Cecile's Blog

  • Pendant mes révisions, j’ai écouté de manière intensive le podcast de l’émission de la BBC, A Good Read. Je vous explique le principe de l’émission au cas où vous ne connaissiez pas. L’animatrice invite deux « célébrités » (qu’on ne connaît en général pas si on habite de l’autre côté de la Manche), chacun suggérant aux deux autres une bonne lecture. Les participants ont donc tous lu les trois livres dont on va parler et en discutent pendant une demi-heure. Le concept n’est pas novateur mais c’est toujours surprenant à écouter pour plusieurs raisons. Premièrement, on ne parle pas forcément de nouveautés, les invités peuvent avoir choisi des livres parus il y a vingt ans mais dont ils gardent un souvenir impérissable (cela peut être des best-sellers comme des livres confidentiels). Pour l’occasion, ils les relisent (même les autres invités s’ils l’avaient déjà lu … oui, oui, vous lisez bien, les trois personnes ont lu les trois livres et sont capables d’en parler dans le détail, cela fait rêver je trouve). Les trois participants donnent leur avis de manière extrêmement subjective et honnête : quand ils ont trouvé le livre chiant, il le dise, quand cela fait écho à leur vie, il parle de leur vie, ils rient, s’enthousiasment … Ce n’est pas une émission de critique littéraire, mais bien de conseils de lecture entre amis. Vu la sincérité de l’émission, vous ne pouvez que noter certains titres. Et pour en rajouter une couche, quand un invité propose un livre d’un auteur qu’il connaît personnellement (ou même quand la présentatrice propose un livre d’un auteur travaillant à la BBC), le possible conflit d’intérêts est signalé à l’auditeur. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je trouve que cela fait rêver par rapport aux émissions littéraires et culturelles françaises.

    Tout cela pour dire que cette émission est une mine d’or d’idées de lecture et surtout très diverses : il y a des romans, des romans noirs, des classiques, des essais, des mémoires, des livres sur l’Histoire …Et parmi tout cela, j’ai bien accroché à l’émission où était présenté le livre de Dava Sobel, Longitude. Dava Sobel est une journaliste scientifique, qui, d’après sa biographie, a travaillé longtemps pour le New York Times. Un autre de ses ouvrages est disponible en français, La Fille de Galilée (il me tente bien aussi, celui-là). Malgré tout, elle a choisi de ne pas écrire un ouvrage de vulgarisation scientifique au sens classique du terme.

    Fin du XVIIième siècle, début du XVIIIième siècle, la marine, marchande ou militaire, anglaise a connu des naufrages majeurs, faisant perdre de l’argent et des hommes. Le plus meurtrier s’est produit le 22 octobre 1707 au large des îles Scilly, où 2000 marins sur 4 navires de guerre britanniques perdirent la vie. Ces naufrages avaient une même cause : la méconnaissance de la position exacte du bateau. Les méthodes prévues pour mesurer la latitude étaient connues et suffisamment précises depuis longtemps. Dava Sobel résume cela avec beaucoup d’humour :

    Tout marin digne de ce nom peut établir sa latitude sans trop de peine par la longueur du jour, par la hauteur du Soleil ou par la position des étoiles au-dessus de l’horizon. Christophe Colomb suivit une route droite à travers l’Atlantique quand il longea le parallèle lors de son voyage de 1492, et cette méthode l’eût sans nul doute mené aux Indes si les Amériques ne s’étaient interposées [p. 13].

    Pour la longitude, c’est différent car elle dépend du temps. L’idée est qu’il faut connaître l’heure au point où l’on est et l’heure à un autre endroit (le port de départ par exemple) pour savoir où on est. Plusieurs méthodes étaient utilisées, plus inefficaces les unes que les autres. Il y en a notamment une pour laquelle le capitaine du bateau devait regarder le soleil avec une lunette en verre. Apparemment, il y a eu plusieurs personnes qui sont devenues aveugles au bout de quelques années … on se demande bien pourquoi. Comme l’argent est le nerf de la guerre, l’Angleterre a décidé de régler le problème en proposant une sorte de concours, avec un règlement précisant les exigences de précision, de grosses sommes d’argent à la clé et un Conseil de la longitude comme juge du concours (le Conseil a commencé son activité en 1714 et a été dissous en 1828). Pendant tout ce temps, deux méthodes se sont affrontées : les méthodes lunaires et les méthodes mécaniques (celles avec des horloges et chronomètres).

    Les méthodes lunaires avaient beaucoup d’inconvénients, notamment dû au fait qu’elles étaient basées sur des observations astronomiques impossibles lors de cieux couverts ou sur l’observation de phénomènes se produisant très rarement. Pourtant, elles étaient considérées comme des méthodes scientifiques, donc de plus grandes précisions. Finalement, elles reposaient sur l’extension d’idées déjà connues depuis longtemps (l’observation du ciel, cela ne date pas d’hier, Ptolémée en est bien la preuve) et il est toujours plus facile d’accepter ce que l’on connaît déjà (un peu) que ce qu’on ne connaît pas du tout. Ce sont les méthodes qui avaient l’appui du Conseil de la Longitude, principalement constitué de personnes avec des connaissances scientifiques.

    Les méthodes mécaniques souffraient bien évidemment de cela. John Harrison, ébéniste de formation, s’est fait horloger pour essayer de répondre à ce problème de longitude. De 1714 à 1773, il a construit quatre horloges (ou chronomètre) nommées H1, H2, H3 et H4 (toutes les quatre sont exposées aujourd’hui à l’observatoire royal de Greenwich), chacune ayant ses particularités. Par exemple, la première, H1, est tout en bois, même le mécanisme. H4 est un chronomètre, elle fait ainsi une taille raisonnable. Seules H2, H3 et H4 ont été testées en mer ; Harrison n’ayant pas voulu donner l’horloge H1 car il souhaitait encore l’améliorer (c’était un perfectionniste). Chacune répond, d’après les tests, aux exigences de précisions demandées, et, ne se dérègle pas, malgré des conditions difficiles : variation de température, d’humidité, de pression, mauvais temps. Pourtant, le Conseil de la Longitude mettra énormément de temps à reconnaître la supériorité de cette solution sur les méthodes lunaires (qui seront, elles, finalement utilisées comme méthodes auxiliaires ou de confirmation).

    On apprend tout cela dans ce livre, ce qui est déjà énorme car je ne soupçonnais absolument pas que tout cela ait pu exister et en soit, c’est tout de même intéressant de connaître le pourquoi du comment du méridien de Greenwich, de comprendre la manière dont les gens de l’époque ont résolu un problème qui pouvait sembler insoluble, et surtout voir en combien de temps il a été possible de faire admettre aux scientifiques une nouvelle idée (je suis toujours un peu surprise quand je lis cela car c’est censé être les gens parmi les plus rationnels qui existent, et ils semblent pourtant souvent ancrés sur leurs certitudes même si on leur démontre le contraire).

    Pourtant, il y a plusieurs choses qui m’ont profondément dérangée dans la forme du livre. La preuve en est que j’ai mis un mois et demi pour lire 200 pages alors que ce qui était dit m’intéressait. Dava Sobel explique de manière détaillée le contexte, les méthodes lunaires, mais aussi les personnes qui interviennent pour résoudre ce problème de longitude. Et finalement, elle s’appesantit plus sur les méthodes lunaires et ses partisans que sur Harrison et son chronomètre.

    Déjà, elle a fait le choix de ne pas décrire les inventions d’Harrison pour que son horloge fonctionne : cela prend tout au plus trois pages dans le livre. Le prétexte en est apparemment que c’est un livre grand public. Et là, dans ma tête, je me suis dit que si elle n’arrivait pas à faire comprendre cela, c’est qu’elle ne devrait pas essayer de faire de la vulgarisation scientifique. Au final, si j’essaie de me rappeler les particularités de chacune des horloges, j’en suis incapable alors que c’est tout de même le plus important. Pour ce qui concerne le personnage d’Harrison, c’est la même chose. Elle a décidé de ne pas mettre, dans le texte, de notes de bas de page car c’est un ouvrage grand public (il y a cependant des sources à la fin du livre). Cela implique qu’elle ne cite ni Harrison (père ou fils), ni des témoins de l’époque. Elle arrive, je trouve, à bien faire vivre l’époque, les personnages célèbres mais pas du tout la famille Harrison. Elle parle d’un combat harassant contre le Conseil de la Longitude, de rancœurs … Et à chaque fois qu’elle disait cela dans le livre, j’ai eu l’impression qu’elle plaquait ses sentiments à elle sur le pauvre Harrison. Plus exactement, on voit que cela a été une lutte acharnée pour la famille Harrison de faire reconnaître le procédé, mais tous les sentiments intérieurs qu’elle lui prête, je les ai trouvés faux.

