Cecile's Blog

  • Je trouve que la couverture est absolument magnifique  et mérite d’être regardé très attentivement pour distinguer tous les détails.

    Présentation de l’éditeur

    Daniel Rooke est un enfant exceptionnellement doué. Ses maîtres l’envoient étudier à l’Académie navale de Portsmouth où il se trouve embarrassé par son origine trop modeste et son intelligence trop vive. Son horizon s’élargit quand il découvre la navigation et l’astronomie. L’Astronome royal, qui a repéré en lui un esprit hors norme, l’envoie en expédition scientifique pour étudier le retour d’une comète qui ne sera visible que de l’hémisphère Sud. Il navigue donc vers la Nouvelle-Galles du Sud en compagnie de prisonniers anglais condamnés à vivre dans une colonie pénitentiaire. Le lieutenant Rooke s’installe à l’écart du camp pour y mener ses observations. Il prend petit à petit conscience de la présence des aborigènes, qui apparaissent et disparaissent, l’observent de loin ou pénètrent dans sa cabane par curiosité. Pendant ce temps le manque de nourriture fait monter la tension entre les nouveaux venus et les premiers occupants. Le lieutenant se lie d’amitié avec un groupe d’aborigènes et, en particulier, une jeune fille en qui il reconnaît sa propre soif de connaissance et dont il tombe amoureux. Elle lui apprend à parler sa langue. Il découvre la nature immense, il découvre la solitude, il découvre les Australiens et leur culture, il découvre avec exaltation qu’il peut employer son intelligence à la constitution de la connaissance de la langue de ce pays inconnu, jusqu’au jour où on lui demande de prendre parti dans un conflit sanglant. Ce roman est – librement – inspiré du journal de William Dawes, un officier anglais arrivé en Australie en 1788 avec la première vague de bagnards anglais.

    Mon avis

    Comme de coutume, on va commencer par les points positifs (même très positif dans ce cas-ci). Kate Grenville présente une très bonne réflexion sur la découverte d’une langue inconnue, non encore cartographié par les grammairiens de tout poil.

    Il s’était estimé supérieur à Silk qui, plein d’une suffisance naïve, croyait que tous les mots avaient une équivalence précise et systématique dans une autre langue et que l’on pouvait les échanger comme un dollar espagnol contre deux shillings et cinq pence. Il s’apercevait maintenant qu’il avait fait la même chose. Il avait composé ces listes de verbes, ces alphabets et ces pages tendues comme des filets : autres formes du même verbe.

    Mais la langue de Sydney ne suivait pas ces règles. Le langage et son apprentissage s’étaient tous deux échappés des limites dans lesquelles il avait essayé de les contenir.

    Cette réflexion m’a beaucoup plu car je venais de me faire plus ou moins la même mais en moins élaboré. Je suis en train de réviser un peu mon anglais et je cherche à apprendre du nouveau vocabulaire. On m’a conseillé d’utiliser une dictionnaire anglais/anglais. Quand je cherche les mots, je suis impressionnée de me rendre compte qu’il y a des mots que je serais bien  incapable de traduire en français par un seul mot. Il y a une telle richesse et une telle subtilité qui sont à mon avis intraduisibles dans notre langue. L’équivalence entre les langues marche pour des mots simples (les pieds, les jambes) mais pas si on cherche à exprimer des choses plus compliquées. C’est exactement ce que Daniel Rooke va découvrir au cours de son périple en Australie. Pour en apprendre une nouvelle langue, il n’est pas question uniquement d’apprentissage mais plutôt de s’ouvrir à l’autre en mettant sa culture un petit peu de côté.

    Dans le cas de notre héros, son apprentissage passera par une jeune Aborigène. C’est le deuxième point qui m’a beaucoup plu. C’est l’approche de la colonisation anglaise de l’Australie (dans le cadre de l’ouverture de colonies pénitentiaires). Il y a l’approche brutale  des marins et il y a celle de Daniel Rooke. Au départ, il se laisse dicter sa conduite face à ses préjugés par ses préjugés et la conduite des membres du bateau. C’est un garçon très intelligent alors il va évoluer au fur et à mesure ; il va passer par la curiosité, la découverte, l’échange curieux, la confiance, l’amitié. Il va s’ouvrir à l’autre, à celui qui ne lui ressemble pas. J’ai aimé voir ce point de vue.

    La troisième chose qui m’a plu c’est les personnages principaux : Daniel Rooke et Tagaran, la jeune Aborigène avec qui il va se lier plus particulièrement. On suit Daniel Rooke depuis son enfance où il est un enfant trop intelligent pour être adapté à la vie

    Que ce soit en raison de sa stupidité ou de son intelligence, le résultat était le même : il souffrait le supplice de ne pas être en phase avec le monde.

    Une autre citation nous dit son impossibilité à être un autre :

    Il aspirait à devenir un garçon plus ordinaire, mais il était impuissant à devenir autre chose que lui-même.

    Ce qui est intéressant dans ce personnage est qu’on le voit évoluer quand il devient un homme, quand il s’affirme, quand il affirme ses convictions. Là-dessus, on est servi car Kate Grenville insiste beaucoup sur les sentiments de son héros et nous les décrit beaucoup et de manière précise. On arrive assez bien à se figurer ses réactions avant lui.

