Cecile's Blog

  • Christopher Morley était un amateur de Sherlock Holmes. Il a d’ailleurs aidé à fonder les Baker Street Irregulars. Il avait cependant d’autres centres d’intérêts, notamment l’écriture (il était aussi journaliste). Cela l’a mené à publier ce charmant petit roman en 1917. Il y aura une suite en 1919, The Haunted Bookshop (qui est dans mon reader mais que je n’ai pas encore lu).

    L’histoire est simple et écrite comme un conte (ou peut être une comédie). Une femme, Helen McGill, habite avec son frère, Andrew, depuis quinze ans. Ils se sont retirés dans une ferme après que le frère ait bazardé son affaire. Il s’est mis à l’écriture et a obtenu un succès phénoménal. D’après ce que j ‘ai compris, il part sur les routes et raconte la vie des gens qu’il rencontre. Pendant ce temps là, c’est sa sœur qui fait tout tourner, ans jamais prendre de vacances.

    Un jour, Mr Mifflin arrive dans la cour de la ferme pour vendre au frère sa boutique de livre ambulante, stock, cheval … tout compris. La sœur voit rouge et se dit qu’elle va être encore plus toute seule à faire la bonniche à la maison. Elle décide d’acheter pour elle la boutique et de prendre des vacances sur les routes à vendre des bouquins. C’est comme la libération de la femme. Mr Mifflin lui veut retourner à Brooklyn. Ils font un petit bout de trajet ensemble. Il en profite pour enseigner comment vendre des livres et propager l’amour des bons livres sur la terre entière (il voit un peu cela comme une mission divine). Cela donne des dialogues savoureux.

    « The world is full of great writers about literature, » he said, « but they’re all selfish and aristocratic. Addison, Lamb, Hazlitt, Emerson, Lowell – take any one you choose – they all conceive the love of books as a rare and perfect mystery for the few – a thing of the secluded study where they can sit alone at night with a candle and a cigar, and a glass of port on the table and a spaniel on the hearthrug. What I say is, who has ever gone out into high roads and hedges to bring literature home to the plain man ? To bring it home to his business and bosom, as somebody says ? The farther into the country you go, the fewer and worse books you find. I’ve spent several years joggling around with this citadel of crime, and by the bones of Ben Ezra I don’t think I ever found a really good book (except the Bible) at a farmhouse yet, unless I put it there myself. The mandarins of culture – what do they do to teach the common folk to read ? It’s no good writing down lists of books for farmers and compiling five-foot shelves ; you’ve got to go out and visit the people yourself – take the books to them, talk to the teachers and bully the editors of  country newspapers and farm magazines amd tell the children stories – and then little by little you begin to get good books circulating in the veins of the nation. It’s a great work, mind you ! It’s likecarrying the Holy Grail to some of these way-back farmhouses. And I wish there were a thousand Parnassuses instead of this one. »

    C’est sans compter sur le fait qu’Andrew veut retrouver sa bonne, pardon, sa sœur et l’empêcher de vivre cette vie. Mr Mifflin et Helen qui sont entre temps tombés amoureux doivent faire avec les embûches semées par le frère.

    L’anglais est simple et du coup, cela fait de ce livre une agréable lecture détente.

    Références

    Parnassus on Wheels de Christopher MORLEY (The Floating Press, 2009)

  • Quatrième de couverture

    Pascal Duarte rédige ses Mémoires en attendant la mort dans la prison de Badajoz. Il écrit pour le meilleur ami de sa dernière victime, et raconte sa vie, ses erreurs, les femmes qu’il a aimées ou haïes, les épreuves traversées. Derrière les mots s’élève la voix d’un innocent, coupable d’être né dans une famille déchirée, au cœur d’un pays ravagé par la guerre civile [pour de vrai, les derniers mots sont faux car la narration s’arrête en 1922, au moment où il assassine sa mère. Son dernier crime, l’assassinat du noble du coin, sera fera bien par contre pendant la guerre civile mais Cela ne nous en parle pas].

    Mon avis

    La première fois que j’ai entendu parler de Cela et de Pascal Duarte c’est quand un critique de feu l’émission Jeux d’épreuves a dit que le Nada de Carmen Laforet était le deuxième ouvrage espagnol le plus traduit au monde après La famille de Pascal Duarte de Camilo José Cela. Je me suis dit ahhhhh comme si j’avais eu une révélation. Après, j’ai cherché et monsieur Wikipédia m’a dit Cela a été Prix Nobel de Littérature en 1989. Du coup, j’ai mis le livre dans ma PAL. Un an et demi après, sous le coup des 12 d’Ys, je le lis.

    C’est franchement bien (on le lit sans déplaisir, on ne peste pas …) mais c’est une déception. C’est un premier roman de Prix Nobel tout de même, paru en 1942 (la préface souligne que c’est la même année que L’Étranger (j’ai pas trop aimé non plus d’ailleurs même si à la deuxième lecture j’ai trouvé cela mieux)(j’attends la troisième) et que les deux narrateurs tuent leur mère)(on voit les rapprochements que l’on veut). Quand on remet dans le contexte (de bien-pensance, de la fin de la guerre civile …), il apparaîtrait que le livre aurait fait polémique. Vu notre époque, le livre a bien vieilli et a donc perdu ce parfum de scandale. Avec ce livre, Cela inaugure un style, le tremendismo. La définition du Dictionnaire des Littératures Hispaniques (Bouquins, 2009) est « présentation brutale de la réalité dans un langage volontairement cru » (de langage cru, je parlerais plutôt de langage sans fioriture, direct et franc). Là aussi, le texte a perdu ce côté sulfureux qui a du l’accompagner à sa sortie.