    En y réfléchissant après ma lecture, je me suis dit que cela n’aurait tout simplement pas dû être dans le livre. Il ne s’agit pas d’une biographie romancée, mais bien d’un essai à visée historique. Les sentiments de Harrison auraient plutôt dû être cités de ses mémoires que réécrits par l’auteur. Cela ne change pas la crédibilité du livre, mais cela lui donne un côté inachevé, fouillis, un peu décevant.

    La dernière chose qui m’a gêné, et je ne suis pas sûre que cela ne vienne pas de l’édition française (grand format et livre de poche), c’est l’absence de photos : il n’y a ni photos des horloges et chronomètres, ni de l’observatoire de Greenwich, ni d’Harrison lui-même alors qu’elle décrit tout cela dans son livre. Parler d’un portrait, sans même le montrer, dans un livre paru avant l’accès facile à internet … j’ai trouvé cela dommage.

    Si je résume tout cela, je dirais que j’ai aimé le fond de l’histoire (mais de manière générale, je suis bon public pour les livres racontant la manière dont les découvertes scientifiques se sont faites) mais je n’ai pas du tout accroché à la forme. Pour la défense de l’émission A good read, l’animatrice et le deuxième lecteur avaient signalés que la forme pouvait déconcerter, voire ne pas convaincre.

    Références

    Longitude – L’histoire vraie du génie solitaire qui résolut le plus grand problème scientifique de son temps de Dava SOBEL – traduit de l’anglais par Gérald Messadié (Points, 1998)

  • Je ne vais pas encore vous dire que j’aimerais reprendre plus régulièrement le blog … c’est bien le cas mais je n’ai pas forcément envie, et quand j’ai envie je n’ai pas forcément le temps. J’ai repris cette année une formation en plus du travail et cela me prend plus de temps que je ne l’aurais cru. Cela va mieux maintenant car j’ai terminé trois cours sur quatre. Comme je l’ai sûrement déjà dit, entre la lecture et le blog, je choisis systématiquement la lecture parce que c’est ce qui m’apporte le plus.

    De plus, ma prof d’allemand m’a proposé de faire un club de lecture à deux parce que je lui disais que j’aimerais parler de mes lectures avec des gens qui aiment les mêmes livres que moi. Elle m’a proposé de lire le livre que je vais vous présenter aujourd’hui : La variante de Lüneburg de Paolo Maurensig. L’auteur est italien mais l’action se déroule sur plusieurs décennies en Allemagne et en Autriche. J’en ai lu une partie en allemand et une autre en français car ma prof, avec les beaux jours, n’a pas le temps de lire en ce moment (la Grèce, le soleil, la randonnée … je m’estime déjà heureuse d’avoir cours) Pourquoi a-t-elle choisi ce livre ? Parce qu’elle l’avait déjà lu et qu’elle en gardait le souvenir d’une bonne lecture. La première fois, elle l’avait choisi pour les échecs, qu’elle aime passionnément.

    Comme vous pouvez le constater sur la couverture, le livre reprend les thématiques du Joueur d’échecs de Stefan Zweig : échecs et Nazisme. Le livre se décompose, je dirais, en trois grandes parties. La première partie se situe de nos jours. Le livre s’ouverte sur la découverte, un dimanche, du cadavre d’un homme, Dieter Frisch, dans son jardin. Tout laisse penser à un suicide par arme à feu. Pourtant, rien ne laissait présager un tel geste. Frisch était un homme d’affaires ayant très bien réussi, ayant une bien belle maison, de l’argent … Il était aussi très reconnu dans son domaine d’intérêt, les échecs. Il écrivait des commentaires de parties pour un journal spécialisé. Sa secrétaire, mais aussi sa femme de chambre, avait remarqué un changement de comportement chez cet homme à la vie si bien réglée.

    Cela permet d’ouvrir la seconde partie, commençant le vendredi précédant la mort de Dieter Frisch, où l’homme a effectué son dernier voyage hebdomadaire en train avec un de ses collaborateurs. Tous les vendredis, les deux hommes jouaient seuls, dans un compartiment. Pourtant, ce vendredi-là, un jeune homme s’invite dans ce tête-à-tête, en observant les deux joueurs. À la fin, il explique aux deux hommes, il explique qu’ils auraient pu faire autrement, en jouant mieux la fameuse variante de Lüneburg. Commence alors une conversation sur les échecs. Le jeune homme en vient à expliquer comment il a acquis un excellent niveau aux échecs grâce au mentorat de son père adoptif, Tabori, qui, le lecteur l’a appris avant, était le narrateur du début de l’histoire. Le jeune homme ne fait pas l’erreur de donner le nom de Tabori pour ne pas alerter Dieter Frisch car on s’en doute, il va être l’ange vengeur de son père adoptif. On sait dès le début qu’il y a eu un problème, à un moment, entre Frisch et Tabori, qui nécessite une vengeance.

    Dans la troisième partie, Tabori va reprendre la parole pour expliquer justement cette vieille histoire, remontant à la période de la Seconde Guerre mondiale.

    J’ai aimé ce livre mais je ne peux pas vraiment dire que je l’ai beaucoup aimé. Je vais commencer par ce qui ne m’a pas plu : la construction en trois parties. La première et la troisième partie sont excellentes car le lecteur est en éveil pour connaître la suite de l’histoire mais la deuxième partie est trop molle. Elle endort l’attention du lecteur. En plus, elle n’apporte rien au livre, car on n’apprendra jamais comment s’est déroulé la mort de Frisch et quel a été le rôle du fils adoptif là-dedans. Cela donne l’impression que l’auteur a voulu introduire la vie de Tabori après-guerre mais n’a pas su comment faire. En tout cas, il manque des pages au livre pour garantir une certaine cohérence à la narration.

    Le livre a cependant énormément de qualité. L’auteur a un véritable don pour dévoiler son histoire au fur et à mesure, sans trop en dire, pour maintenir un certain suspens. La clé de l’histoire est absolument bluffante, meilleur que Le joueur d’échecs (et ce n’est pas peu dire car c’est un de mes livres préférés). L’écriture est elle aussi excellente : elle rend réellement la parole de Tabori, un homme d’un autre temps, obsédé par une vengeance froide et maîtrisée, celle d’un joueur d’échecs. Par contre, on n’entend pas la voix du fils adoptif. Il en devient un personnage faible, qui est finalement uniquement le robot téléguidé de Tabori. Il apparaît fade entre Frisch et son père adoptif. Je pense que c’est ce qui m’a dérangé dans cette deuxième partie ; il y a un manque de tension par rapport aux deux autres parties, où il y a la rancune entre Tabori et Frisch, car ce n’est tout simplement pas l’histoire du fils adoptif.

    Comme le livre est vieux, je pense que beaucoup d’entre vous l’ont lu. J’aimerais bien avoir votre point de vue sur le livre, même s’il s’agit d’un souvenir de lecture car je me demande ce que l’on garde d’un tel livre. Personnellement, j’ai l’impression que je vais plutôt garder en mémoire la clé du livre. Si vous ne l’avez pas lu, je vous le conseille uniquement si vous jouez aux échecs.

    Références

    La variante de Lüneburg de Paolo MAURENSIG – traduit de l’italien par François Maspero (Seuil, 1995)

  • Je n’ai jamais fait de bilan sur le blog car je trouve que finalement, c’est assez personnel et qu’il y a peu de chances que cela intéresse quelqu’un. Pourtant, cette année, je me dis qu’il faut faire quelque chose car je n’ai pas fait beaucoup de billets cette année.

