Quatrième de couverture
La pensée autorise et légitime tous les voyages. même et surtout ceux que la raison déconseille. Cécilia Colombo n’est pas allée, physiquement, à Pripyat, ni à Tchernobyl. Pourtant, pas de « science-fiction », ici, seulement les mots justes pour dire la nature outragée, là-bas, s’en sort mieux que les hommes ; les arbres y grandissent plus vite, écartent le béton avec une anormale énergie ; l’homme s’est lui-même coupé les jambes et s’étonne de ne plus marcher… Là-bas… Ce là-bas lancinant prend un sens terrible. Il est le « n’allez pas là-bas ! » des poilus de Verdun, n’allez pas vers cet ailleurs d’enfer et de mort. Pour se rendre à Pripyat, on a des milliers de regards : là-bas, c’est ici. Il faut rappeler que la terre est un lieu étriqué, sans douanier pour arrêter un nuage. Ce texte est le cri de douleur d’une victime par procuration. Les arbres poussent vite, c’est vrai. Nul n’en mangera les fruits : le vert est aussi la couleur de l’enfer.
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Mon avis
Dans son livre Engeland, Pierre Cendors remercie Cécilia Colombo. Sur son blog, il présente un entretien avec elle. Vous comprenez que je me voyais dans l’obligation de lire ce livre.
C’est un coup de cœur absolu. Le projet est très ambitieux : décrire Tchernobyl en y étant jamais allé. On a tous un ou des souvenirs de Tchernobyl. J’avais trois ans et je ne me rappelle de rien sauf que ma mère a arrêté de nous faire manger des champignons (sauf de Paris car ils poussent en sous-sol). Par contre, quand j’avais dix ans, on partait en vacances en février près de la mer à Merlimont dans le Nord et il y avait plein d’enfant qui avait l’air un petit peu maladif mais très gentil et très affectueux (ils aimaient beaucoup quand ma mère leur donnait des bonbons). Ces enfants venaient de Tchernobyl à l’initiative du comité d’entreprise pour des vacances et peut-être pour se faire soigner (cela je ne sais pas). On a tous en tête les images de Pripyat, la ville qui est juste à côté de la centrale, de la grande roue, des immeubles tout neufs … C’était une ville moderne, où le bonheur était de mise. On a tous ressentis de la pitié pour ces gens. Pourtant Cécilia Colombo arrive à apporter quelque chose de neuf en s’appropriant les lieux.
Imaginez qu’elle est étalé toutes les photos qu’elle ait pu rassembler sur les lieux. En préambule, elle a vu des documentaires, lu des livres … Cécilia Colombo va se promener dans Pripyat et faire vivre ces lieux fantômes en y convoquant les anciens habitants. Ce qui la frappe, c’est que la forêt de Tchernobyl s’est régénérée (ou plutôt s’est transformée car le type d’arbre à changer), les animaux reviennent. La zone interdite de Tchernobyl est devenu un paradis vert ou plus exactement en a l’allure car la terre reste très contaminée. Si vous souhaitez en savoir plus, vous pouvez regarder ce documentaire sur YouTube.
On entend la voix de Cécilia Colombo dans toutes sortes d’intonation : la colère devant l’inconséquence humaine avant et après l’accident, devant l’inconscience des autorités européennes et mondiales. Il y aussi de la pitié mais surtout de l’empathie pour les victimes. Le style est magnifique (j’ai mis deux petites citations aussi).
Le livre est aussi une réussite car il n’est pas un livre de témoignages (nécessaires bien évidemment mais dans ce cas, on est tout de même moins dans la littérature), sans être pour autant un roman. Il y a ce travail d’appropriation qui est tout simplement hallucinant.
Pour vous situer la réussite, j’ai lu Un printemps à Tchernobyl de Emmanuel Lepage juste après. Lui y est allé et les deux témoignages concordent.
Des citations
De toutes nos illusions sur la Zone devenue terre des loups et de la forêt rousse, reste vrai le règne de Pripyat, la ville des roses radioactives, flanquée de sa compagne monstrueuse et patiente, qu’on appelle aujourd’hui Tchernobyl ; reste vraie l’interdiction pour l’humain de vivre dans ces endroits où les animaux évoluent en paix et dont il a été chassé pour avoir joué avec le feu. Devenue un Eden irradié,la Zone se moque de nous attendre pour vivre, tandis que les constructions humaines s’effacent en silence.
Les radiations ont arrêté le temps humain et laissé la place à de nouvelles mesures. Surpris en excès de confiance, pris en défaut de vanité, nous avons dû laisser notre place à des éléments dont la durée de vie dépasse notre entendement. Les heures ne passent plus, on compte désormais le temps en siècles.
Références
Pripyat – vert comme l’enfer de Cécilia COLOMBO (La Louve éditions, 2007)