    On ne connaît pas très bien le personnage de Tagaran car Kate Grenville ne nous parle pas de ses sentiments. Le traitement des deux personnages est donc différent puisqu’on est dans la tête de Daniel Rooke mais on admire son ouverture d’esprit, sa curiosité naturelle et sa vivacité d’esprit.

    Passons à ce qui m’a moins plu : la description sentimentale des paysages. Cela vient du point de vue adopté par l’auteur. J’avais choisi de lire ce roman pour le dépaysement mais je ne suis pas arrivée à me mettre en Australie car les paysages sont vus avec les yeux de Daniel Rooke. Le problème c’est que je ne suis pas lui et je n’ai donc pas ce qu’il voit sous les yeux. Un exemple :

    Il pouvait voir ce qu’il n’avait jamais vu avant : une étendue d’eau encerclant le globe, ses continents ne représentant rien de plus que des obstacles insignifiants autour desquels elle coulait sans effort. Les terres, et encore plus les hommes qui les peuplaient, n’avaient pas la moindre incidence sur cet énorme être vivant.

    Une autre chose qui m’a parfois gênée, c’est la tendance à tout poétiser de l’auteur, à se lancer dans de grandes descriptions sentimentales alors qu’on est en pleine action : cela fait ralentir le rythme qui commence à monter.

    En conclusion, j’ai trouvé que c’était une bonne lecture mais sur certains points, je m’attendais à plus que ce qui n’est écrit (c’est toujours le problème avec moi : j’attends trop et après, je suis déçue).

    D’autres avis

    Ceux de Keisha et Catherine (qui sont plus enthousiastes que le mien, ils sont donc à lire tous les deux)

    Références

    Le lieutenant de Kate GRENVILLE – traduit de l’anglais (Australie) par Mireille Vignol (éditions Métailié, 2012)

    Livre lu dans le cadre des 12 d’Ys – catégorie Australasie

  • Le livre est sous-titré Thomas Bernhard à San Salvador. Quand j’ai acheté ce livre, j’ai cru que Thomas Bernhard avait été à San Salvador (j’ai carrément cru au scoop) et que ce live racontait son histoire là-bas. On voit bien ici mon inculture puisqu’en réalité, il n’en ai rien.

    Moya est invité par Vega à boire un verre de whisky dans un bar. Vega est revenu après 18 ans d’absence à l’occasion de l’enterrement de sa mère. Il revient dans un pays qu’il a fui à vingt ans non pas à cause d’un guerre, non pas pour chercher de meilleurs conditions économiques mais parce qu’il le détestait tout simplement (les onze ans chez les frère maristes, où il a connu Moya, n’y sont pas pour rien visiblement). Moya est le seul à être venu à l’enterrement, c’est pour cela qu’il est invité à boire un coup. C’est l’occasion pour Vega de cracher toute la bile et le venin qu’il a contenu en lui depuis qu’il est arrivé, il y a quinze jours, à San Salvador. Tout y passe : les habitants, la nourriture, la culture, l’Université (car lui même est titulaire d’une chaire d’Histoire de l’Art au Québec ; c’est une matière qui n’est plus enseigné au Salvador car elle n’intéresait personne), son frère, sa femme, ses enfants, le football, les bordels, la musique … Cela ne dure que cent pages mais il ne s’arrête jamais. Encore une fois, ce qui m’a impressionné chez Horacio Castellanos Moya, c’est que dans un long monologue, il n’arrive jamais à lasser, toutes les pensées semblent découler logiquement. Ce qu’il y a aussi d’impressionnant, c’est l’impression d’être présent dans la scène que l’auteur décrit. Il se dégage une très forte impression de vie du récit.

    Vous allez me dire que je l’avais trouvé mon Thomas Bernhard parce qu’un gars qui assène ses quatre vérités à son pays, le plus grand c’est tout de même l’écrivain autrichien. Le livre, en plus de présenter la situation au Salvador (l’auteur prévient que Vega existe réellement mais qu’il a atténue le propos ; cela fait très peur), est un bel hommage à l’écrivain autrichien. La chute du livre m’a très surprise car je n’avais pas relu la quatrième de couverture et j’avais sauté allègrement la quatrième de couverture. Je vous conseille de faire de même pour vous réserver une surprise.

     Mais comme pour tous les gens qui râle dans la vraie vie, je n’ai pu m’empêcher de penser que ce monsieur a sans aucun doute raison même si il en fait trop : tout le monde ne doit pas, et ne peut, être comme il décrit les Salvadoriens. On reconnaît dans le personnage de Vega quelqu’un d’extrêmement sensible aux petites contrariétés qu’on peu lui infliger. De même, il est très fier de son passeport canadien mais quand il dit que les Salvadoriens sont attirés non par les choses de l’esprit mais par l’argent, nous, on voit le fait qu’il est revenu non pas parce qu’il aimait sa mère mais parce qu’il voulait toucher sa part de l’héritage et que la vieille femme l’avait prévenu qu’il n’aurait rien si il ne venait pas à l’enterrement. L’ironie de la chose m’a fait doucement sourire.

    Un extrait

    C’est une culture frappée d’agraphie, Moya, une culture à qui est refusée la parole écrite, une culture sans aucune vocation d’enregistrement ou de mémoire historique, sans aucune perception du passé, une « culture-mouche », son unique horizon est le présent, l’immédiat, une culture douée de la mémoire d’une mouche qui toutes les deux secondes se cogne contre la vitre, une misère de culture, Moya, pour laquelle la parole écrite n’a pas la moindre importance, une culture qui a sauté d’un coup de l’analphabétisme le plus atroce à la fascination pour la stupidité de l’image télévisuelle, un saut mortel, Moya, cette culture a sauté par-dessus la parole écrite, elle a laissé de côté purement et simplement les siècles au cours desquels l’humanité s’est développée à partir de la parole écrite, me dit Vega.