    Quand on enlève tout cela, que reste-t-il ? les Mémoires d’un homme qui est mal né, à qui la vie n’a pas fait de côté et qui dès qu’il a une contrariété tue la personne qu’il a en face de lui. Il justifie ses crimes par la fatalité de sa naissance. Pour ce qui est des malheurs, Cela a fait preuve de beaucoup d’imagination : le père est un taiseux, il mourra de la peste après avoir été mordu par un chien, la mère est une alcoolique et une méchante, la sœur cadette est gentille et deviendra donc une prostituée exploitée par son mac, le petit frère est simplet, se fera croqué les oreilles par un cochon et se noiera dans un fond d’huile. Pascal Duarte fera l’amour à sa première femme en la violant, ils se marieront donc car la jeune femme est enceinte. Trois jours après le mariage, elle tombe de cheval et avorte (la réflexion de Duarte est que franchement, cela ne valait pas le coup de se marier). Elle retombera enceinte ; le petit mourra au bout de 11 mois. Pascal, écœuré par le peu de compassion des trois femmes de sa vie, s’en ira sans rien dire pendant deux ans. Quand il revient, sa femme est de nouveau enceinte (pas de lui du coup)(et le pire c’est qu’il ne comprend pas pourquoi). Il la somme de dire qui est le père. Il s’agit du mac de la sœur de Pascal ; la femme meurt en lui faisant cette déclaration. La chose qui est bien c’est quand il explique qu’avoir tué sa mère l’a soulagé ; c’est peut être la seule fois où on a l’impression de comprendre quelque chose à Pascal Duarte.

    Un point positif du livre : les dialogues. Très rythmés, ils relancent la narration en mettant Pascal Duarte avec son entourage.

    En conclusion, le Dictionnaire des Littératures Hispaniques (Bouquins, 2009) dit :

    La vision du réel qu’il propose se situe à cheval entre l’individuel et le collectif, entre l’existentiel et le structurel, la violence des hommes reflétant celle d’un paysage hostile et dévasté.

    Et là, je me dis que quelque chose a du m’échapper (ce qui me rassure un peu, c’est que la personne qui a rédigé la notice biographique de Cela n’a pas trop l’air de le porter dans son cœur non pus). Je suis tenace et je lirais La Ruche qui m’a l’air un peu plus intéressant.

    Références

    La famille de Pascal Duarte de Camilo José CELA – traduit de l’espagnol par Jean Viet – présentation par Albert Bensoussan (Points Seuil, 1997)

    Livre lu dans le cadre des 12 d’Ys dans la catégorie Prix Nobel de Littérature (j’en relirais sûrement un autre dans cette catégorie, genre Herta Müller ou Mario Vargas Llosa qui m’ont plus l’air dans mes cordes).

  • Quatrième de couverture

    Tout juste remis d’une enquête qui a manqué lui coûter la vie, l’inspecteur Grant Foster réintègre la Criminelle de Londres lorsque Katie Drake, actrice de théâtre sur le déclin, est retrouvée morte dans le jardin de sa propriété londonienne. Sa fille de quatorze ans, Naomi, est introuvable. Mais difficile de progresser quand la victime semble avoir coupé tous les liens avec son passé. Une seule piste : un cheveu retrouvé sur le corps. Lorsque les résultats des analyses ADN révèlent qu’il appartient à un parent de Katie Drake, Foster décide de faire appel au généalogiste Nigel Barnes pour tenter de retracer l’histoire familiale de la défunte. Barnes parvient à retrouver certains parents éloignés en remontant jusqu’en 1891, mais il semble impossible de pousser plus loin les recherches. Pourtant il faut briser rapidement la malédiction qui frappe cette lignée. Des vies sont en jeu.

    L’Église des mormons est manifestement liée à l’affaire et entend protéger ses secrets de famille. À Salt Lake City, les enquêteurs plongent au cœur des archives colossales de la communauté pour découvrir une congrégation aux pratiques redoutables et comprendre pourquoi le dogme « Jusqu’à ce que la mort nous sépare » n’existe pas pour ses disciples. Ils ne font qu’obéir aux Commandements. Aussi sanglants soient-ils.

    Mon avis

    C’est un des livres offert par mon grand frère pour mon anniversaire. Je l’ai mis sur ma liste Amazon au début de la semaine dernière et il me l’a offert vendredi. Quel talent !

    C’est la deuxième volume des aventures de Nigel Barnes (toujours aussi attachent même si il a pris de l’assurance je trouve), d’Heather et de l’inspecteur Foster. Je peux déjà vous dire que Dan Waddell a réussi à faire aussi bien si ce n’est mieux que le premier volume (je l’ai dévoré en deux jours même si ce fut un week-end très pris ; ben oui c’était mon anniversaire après tout). La première nouvelle est triste (mais cela ne dura pas) : Nigel Barnes et Heather sont séparés.

    La première partie du livre est basée sur la même construction que Code 1879. Les recherches généalogiques se font plus ou moins de la même manière. On enchaîne les meurtres et les enlèvements. C’est efficace sans aucun doute et très intéressant. Cela a un côté page turner. Le talent de Dan Waddell est d’avoir mis dans son livre les Mormons (Conan Doyle l’avait fait avant, je le sais). Pas seulement les Mormons mais aussi l’histoire et l’évolution des Mormons au cours du XXième siècle.

