Cecile's Blog

  • Je suis tombée complètement par hasard sur livre, lors d’une de mes visites à Gibert Joseph. Bon, pour tomber sur ce livre, il faut quand même traîner du côté des livres allemands, qui sont juste devant la table présentant les nouveautés en anglais, se retourner brutalement, faire tomber les livres, devoir les ramasser et voir cette très jolie couverture. Ce n’est pas à la portée de tout le monde ! Pour vous dire, je n’ai constaté qu’au cours de ma lecture, que le titre était en français.

    On est à Londres, en 1947, en hiver, où l’on découvre Albertine, qui vient de s’installer avec son mari, Albert, ancien soldat de l’armée britannique, dans la ville. Ils se sont rencontrés en Égypte où Albertine était infirmière et Albert, patient. Un amour extrêmement fort et sincère. Après la guerre, Albert continue à se servir son pays ; il fait de nombreux voyages à l’étranger, notamment en Allemagne, où il participe à organiser l’occupation et la reconstruction du territoire. C’est un travail très difficile pour lui, car il réfléchit beaucoup à ce qu’il s’est passé pendant la guerre, au bien et au mal (et de quel côté il était)… Pendant ce temps, Albertine est bien seule, surtout après avoir perdu sa famille dans les camps et eu une vie aussi compliquée pendant la guerre (elle a fui la France, vers l’Europe de l’Est, pour se retrouver finalement en Égypte). Elle tombe par hasard (elle aussi) sur une annonce, demandant une dame de compagnie parlant français pour un vieux monsieur. Elle réussit l’entretien avec le fils et est engagée. Elle rencontre la personne et découvre que c’est le fils d’Anna Karénine, celui qu’elle a eu avec son mari.

    Et là, commence le roman où on lit en alternance la vie du vieux monsieur (l’émigration vers l’Europe, sa relation avec son père, les souvenirs de sa mère, sa relation au roman de Tolstoï) et leurs vies dans le Londres de l’après-guerre (celles d’Albert et d’Albertine d’une partie et d’Albertine avec les Karénine). On parle beaucoup dans le roman, d’amour, de fins d’époque, de fins de période (d’un point de vue personnel et historique).

    Si vous lisez ce blog depuis longtemps, vous savez que ce roman avait tout pour me plaire : Russie, Seconde Guerre mondiale, Londres, personnages tirés de livres, hiver, amour, famille, drame… Cela n’a pas loupé ; c’est un livre que j’ai adoré ! Il y a quelques points négatifs dont on parlera après.

    Vesna Goldsworthy sait incarner cette période d’incertitude et de reconstruction, par son personnage principal. Pendant ma lecture, j’étais en totale empathie avec Albertine. On comprend sa solitude dans un pays qui lui est inconnu, son amour pour son mari, même si cet amour a changé depuis leur rencontre, son soulagement d’avoir trouvé une nouvelle famille après avoir perdu la sienne. Je ressens souvent cette empathie pour les romans écrits en anglais. Je ne sais pas si c’est le fait de lire dans une langue qui m’est étrangère ou l’écriture qui me fait cela, mais si je devais faire un rapprochement sur ce sentiment que j’ai ressenti, je le ferais avec les romans de Julian Barnes et Rose Tremain.

    Les deux parties de l’histoire sont toutes les deux très intéressantes : un roman uniquement sur l’histoire du fils d’Anna Karénine aurait été passionnant, un roman sur l’histoire d’amour entre Albert et Albertine, sur la difficulté de vivre après avoir vécu aussi intensément une guerre aurait été tout aussi intéressant. L’auteure a fait le choix de ne pas choisir justement. Le point un peu négatif du roman est qu’elle n’arrive pas bien à faire comprendre le lien entre les deux périodes. Plus simplement, il y a un problème de transitions, qui ne sont assurées finalement que par le personnage d’Albertine et ses mouvements dans le Londres de l’après-guerre. C’est un peu dommage, mais cela n’empêche pas le livre d’être formidable.