    Références

    Le dégoût – Thomas Bernhard à San Salvador de Horacio CASTELLANOS MOYA – traduit de l’espagnol par Robert Amutio (10/18, 2005)

    Première parution en 1997.

    Première parution en France en 2003.

    Livre lu dans le cadre des 12 d’Ys pour la catégorie auteurs latino-américains.

  • Quatrième de couverture

    Lorsqu’un jeune journaliste un peu veule et pusillanime est engagé par un magnat de la presse économique, obscur complice de la dictature de son pays, son chemin semble tout tracé. Mais ce fataliste d’origine arménienne – passionné d’Aznavour (qui a  » une chanson pour chacun de ses instants de tristesse « ) et cultivant un grand amour malheureux – va entrer en possession d’un document très compromettant pour son patron et devenir, comme hors de sa volonté, un acteur politique extrêmement dangereux et menacé. C’est l’argument de ce roman par lettres dont le propos, traité avec une grande originalité, est évidemment encore très dérangeant pour le Chili d’aujourd’hui.

    L’auteur (décrit par l’éditeur)

    Journaliste de presse écrite, né en 1969 à Santiago du Chili, Mauricio Hasbun est petit-fils de Palestiniens de religion chrétienne émigrés au Chili au début du XXe siècle pour fuir la domination turque en Palestine. Il a été marqué dans l’enfance par sa scolarité chez les Jésuites (opposés au régime de Pinochet et fortement impliqués sur le plan social) et le mutisme de sa famille (souffrant du rejet des élites chiliennes et particulièrement silencieuse sur la situation politique de son pays d’adoption). Tombé en disgrâce, d’abord publié en 2006 à Santiago, est son premier roman.

    Mon avis

    Jorge Ogarian écrit des lettres à un ami inconnu (de nous) depuis un endroit inconnu. On comprend au fur et à mesure qu’il s’est exilé sur une île. On nous explique à la fin que c’est une des îles de l’archipel Juan Fernández (surnommé archipel Robinson Crusoé car Alexandre Selkrik s’y est arrêté et c’est lui dont Daniel Defoe s’est inspiré pour son livre). Ce qui est intéressant dans la construction de l’auteur est qu’on ne nous dit pas comment il s’est retrouvé là-bas. Est-ce à cause d’un procès en diffamation ? d’une fuite ? d’un exil orchestré par le patron de presse ? La construction par lettres (qui ne vont que dans un sens) permet à l’auteur de ne dévoiler les éléments qu’au fur et à mesure.

    La deuxième chose intéressante est la découverte du climat au Chili au début des années 1990. Il est très clair dans le livre que l’ombre de Pinochet plane encore. Il y a ses anciens sbires qui n’ont pas quitté les hautes sphères de la société. La bataille est rude pour les évincer.

    Jorge Ogarian n’est pas un héros parfait. Une fois qu’il a en main les documents compromettants, sa première idée n’est pas de les divulguer au public mais d’en profiter à titre personnel en faisant chanter le grand magnat qui dirige son journal (dans lequel il n’est rentré que depuis quelques semaines) pour tout simplement devenir rédacteur en chef (il n’était que simple journaliste avant). Il trahit tout le monde … Comme c’est lui qui écrit les lettres, on a une sorte de mépris pour lui tout en ayant ses explications pour se justifier (il fait pitié mais moi je ne l’aurais pas excusé : il lui suffisait de ne pas prendre les documents compromettants)(on dit cela mais en fait, on ne sait pas ce qu’on ferait).

    C’est un roman intéressant pour son thème, son histoire, sa construction et son mode de narration. C’est déjà pas mal pour un roman tout seul (c’est le premier livre de l’auteur). Ce qui m’a manqué, comme d’habitude, c’est que j’aurais aimé tout savoir et surtout si il est toujours sur son île notre Robinson Crusoé.

    Références

    Tombé en disgrâce de Mauricio HASBÚN – traduit de l’espagnol (Chili) par Prune Forest (Le temps qu’il fait, 2009)

  • Quatrième de couverture

    Dans sa maison de pierre grise nichée sur les falaises rocheuses du comté de Donegal, Claire, un jeune peintre épris de perfection, accueille pour l’été sa cousine Nuala, kleptomane névrosée en pleine crise existentielle, sur qui pèse l’ombre douloureuse d’une mère récemment disparue.

    Dans la maison voisine, Anna, une ancienne décoratrice d’origine hollandaise qui partage son temps entre l’Irlande et son pays natal, tente secrètement de comprendre pourquoi sa relation avec sa fille Lili a échoué.

    Mon avis

    Quand j’ai visité l’Irlande, il y a deux endroits que j’ai particulièrement aimé. C’est le Donegal et Wicklow. Le Donegal parce que c’est isolé, qu’il peut y faire beau comme moche dans un temps très court, que cela rend la lumière changeante et donc magnifique à mes yeux. Wicklow c’est un peu la même chose mais aussi parce qu’il y a beaucoup plus de reliefs. J’aime bien lire des livres qui me rappellent ces paysages. Voilà le pourquoi de cette lecture.