    Il faut savoir qu’en France, nous considérons les Mormons comme une secte et que pourtant nous leur avons donné tout notre état civil à numériser (c’est un des nombreux paradoxes français). Ils nous ont donné les microfilms mais en ont gardé un exemplaire pour eux. À la lecture du livre d’Halldor Laxness Le Paradis Retrouvé, on ne peut pas douter qu’à sa création, le mouvement était une secte qui lavait le cerveau. Un des éléments fondamental est que la polygamie y était autorisé. Sous la contrainte du gouvernement américain, c’est une règle qui a été abandonné. Est-ce que les Mormons sont dès lors encore une secte ?  C’est sur ce point que le livre de Dan Waddell essaye de nous éclairer. Le généalogiste Nigel Barnes est en admiration pour leur travail de collecte mais l’homme est dubitatif devant les baptêmes forcés des morts (sans aucun respect des croyances qui ont été les leurs), la manière dont l’Église cultive le secret (des ressources peuvent être inaccessibles sauf au membre) en employant des moyens démesurés. L’auteur présente aussi l’aspect église principale et dissidence extrémiste (il faut vivre selon les anciennes règles) et essaye de dire aussi que l’église essaye de se « normaliser », au fur et à mesure qu’elle gagne des « partisans » (apparemment les chiffres sont assez impressionnants). Je trouve que c’est un thème très intéressant car il touche de près tous les généalogistes. J’espère cependant que ce ne seront pas les seuls lecteurs des livres de Dan Waddell.

    Mon seul regret, pourquoi Dan Waddell n’a écrit que deux volumes des aventures de son enquêteur généalogiste ?

    Références

    Depuis le temps de vos pères – Les enquêtes du généalogiste de DAN WADDELL – traduit de l’anglais par Jean-René Dastugue (Rouergue Noir, 2012)

  • Quatrième de couverture

    Pourquoi avoir ressassé pendant vingt-cinq ans un amour impossible ? Et pourquoi, tout ce temps durant, s’être imposé une désespérante vie sans chair, désolée et blanche ? De retour à Paris, Brynhildur se remémora ses années de jeunesse, les eaux froides où l’irrésistible Islandaise a perdu son professeur de grec, et son érotisme avec. Sur le ton d’une confession indécente, un esprit libre et narquois fait le bilan d’une vie dont l’amour est la clé. L’amour et son manque.

    Rieuse, insolente, Steinunn Sigurdardóttir explore en magicienne les troubles de la passion et les outrages du temps.

    Mon avis

    C’est le deuxième livre de l’auteur que je lis après Le Voleur de Vie. Deuxième histoire sur la vie après un chagrin d’amour. Brynhildur a fait ses études à Paris, est tombée amoureuse de son professeur de grec, l’a cherché dans la ville pendant trois ans. Enfin arrivée à son but, elle découvre que le professeur de grec est amoureux aussi mais qu’ils ne peuvent pas être ensemble car l’amour physique lui est interdit. Arrive alors, une jeune étudiant en géologie islandais. Il deviendra son mari à force de petits soins mais ce ne sera jamais le grand amour perdu. Quand elle revient à Paris, pour un court séjour, elle se remémore tout cela tout en se cherchant un amant (elle tombera sur quelqu’un de bien : un homme d’esprit et d’amour, qui ne la forcera pas à rester ni ne la laissera tomber).

    Tout le livre porte sur ce sujet : doit-on vivre à fond, au risque d’être déçue, trompée … ou bien se contenter des petits bonheurs de la vie, sans connaître la vraie passion. Ce choix porte sur la vie de Brynhildur qui aurait voulu vivre complètement mais à cause d’un échec vivra en se contentant de petits bonheurs, quitte à faire le malheur de son mari. Les deux filles de Brynhildur ont choisi de vivre sans connaître la vraie passion : elles ont choisi leurs études par souci économique, leurs amoureux ne sont pas le grand amour … C’est un roman de femmes et c’est un peu la question qui se pose : qu’est-ce qu’être une femme et comment se vivre complètement.

    Par contre, par rapport au Voleur de Vie, je n’ai ressenti aucune empathie pour Brynhildur. Elle semble trop se concentrer sur elle-même. Cela vient du fait que son mari n’intervient pas directement dans le livre. La narratrice décrit tout ce qu’il lui a apporté, de réconfort, de confort d’amour, de connaissance sur comment vivre une vie heureuse. Je comprends bien qu’il a pris la place du père de sa femme plutôt que celle de son mari mais je n’ai pas pu m’empêcher d’avoir pitié de lui, d’autant qu’il est devenu alcoolique.Pourtant lui il avait vécu sa vie complètement : son métier de géologue est sa passion (elle lui permet de s’impliquer dans la sauvegarde de l’Islande), il a réussi à avoir la femme qui était et est son grand amour. Je ne sais pas du tout ce qu’il faut en conclure du coup.

    J’ai aimé aussi savoir des petites choses sur l’Islande, qui ne semble pas être le paradis écologique que l’on nous présente (ils sont plus écologiques que nous, c’est certain par contre). Apparemment, le désert islandais semblait en voie d’être colonisée par les chercheurs de … profits. Je ne sais pas si c’est encore le cas après la crise économique que le pays a été traversé (le livre ayant été publié en 2002)

    D’autres avis

    Ceux de Stephie, de Choco et de Sabbio.