    Pour nuancer mon billet, je tiens à vous signaler que, si vous consultez les critiques sur internet, vous allez voir des avis plus modérés sur ce livre, venant de gens qui ont lu Gorsky, le roman précédent. Ce n’est donc pas un très bon texte pour tout le monde. Pour finir, une courte biographie de l’auteure : elle est née à Belgrade en 1961, vit à Londres depuis 1986. Elle a écrit ses mémoires et ces deux romans, Gorsky et Monsieur Ka. Ses livres semblent avoir comme sujet principal les pays de l’Est. Je suis forcément intéressée.

    Références

    Monsieur Ka de Vesna GOLDSWORTHY (Vintage, 2019)

  • Magdalena Parys est née en 1971 à Gdansk. Elle a émigré avec sa famille à Berlin-Ouest, à l’âge de 13 ans. Elle vit toujours à Berlin. Elle a reçu le prix de littérature de l’Union européenne en 2015. On retrouve quelque peu de son histoire dans ce premier roman, puisque ce roman se passe à Berlin, dans les années 80, avec quelques personnages polonais. Ce n’est pas autobiographique, donc.

    Berlin, 1980. Le mur sépare la ville depuis plus de vingt ans. Les familles peuvent se voir, en utilisant des permis d’une journée, et après avoir subi l’épreuve des fouilles aux checkpoint. Roman vit à Berlin-Ouest, avec sa mère, depuis 1961. Son frère, Franz, vit lui à Berlin-Est avec son père. En effet, les parents se sont séparés juste avant la construction du mur, partant chacun de leur côté avec un enfant. Vivant à Berlin-Est, sa mère a trouvé refuge chez sa mère, à Berlin-Ouest, au dernier moment. 20 ans après, les parents sont morts, mais la mère a fait promettre à Roman de ne jamais laisser tomber son frère. Il décide de faire évader son frère de Berlin-Est, mais pas de manière simple. Il veut creuser un tunnel, au même endroit où un tunnel avait déjà été construit pour une précédente évasion.

    Il met en place, à l’aide de relation, une petite équipe pour faire aboutir ce projet de longue haleine, et extrêmement dangereux, où les espions et les compromissions sont partout. Dans cette équipe, il y a Peter, Roman, Klaus (tête pensante, qui avait une bonne expérience en tant que passeur), Jürgen, Thörsten et d’autres qui ne sont pas nommés dans le livre.

    2000. Klaus est assassiné. Peter décide de mener l’enquête, car il est persuadé que le meurtre est dû à ce qu’il s’est passé à cette époque-là. Il nous rend compte successivement des entretiens qu’il a eus avec les différents protagonistes de l’époque. On apprend ainsi que Franz n’est pas un personnage extrêmement sympathique. Il a utilisé Magdalena, une étudiante rencontrée à l’université pour passer des messages non importants à son frère. Il s’est joué de son frère pour satisfaire son ambition. Il a rendu le projet plus dangereux que nécessaire, en ayant envie d’une évasion quelque peu romanesque. Après son « arrivée » à Berlin-Ouest, il est devenu directeur d’une école, où la plupart des protagonistes (ou des membres de la famille des protagonistes) vont travailler. On y découvre un petit personnage désireux de diriger son monde, exploitant chacun pour arriver à ses fins, n’aimant pas la contradiction. On va découvrir au fur et à mesure des entretiens de Peter que les liens unissant les protagonistes sont bien plus profonds et bien plus anciens que ce que l’on avait imaginé au départ, que le projet n’est pas du tout celui qu’on pensait.

    Ce livre est un excellent roman d’un point de vue historique, romanesque. Il est aussi très bien construit, puisque le lecteur est maintenu en haleine et n’a jamais envie d’arrêter sa lecture.

    J’ai trouvé la reconstitution du Berlin de l’époque, par rapport à ce que j’avais déjà lu, très intéressante et très bien faite, surtout sur les craintes du passage au checkpoint, les transports en commun, le casse-tête d’une ville coupée en deux. De même, le tunnel m’a fait penser à l’évasion très célèbre qui s’était faite par cette méthode. Cela m’a rappelé le livre de Dominique Pagnier, Le Cénotaphe de Newton.