    J’avais déjà Deirdre Madden avant le blog avec son Irlande, nuit froide (je pense que je vais le relire du coup). J’avais apprécié les personnages mais surtout une description bien particulière du conflit Nord-Irlandais. Dans ce livre-ci, on est plus dans le portrait de femmes. Les Irlandais sont plutôt en toile de fond pour leurs caractères et pour la religion. Les paysages sont omniprésents. Tout y est décrit avec précision car c’est censé être fait Claire qui est peintre dans l’histoire. Elle apprécie donc les formes, les matériaux (dans le Donegal, c’est plutôt la pierre) et la lumière.

    Passons quand même à ce qui fait l’essence du livre : le portrait de trois femmes. Et là, le livre est typiquement irlandais (c’est une période d’avant le blog pour mes lectures). Ce sont trois femmes bien compliquées, qui semblent s’être réfugiées dans la solitude pour masquer une dépression. Nuala est la dernière arrivée. Elle est devenu kleptomane à la suite du décès de sa mère, deux semaines après l’annonce qu’elle était enceinte. Bien sûr, elle l’adorait mais a l’impression de ne pas l’avoir assez comprise, de ne pas s’être assez rapproché d’elle. Il y a aussi la douleur qu’elle ne soit pas là pour voir le bébé. Elle a une vie qu’elle ne comprend pas : un mari aimant, avec qui elle connaît le succès dans la restauration, un bébé mais pourtant elle n’est pas si heureuse qu’elle aimerait l’être (qui est dans ce cas-là, j’aimerais bien le savoir).

    Claire vit heureuse, seule, dans sa maison venteuse et désolée du Donegal. Pourtant, on découvre progressivement qu’elle a beaucoup de blessures. Une fausse couche à l’Université, une amie qui est morte d’une longue maladie deux ans après la fac, un homme Markkus qui n’est plus là mais on ne sait pas trop pourquoi. Elle a beaucoup voyagé en Europe aussi pour étudier l’Art dans les musées, dans les églises … On ne comprend pas vraiment ce qui fait qu’elle a emménagé il y a trois ans dans cette maison du Donegal (il est très important pour elle que ce soit une location comme si elle n’était pas fixé), et ce même si c’est un retour sur les terres de son enfance.

    Anna est de loin celle des trois qui est la plus ouverte mais elle cache sa mauvaise relation avec Lili.

    Ce qui est bizarre, c’est que Deirdre Madden se concentre sur le présent. On n’a pas l’impression d’avoir tous les faits pour comprendre. On ne saura pas pourquoi la mère de Nuala est morte, on ne saura pas pourquoi et comment Markkus n’est plus là, on ne saura pas qui était vraiment Alice pour Claire, on ne sait pas vraiment comment la vie d’Anna et de Lili s’est déroulé après le divorce. C’est pour cela je pense que le livre est plutôt une esquisse des sentiments de trois femmes dans le Donegal (d’ailleurs elles ne sont pas décrites physiquement) plutôt qu’un roman avec une histoire, début, milieu et conclusion comprise dans le pack.

    Ce qui est intéressant de voir aussi, c’est qu’il n’y a qu’un homme dans l’histoire, c’est Kevein. Il était étudiant en histoire de l’Art avec Claire mais il connaissait Nuala de bien avant. Il a épousé Nuala mais on sent qu’il y eu quelque chose avec Claire. Il a abandonné sa vocation d’artiste pour ouvrir le restaurant que sa femme voulait ouvrir, lui avait seulement lancé l’idée en l’air. La réalisation c’est uniquement sa femme. Il n’a pas une grande présence dans le livre et son rôle se limite à être le mari de Nuala. Il semble moins s’interroger sur lui-même ou sur sa vie (cela donne l’impression qu’il est un peu balourd, moins profond). Il l’accepte tel quel et n’en est pas mécontent.

    C’est d’ailleurs pour cela que le livre s’appelle Rien n’est noir parce que la conclusion qui s’en dégage c’est que la vie n’est jamais si noire qu’on veut bien le croire. Il y a toujours une petite lumière à l’horizon. Un peu comme dans la ciel du Donegal.

    Un autre avis

    Celui d’Yvon bien sûr !

    Références

    Rien n’est noir de Deirdre MADDEN – traduit de l’anglais par Nordine Haddad (Belfond, 1996)

  • C’est un texte très court inspiré par l’expérience de l’auteur. En effet, Sonallah Ibrahim a été retenu cinq ans (1959-1964) dans un « camp d’internement en Haute-Egypte » à cause de ses positions communistes. Ce qu’il raconte, c’est son retour difficile à la liberté. Enfin, ce n’est pas son retour mais un retour difficile à la liberté inspiré par son expérience.

    Quand il est revenu de prison, il devait être rentré au couché du soleil car un policier venait chez lui signé un papier. Si il ne le trouvait pas, c’était retour à la case prison. Il avait pris l’habitude de noter ses pensées, ses faits et gestes de la journée sur des papiers. Ce livre est la réorganisation et la réécriture de ses notes.

    Ce qu’il nous raconte dans ce livre c’est la difficulté à reprendre une vie normale après la prison. Il parle de la famille avec qui il faut reprendre contact. Il faut se mettre en tête toutes les histoires qui se sont passés mais aussi se mettre dans le mouvement de leurs vies qui se déroulent devant vos yeux. La forme qu’a choisi Sonallah Ibrahim car il alterne le présent avec les réminiscences du passé qui lui viennent à partir de ce qu’il est en train de vivre.