    L’année 2017 n’a pas été extraordinaire (exactement comme 2016, en fait). Il y a eu plus de petites déceptions que de petits bonheurs, pas eu de choses extraordinaires (à part une nouvelle carte graphique pour aller plus vite quand je programme en CUDA … bisous papa) mais pas eu de malheurs (et là, je ne m’en plains pas).

    Les blogs et BookTube ont fait partie des petites déceptions parce que je me suis rendue compte que finalement, pour certain(e)s, je ne lisais ou ne regardais plus de simples lectrices. Je n’aurais jamais pensé qu’on puisse être payé pour faire des vidéos ou des articles pour parler d’un livre qu’on a lu. Je n’ai jamais pensé qu’en tenant un blog, on devait sauver le monde de l’édition, en changeant la manière dont on lit. Pour moi, cela reste un loisir, et donc un monde de choix, et pas mon métier. Que le monde de l’édition se sauve tout seul, na ! Je suis donc tombée de haut. Je suis quelqu’un de très naïf ; pour moi, tout le monde est parfait, jusqu’à ce que je découvre que non, finalement, et là ma déception est à la hauteur de mon engouement, en valeur absolue (bien sûr). Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. C’est une de mes résolutions de 2018 : me recentrer sur les blogs dont j’arrive à comprendre les choix de lecture.

    Depuis novembre, j’ai changé de journal de lectures, c’est là où je référence toutes mes lectures, pas là où j’écris ce que je pense au cours de ma lecture (ça je ne fais, je me contente de post-it ou de notes rapides). Je ne prends plus un journal préformaté car au bout de cinq ans, je me suis rendue compte que je ne peux pas y noter tout ce que je veux (ou alternativement, que j’ai trop de place). Je me suis inspirée des chaînes BookTube allemandes pour le décorer et pour les « rubriques », avec la contrainte de place en moins. J’y note donc la présentation de l’éditeur, mon avis, des citations, colle des critiques de journaux. C’est un peu un blog sur papier, mais où je peux noter la fin des livres, monologuer sur tout ce que j’ai pensé du livre au cours de ma lecture, sans me soucier des spoilers ou des commentaires que je pourrais avoir. Cela me permet une réflexion plus complète sur un livre, en fait. Le problème est qu’il y a les échanges en moins ! Ce journal de lecture me rend plus zen pour rédiger de nouveaux billets de blogs. C’est mon autre résolution 2018 : arriver à poster plus régulièrement mais surtout faire des billets, je l’espère, plus compréhensibles.

    Dans tout cela, mon année 2017 de lecture a été excellente, plus que 2016 en fait. J’ai lu un certain nombre de livres, ce qui donne un certain nombre de pages. J’ai augmenté ma PAL d’un certain nombre de volumes, dépensé une certaine somme d’argent. Je pense que tout le monde se fiche des objectifs chiffrés que j’ai atteint donc passons au plus important, les livres ! J’ai continué à diversifier mes lectures (la fiction en pâtit un peu je trouve), en lisant des romans contemporains, des classiques aussi, des nouvelles, des essais, des mémoires, des livres d’histoire, des livres de vulgarisation scientifique, un peu de philosophie, beaucoup de BD, du théâtre. Pas assez de romans noirs ou policiers par contre, pas assez en VO (allemande ou anglaise). C’est les petits regrets de mon année.

    Je vais essayer de vous présenter tout cela par un rituel « les meilleurs livres que j’ai lu en … ». Je ne savais pas si je voulais faire un top 5, ou un top 3 … mais en fait je voulais le faire par catégorie et pour certaines, je n’ai pas assez de livres. Donc ce sera juste ce que je retiens.

    Pour les romans

    Ma lecture marquante a été très clairement Stay with me de Ayobami Adebayo. C’est un premier roman d’une jeune auteure nigériane, dont le sujet principal est la pression sociale sur le couple (pas seulement sur la femme) au sujet du fait d’avoir des enfants. Le sujet en lui-même est passionnant mais l’auteur organise son récit de manière vraiment intéressante, ménage une sorte de suspens, soutenant l’attention du lecteur de bout en bout. Pour l’instant, il n’est disponible qu’en anglais (le niveau n’est pas particulièrement difficile) mais je vous le conseille vraiment.

    En automne, j’ai lu un gros roman Le Cénotaphe de Newton de Dominique Pagnier. C’est l’histoire d’un homme qui découvre le passé « franco-allemand » de son père et de sa belle-mère, autrichienne. L’auteur retrace ainsi l’histoire allemande pendant les trois derniers quarts du XXème siècle (l’histoire allemande, et particulièrement l’histoire de l’Allemagne de l’Est a particulièrement marqué mes lectures cette année). L’histoire en elle-même est passionnante mais l’écriture est juste magnifique. Cela m’a un peu rappelé Pierre Cendors, ce qui n’est pas peu dire. Dominique Pagnier est l’auteur de nombreux livres, que je souhaite maintenant découvrir.

    Un autre auteur découvert cette année, que je vais essayer de continuer à lire en 2018, c’est Patrick Da Silva. J’ai lu Au cirque dans le cadre du Grand Trip, mais aussi Jeanne. L’écriture était toujours aussi intense et l’histoire aussi passionnante. Je garde espoir de tenir cette résolution car deux nouveaux livres de lui sortent au Tripode en ce début d’année.

    J’ai aussi continué à lire un auteur dont j’avais particulièrement aimé le premier roman traduit, Karsten Dümmel. J’ai trouvé son Temps des Immortelles encore plus magnifique que Le Dossier Robert. L’auteur y décrit la destruction systématique d’un homme par la Stasi, mais de manière extrêmement sensible. Il fait alterner les moments présents avec les souvenirs d’enfance, mettant en parallèle une anesthésie des sentiments avec des souvenirs d’odeurs, de couleurs et de moments de petits bonheurs.

    Pour les nouvelles

    Dans la suite logique de ces lectures, j’ai particulièrement aimé cette année les nouvelles dont le sujet principal est le contrôle de la vie privée par l’État ou d’autres institutions. Celles que je peux recommander sur ce sujet sont : Extraits des archives du district de Kenneth Bernard et Protection rapprochée de Fabien Maréchal. Les deux textes s’interrogent sur la manière dont l’États s’immisce dans nos vies privées, mais surtout sur ce que l’on est prêt à accepter. La nouvelle de Fabien Maréchal adopte un point de vue original puisqu’elle met en scène une présence policière permanente dans le pavillon d’un couple, pris alors comme annexe du commissariat.

    Pour les classiques

    Je vous avais parlé de mon challenge personnel pour lire des classiques cette année. J’en ai lu cinq sur douze. Je peux vous en recommander quatre : Crime et Châtiment de Dostoïevski, Anna Karenine de Tolstoï, Lolita de Nabokov et Le ventre de Paris d’Emile Zola (mon premier Zola…). Je n’ai par contre pas accroché à La Cloche de détresse de Sylvia Plath. J’ai aimé la première partie mais pas la seconde. J’ai eu du mal à comprendre la jeune fille. Au final, j’en garde surtout le souvenir d’une mauvaise traduction.

    Pour le théâtre

    Cela a clairement été une année Suzanne Lebeau. Je n’ai lu que deux pièces d’elle, dont je vous ai parlé sur le blog, mais j’ai déjà repéré ses autres pièces à la bibliothèque. J’espère donc continué ma découverte en 2018.

    En cette fin d’année, j’ai fait deux découvertes intéressantes : une pièce de Koffi Kwahulé, L’odeur des arbres, auteur dont j’ai découvert l’existence grâce aux vidéos YouTube de la librairie Charybde, et Michelle doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz ? de Sylvain Levey. Je vous recommande la première pièce (mais il faut la lire à voix haute) pour l’écriture incantatoire, la mise en scène particulière mais aussi pour le thème abordé, sur la place à accorder au bien-être individuel et au bien-être commun.