    J’ai aussi aimé le romanesque du livre. Les personnages sont tous extrêmement différents, et extrêmement crédibles. Dans la vraie, ces personnages ne pourraient pas exister ou tout du moins ne pourraient pas s’être rencontrés. On y croit à cause de l’époque, mais surtout par le fait que l’auteure va construire et raconter son histoire de telle manière que le lecteur soit embarqué. J’ai eu le sentiment d’être prise par la main par Magdalena Parys, de croire à tout, comme si je ne réfléchissais plus, et que l’on me livrait une histoire vraie. Toute volonté abolit, on suit, on lit, on approuve ! C’est formidable.

    À mon avis, la construction aide beaucoup à rendre cette histoire très vivante et très incarnée. Le côté témoignage renforce l’impression de véracité. Bien sûr, les gens répètent les mêmes faits, mais pas du même point de vue. On découvre au fur et à mesure des petits détails, qui changent notre perspective, qui nous entraînent plus loin. On (re)construit l’histoire avec Peter. J’avoue avoir perdu assez rapidement de vue l’enquête sur l’assassinat, et m’être beaucoup plus intéressé à ce qu’il s’était passé en 1980.

    J’ai lu des avis où les gens ont été découragés par la construction, ou par le fait qu’on ne parlait pas tant que cela de la mort violente de Klaus. Comme je le disais, ce n’est pas du tout mon avis et je vous encourage fortement à lire ce roman. Je me suis d’ailleurs acheté le deuxième livre del’auteur qui vient de paraître en janvier.

    Références

    188 mètres sous Berlin de Magdalena PARYS – traduit du polonais par Margot Carlier et Caroline Raszka-Dewez (Agullo, 2017)

  • Je me suis acheté récemment le livre 100 courts chefs-d’œuvre de Jean-Pierre Montal et Jean-Christophe Napias (La Petite vermillon). J’adore lire des livres courts que je n’ai pas le moral ou que je me sens bloquée dans ma lecture du moment, car cela me donne l’impression d’avancer dans quelque chose. Le livre est très intéressant, même si je connais déjà un certain nombre des ouvrages listés.

    J’ai commencé par les lettres A et B, puisque les livres sont présentés dans l’ordre alphabétique pour 90 % et je suis tombée sur une auteure que je ne connaissais pas du tout, même si elle semble plutôt connue, d’autant que le livre conseillé était Sa femme, qui a tout de même reçu le Prix Médicis en 1993. L’argument qui m’a convaincue de lire ce livre est qu’Emmanuèle Bernheim était décrite comme une artiste de la brièveté et de la précision.

    Claire est une jeune femme médecin qui vient de s’installer dans son cabinet. Elle commence à avoir une bonne clientèle, mais reste seule dans sa vie privée. Plus exactement, elle admet la visite régulière chez elle, pour la nuit, d’un homme qu’elle a quitté depuis deux ans. Sa vie change le jour où elle rencontre Thomas dans sa salle d’attente. Thomas n’est pas un patient, mais est venu lui rendre son sac qu’elle avait égaré. La rencontre est insolite, puisqu’il ne se présente pas, laisse simplement le sac dans la pièce. Cela intrigue forcément Claire. Elle cherche à le revoir, ce qui sera assez facile, car il travaille dans le chantier en face de chez elle. Une liaison commence : Thomas vient, chez elle, une heure et quart, pratiquement tous les soirs chez Claire. Et oui, le bel amant est marié et assez secret. Rapidement, Claire devient obsédé par la femme, sa femme à lui.