    C’est le premier texte qu’a publié cet auteur (qui avait décidé en prison que son métier serait écrivain). Je l’ai trouvé très beau mais nullement exceptionnel. L’auteur arrive à nous faire ressentir le fait qu’il se sente extérieur à la nouvelle vie. C’est difficile à faire surtout pour un premier texte. J’aurais aimé une conclusion, une chute mais en fait non ; l’auteur nous laisse à penser que de se réhabituer à la liberté ne se fait pas en un mois.

    Le contexte de sa publication est intéressant mais le livre ne semble pas subversif pour une française d’aujourd’hui (moi en gros). Il parle de sexe (de masturbation et des désirs que le narrateur n’arrive pas à assouvir) et de politique, des sujets qui étaient tabous en 1966, en Égypte. Il a donc été publié à compte d’auteur et censuré (interdit car à ce moment-là la censure n’existait plus avant la parution pour cause de pensées un peu plus libres dans le pays). Il a reparu en 1968 (à Beyrouth) et 1969 (au Caire) dans une version expurgée. En 1986, deux éditeurs, une marocain et un cairote, ont publié la première édition arabe intégrale, auquel ils ont ajouté une préface de l’auteur expliquant le contexte de publication en 1966. C’est la traduction de cette édition qui est proposée en Babel.

    Références

    Cette odeur-là de Sonallah IBRAHIM – récit traduit de l’arabe (Égypte) par Richard Jacquemond (Babel, 2011)

    Première parution en France chez Actes Sud en 1992.

  • C’est le neuvième livre de Jennifer Johnston que je lis. Elle ne m’a déçue qu’une seule fois et ce n’est certainement pas avec cet opus-ci qui est, à mon avis, un de ses livres les plus réussis.

    Au départ, ils étaient deux, Geoffrey et Beatrice. Puis six enfants sont venus se rajoutés, cinq garçons et une fille. Ils habitent Kildarragh, une belle bâtisse près de Galway. Ils y vivent heureux. En tout cas, on le suppose car cela se passe avant le début du roman. Les enfants grandissent et commencent à prendre leurs envols : l’aîné va étudier à Dublin. Il, Greg, se marie en secret avec Nonie et à une fille, Polly. C’est elle qui nous raconte l’histoire de Kildarragh de sa naissance (à elle) jusqu’à la mort de ses grands-parents, qui marquera la vente de la maison.

    La guerre, la Seconde, éclate. Bien que l’Irlande soit neutre, Greg s’engage dans les troupes britanniques. Il décédera au combat. Jassie elle aussi s’engage à Londres (où elle vivait avant) dans la surveillance aérienne (si j’ai bien compris). Elle mourra dans un bombardement. C’est une première épreuve pour la famille.

    Pour autant, cela ressoude. En plus, il y a Polly que tout le monde appelle Baby parce que c’est le bébé de la famille. Il y a aussi Sam, l’oncle de Polly qui n’a pas eu le temps de connaître Greg car il est né seulement cinq ans avant Polly. Entre les deux enfants, un lien indéfectible, encouragé par les adultes, se noue. Pourtant, Polly et Nonie après la guerre partiront s’installer à Dublin. Polly ne reviendra que pour les vacances voir « sa » famille (en opposition avec la nouvelle famille de Nonie). Elle grandit et connaît les joies de l’enfance, les difficultés de la préadolescence. On ne lui dit pas tout pour ménager son enfance. Elle le vit plus ou moins bien, pleure beaucoup et souvent. Pourtant, quand Sam (qui l’aime comme une fille et non comme une nièce) décide de partir à Cuba pour s’engager aux côtés des communistes, il ne le dira qu’à elle et lui demandera le secret, secret qu’elle gardera malgré les demandes répétées de ses grands-parents.

    Il y a la mort du chien adoré par toute la famille ou plutôt adoré comme un membre de la famille. Il y a la tentative de mariage d’un des fils, Harry, avec une toute jeune fille. Le problème qui se posera n’est pas l’âge mais la différence de religion.

    Comme vous le voyez, il y a une multitude de personnages qui sont tous attachants, bien décrits. Ce n’est absolument pas difficile de s’y retrouver. On n’a pratiquement l’impression de faire partie de la famille.

    Ce qui m’a particulièrement plu dans cet opus de Jennifer Johnston c’est la manière dont elle se met dans les pas de Polly. Le texte est censé avoir été décrit par Polly plus tard mais à chaque, on a l’impression de ressentir ce qu’elle a ressenti au moment de l’histoire. C’est un peu comme les mémoires d’une vielle femme, comme une histoire que raconterait une grand-mère à ses petits-enfants, autour d’un feu de cheminée.

    En conclusion, Jennifer Johnston dit les ombres qui passent dans une maison au cours de la vie de celle-ci. C’est fait avec nostalgie et une douce mélancolie. Cela touche au cœur.

    Références

    Shadowstory de Jennifer JOHNSTON (Headline Review, 2012)

    Paru pour la première fois en 2011.

  • Présentation de l’éditeur

    Gregor a inventé tout ce qui va être utile aux siècles à venir. Il est hélas moins habile à veiller sur ses affaires, la science l’intéresse plus que le profit. Tirant parti de ce trait de caractère, d’autres vont tout lui voler. Pour le distraire et l’occuper, ne lui resteront que la compagnie des éclairs et le théâtre des oiseaux.

