette pièce de théâtre dans le numéro de mai (je pense) du Matricule des Anges. Il s’agit d’une pièce destinée à des enfants. Elle a été écrite par Suzanne Lebeau. Cette auteure a déjà écrit beaucoup de pièce à destination de ce public, sur des sujets souvent difficiles (comme les enfants soldats par exemple). Elle a donc acquis une certaine pédagogie et de nombreuses connaissances qui lui permettent de pouvoir anticiper la réaction de jeunes enfants.

    Je prends toutes ces précautions pour pouvoir vous raconter l’histoire de cette pièce. On rentre dès la première scène dans une famille de quatre personnes : deux petites filles de 9 et 5 ans et leurs parents. Dans la première scène, cinq personnes parlent : cette famille essaie de se reconstruire après avoir vécu un drame, la mort suite à une tumeur au cerveau de la troisième petite fille, Alice, qui aurait eu sept ans. C’est la cinquième personne. Dans les scènes suivantes, la famille nous raconte son histoire : les vacances, les petites chamailleries entre sœurs, les maux de tête de la petite, le reproche qu’on peut se faire de ne pas avoir vu le problème plus rapidement, le diagnostic, la vie bouleversée pour les parents mais aussi les enfants, la bataille commune contre la maladie, l’espoir des rémissions, le désespoir des rechutes, l’acceptation de l’inévitable, la mort, l’après pour ceux qui restent mais aussi pour Alice. Toutes les étapes sont écrites, sans pathos, avec pudeur et justesse mais surtout de manière très directe.

    L’auteur de l’article du Matricule des Anges soulignait justement cette manière sans détour de dire les choses, qui pour lui en faisait un très bon texte pour les enfants. Il faisait ainsi remarquer l’absence d’images, de métaphores, de « longue maladie ». Les événements mais aussi les sentiments sont décrits de manière sincère et vraie, pour dire la vérité à des enfants. Ce n’est pas une famille parfaite, la petite malade est malade, elle souffre, n’a pas forcément le sourire, il n’y a pas d’happy end. C’est une pièce qui est complètement ancrée dans la réalité.

    Pour moi qui suis adulte, le texte est extrêmement bouleversant parce qu’en tant qu’adulte, je trouve difficile d’admettre que dans nos sociétés médicalisées des enfants puissent souffrir.

    Quand j’étais adolescente, vers 10-12 ans, j’ai lu un été un livre sur la mort, suite à une maladie aussi, d’un petit garçon, racontée du point de vue du petit frère. Je me rappelle avoir été traumatisé tout l’été par cette lecture parce que c’était la première fois que je prenais conscience que même mon frère (qui est comme un dieu pour moi) pouvait mourir, alors qu’auparavant j’avais toujours pensé que la mort était réservée aux adultes. Au début de ma lecture, sans connaître plus que cela le travail de Suzanne Lebeau, j’étais donc très réservée sur la compréhension que pouvait avoir un jeune enfant (à partir de 6-7 ans tout de même) de ce type de texte et surtout sur les conséquences sur lui. Dans la postface de la pièce, il est expliqué que cette pièce a été montée au Québec et a été présentée à des enfants d’un niveau équivalant au CE1 et au CM2. L’auteure explique que de manière surprenante les enfants ont mieux compris et ont mieux accepté que les adultes, qui eux ont un sentiment proche du mien sur ce « dernier tabou que notre société médicalisée et hyper sécurisée tente d’occulter : la mort de l’enfant ».

    Elle dit aussi qu’un enfant de cet âge n’a pas peur de la mort ; il a peur de faire de la peine à ses parents. À partir du moment où l’enfant voit que les parents acceptent, il part serein. C’est quelque chose que je ne savais pas mais c’est ce qui se passe dans cette pièce.

    À partir de là, je me suis demandé à partir de quand on interprétait comme un adulte cette pièce. Je me suis demandée si justement ce n’était pas à l’adolescence, à partir du collège, quand on perd son enfance finalement.

    Je m’interroge aussi pour savoir si la lecture de la pièce est faite pour des enfants. Visiblement, la pièce oui mais quel est l’impact d’une simple lecture ? Quel rôle joue la discussion qui a dû avoir lieu après la représentation ?

    Une lecture très forte donc. Je lirais sans aucun doute la pièce de Suzanne Lebeau sur les enfants soldats, qui a l’air aussi marquante. J’aimerais bien avoir l’avis de gens qui ont des enfants ou de professeur sur ce type de texte, sur l’interprétation que peuvent en faire des enfants suivant leurs situations personnelles …

    Références

    Trois petites sœurs de Suzanne LEBEAU (éditions Théâtrales / Jeunesse, 2017)