    Comme cela, cette histoire n’a l’air de rien, mais Emmanuèle Bernheim par la dernière phrase de ces 114 pages transforme toute l’image que le lecteur s’est forgée au cours de sa lecture. Je vous confirme le fait que l’auteure était une artiste de la brièveté et de la précision. En très peu de pages, le lecteur arrive à voir, à connaître, à comprendre Claire, pour simplifier à s’identifier au personnage de cette femme, sans pour autant avoir vécu la même situation. On est embarqué ; le livre devient passionnant. Il y a très peu de descriptions, pas de dialogues. Tout est raconté de son point de vue. On va éprouver ses sentiments et ses préoccupations : l’excitation et la joie de la première période amoureuse, le petit pincement au cœur quand Thomas lui apprend qu’il est marié, l’acceptation de ce fait pour garder son bonheur, l’obsession vis-à-vis de cette femme inconnue…

    J’ai vraiment adoré ce bouquin. Emmanuèle Bernheim est décédée en 2017, à l’âge de 61 ans. Elle n’a eu le temps d’écrire que six ouvrages. Tous courts. J’ai bien sûr envie de tous les lire, maintenant.

    Références

    Sa femme d’Emmanuèle BERNHEIM (Gallimard, 1993)

  • Ma Jian est un auteur chinois, dont les livres sont actuellement interdits en Chine. L’auteur est en exil à Londres depuis plusieurs années. De cet auteur, j’avais lu en 2012 Chienne de vie ! Je me rends compte qu’en sept ans, j’ai fait beaucoup de progrès sur l’histoire chinoise récente (principalement grâce au manga Une Vie chinoise à mon avis) car tous les événements dont Ma Jian parle dans China Dream m’étaient connus. Cela m’a permis une lecture bien plus facile.

    En 2012, Xi Jinping visite un musée dédié à l’histoire chinoise de la première guerre de l’opium à nos jours. Ce musée se focalise sur le positif, c’est-à-dire la reconstitution d’une grande puissance après l’humiliation des guerres de l’opium, mais oublie la Révolution culturelle ou le Grand Bond en avant. Après cette visite, il fait un discours où il parle de « rêve chinois de renouveau national » pour rendre la Chine plus puissante et plus prospère qu’elle ne l’est déjà, une sorte de direction commune pour atteindre le bonheur suprême. Comme expliqué dans la préface, ce discours est une des sources d’inspiration de l’auteur.

    Ma Daode, fonctionnaire local, directeur du nouveau Bureau du Rêve Chinois (qui existe vraiment d’après Ma Jian), est chargé de la mise en place dans la région du fameux rêve. Ma Daode va même plus loin : pourquoi ne pas implanter le « rêve » dans le cerveau de tous les citoyens, pour leur permettre d’être enfin heureux. Cela revient à supprimer de leur mémoire tous les souvenirs qui n’ont aucun rapport avec le rêve. Bien sûr, ce projet n’en est lui aussi qu’au stade du rêve car Ma Daode n’arrive pas à faire admettre cette idée à ses collègues et supérieurs, et n’a donc aucun financement pour commencer les recherches.

    Il doit donc pour l’instant se contenter des vieilles méthodes : imposer par la force le rêve. Cela revient à annihiler la mémoire des gens mais aussi des lieux dans lesquels ils ont vécu. Dans le livre, l’exemple le plus représentatif est la destruction de vieux bâtiments pour construire un parking (très belle métaphore de l’état de la mémoire que l’on souhaite aux habitants).

    Ma Jian nous fait au passage découvrir la corruption (argent comme sexuelle) des Gardes rouges au travers du personnage de Ma Daode.

    Au cours du roman, Ma Daode devient de plus en plus « malade ». Les souvenirs de la Révolution culturelle remontent à la surface, mais fait exceptionnel, ils sont accompagnés de regrets. Il a notamment dénoncé son père, entraînant plus ou moins le suicide de ses parents. Cela donne un personnage complètement schizophrène, avec deux personnalités, dont une non contrôlée. Une partie de lui veut obéir aux ordres du parti, l’autre veut se rappeler et purger ses fautes.

    Je suis en train de lire Nous autres de Evgueni Zamiatine, où l’auteur reprend le même type d’idées sur la mémoire personnelle et collective, en insistant sur le fait que dans une dictature, la mémoire et surtout la conscience personnelle sont une maladie à éradiquer pour être heureux dans un tel pays. On retrouve cela dans le roman de Ma Jian.