    Références

    Cent portes battant aux quatre vents de Steinunn SIGURDDARDÓTTIR – roman traduit de l’islandais par Catherine Eyjólfsson (Éditions Héloïse d’Ormesson, 2011)

  • J’ai découvert un texte mexicain qui n’est pas bizarre ou incompréhensible. Je suis trop contente.

    L’histoire est simple même si elle vire vers le fantastique à la fin (mais je crois que c’est la période et le pays qui veut cela). Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, un petit garçon tombe amoureux de la mère de son meilleur ami. Un petit garçon d’une dizaine d’années (même pas un adolescent). Il va oser le dire à la mère. Celle-ci réagit normalement en lui disant que c’est une passade, qu’il ne faut pas y accorder de l’importance et la chose semble classer. Il ne faut pas perdre de vue qu’ils en ont juste parler. Il n’y a rien eu.

    Le truc c’est que pour faire sa confession, le gamin a séché les cours et s’est fait dénoncer au professeur  par son ami (le fils de la mère). Et alors là commence le grand chambardement. Il va subir des tests psychologiques, se faire traiter de pervers par ses parents … Le regard que toute la société porte sur lui va changer. On ne comprend pas vraiment pourquoi car cela semble si innocent. Cela s’éclaire au fur et à mesure quand on apprend que le fils n’a pas de père ou plus exactement s’invente un père ultra-puissant qui dirige le Mexique mais qui fait habiter sa famille dans un appartement pourri. Ce qui gène, c’est que sa mère passe pour une prostituée. En tout cas, elle a un amant riche qui la poussera au suicide. Quand le narrateur essaiera de retrouver le garçon et la mère (il ne sait pas ce qui s’est passé), tout le monde aura disparu. Il n’y aura plus de traces de quoi que ce soit.

    Ce qui est intéressant dans ce texte très court, c’est la société mexicaine qu’il nous présente : une société très hiérarchisée (les différentes classes sociales ne semblent pas se côtoyer), bien pensante, très baignée d’Amérique. On est aussi dans une société où la déchéance, financière ou morale, peut arriver très vite.

    Un autre texte de cet auteur a paru dans la collection Minos des éditions de La Différence : Tu mourras ailleurs. C’est un roman ; j’ai hâte de le lire.

    Références

    Batailles dans le désert de José Emilio PACHECO – traduit de l’espagnol (Mexique) et préfacé par Jacques Bellefroid (Collection Minos – Éditions de La Différence, 2009)

  • Quatrième de couverture

    Vera et István s’aiment passionnément depuis un demi-siècle. Ils ont survécu à la Shoah, au régime communiste, à l’insurrection de Budapest et à l’exil au Danemark. Jusqu’à ce dimanche d’octobre 1991 où ils décident de mourir, ensemble … Traquant les souvenirs, Johanna Adorján part sur les traces de leur destinée belle et douloureuse.

    L’histoire d’un amour hors du commun, otage d’un siècle chaotique, retracé avec pudeur et tendresse par la petite-fille de ce couple inoubliable.

    Mon avis

    Ce livre m’a beaucoup dérouté. À lire la quatrième de couverture, je m’attendais à un livre écrit de la même manière que Les Disparus de Daniel Mendelsohn : une enquête familiale. La narratrice, qui se confond ici avec l’auteur, entretient cette idée puisqu’en même temps qu’elle nous raconte l’histoire de ses grands-parents, elles racontent les rencontrent qu’elle fait pour éclaircir certains points de cette histoire. Elle dit que c’est une enquête et donc à mon sens, que cela part d’une démarche. Mais cette démarche, elle ne nous la décrit pas. Elle ne nous dit pas non plus pourquoi elle fait tel ou tel voyage. On ne sait rien de sa vie non plus (elle doit parler en tout et pour tout deux fois de son caractère et une fois de sa vie passée, un peu plus de sa famille mais pas beaucoup). On comprend qu’elle veut savoir ce qu’elle n’a jamais pu ou même eu l’idée de demander à ses grands-parents. On comprend aussi qu’elle veut essayer de comprendre pourquoi ils se sont suicidés ensemble, même si au fond elle a déjà compris qu’ils s’aimaient trop pour pouvoir vieillir seul(e), après la mort de l’autre.

    Le truc, c’est que Johanna Adorján donne l’impression de nous donner à lire un livre brouillon, un livre qui serait destiné à la famille proche. On peut dès lors se demander quel et l’intérêt de publier un tel livre. Je crois que cela tient au fait que ce qui n’est pas dit est le plus important. En faisant un peu de psychologie de comptoir, je pense que tout est dans le titre : Un amour exclusif. En écrivant ce livre, l’auteur a surtout cherché à rentrer dans l’intimité d’un couple qu’elle admire (il y un petit côté haine-admiration aussi pour sa grand-mère à qui elle ressemble tant), un couple qu’elle n’a jamais pu « approcher » car ils étaient tout l’un pour l’autre, avaient un côté hautain qui éloignait les autres. À plusieurs reprises, elle explique qu’elle se sent particulière, qu’elle n’a pas une identité tout à fait construite. Je crois qu’implicitement elle oppose sa solitude au couple de ses grands-parents, qu’elle aimerait faire partie de quelque chose. C’est peut être pour cela qu’elle a fait publier son livre : pour se sentir quelqu’un, pour avoir le sentiment d’appartenir à sa propre famille.