    Fiction sans scrupules biographiques, ce roman utilise cependant la destinée de l’ingénieur Nikola Tesla (1856-1943) et les récits qui en ont été faits. Avec lui s’achève, après Ravel et Courir, une suite de trois vies.

    Mon avis

    J’ai donc lu Ravel et Courir. Je vous en ai dit tout le bien que j’en pensais. Je vous ai fait à peu près le même commentaire : Echenoz nous décrit avec humour et distance la vie de grands hommes qui ont connu la gloire et surtout la descente. Ces biographies sont écrites dans une langue qui donne l’impression de regarder le personnage bougé comme un entomologiste regarde un cafard. On sait déjà pratiquement comment cela va se terminer. Ce qui est intéressant, c’est aussi qu’à chaque fois, on a l’impression que l’œuvre a pris le dessus sur l’homme.

    Dans ce troisième volume de la trilogie des vies, Jean Echenoz a pris le parti de faire la même chose pour Nikola Tesla. Il faut dire qu’il avait un bon client en la personne de ce scientifique puisque ayant inventé le courant alternatif (et nous a donc permis de vivre aujourd’hui avec nos ordinateurs, nos lampes …), il a fini pauvre et entouré de pigeons. Il a donc bien connu la gloire et la déchéance. Il était détestable (les scientifiques sont souvent comme cela je vous rassure) mais il ne méritait sûrement pas cela. Vous pouvez jugez vous-même en regardant wikipédia.

    La différence avec ce dernier volume nous est cependant précisée dans la présentation de l’éditeur. L’auteur n’appelle pas son héros Nikola mais Gregor et l’auteur ne s’encombre d’aucun scrupules biographiques. Je me suis demandée ce que cela avait apporté à Jean Echenoz (il y a plein de biographies sur Tesla chez Eyrolles mais peut être pas au moment où Jean Echenoz a écrit son livre) et surtout ce que cela nous apporte à nous par rapport aux autres livres. Pour Jean Echenoz, j’ai eu l’impression qu’il en prenait plus à son aise pour se moquer du personnage (notamment sur sa vie sexuelle) mais aussi cela le rend moins sûr de lui. La vie du héros semble se déroule moins facilement. Elle semble moins inscrite dans un destin tracé tout droit : chute, déchéance. J’ai un peu eu l’impression que Tesla combattait Jean Echenoz pour lui dire qu’il n’était pas encore tout à fait fini. Cela m’a fait rire. En tout cas, j’ai moins eu l’impression de lire une biographie mais plus un auteur qui se bat contre son personnage. Après, je pense que j’ai été influencé par la présentation de l’éditeur et que c’est pour cela que je l’ai lu de cette manière-là. Pour nous lecteurs, ce que cela change c’est que l’on fait moins confiance à Jean Echenoz. On se demande où est-ce qu’il est en train de manipuler, à quel moment il invente, à quel moment il change un détail pour que cela colle avec ce qu’il faut faire.

    Ce que je retiens des trois livres que j’ai lu jusqu’à présent de Jean Echenoz (parce qu’à n’en pas douter, j’en lirai d’autres), c’est la facilité qui semble se dégager de son récit. On ne sent pas son travail (alors qu’il doit être important justement à cause de cela). L’humour ne semble pas travaillé, ne semble pas forcé. Cela coule de source. La construction n’est pas apparente. On tourne les pages sans s’en rendre compte et c’est seulement à la fin que l’on se rend compte où l’auteur voulait nous amener.

    Réjouissons-nous : un nouveau Jean Echenoz est annoncé pour octobre 2012.

    L’avis de Ys (pour qui c’est un coup de cœur).

    Références

    Des éclairs de Jean ECHENOZ (Les éditions de minuit, 2010)

    Livre lu dans le cadre des 12 d’Ys – catégorie auteurs francophones.

  • Présentation de l’éditeur

    Les Andes, dans les années 30. Pour la fête nationale, sur la place du village, les Indiens des communautés de Puquio affrontent un taureau, à la dynamite, et se font la plupart du temps encorner. Cette année-là, un préfet « progressiste » décide que la corrida sera moderne, à l’espagnole, avec un torero venu de Lima. Les Indiens, eux, vont ramener de la sierra un taureau mythique, le « Misitu ».

    J.M. Arguedas nous place au centre d’un conflit où s’affrontent les civilisations et les classes sociales, la ville et la sierra. Au-delà de l’argument, ce roman est remarquable par la création d’une langue où s’invente une syntaxe éclatée, mêlant quechuismes et mots espagnols pour une voix plurielle comme un chœur.