    Dans l’ensemble, j’ai beaucoup aimé ce propos, mais plus pour le propos que la narration où le style. En effet, l’auteur va un peu trop dans la comédie ou dans l’excès à mon goût. De plus, j’aurais aimé que l’idée des implants soit un peu plus poussée. Ici, on lit plutôt un roman dénonçant un état de fait qu’un roman d’anticipation (même d’une réalité proche).

    En conclusion, une bonne lecture dans un style parfois surjoué. Cela m’a rappelé que j’avais Beijing Coma dans ma Pile À Lire.

    L’avis de Maryline.

    Références

    China Dream de MA Jian – traduit de l’anglais par Laurent Barucq – couverture de Ai Weiwei (Flammarion, 2019)

  • Pareil que pour le Mal de peau de Monique Ilboudo. Je suis tombée sur ce livre par hasard en fouillant ma PAL à la recherche d’un autre livre. Je l’ai pris en me disant qu’un petit mystère anglais ne me ferait pas de mal pour me changer les idées. Mal m’en a pris car le livre ne m’a que moyennement plu. J’écris quand même un billet pour avoir l’avis d’autres lecteurs de Margery Allingham. Coroner’s Pidgin est le douzième de la série des Albert Campion, qui est donc un héros récurrent de l’auteure.

    Londres. La Seconde Guerre mondiale vient de se terminer. La ville porte encore les stigmates des bombardements. Albert Campion a passé trois années à l’étranger, à faire des missions de renseignements pour Sa Majesté. Il n’a qu’un désir : revoir sa femme qui pour l’instant vit à la campagne. Il ne doit donc rester que quelques heures dans son appartement londonien, temps qu’il souhaite mettre à profit pour se reposer.

    Problème. Il entend des voix dans son salon, qui est censé être vide. Il trouve trois personnes un monsieur qui travaille habituellement pour lui, une femme aux allures aristocratiques (en tout cas, faisant preuve de beaucoup d’autorité naturelle) et un cadavre féminin, plutôt jeune. Il demande forcément des explications. On lui explique alors que la dame, qui s’avère être Lady Carados, a trouvé le corps dans le lit de son fils. Voulant éviter le scandale, elle a souhaité déplacer la morte (ils n’ont pas encore trouvé où par contre) et a demandé de l’aide au monsieur qui élève des porcs devant chez elle.

    Mais il ne faut pas s’inquiéter d’après eux puisque tout montre qu’il s’agit du suicide d’une ancienne prétendant de Johnny Carados qui doit se marier dans quelques jours. Campion propose d’appeler la police ; le fils arrive sur ces entre faits. Campion décide de rentrer chez lui, voir sa femme, sans plus prêter attention à cette affaire. Mais un événement va faire que son départ sera retardé, qu’il se retrouvera à faire un témoignage au poste de police. La Police l’obliger à participer, plus ou moins à couvert, à l’enquête (car on a déterminé entre-temps qu’il ne s’agissait pas d’un suicide) car il connaît les protagonistes de cette affaire, faisant partie du même milieu.

    Là-dessus, Campion se retrouve mêlé à une mystérieuse affaire de trafic de vins, disparus pendant la guerre. Les affaires ont bien sûr un rapport l’une avec l’autre, ce que l’on comprendra à la fin.

    Comme je le disais, c’est le douzième livre de la série des Campion et en fait, Margery Allingham ne représente pas ses personnages, et en particulier Campion. Je ne me suis jamais sentie proche de l’enquêteur, ce qui m’a maintenu en dehors de l’histoire (ce qui est quand même l’essentiel dans un roman policier). Tout au long du roman, pour les autres personnages, il y a de multiples clins d’œil à d’anciens événements. Nous sommes d’accord que le problème vient de moi. Je pensais que les romans étaient indépendants mais visiblement non.