    Références

    Un amour exclusif de Johanna ADORJÁN – traduit de l’allemand par François Toraille (10/18, 2011)

  • Quatrième de couverture

    Le jeune Gabriel est incarcéré au pénitencier El Sexto, au centre de Lima, dans le cadre de la répression des mouvements d’opposition étudiants. Là, il va rencontrer des représentants des partis politiques qui luttent contre le pouvoir despotique. Il découvre les hiérarchies de la prison, où en fonction des étages se côtoient en haut les politiques, puis les droits communs et les délinquants sexuels, et enfin, tout en bas, les clochards et les assassins. Les politiques se divisent entre partisans de l’Apra (démocrates) et communistes, considérés comme « vendus à l’étranger ».

    Les droits communs font régner leur loi, distribuent la drogue et forcent les homosexuels à la prostitution. Les maîtres de cet inframonde, Estafilade, Maraví et Rosita, l’homosexuel à la voix d’ange, luttent pour le pouvoir, s’affrontent à mort, ce qui révèle la totale malhonnêteté des autorités légales.

    Construit sur des dialogues ce roman est, comme le souligne M. Vargas Llosa, remarquable par la structuration des « personnages collectifs, ces entités grégaires absorbant l’individu effacé par l’ensemble, fonctionnant avec une synchronie de ballet ».

    Ce roman a été inspiré à l’auteur par son expérience de la prison politique en 1938. Il a défini El Sexto comme à la fois une école du vice et une école de la générosité.

    Un grand classique de la littérature latino-américaine.

    Un peu d’histoire

    Au 19ième siècle, le Pérou est « aux mains d’une oligarchie foncière et de dictateurs militaires »1.  De 1879 à 1883, il y eut la Guerre du Pacifique entre la la Bolivie, le Chili et le Pérou. La victoire a été pour le Chili. Le Pérou a mis énormément de temps à se reconstruire et pour cela a eu besoin de capitaux étrangers (invasion de gringos dans le livre). L’apra (alianza popular revolucionaria americana) fut créée en 1924 (le parti existe encore et a d’ailleurs été au pouvoir entre 2006 et 2011). le Petit Robert la qualifie de mouvement progressiste, constitué dans le but de lutter contre l’oligarchie conservatrice. Wikipédia explique lui que l’on peut qualifier de social démocrate et qu’il appartient à l’Internationale socialiste. Jusqu’en 1968, l’oligarchie se maintient notamment grâce à des régimes « plus libéraux » et des dictatures militaires dont celles du Général Bénavidès, président entre 1933 et 1939.

    José María Arguedas a été emprisonné en 1938 à la Penitenciaría de Lima. Ce pénitencier a été conçu par le philosophe Jérémy Bentham. On peut trouver le plan ici.

    Monsieur Wikipédia, qui lui parle espagnol, montre une image de l’intérieur du pénitencier en 1939 (la source est indiquée sur cette page mais comme je ne parle pas espagnol …).

    À cette époque, José María Arguedas avait 27 ans. De part son éducation, c’était un homme, un étudiait, qui prônait l’idée d’un Pérou uni, où il n’y avait plus de séparations de castes et de mépris entre Blancs et Indiens. Françoise Aubès2 écrit « ethnologue, professeur, écrivain reconnu, Arguedas assurera diverses fonctions officielles, soucieux de diffuser et d’imposer une culture andine respectueuse de la nature, s’exprimant dans la musique et les contes, et à même, grâce aux valeurs communautaires qui sont les siennes de former un rempart contre le capitalisme sauvage d’un pays qui se modernise ».

    Le livre de José María Arguedas a été publié en 1961, l’année où on a annoncé la fermeture de ce pénitencier.

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    Mon avis

    El Sexto nous montre une société péruvienne divisée tant au niveau social et politique qu’au niveau géographique. Le niveau social est très bien décrit dans la quatrième de couverture donc je ne vais pas trop y revenir. Le niveau politique est intéressant car il y a donc au deuxième étage, une division entre apristes et communistes. Le fossé ne se comble sous aucun prétexte même quand il y a des morts. Si par hasard cela se fait, on considère cela comme une erreur ou quelque chose que l’on doit interpréter politiquement. Idem sur les divisions sociales, l’escalier permettant de passer d’un étage à un autre (principe même de l’escalier me direz vous) semble très difficile à gravir et à descendre. Il ne faut pas changer de camp ou même pactiser avec un autre camp. On perd tout le caractère humain que peut avoir une société

    La séparation géographique est aussi flagrante entre les gens de Lima et le reste du pays. À plusieurs reprises, on nous dit que l’expérience de Lima, de la belle vie, est très différente de celle de la sierra, dans les villes. L’auteur écrit aussi que celui qui connaît Lima ne peut pas en avoir encore envie. De même, un homme plus bourgeois que les autres dit que  la dépravation sexuelle de la prison ne peut pas être observée à la campagne, qu’il n’y a qu’à Lima que l’on peut voir cela. Cela laisse entendre qu’il y a deux Lima, une des bidonvilles et une des riches, qui s’oppose à la campagne et au reste du pays, où les gens sont plus « sains » malgré des conditions de travail très difficile. On retrouve un peu cela quand un communiste, le camarade de cellule de Gabriel, explique que dans les mines, les membres de l’Apra ne sont pas comme les dirigeants à Lima, qu’ils se révoltent et qu’ils tiennent au même titre que les autres.