    La pièce de Sylvain Levey est une pièce jeunesse, comme celles de Suzanne Lebeau, mais il y a énormément à réfléchir dessus. En effet, elle aborde à la fois la mémoire des jeunes gens sur les faits historiques, mais aussi la violence sur les réseaux sociaux. Là encore, la mise en scène est audacieuse mais au plus proche de la réalité.

    Pour les romans policiers

    Le nombre de romans policiers lu en cette année 2017 se compte sur les doigts d’une main mais je peux en recommandé deux : Solovki de Claudio Giunta, lu sur les conseils de Lewerentz, et Stasi Child de David Young, premier enquête d’un couple d’inspecteurs de la KriPo en Allemagne de l’Est dans les années 70. L’enquête est passionnante et l’époque bien rendue, sans pour autant que cela tourne à la leçon d’histoire. Le deuxième volume de ces enquêtes est sorti en novembre, je crois ; je l’attends avec impatience à la bibliothèque.

    Pour les livres d’histoire

    L’année 2017 a été, pour moi, l’année Timothy Brook. Je vous ai parlé de La carte perdue de John Selden. Entre temps, j’ai aussi lu Le chapeau de Vermeer et Sous l’œil des dragons. Dans Le chapeau de Vermeer, l’auteur prend, pour chaque chapitre, un objet présent sur un tableau de Vermeer et part de cet objet pour raconter tous les pans de la naissance du commerce mondial. C’est facile à lire, érudit, instructif et passionnant, même pour le lecteur complètement novice. Sous l’oeil des dragons raconte les dynasties Yuan et Ming, sous un angle original, celui des crises climatiques. En effet, les quatre siècles que couvrent ces dynasties correspond au petit âge glaciaire européen, notre Moyen-Âge. Les événements climatiques sont interprétés comme les dragons du titre, et des chroniques de l’époque. On peut appliquer les mêmes adjectifs descriptifs à ce livre-ci.

    L’ivrogne et la marchande de fleur de Nicolas Werth m’a aussi particulièrement intéressé. L’auteur décrit tout le processus « civil » de la Terreur stalinienne. J’en étais resté aux Grands Procès de Moscou. Ce livre m’a ouvert les yeux sur le processus mais aussi sur l’ampleur de l’événement dans la société soviétique de l’époque.

    Pour continuer sur la thématique « histoire allemande de la deuxième moitié du XXème siècle », j’ai aussi lu Born in the GDR : Living in the Shadow of the Wall de Hester Vaizey. C’est un livre d’une intelligence extraordinaire. Il s’agit d’une enquête sociologique sur l’impact de la chute du Mur, sur la vie des jeunes ayant toujours vécu sous le régime communiste. Ce que j’ai particulièrement aimé est le respect de la parole des individus et l’échantillon choisi, comprenant tout le spectre de la société de l’époque.

    Sur un sujet connexe, j’ai aussi lu Les Amnésiques de Géraldine Schwarz, une journaliste franco-allemande, ayant rédigé un essai à la fois personnel et général sur le travail de mémoire et de compréhension de ce qui avait bien pu se passer, effectué par les Allemands de l’Ouest après la Seconde Guerre Mondiale. Là encore qu’écrire à part passionnant et juste (je dis cela pour en avoir parlé avec ma prof d’allemand, native de Cologne à cette période).

    Pour la vulgarisation scientifique

    Pour l’histoire, cela a été Timothy Brook, pour les sciences, cela a été mon année Thibault Damour. Le CNRS est d’accord avec moi, puisqu’il lui a accordé cette année une médaille. Je vous recommande absolument tout de lui (pour faire simple). Je vous recommande tout d’abord le livre audio qui est en fait une conférence du Collège de France, Ondes gravitationnelles et Trous noirs. Cela permet de comprendre mieux que n’importe quel article de journal ce que sont les ondes gravitationnelles et l’impact de leur observation.

    La BD qu’il a rédigé avec Mathieu Burniat, Le mystère du monde quantique, est une merveille de vulgarisation scientifique, alliant textes clairs et dessins pour clarifier et illustrer les concepts expliqués. Non seulement l’histoire de la physique quantique mais aussi les concepts clés de cette théorie sont évoqués.

    Pour ceux qui ont une petite formation scientifique, je vous conseille de terminer par Si Einstein m’était conté… Ce n’est pas une énième biographie d’Einstein, c’est une biographie scientifique d’Einstein. L’auteur suit, de manière chronologique, les découvertes d’Einstein en expliquant en quoi ces découvertes ont été révolutionnaires. Cela le pousse à expliquer les théories mais aussi comment elles ont changé la manière de voir de l’époque. Je n’avais jamais lu cela comme cela, cela m’a permit de mieux comprendre des concepts que j’avais vu à l’Université.

    Pour les BD

    J’en ai lu beaucoup, beaucoup grâce à la bibliothèque. Je vais essayer de limiter mon choix.

    Je vous conseille absolument tout le travail de Jean-Philippe Stassen sur le Rwanda, de l’époque du génocide à aujourd’hui. Là encore, c’est intéressant et documenté. Cela permet de mieux comprendre ce qui s’est passé et ce qui se passe aujourd’hui dans ce pays et les pays limitrophes. Les dessins servent le texte. On ne peut rien demander de plus à mon avis.

    Je vous recommande aussi les deux BD de Isabel Greenberg, qui sont juste captivantes et féeriques. On retrouve totalement la magie des contes, de notre enfance (ou de notre dernière lecture). S’immerger pendant une heure dans ce monde ne peut rendre qu’heureux.

    En parlant de contes, je vous conseille la biographie d’Andersen, Andersen, les ombres d’un conteur, elle-même racontée sous forme de conte par Nathalie Ferlut. Pour enfin connaître l’auteur derrière les contes.

    Bien sûr, il ne faut pas oublier Le déploiement dont je vous ai parlé sur le blog. Parce que c’est intelligent tout simplement.

    Une très belle découverte aussi : Le Sentier des Reines d’Anthony Pastor, retraçant le parcours de deux femmes (et d’un jeune homme) reprenant l’activité de colportage en mercerie après le décès de leurs maris dans la Savoie de l’après-Première Guerre Mondiale. Histoire passionnante et dessin magnifique. Un deuxième tome est sorti en septembre, je pense, reprenant les mêmes personnages mais en Nouvelle-Calédonie.

    Je pourrais aussi citer les deux tomes de la biographie de Staline mais je ne le ferais pas, hein…

    Pour les mangas

    Je me suis enfin mises aux mangas. Je n’en ai pas lu des tonnes non plus mais une série m’a particulièrement plu : Pline de Tori Miki et Mari Yamazaki, qui dressent une biographie de l’auteur de l’Histoire naturelle. Il faut bien voir que c’est en grande partie imaginaire puisqu’on ne connaît pratiquement rien sur l’homme. Cependant, je trouve que cela permet de bien appréhender l’époque romaine. Les dessins sont en plus magnifiques ! Quatre tomes sont sortis. Le cinquième sort ces jours-ci, il en est prévu huit si j’ai bien compris.

    Pour les livres audios

    J’ai surtout réécouté cette année. Ma plus belle réécoute est bien sûr Des fleurs pour Algernon chez Audiolib. Vous pouvez entendre la performance du lecteur-acteur sur YouTube mais je peux vous dire qu’en livre audio, c’est encore mieux.

    En voilà fini avec ce billet très très très long, mais bon l’année 2017 a été intense en lecture ! Ceci justifie cela.

    Pour finir tout de même, je vous souhaite à tous, ainsi qu’à vos familles, une excellente année, faite de bonheurs, de nouveaux projets et de lectures intéressantes.

  • Vous avez sûrement entendu parler (ou déjà lu) cette bande dessinée, mais j’ai enfin pu mettre la main dessus à la bibliothèque sans réserver. Je suis absolument ravie de ma lecture. C’est juste brillant, une des meilleures bandes dessinées que j’ai lues. Une des raisons en est que l’auteur utilise pleinement les liens entre textes et images qui peuvent exister dans une « bande dessinée ».  C’est d’ailleurs sa thèse au sens propre comme au sens figuré.