    Mon avis

    La fête nationale du Pérou est le 28 juillet. On commémore l’indépendance par rapport à l’Espagne, déclaré par José de San Martín le 28 juillet 1821. Le Pérou, ce n’est pas que Lima. Il y a aussi 24 régions divisées en provinces. Je ne sais pas si c’était les mêmes subdivisions administratives à l’époque où l’histoire se passe, dans les années 1930, mais on est dans la région de l’Ayacucho, dans la province du Lucanas à Puquio. Comme vous manquez de vacances (ou que vous vous ennuyez pendant les vôtres parce que pour regarder les blogs il faut au moins cela), je vous mets une petite image pour que nous rêvions ensemble :

    Maintenant que le temps et l’espace sont bien ensemble, passons à l’histoire. On prépare activement le 28 juillet dans la village de Puquio. La principale attraction de cette journée est la corrida. Pas celle avec le torero mais avec des indiens, en général ivres, qui se font très souvent encornés (il y a en général beaucoup de sang, des morts et des veuves d’où le nom de la fête, et qui se défendent en faisant des passes avec leurs ponchos et en utilisant de la dynamite. C’est visiblement une très vieille tradition que les gens aiment beaucoup. Le village de Puquio est divisé en quatre ayllu, mot quetchua (je ne saurais pas vous dire si cela prend un s à la fin) pour désigner un quartier ou une communauté indienne. Le 28 juillet, c’est aussi l’occasion pour les quatre quartiers de s’affronter, de mesurer leur bravoure respective par exemple. Cette année est particulière car un ayllu a décidé d’amener pour le corrida un taureau mythique, le Misitu. Il loge dans un champ de quinoa, près d’une rivière, dans un grand fossé. Personne n’ose approcher de peur de se faire tuer. Cette année est aussi particulière car Lima a décidé d’interdire la corrida ou tout au moins de la rendre moderne (espagnole) en obligeant à avoir un torero professionnel. Les Indiens s’y opposent, quelques notables aussi mais le préfet, les autres notables, les émigrés de Lima veulent que l’on fasse respecter la loi (pour des raisons différentes les uns des autres).

    José María Arguedas décrit donc une tradition péruvienne (en tous cas dans les années 30) mais surtout la vie de l’époque d’un village des Andes. Il nous présente une société très hiérarchisée : les Indiens qui habitent au village, les Indiens qui habitent dans la Puna, les notables, les métis, les représentants de l’autorité centrale, les émigrés de Lima. Les liens entre ses différentes communautés sont très codifiés mais semblent surtout dictés par le mépris et l’arrivisme (on sait se résoudre à une décision si elle ne dessert pas totalement les intérêts). Les Indiens jouent sur leur nombre et leur volonté commune. C’est un des points très intéressants du roman : les gens nous sont présentés en groupe et non comme des individualités. Ils appartiennent à un groupe social et leur comportement est dicté par cela. On s’aperçoit que ceux qui dérogent à cela ne sont plus considérés comme appartenant à ce groupe social.

    L’auteur présente aussi par quelques détours ce qui a amené, historiquement, à ce type de hiérarchisation, entre autres les persécutions qu’ont eu à subir les Indiens de la part des Blancs.

    Au-delà de cela, je n’ai pas eu l’impression que l’auteur prenait parti ou présentait un type de société idéale ou même idéalisait une communauté plus tôt qu’une autre. Il ne m’a pas semblé lire l’opinion de l’auteur sur la corrida : doit-on la regarder comme une tradition ancestrale ou doit-on la supprimer comme étant une boucherie pour le taureau comme pour les Indiens ? doit-on forcer un peuple retissant à une décision qui se veut prise pour son bien ? Il présente des faits mais à la fin de lecture je n’ai pas réussi à savoir ce qu’il fallait en penser. Cela me perturbe un peu de ne pas pouvoir me dire : l’auteur a voulu écrire ce livre pour dire cela.

    C’est tout de même un livre très intéressant. En plus, il permet de progresser en quechua pour pouvoir parler au beau vendeur de Décathlon.

    Références

    Yawar Fiesta (La fête du sang) de José María ARGUEDAS – traduit de l’espagnol (Pérou) par Cécilia Hare et Dominique Jaccottet (Métailié, 2001)

    Livre lu dans le cadre des 12 d’Ys pour la catégorie auteurs latino-américains.

  • J’ai lu cette intégrale (regroupement de comics paru en épisode) grâce au 12 d’Ys car avant je ne savait même pas qu’elle existait. Je sors comme d’habitude de ma planète puisque un des auteurs est le fameeeeeeeux Alan Moore et qu’il y a même une film qui en a été adapté.

    J’ai bien dit grâce parce que j’ai énormément aimé (j’ai des petits bémols dont je parlerai à la fin). Le scénario signé d’Alan Moore est juste passionnant. On est en Angleterre à la fin des années 90. Il y a eu un guerre quelques années auparavant qui a fait que l’Angleterre est au main des fascistes. Cela va de pair avec un ordinateur qui surveille tout et tout le monde, avec les camps de concentration pour les ennemis de la société que sont ici les Noirs, les homosexuels … On réalise sur eux toute sorte d’expériences, plus nocives les uns que les autres sous prétexte de sciences. Les habitants de cette Angleterre sont complètement amorphes devant cette société qui les prive de leur droit élémentaire : la liberté. La preuve en est est qu’ils attendent avec ferveur le programme radio officiel où la Voix représente le pouvoir suprême détenu par l’ordinateur. Mystification bien évidemment car c’est bien la voix d’un homme.