    Ce qui est très frappant aussi, c’est qu’il est impossible de ne pas faire partie d’un groupe. On imagine pour Gabriel (personnage dérivé de Arguedas), le traumatisme lui qui croit à l’unification, au respect entre personnes … toutes sortes d’idées qui le font qualifier d’ »idéaliste petit-bourgeois ». Gabriel, en discutant avec tout le monde, se fait des « ennemis ». Quand j’ai lu le livre, je ne savais pas qu’Arguedas était aussi ethnologue et je m’étais fait la réflexion que Gabriel observait beaucoup, semblait obséder par l’idée de comprendre (à la fin, il agit un peu tout de même). En y réfléchissant, je trouve que c’est un excellent point de vue car je ne vois pas comment en ayant choisi un autre narrateur il aurait pu faire la même description.

    Le regard de l’ethnologue Arguedas est omniprésent. On ne ressent pas le grouillement comme sur la photo. Gabriel est au deuxième étage et voit bien ce qu’il se passe au rez-de-chaussée ; il compatit mais ne fait pas vraiment preuve d’empathie. Il va aider mais c’est comme un devoir vis à vis de ses idées « idéalistes de petit-bourgeois ». Il y a une réflexion derrière son aide.

    Au niveau littéraire, le livre est principalement construit de dialogues et donc de petites scènes. La chronologie des faits est parfois difficiles à comprendre, de même que la configuration des lieux. Arguedas se concentre sur le propos uniquement et l’image qu’il veut faire passer. Il y a énormément d’éloquence pour exprimer les idées. La distinction entre les étages est aussi marquée dans les différences de langages. Les descriptions des « incidents » sont courtes et frappent au cœur.

    El Sexto est finalement plus un roman sur un microcosme représentant les travers de la société péruvienne de l’époque qu’un roman sur le régime carcéral au Pérou. D’après ce que j’ai pu lire, c’est un des objectifs fondamentaux de Arguedas : capter ce que l’on ne saurait voir d’une société en mouvement.

    Un autre avis

    Celui de In Cold Blog.

    Références

    El Sexto de José María ARGUEDAS – traduit de l’espagnol (Pérou) par Eve-Marie Fell (Métailié, 2011)

    Livre lu dans le cadre des 12 d’Ys dans la catégorie auteurs latino-américains.

    1 : Le Petit Robert des noms propres, 2006. Article : Pérou. On y apprend notamment que la Bolivie est devenue la Bolivie en 1825 après une scission d’avec le Pérou.

    2: Dictionnaire des littératures hispaniques – sous la direction de Jordi Bonells (Bouquins, 2009). Article : José María Arguedas.

  • C’est Ys qui m’a donné envie de lire ce texte. Elle l’a fait très discrètement puisque elle met juste une citation sur le côté droit de son blog. Mais voilà quelle citation. Je l’admire parce que moi, personnellement, j’avais envie de tout noter. Je vais mettre plein d’extraits mais pas tout le livre.

    Tout comme écrire, lire c’est protester contre les insuffisances de la vie. Celui qui cherche dans la fiction ce qu’il n’a pas exprime, sans nul besoin de le dire ni même de le savoir, que la vie telle qu’elle est ne suffit pas à combler notre soif d’absolu, fondement de la condition humaine, et qu’elle devrait être meilleure.

    […]

    Qu’ils le veuillent ou non, qu’ils le sachent ou pas, les fabulateurs, en inventant des histoires, propagent l’insatisfaction, en montrant que le monde est mal fait, que la vie de l’imaginaire est plus riche que la routine quotidienne.

    […]

    La littérature est une représentation fallacieuse de la vie qui, néanmoins, nous aide à mieux la comprendre, à nous orienter dans le labyrinthe dans lequel nous sommes nés, que nous traversons et où nous mourons. Elle nous dédommage des revers et des frustrations que nous inflige la vie véritable et grâce à elle nous déchiffrons, du moins partiellement, ce hiéroglyphe qu’est souvent l’existence pour la grande majorité des êtres humains, principalement pour nous, qui abritons plus de doutes que de certitudes, et avouons notre perplexité devant des sujets tels que la transcendance, le destin individuel et collectif, l’âme, le sens ou le non-sens de l’histoire, l’en deçà et l’au-delà de la connaissance rationnelle.

    […]

    Aussi faut-il le répéter sans cesse jusqu’à en convaincre les nouvelles générations : la fiction est plus qu’un divertissement, plus qu’un exercice intellectuel qui aiguise la sensibilité et éveille l’esprit critique. C’est une nécessité indispensable pour que la civilisation continue d’exister, en se renouvelant et en conservant en nous le meilleur de l’humain. Pour que nous ne revenions pas à la barbarie de la non-communication et que la vie ne se réduise pas au pragmatisme des spécialistes qui voient les choses en profondeur mais ignorent ce qui les entoure, précède et prolonge. Pour qu’après avoir inventé les machines qui nous servent nous ne devenions pas leurs esclaves et serviteurs. Et parce qu’un monde sans littérature serait un monde sans désirs, sans idéal, sans insolence, un monde d’automates privés de ce qui fait que l’être humain le soit vraiment : la capacité de sortir de soi-même pour devenir un autre et des autres, modelés dans l’argile de nos rêves.