    L’éditeur nous indique que Nick Sousanis est un ancien joueur de tennis professionnel, dessinateur, musicien, mathématicien, chercheur. Il enseigne actuellement le langage de la bande dessinée à l’université de Calgary. Le déploiement est la thèse de doctorat qu’il a soutenue au Teachers College de la Columbia University, en 2014. La première fois que j’ai lu cela, j’ai pensé que c’était un peu pour se la jouer, mais c’est tout simplement que je ne connaissais pas la thèse qu’il avait défendue. Alors que maintenant que je l’ai lu, je peux vous dire qu’il ne pouvait pas faire autrement. C’est juste brillant d’avoir pu le faire, de l’avoir fait de manière si complète.

    Nick Sousanis commence sa thèse en faisant un parallèle avec Flatland de Edwin Abbott Abbott dont je vous avais parlé ici. Pour rappel, le roman mettait en scène des éléments géométriques vivant dans des espaces de leurs dimensions : les points vivaient dans un espace de dimension 1, les carrés dans un espace de dimension 2, la sphère dans un espace de dimension 3. Les points ne pouvaient concevoir un espace de dimension supérieure et restaient sagement dans leur espace restreint. Les carrés ne pouvaient pas concevoir les espaces de dimension 3, jusqu’au jour où un carré a eu l’intuition qu’un tel monde existait et a rencontré la sphère. À eux deux, ils cherchaient à initier les points. Bien sûr, il y avait une allégorie là-dessous, mais si l’on reste au premier niveau de compréhension, il s’agit bien de l’histoire.

    Nick Sousanis fait le lien entre cette histoire et notre lien entre images et textes. Depuis « toujours », on nous apprend à penser uniquement par le texte, ce qui entraîne nécessairement pour la plupart d’entre nous une pensée linéaire, une pensée limitante, car elle se fige à force d’être répétée, nous faisant mettre tout dans des cases, nous faisant tous nous ressembler. Il souligne l’impossibilité de faire des liens, de sortir d’un certain schéma de pensées.

    Sa thèse est qu’il manque une dimension à notre pensée : c’est du dessin et de l’image. Dans nos sociétés, l’image est restée au rang d’illustration. La vue est sous-estimée : elle ne nous servirait qu’à la perception, sans permettre plus au niveau de nos cerveaux. Dans ce livre, Nick Sousanis veut nous montrer ce que nous manquons en nous limitant à la pensée linéaire, mode de pensée qui nous est appris très jeune, dès le début de notre période scolaire.

    Le texte est une thèse, est donc très référencé et surtout argumenté et fouillé. Il ne s’agit pas d’une défense simpliste. Il analyse les causes et les conséquences, fait l’historique des liens entre textes et images, propose de changer. Rien n’est simpliste dans ce texte. Il ne se lit pas facilement, il se vit. Sans cesse, vous observez les dessins, le texte, cherchez à voir la construction globale de la planche et pas seulement ces détails. Le texte et l’image se répondent de manière égale. Le texte est illustration de l’image et vice-versa. En lisant ce livre, vous vivez la thèse de Nick Sousanis et vous comprenez cette dimension qu’il vous manque. C’est ce que j’ai trouvé vraiment brillant ! C’est juste remarquable et fascinant d’avoir la possibilité de penser si différemment et si complètement. Et de pouvoir le transmettre en plus !

    Je ne pouvais pas ne pas vous mettre des exemples de planche pour vous montrer ce que cela donne (ce n’aurait eu aucun sens de ne faire qu’un billet avec du texte, en complet désaccord avec la thèse de l’auteur). Il s’agit d’un passage au début du livre, au moment de l’analogie avec Flatland. Si vous cliquez sur les images, vous obtiendrez des versions en plus haute résolution.

    D’autres citations (sans les planches)

    Les langages sont de puissants outils pour explorer les abîmes encore plus profonds de notre entendement. Mais malgré leur force les langages peuvent devenir des pièges. En confondant leurs limites avec la réalité, nous voilà, comme les Flatlandais, aveugles aux possibilités au-delà de ces frontières factices, privés de conscience comme des moyens d’en sortir. Le médium de notre pensée définit ce que nous pouvons voir.

    Si une page de BD se lit de manière séquentielle, comme un texte, elle est en même temps saisie – vue – dans sa globalité. Thierry Groensteen voit dans cette organisation d’images simultanées un système, un réseau, un espace connecté reposant non sur un procès séquentiel linéaire progressant d’un point à un autre… Mais des associations qui s’étendent comme une toile sur la page, tissant des fragments en un tout cohérent. Ainsi chaque élément fait un avec un tout. L’interaction spatiale du séquentiel et du simultané confère à la bande dessinée une nature duale – à la fois arborescente hiérarchique, et rhizomatique, entrelacée en une même forme.

    Pour Lakoff, Johnson et Núñez, nos concepts fondamentaux ne sortent pas du royaume de la pure raison désincarnée, mais sont basés sur notre expérience physique du monde. Par notre activité perceptive et corporelle quotidienne, nous formons des structures dynamiques imagée qui organisent notre expérience et lui donnent sens. Opérant en deçà de notre conscience, ces structures modèlent notre pensée et nos actes. L’expérience concrète constitue la matière première à partir de laquelle nous étendons notre capacité de pensée et donnons naissance à des concepts plus abstraits. Nous comprenons le nouveau dans les termes du connu.

    En dépit de nos prouesses mentales, notre esprit n’est pas illimité. Dessiner, selon Masaki Suwa et Barbara Tversky, est un moyen d’orchestrer une conversation avec soi. Coucher nos pensées nous permet de sortir de nous-même, pour puiser dans notre système visuel et notre faculté de voir en relation. Ainsi étendons-nous notre pensée, la distribuant entre conception et perception – simultanément impliquées. On dessine non pour transcrire des idées de sa tête mais pour les générer dans la recherche d’une compréhension supérieure.

    J’avais plein d’autres citations, mais elles perdent de leurs forces sans les dessins. Je vous recommande donc très fortement cette bande dessinée si vous souhaitez en avoir plus. Je ne pense pas que vous le regretterez !

    Références

    Le déploiement de Nick SOUSANIS – traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Voline (Actes Sud – l’an 2, 2017)

  • J’ai découvert ce livre en regardant une vidéo d’une booktubeuse allemande. Je ne connaissais absolument pas l’auteur, j’ai donc fait le choix de le lire à la bibliothèque. Pourtant, Junichirô Tanizaki semble, d’après ce que j’ai lu, un des plus grands écrivains japonais du XXe siècle (1886-1965) et La clef un de ses ouvrages les plus connus.

    Ce livre compte quatre personnages principaux : un couple, leur fille, Toshiko, et l’ami de leur fille, monsieur Kimura. Le monsieur du couple, cinquante-six ans, est professeur d’université. Il a une charmante femme, Ikuko, plus jeune que lui d’une grosse dizaine d’années, qui a été élevée dans une famille très traditionnelle. La majeure partie du temps, elle suit son éducation. Ce qui désespère son mari est qu’elle se montre très entreprenante, et surtout exigeante, au lit et qu’à son âge, il commence à avoir du mal à la satisfaire et cherche à mettre du piment dans son couple, non pas à base d’accessoires, mais de jalousie et de manipulation. Je précise pour les âmes sensibles qu’il y a des scènes de chambre explicites.

    Il va se servir de son journal intime, pour donner ses sentiments sur son couple, mais aussi ses envies pour celui-ci. Malgré ce qu’elle prétend, sa femme lit son journal et semble prendre pour argent comptant ce qui est écrit. Pour répondre à son mari, elle entreprend, elle aussi, la rédaction d’un journal intime, qu’elle s’arrange pour faire lire à son mari, sans qu’il pense qu’elle le sait (j’espère que c’est clair). Le livre est constitué par l’alternance des journaux intimes du couple. Toshiko ou monsieur Kimura n’interviendront que par l’intermédiaire du couple, dans différents rôles.

    Le lecteur assiste en spectateur voyeur aux manipulations redoutables que l’un exerce sur l’autre et inversement. C’est d’autant plus difficile à démêler que le lecteur ne sait pas ce qui est sincère et ce qui est écrit pour manipuler le partenaire. À la fin de ma lecture, avant l’explication finale, j’en étais arrivée à monter une tout autre histoire que celle que j’avais lue.