    Un homme va essayer de changer les choses, c’est V (c’est l’homme sur la couverture, un peu comme Guy Fawkes : c’était ce que voulait les deux auteurs). V comme vendetta ou comme V (le chiffre romain). Il a été détenu dans un camp de concentration d’où il a réussi à s’évader. Le début de la bd sera sa vengeance contre les personnes qui l’ont enfermé : ce sont aujourd’hui des grosses huiles dans le régime en place. Il y a la Voix. Il est évident que cela va donc faire vaciller les bases du régime ; il est traité de terroriste. La vengeance de V ne s’arrêtera pas aux personnes qui lui ont fait du mal mais continuera car il prône l’anarchie pour aider l’Angleterre à sortir de là : il y a donc une phase de destruction des institutions en place et la mise en place d’un ordre nouveau, un ordre choisi par les habitants eux-mêmes. Il faut donc qu’ils prennent le pouvoir et donc qu’ils se réveillent. C’est ce que V va essayer de faire en s’adjoignant l’aide d’Evey Hammond, une jeune femme qu’il a sauvé des griffes de la police et qu’il formera à des aspects qui ont disparu de l’Angleterre de cette époque (la culture par exemple).

    C’est une réflexion terriblement intelligente qu’on nous présente ici. Les deux auteurs arrivent à présenter de nombreux aspects de la vie d’un pays fasciste et paranoïaque, à présenter les réponses que peut envisager le régime face à la contestation. Il y a des références intéressantes : 1984, Arthur Koestler … Ce qui est vraiment intéressant, c’est l’absence de jugement. Les auteurs n’hésitent pas à employer de grands mots comme anarchie, terrorisme … tout en présentant tous les aspects, positifs comme négatifs. C’est la première fois que je lis un comics où on nous présente une vraie réflexion qui ne sois pas manichéenne. C’est intéressant de voir que les auteurs ont écrit cette bd dans les années 80 où l’Angleterre en devenir leur faisait peur. Ils ne lui voyaient pas d’avenir. Cette bd c’est leur réflexion sur le sujet. C’est donc aussi un texte militant, un texte qui vise à avertir des dangers.

    Il est souligné dans la postface dans un entretien avec Alan Moore le travail qui est fait sur la mise en page du livre : on n’expose pas les pensées des personnages et il n’y a pas de blocs narratifs. Je n’avais pas remarqué mais quand je l’ai rouvert ensuite, j’ai été époustouflée qu’on puisse faire passer tant de choses en si peu de textes. Le graphisme et les couleurs sont à mon avis assez datées mais je trouve qu’on s’habitue au fur et à mesure et cela ne dérange plus la lecture (la figure de V est toujours très soignée par contre). Le petit bémol que je mettrais, c’est que j’ai été incapable de reconnaître les visages des personnages secondaires tout au long de ma lecture. Je me suis basée sur le lieu (travail, bar …) pour les reconnaître mais c’est tout. À la lecture, cela ne me dérangeait pas plus que cela mais toujours dans la postface, Alan Moore souligne l’importance de ces personnages secondaires. J’ai eu honte et je me suis promis une seconde lecture.

    Je recommande donc.

    Références

    V pour Vendetta de Alan MOORE (scénario), David Lloyd (dessin) – traduction de Jacques Collin (Urban Vertigo, 2012)

    Livre lu dans le cadre des 12 d’Ys – catégorie romans graphiques et intégrales.

  • De la quatrième de couverture, on apprend que ce livre retrace les dix dernières années de la vie du compositeur français Maurice Ravel (1875-1937). À cela, l’éditeur ajoute un extrait qui montre toute la distanciation et l’humour que Jean Echenoz met dans la description de son personnage.

    Comme dans Courir du même auteur, Ravel ici n’est pas une personne célèbre dont on cherche à reconstituer la vie de manière linéaire et exacte (même si on se rend bien compte qu’il y a un soucis du détail chez Echenoz) mais plutôt un homme qui devient le héros d’une histoire, d’un destin. Comme dans tout destin, il y a l’ascension, l’apogée et la chute. Comme pour Zatopek, Echenoz décrit la vie de Ravel comme quelque chose d’inéluctable, qui devait se produire quoi qu’il arrive. Ravel n’est qu’un jouet dans cette destinée. Il ne fait rien de particulier. Il se contente de subir. C’est l’impression que l’on a en lisant ce roman.

    Le procédé est toujours : Jean Echenoz place son narrateur en observateur de l’histoire (parfois il arrive cependant à lire les pensées de Ravel), ce qui lui permet beaucoup de choses, entre l’humour et la distanciation comme je le disais.

    L’impression que j’ai eu c’est de lire la vie de quelqu’un de normal (on suit beaucoup Ravel dans sa vie quotidienne, dans ses habitudes alimentaires, vestimentaires). Seul l’œuvre laissée compte. Cette impression s’est renforcée chez moi à la lecture des dernières phrases :

    Il se rendort, il meurt dix jours après, on revêt son corps d’un habit noir, gilet blanc, col dur à coins cassés, nœud papillon blanc, gants clairs, il ne laisse pas de testament, aucune image filmée, pas le moindre enregistrement de sa voix.

    La personne ne restera pas pour nous mais les œuvres si.

    Remarque qui n’a rien à voir : j’ai trouvé la mort de Ravel très triste (comme pour Zatopek, on s’attache à notre héros « normal »). Suite à un accident de voiture, il perdait la tête. Son entourage s’inquiète car les absences sont de plus en plus fréquentes. Il l’emmène voir les plus grands spécialistes et comme c’est Ravel on décide de l’opérer par une opération plus qu’expérimentale. Il n’en sortira pas vivant.

    Références

    Ravel de Jean ECHENOZ (Les éditions de Minuit, 2006)

    Livre lu dans le cadre des 12 d’Ys dans la catégorie auteur francophone (j’avais déjà lu Echenoz mais on fait comme si d’accord)