    […]

    Rien n’a semé autant l’inquiétude, secoué autant l’imagination et les désirs que cette vie de mensonges que nous ajoutons à celle que nous avons grâce à la littérature afin de connaître la grande aventure et la grande passion que la vie véritable ne nous donnera jamais. Les mensonges de la littérature deviennent des vérités à travers nous, ses lecteurs, transformés, contaminés d’aspirations et cela par la faute de la fiction, remettant toujours en question la médiocre réalité.

    J’ai tellement aimé me sentir moins seule. Ils ont eu raison de donner le prix Nobel à Mario Vargas Llosa. Rien que le choix du thème de son discours est admirable. Il aurait pu parler de l’écriture (et cela n’aurait concerner que lui et quelques autres) mais il a choisit de parler de la lecture et de ce que la lecture peut apporter au monde.

    J’ai envie d’offrir ce livre à tous les gens qui se moquent de moi quand je dis que ma passion c’est la lecture (je ne veux pas dire la littérature car dans mon esprit il faut aller beaucoup plus loin dans l’analyse que ce que je fais), à tous les gens qui se croient malin en me disant « ah, mais tu as sûrement lu ça » (et à qui je réponds non mais raconte mais peut être que cela m’intéressera. En général, soit je connais déjà et il s’avère que c’est le dernier succès à la mode que l’on n’a pas besoin de lire car tout le monde a déjà tout raconté. Sinon, c’est le livre que la personne a lu il y a quinze ans, une fois, qui n’a absolument rien changer à sa vie mais bon, voilà, dans la vraie vie, il faut faire la conversation et quand on n’a rien lu depuis quinze ans, c’est difficile).

    Entre mes sept ans et dix ans, j’ai eu une période où la lecture m’apportait tout un monde, me faisait vivre des choses dont j’avais peur et me disais que je pourrais m’en sortir (le décès d’un de mes parents ou de mon frère dans un accident ou par une maladie était ma hantise). Elle m’aidait à dédramatiser des évènements dont je ne pouvais pas parler. De mes 10 ans à  mes 20 ans (période collège, lycée et DEUG), j’ai eu une période comme cela où la lecture était mon passe-temps. J’apprenais plein de choses, cela me détendait. Il y avait plein d’histoires. C’est toujours le cas mais maintenant les livres m’apportent encore plus, même les livres que certains qualifient de moins bons, de populaires, de faciles. Je ne lisais pratiquement pas du tout pendant l’année scolaire. Puis en grandissant (pour ne pas dire en vieillissant), la lecture a commencé à prendre de plus en plus de place. Cela va de paire avec le travail, avec le fait que la vie s’installe dans une sorte de routine qui semble incassable (à ce moment là j’ai choisi les études qui décideraient de toute ma vie et on répète tellement souvent qu’un trou dans le CV … on ne laisse pas le temps à la vie d’avoir des temps morts).

    C’est pour cela que ce que dit Mario Vargas Llosa me touche tant. J’ai cette impression que la vie ne tient pas les promesses qu’elle laisse miroiter dans les livres. Cela donne l’impression d’être une inadaptée, d’avoir trop lu et de confondre maintenant la réalité avec la fiction. Parfois, je me dis que j’aimerais ne plus lire (dans mon cas, c’est un peu comme arrêter de respirer) pour pouvoir vivre la vie des gens qui semblent (je dis bien semblent parce que je ne suis pas dans la tête des gens) se contenter de ce que la vie leur propose (en sachant que je ne ferais jamais rien pour casser les choses car je suis quelqu’un de très conventionnel). C’est ce qui manque dans le discours de Mario Vargas Llosa : comment vivre dans un monde que la lecture nous a fait souhaiter meilleur ? comment vivre dans un monde où les lecteurs ne sont qu’une minorité ?

    Bien sûr, je l’ai lu en livre électronique. Il ne me reste plus qu’à attendre qu’il soit de nouveau disponible en papier …

    Références

    Éloge de la lecture et de la fiction : Conférence du Nobel de Mario VARGAS LLOSA (Gallimard, 2011)

     

  • Un extrait

    Un soir, je me trouvai sur un pont qui enjambait la Clyde. L’eau qui coulait en dessous ressemblait à de l’huile ; sa surface était embrasée par le dernier rougeoiement du soleil couchant. Des morceaux de métal et du bois cassé remontaient des rives comme les os d’étranges créatures. L’eau empestait la maladie. En la regardant, je me rappelai l’eau de Hirta, sa joie fraîche et claire lorsqu’elle jaillissait de terre et dévalait la colline en millions de cristaux. Je me revoyais allant moi aussi de la source à la mer et compris que c’était en quelque sorte l’image de ce que j’étais devenu ; ma vie semblait aussi inutile et corrompue que cette rivière qui coulait à mes pieds, qui s’envasait progressivement en direction de la mer. [p. 101]

    Présentation de l’éditeur

    Saint-Kilda est un minuscule archipel battu par les vents aux confins du monde connu, à l’extrême ouest de l’Écosse. Une terre sans un arbre, sauvage, misérable, où vivent les Gillies, famille disciplinée, repliée au sein d’une communauté austère. Brutalement la mort des parents puis le départ de l’île viennent bouleverser l’ordre des choses. L’aîné et narrateur, Roddy, échoue sur le continent sans pouvoir trouver sa place dans le clan familial familial en lambeaux. L’émouvant itinéraire d’un homme déraciné, orphelin de son île, en quête de nouveaux repères.

    Mon avis

    Il est évident que j’aime d’amour ce livre.