    Les personnages du couple sont évidemment très forts. J’ai particulièrement aimé le personnage de la femme, car c’est le plus complexe. L’homme ne semble qu’avoir une idée en tête (le sexe) et ne semble, par conséquent, pas très sensible à son environnement. La femme par contre entretient des sentiments contradictoires vis-à-vis de son mari, entre amour et désamour, vis-à-vis de sa fille, entre sentiments maternels et jalousie par rapport à sa jeunesse mais aussi l’impression de lui être supérieure et vis-à-vis de monsieur Kimura, dont elle ne sait pas s’il est sincère avec sa fille et elle ou s’il est le jouet de son mari. Elle entretient aussi des sentiments ambigus vis-à-vis d’elle-même. Il est évident qu’elle s’apprécie beaucoup, mais elle reste très perplexe sur le choix qu’elle doit faire entre manières japonaises et manières occidentales. Elle se sent prisonnière de son éducation, tout en la respectant.

    Le « conflit » entre manières de vivre japonaise et occidentale est un thème extrêmement présent dans le roman. D’après ce que j’ai lu, c’est un thème que l’auteur reprend dans ces autres romans. Dans La clef, on voit que les manières japonaises sont des manières « comme il faut », tandis que les manières occidentales sont celles du dévergondage. Pourtant, c’est quand la femme les assumera le plus, qu’elle sera la plus « heureuse » au « désespoir » de son mari.

    C’est un très bon livre. Il est surtout d’une extrême modernité dans son traitement du couple (la manipulation est particulièrement bien saisie) et de son intimité, ainsi que dans son écriture et son mode de narration (l’alternance des deux journaux intimes). Une très bonne découverte donc. Quels autres livres me conseilleriez-vous pour poursuivre la découverte de cet auteur ? Quatre soeurs me plairait assez, mais je ne suis pas encore sûre.

    Références

    La clef – La confession impudique de Junichirô TANIZAKI – nouvelle traduction d’Anne Bayard-Sakai (Folio, 2003)

  • On n’avait rien à faire ici de Thomas Olsson est une bande dessinée suédoise, racontant la recherche de Sir John Franklin du « passage du Nord-Ouest », du point de vue de Thomas Evans, quatorze ans, mousse parmi les cent trente-cinq hommes d’équipage, répartis sur les deux bateaux de l’expédition.

    Pour rappel, l’expédition de Sir John Franklin a commencé le 19 mai 1845, et s’est terminée en 1848 par la mort du dernier membre d’équipage. Cette expédition a toujours été mystérieuse puisqu’on n’a retrouvé qu’en 2014, un des bateaux de l’expédition, tout comme on n’a compris que dans les années 80-90 de quoi étaient morts les membres d’équipage. Une autre question était de savoir si les survivants s’étaient livrés ou non au cannibalisme. Toutes ces recherches sont résumées par l’auteur dans son épilogue.

    Le corps de la BD est constitué de quatre chapitres, un pour chaque année. Bien sûr, le premier chapitre, celui de l’année 1845, est beaucoup plus important en taille que les autres puisque dans celui-ci, Thomas Olsson situe historiquement l’expédition, présente les protagonistes et raconte le début du voyage où beaucoup de choses changent par rapport au programme prévu. Il était normalement prévu que le voyage dure une année mais les bateaux vont se retrouver prisonniers des glaces dès le premier hiver. Les autres chapitres sont beaucoup plus « monotones » puisque la situation de l’équipage ne change plus beaucoup : bloqués dans la glace, de plus en plus d’hommes meurent sans que personne ne puisse rien y faire, même pas le capitaine. On est plus dans la survie que dans l’expédition ou l’aventure, donc, il y a nécessairement moins à raconter.

    Le choix d’utiliser le personnage d’un mousse pour raconter cette expédition est vraiment très intelligent, car il permet à l’auteur de couvrir de manière crédible l’histoire du point de vue de tous les membres de l’expédition : un mousse peut faire tous les travaux sur un bateau, mais surtout on n’y fait pas franchement attention. Le personnage de Thomas Evans que créé Thomas Olsson est très attachant, car il semble le plus mature de tous, le plus calme, un peu comme s’il n’attendait déjà plus rien d’une certaine manière, dans le sens où son destin aurait pu déjà être pire. Dès le départ, le lecteur sait que Thomas est orphelin de père et de mère, et qu’il s’engage sur le bateau, car il n’a rien d’autre à faire puisque à quatorze ans, on ne veut plus des enfants à l’orphelinat. L’auteur lui fait connaître une courte histoire d’amour avec une jeune Groenlandaise, qui le motivera jusqu’au bout à se battre pour rester en vie.

    Le livre est dessiné avec des dessins de type « cartoons de journaux », comme sur la couverture. Le volume est tout en dégradé de bleus, comme la couverture aussi. Si vous n’avez pas compris, la couverture donne un bon aperçu de l’intérieur du livre ! Au début, j’étais sceptique sur ce type de dessins, car ce qui fait rêver dans ce genre de livre, c’est la nature, les paysages, ce que l’humain peut subir dans ces climats extrêmes. Tout cela, je ne voyais pas comment cela pouvait être retranscrit avec ce type de dessins. J’avais raison, car clairement tout cela n’est pas le projet de l’auteur. Comme indiqué par le titre, l’idée est vraiment de montrer la stupidité et la vanité d’une telle expédition.

    Sans parler des dessins, Sir John Franklin est peint dès le début de ce roman graphique comme un homme vaniteux, pensant avoir toujours raison, pensant que tout abandon serait un échec de sa personne, même si cela doit coûter la vie à tout son équipage. Les dessins amplifient ce sentiment. Pas de grands paysages, pas de souffrances des personnages… seulement des personnages qui tombent morts, comme des personnages de jeux vidéo du début des années 90. On les enterre sans beaucoup les regretter, comme si d’autres compagnons allaient réapparaître bientôt. C’est un peu le sens du titre, à mon avis : des morts inutiles pour un objectif qui était tout aussi inutile.

    Une bonne lecture si vous en avez l’occasion, et surtout, si vous êtes intéressés par les expéditions polaires.

    Thomas Evans est le dernier nom figurant sur le piédestal de la statue de Sir John Franklin, place Waterloo à Londres.

    Références

    On n’avait rien à faire ici de Thomas OLSSON – traduit du suédois par Aude Pasquier (L’Agrume, 2017)

  • La carte perdue de John Selden est un livre d’Histoire, portant principalement sur le commerce en mer de Chine au début du XVIIème siècle. Ce sujet est abordé par la recherche d’éléments de compréhension d’une carte, retrouvée par hasard à la bibliothèque Bodleian d’Oxford.

    Je suis ravie d’avoir pris cette idée de lecture sur le blog Wodka. Je n’avais jamais entendu parler de l’auteur, et encore moins de ce livre. Pourtant, Timothy Brook est, d’après mes recherches internet, très connu, notamment pour son Chapeau de Vermeer. Il est actuellement sinologue-historien à l’Université de Colombie-Britannique (Canada). Il a écrit au moins trois livres destinés au grand public, les deux cités précédemment et Sous l’œil des dragons.

    Un jour, Tim Brooks est appelé par un conservateur de la Bodleian qui souhaite lui montrer une découverte faite dans le fond de la bibliothèque : une carte maritime, centrée sur la mer de Chine méridionale, dont on entend beaucoup parler actuellement dans l’actualité à cause des revendications territoriales de la Chine sur un certain nombre d’îles, que les voisins du pays revendiquent également. Sauf que cette carte date du début du XVIIème siècle (je déflore un peu le sujet, car on l’apprend à la fin du livre mais bon). Enfin observateur (et surtout chercheur), Timothy Brook observe les détails qui font de cette carte une carte dont aucun équivalent n’a été trouvé jusqu’à présent. L’auteur va adopter une démarche très scientifique pour complètement épuiser son sujet (le livre est passionnant, mais c’est vraiment la manière dont est traité le sujet qui m’a le plus intéressée).