    D’abord, il raconte en partie Saint-Kilda. N’importe qui me connaissant sait que ce genre de paysages, où il y a plein de vents, de la nature, me fascinent et m’attirent en tout cas en littérature (alors que je suis persuadée que je ne saurais pas me débrouiller dans un tel environnement ; c’est sûrement cela qui me fait envie). Le narrateur, Roddy, a passé toute son enfance à Hirta ; il y a vécu les plus belles années de sa vie même si c’était un environnement rude. Il y a eu l’amour des siens, les rivalités avec son frère, l’expérience d’une communauté soudée.

    Il est évident que lorsque son père meurt et que l’année d’après les habitants d’Hirta sont évacués vers le continent, son monde s’écroule (ainsi que son enfance). C’est un livre sur le déracinement bien évidemment mais ce qu’il y a de particulier ici, c’est qu’il ne pourra jamais retrouver ce qu’il a perdu, même des bribes. Ce n’est pas un monde qui s’écroule mais un monde qui disparaît. Le livre est construit par l’alternance entre les récits du passé et les récits du présent (lui, vieux, dans un hôpital américain, en train d’écrire ses souvenirs pour des descendants qui n’existent pas). Roddy a alors une pensée très significative : est-ce qu’il est le dernier survivant de Saint-Kilda, à avoir connu ce monde oublié, cette civilisation perdue.

    Il y a tout le côté aussi sur la reconstruction du clan familial après des décès subits et très rapprochés et là encore Kenneth Steven tape juste (d’après ma maigre expérience après le décès de mes grands-parents). Je trouve qu’il fait bien le parallèle avec la fin de la vie sur l’île. De même qu’en faisant parler un homme en fin de vie, c’est une partie de notre monde à tous qui sombrent dans l’oubli. On pourrait dire que ce roman se résume par les mots fin de monde et oubli.

    Tout cela est servi par une écriture magnifique, qui fait rêver tellement elle est poétique, évocatrice. Encore une fois, je n’ai pas rendu justice au livre mais il est magnifique.

    Un autre avis

    Celui de Yvon.

    Références

    À l’ouest du monde de Kenneth STEVEN – traduit de l’anglais (Écosse) par François Chardonnier (Autrement, 2008)

  • Quatrième de couverture

    Installé dans la banlieue de Glasgow avec sa femme et sa fille, Sean O’Grady, la trentaine, travaille dans l’usine locale de conditionnement de poulets, autrement dit en enfer.

    De virées au pub en visites chez le bookmaker, de rêves déçus en fins de mois difficiles, Sean se satisferait pourtant de ce quotidien médiocre. Mais voilà que son frère, Archie, protecteur et bourreau à la fois, obtient une remise de peine et sort de prison avec la ferme intention de récupérer l’argent qu’il a confié à son fréro. Sean ne dispose que de quelques heures pour réunir la somme qu’il a dépensée …

    Une journée haletante débute alors pour lui dans ce goulag moderne, avec pour leitmotiv un dilemme digne d’une tragédie shakespearienne : son frère ou sa propre vie.

    Mon avis

    Voilà tout à fait le type d’histoire qui m’aurait déplu si cela avait été un film : l’histoire de deux frères qui n’ont pas eu de chance dans la vie (leur père est parti, leur mère est morte renversée par une voiture, élevés par leur oncle et leur tante dans un quartier où les perspectives d’avenir ne sont pas ce qui compte puisque de toute manière on travaillera à l’usine de poulets). Un tourne assez bien. Malgré de nombreuses erreurs et bêtises, il a son travail à l’usine, une femme, une fille. La vie est difficile mais elle s’écoule. L’autre enchaîne les séjours en prison depuis l’adolescence et entre chaque séjour poursuit ses trafics. Avec l’âge, il devient de plus en plus un gros poisson (c’est l’expérience qui veut cela) mais n’oublie jamais son frère. Il reste attacher par un lien … Mais là le petit frère a déconné et à utilise le fric du grand frère pour boucler les fins de mois et rêver un peu. On ne rigole plus. Le livre raconte les petits arrangements entre amis dans cette banlieue de Glasgow (trafics de cigarettes, de drogue, d’alcool, partie de cartes, paris … mais aussi des gens qui peuvent se serrer les coudes : quand on demande un service à quelqu’un, c’est oui ou c’est non mais on ne tergiverse pas).

    Tout cela pour dire que ce n’est pas mon type d’histoire mais Mark McNay, pour son premier roman, a su faire quelque chose de bien particulier. Il a d’abord utilisé une écriture très populaire, très parlé aussi. Il n’y a pas de dialogue explicitement mais c’est un échange de réplique, non différencié de la narration. Le texte en est plus vivant encore. McNay a aussi utilisé une construction intéressante puisqu’il alterne le récit de la journée présente avec des moments du passé. Le tout est lié par la pensée de Sean (en tout cas, le plus souvent). À cela s’ajoute les rêves de grandeurs et d’évasion de Sean qui le rendent très sympathique et très humain. Par exemple, il se rêve général d’une armée quand il travaille sur sa chaîne de poulet.

    En conclusion, je dirais que c’est une très belle découverte (et dire que cela faisait trois ans qu’il traînait dans ma PAL) mais aussi un excellent premier roman, servi pas une très bonne traduction. Je vais lire le second mais en anglais car il n’a pas été traduit apparemment.

    Références

    Un jour sans de Mark McNAY – traduit de l’anglais (Écosse) par Aline Azoulay-Pacvon (Éditions du Panama, 2008)