    Ainsi, l’auteur va enquêter sur la manière dont cette carte s’est retrouvée dans le fond de la Bodleian. C’est assez facile quand on a un catalogue assez bien tenu et donc il apprend rapidement que cette carte est venue avec la collection de John Selden. La carte a même été spécifiquement nommée dans le testament, ce qui prouve l’intérêt que l’homme portait à sa carte. Qui était donc John Selden (1542-1629) ? C’est un « juriste, orientaliste, historien du droit, parlementaire, théoricien de la constitution et auteur de Mare Clausum, « La Mer fermée » ». Ce livre est à la base du droit international de la mer, qui est aujourd’hui en application. C’est notamment lui qui a posé l’idée qu’un pays pouvait revendiquer une bande de mer autour de son littoral. Il s’opposait à l’époque à la conception hollandaise, portée par Huig de Groot (1543-1645), pour qui la mer était un territoire international que toutes les nations étaient libres d’utiliser pour le commerce (il défend notamment cette idée dans Mare Liberum, « Mer libre » ou « De la liberté des mers », suivant la traduction que l’on souhaite). Après avoir expliqué à son lecteur l’importance (inconnue jusqu’alors inconnue) de John Selden, l’auteur passe aux annotations de la carte.

    La carte est chinoise, mais possède des annotations (ou traductions) en anglais. Et là, dans un chapitre merveilleux, on va apprendre tout sur Thomas Hyde (1636-1703), conservateur assistant de la Bodleian mais surtout passionné par les langues rares, synonyme à l’époque d’asiatiques. Pour apprendre une langue, n’ayant pas de méthode Assimil, il cherchait à rentrer en relation avec des natifs. L’auteur nous apprend alors que Michael Shen (1658-1691) est le premier Chinois à avoir posé un pied en Angleterre. C’était un très grand lettré, converti au catholicisme (les Jésuites étaient là-bas depuis plus d’un siècle). Il a eu l’occasion de faire un séjour en Europe, où il a entre autres rencontré Jacques Ier Stuart et Thomas Hyde, qu’il a aidé à annoter la carte.

    Au début du XVIIième siècle, la question de l’appartenance de la mer était particulièrement importante, car les compagnies hollandaises et anglaises (un peu espagnoles aussi)  cherchaient à commercer, notamment les épices, avec les pays du pourtour de la mer de Chine méridionale. Il faut savoir qu’à cette époque, la Chine était un pays fermé, au niveau commercial en tout cas. Il fallait payer des émissaires… les Anglais et les Néerlandais étaient rivaux dans la conquête de chaque île ou pouvait se trouver des épices. La manière d’installer des relations commerciales pouvait aussi être très différente (entre violente et respectueuse, car oui il y avait des peuples là-bas, même avant que les Européens n’arrivent). L’auteur va expliquer dans plusieurs chapitres, comment le commerce maritime fonctionnait à l’époque dans cette zone.

    Tout cela vient que malgré le fait que la carte est chinoise, on y observe des influences européennes. L’auteur va donc chercher à savoir qui a pu acquérir cette carte, un Européen sans aucun doute mais où ? La carte présente aussi le tracé des principales routes maritimes de l’époque. Cela va mener l’auteur à nous raconter comment, à cette époque-là, on pouvait naviguer en pleine mer, quels étaient les instruments utilisés, quelles étaient les références pour retrouver son chemin… Il nous explique, ainsi, la différence entre les systèmes chinois et européen pour diviser la rose des vents. Il parle des différentes projections qui pouvaient être utilisées à l’époque pour représenter le globe de manière plate.

    Dans le chapitre final, Timothy Brook répond aux dernières questions que l’on pouvait se poser sur la carte. C’est intéressant pour compléter le sujet, mais on y apprend moins de choses que dans les chapitres précédents. Pour être honnête, c’était quand même la meilleure façon de terminer un livre si brillant.

    Vous aurez compris que je suis extrêmement enthousiaste au sujet de ce livre. Avant la lecture, je ne m’intéressais absolument pas à ce sujet et, pourtant, j’ai tout de suite accroché à cette lecture. J’ai aimé, comme je le disais, la manière dont est abordé le sujet. On a vraiment l’impression d’assister au travail de l’historien sur un document ancien, d’arriver à voir le travail minutieux d’enquête mais aussi les limites où on ne peut plus rien conclure, sans tomber dans la fiction. Timothy Brook a réalisé avec ce livre un excellent travail de vulgarisation. Ce n’est absolument pas compliqué à lire. Le lecteur n’est jamais perdu que ce soit dans les lieux, dans les noms ou dans les époques ; il ressort surtout beaucoup plus intelligent. Je pense que je vais lire les deux autres livres dont je parlais au début du billet. À Paris, ils sont très demandés mais tout de même disponibles dans une autre bibliothèque, mais quand on aime, on ne compte pas ses pas.

    Références

    La carte perdue de John Selden – Sur la route des épices en mer de Chine de Timothy BROOK – traduit de l’anglais (Canada) par Odile Demange (Histoire Payot, 2015)

  • En juin, je vous parlais d’une première pièce de théâtre de Suzanne Lebeau, Trois petites soeurs et je vous faisais part de mon envie de lire sa pièce sur les enfants-soldats. C’est cette pièce que je vais essayer de vous présenter dans ce billet.

    J’ai plusieurs romans et témoignages qui m’attendent sur le même sujet dans ma pile à lire. Ce sont des lectures nécessaires mais pas agréables. Cette pièce ne fait pas exception ; c’est une pièce coup de poing, touchante et émouvante. Elle met les larmes aux yeux bien évidemment.

    Il y a seulement trois personnages : Elikia, une jeune fille de treize ans, Joseph, un petit garçon de 8 ans et Angelina, une infirmière. Les scènes mettant en scène les enfants sont en alternance avec les scènes d’Angelina. Elikia est une jeune fille, qui est devenue femme par la force des choses. À l’âge de dix ans, elle a vu son père et son petit frère se faire sauvagement assassiner, sa mère se faire violer par les rebelles. Ils l’ont ensuite enlevée pour servir de soldat et de femme, pour les travaux ménagers et pour le sexe. Cela va durer trois ans. Elle décide de fuir pour protéger Joseph, qui vient d’arriver au camp, et qui est décidément trop petit pour comprendre. C’est cette fuite que raconte la pièce : la peur de tout, des rebelles et de l’armée régulière, la soif, la faim. Suzanne Lebeau écrit ces scènes sur deux temps : un dialogue au temps de la fuite avec des éléments rajoutés par les deux protagonistes. Les deux temps sont distingués dans le récit par l’épaisseur de la police.

    Les scènes d’Angelina sont en réalité des scènes de comparution devant un tribunal, international ou de réconciliation, on ne sait pas trop. En réalité, ce n’était pas pas Angelina qui était convoqué mais bien Elikia. Sauf qu’Elikia ne pouvait pas être là. C’est Angelina qui est donc venu, avec le témoignage d’Elikia sous forme écrite, dans un petit cahier. La jeune fille y a tout écrit, tout ce qu’elle n’a jamais dit ou jamais put dire. Angelina nous en donne les moments forts, tout en nous épargnant les descriptions des cruautés qu’a subies Elikia mais aussi ce qu’elle a pu faire en tant que soldat de l’armée rebelle.

    Cette pièce fait quatre-vingt-dix pages, et est imprimée avec beaucoup d’espaces. En quatre-vingt-dix pages, Suzanne Lebeau a tout dit, avec la plus grande des simplicités. On a compris, mieux qu’avec un reportage, toute la cruauté d’une guerre où des enfants sont engagés de force (si quelqu’un en doutait encore). On a compris la difficulté de la reconstruction, la difficulté pour des gens extérieurs de comprendre, le fait de savoir si ses enfants sont des victimes ou des bourreaux. Doivent-ils être jugés ?

    Au niveau de l’écriture, j’ai particulièrement apprécié de ne pas avoir à lire qui parle. Les voix sont tellement distinctes que ce n’est pas nécessaire. Même lorsque les enfants parlent dans les deux temps dont j’ai parlé, on n’a même pas besoin de temps de latence pour comprendre, pour se dire que l’on a changé de police. Suzanne Lebeau a une écriture incroyable, qui lui permet de faire passer des idées et des sentiments complexes avec une langue simple.

    Pour rappel, Suzanne Lebeau écrit des pièces de théâtre destinées à la jeunesse. Il n’est pas précisé sur le livre à partir de quel âge on peut proposer cette pièce. C’est à vous de juger donc. Mais je vous la conseille même en tant qu’adulte. Je vais clairement continuer à lire cet auteur (quitte à piquer ses livres dans la section jeunesse de la bibliothèque).

    Références

    Le Bruit des os qui craquent de Suzanne LEBEAU (Éditions Théâtrales / Jeunesse, 2008)

  • Jonas Hassen Khemiri est un auteur suédois, dont j’avais lu, il y a quelques années le roman J’appelle mes frères, roman qui m’avait fortement impressionné. Khemiri est aussi auteur de théâtre. On peut découvrir une de ses pièces dans une des vidéos de la librairie Charybde ; je vous encourage à aller écouter, c’est ici. Dans ce roman, Tout ce dont je ne me souviens pas, l’auteur mêle ces deux savoir-faire pour créer un roman à construction remarquable.

    Samuel est mort. Le lecteur, au début, ne sait ni pourquoi ni comment. Il va l’apprendre très progressivement, pour « comprendre » entièrement ce qui s’est passé à la fin du livre, même si rapidement on sait que sa mort peut être interprétée comme un accident ou un suicide. Samuel va être décrit par ses proches, ou au moins des connaissances : sa mère, sa grand-mère, son voisin, sa meilleure amie, son colocataire et meilleur ami (en prison au moment où il raconte), sa petite amie.

    Le livre est présenté comme les entretiens qu’un écrivain a faits pour préparer un livre. Il a été touché par la mort du jeune homme, même s’il ne l’avait entraperçu que deux fois, sans vraiment lui parler. Samuel, c’était cela, une personne discrète que l’on remarquait malgré tout. On ne comprend le projet de l’écrivain que de manière détournée. Il n’intervient jamais, on n’a jamais accès aux questions qu’il pose. À chaque section, deux personnes parlent de Samuel et des événements précédents sa mort, pas nécessairement de la même chose, mais éclaire la parole de l’autre. Le lecteur arrive ainsi à se faire très progressivement une idée du personnage de Samuel. L’auteur rend son personnage de fiction vivant, dans toute son épaisseur.

    La construction est complexe et remarquable : l’auteur ne perd jamais son lecteur grâce à son expérience en tant qu’auteur de théâtre, que ce soit au niveau de la narration, malgré les flash-backs, ou au niveau des personnages. Chaque personne parle très différemment, toujours de manière crédible. Sans avoir d’indications sur le physique ou les sentiments, le lecteur ne se fait pas seulement une idée de Samuel mais aussi une idée du personnage qui parle.

    Si vous voulez quand même avoir une idée de l’histoire, je vais essayer de faire un effort (même si je peux vous dire que si cet auteur racontait n’importe quoi, ce serait quand même intéressant). Samuel est mort donc. Il travaillait au bureau de l’immigration, après des études en sciences politiques. C’était un personnage très particulier, obsédé par sa mémoire qu’il jugeait défaillante, solitaire avec de nombreuses relations, toujours à l’écoute des autres et de nouvelles expériences. Un personnage entier, généreux mais difficile à saisir. Alors qu’il habite avec son meilleur ami, il sort avec une avocate qu’il a rencontrée à son travail. Elle et Samuel ne fréquentent clairement pas le même milieu. Samuel change. Il devient difficile à comprendre pour ses amis. C’est cela que raconte ce roman.

    Khemiri est définitivement un auteur à découvrir !

    Références

    Tout ce dont je ne me souviens pas de Jonas HASSEN KHEMIRI – traduit du suédois par Marianne Ségol-Samoy (Actes Sud, 2017)

  • Je suis allée à la bibliothèque hier pour seulement deux livres. Je n’avais pas encore lu les 16 autres (dont plusieurs BD, ne vous inquiétez pas) car j’étais en vacances. Je ne pouvais donc prendre que deux autres livres et comme d’habitude dans ce cas-là, mon choix s’est porté sur des BD, dont celle-ci. Bien sûr, je l’ai choisi à cause du titre très mystérieux, laissant supposer que deux Dickens ont existé.

    Comme il y a un chantier juste à côté de chez moi et qu’hier les ouvriers avaient décidé de travailler, je ne pouvais lire que quelque chose ne demandant pas beaucoup de grammes de mon cerveau de blonde. Je me suis penché sur le premier tome de cette série. Mal m’en a pris, car j’ai dû acheter en acheter le deuxième tome en numérique pour connaître la fin, tellement j’étais impatiente.

    Comme le laisse supposer le titre, il sera bien question de deux Dickens. Mais pour lors, nous sommes en 1852, l’année du décès du père de Dickens et de sa fille Dora. L’écrivain aime à se promener la nuit dans Londres pour trouver l’inspiration, mais depuis quelque temps, il est suivi par un homme mystérieux et surtout prudent. Quand il avance, l’homme avance. Quand il s’arrête, le poursuivant s’arrête. Dickens décide de faire appel à une agence de détectives pour régler le problème. Mal lui en prend puisque les deux hommes qui le suivaient pour pouvoir arrêter le premier poursuivant se font tuer par celui-ci, qui du coup après cela s’approche, enfin, de l’écrivain. Les deux hommes, le premier poursuivant et Charles Dickens, s’avèrent être des sosies parfaits. Le double de l’écrivain est comme un doppelgänger, c’est-à-dire du côté obscur de la force dirons-nous. À douze ans, il a été repêché, amnésique, dans la rivière par un malfrat qui lui a appris (et surtout l’a obligé) à gagner sa vie malhonnêtement. Même en s’étant libéré du malfrat (en le tuant comme celui-ci lui avait appris à faire), il continue à vivre de mauvais coups, à avoir des fréquentations discutables…

    Le jumeau de Dickens étant beaucoup plus extraverti, c’est lui qui va prendre le contrôle de la suite des événements. Cela « va permettre » à l’écrivain de vivre une vie plus excentrique, moins corsetée, dans les bas-fonds de Londres. Le doppelgänger va lui prendre la place de l’écrivain (au grand plaisir de sa femme), côtoyer Wilkie Collins, participer à la fabrication du journal de Dickens en proposant des sujets novateurs…

    Tout au long des deux tomes qui font cette histoire, les situations cocasses vont s’enchaîner à un rythme rapide. Elles sont entrecoupées par des moments où Charles Dickens cherche à comprendre ce qui lui arrive. C’est ce qui fait que j’ai beaucoup aimé ma lecture : le scénario, l’humour, le rythme m’ont séduite sans aucun doute possible. Les éléments biographiques et bibliographiques sur Charles Dickens sont bien exploités et surtout bien introduits pour la novice que je suis sur le sujet. De même, les dessins de Griffo (et les couleurs) rendent bien l’époque victorienne, sans pour autant faire dans la bande dessinée historique avec une reconstitution exacte des lieux. Vous pouvez cliquer sur l’image ci-dessous pour voir la planche en plus gros ; cela vous permettra de vous faire une meilleure idée que tout ce que je pourrais dire sur les dessins. Dans l’ensemble, je trouve que les auteurs ont su trouver le juste équilibre en humour, Histoire et littérature. Cela donne un moment de lecture très agréable.

    Ma déception est venue de la fin. Cela se termine en une planche, laissant en suspend beaucoup de questions que je m’étais posées au cours de ma lecture. Cela m’a fait relire les deux tomes d’une toute autre manière. Je me demande encore pourquoi le scénario introduit certains éléments alors que finalement ils ne sont pas employés. Cela donne l’impression d’une série prévue en trois tomes qui s’est transformé en cours de route en une série en deux tomes. C’est dommage parce que tout le reste est vraiment très bien !

    Références

    Dickens & Dickens – Tome 1 : Destins croisés de Rodolphe et Griffo (Vents d’Ouest, 2017)

    Dickens & Dickens – Tome 2 : Jeux de miroir de Rodolphe et Griffo (Vents d’Ouest, 2017)