    Comme je ne pouvais pas me réjouir de retrouver les personnages, je voulais me concentrer sur l’enquête mais là encore, c’est une petite déception : l’enquête, plus précisément le raisonnement, n’est pas vraiment détaillée et se joue plutôt au niveau de l’action et de ses rebondissements (action d’ailleurs très bien construite et plutôt rapide, surtout sur les 50 dernières pages). Albert Campion est un homme d’action et de réflexion, mais de réflexion « passive ». Il observe, enregistre et tout à coup à un déclic lui permettant de résoudre l’affaire. Il profite également de sa connaissance des protagonistes et de ce milieu-là.

    Par contre, j’ai beaucoup aimé la reconstitution du Londres d’après guerre, tant au niveau architectural qu’au niveau de l’ambiance de la ville (comment les gens commencent à revivre).

    En conclusion, une lecture en demi-teinte. C’est un livre pas désagréable à lire, mais je n’ai pas pris le plaisir que je m’attendais à avoir en le lisant. Je ne suis même pas sûre d’avoir envie d’en découvrir un autre. Est-ce que quelqu’un a lu le premier tome de cette série ? Qu’est-ce que cela donne en français ?

    Références

    Coroner’s Pidgin de Margery ALLINGHAM (Vintage, 2006)

    Un siècle de littérature européenne – Année 1945
  • Voilà un livre qui m’a rendu immensément triste, par son histoire, par son ambiance, par son style. Je préviens dès le départ que ce n’est pas une lecture si vous êtes un peu déprimé en ce moment. Je précise que c’est un roman sud-coréen, que j’ai lu dans sa traduction américaine car je n’avais pas trouvé la traduction en français paru aux éditions Decrescenzo en 2014 (en tout cas au moment où je cherchais à lire ce livre). Je fais rarement cela car je trouve que cela fait beaucoup d’intermédiaires entre l’auteur et moi mais j’avoue qu’après avoir écouté un avis sur YouTube, j’avais très envie de lire ce livre (bon, elle avait prévenu que c’était très triste mais surtout que c’était une très bonne lecture).

    Le livre commence par une rencontre entre un jeune homme et une jeune femme au milieu des années quatre-vingt. On comprend rapidement qu’ils ont été très liés il y a longtemps mais qu’ils se sont perdus de vue. Il est venu en bus. La rencontre semble triste ; il n’arrive pas à renouer le contact comme avant. C’est son anniversaire : elle lui offre un disque Pavane pour une infante défunte de Maurice Ravel (d’où le titre). Ils ne se reverront plus mais le disque restera sa madeleine de Proust pour se rappeler la jeune fille. L’histoire est racontée par le jeune homme, qui devenu écrivain, remontre un an avant cette rencontre pour comprendre comment on en est arrivée là.

    Un an avant la rencontre donc. Le narrateur et sa mère viennent d’être abandonnés par le père. Cela faisait des années que la mère entretenait les rêves d’acteur du père, sans rien exiger en retour. Quand cela commence à marcher, il les laisse tous les deux car c’est mieux pour les fans d’être célibataire. La mère part chez sa sœur, le fils, toujours en étude mais incertain sur son avenir, reste en ville. Il se cherche un emploi, qu’il trouvera par l’intermédiaire d’un ami : il sera gardien de parking dans un centre commercial. C’est un travail exigeant. Au milieu des années quatre-vingt, on est au début du boom économique. Les clients peu habitués sont de plus en plus nombreux à avoir une voiture, à pouvoir acheter de plus en plus de choses. Ils exigent souvent un service impeccable et n’acceptent pas d’être repris sur leur conduite par exemple.

    Il fait équipe avec Yohan, jeune homme fantasque, imaginatif, ayant un avis tranché sur toutes choses, en particulier sur les humains et leurs comportements. Il est assez solitaire, ne se mêle pas trop aux autres membres de l’équipe (qui ne souhaitent pas non plus l’intégrer). Notre narrateur, plus timide, sympathise immédiatement avec lui. Ils se retrouvent tous les jours après le travail au troquet du coin pour deviser sur tout et rien.

    Notre narrateur a aussi repéré une jeune fille, celle du rendez-vous, dont il aimerait bien faire la connaissance. Elle aussi est isolée par les autres membres de l’équipe pour un seul critère : elle est moche (ugly en anglais). Le narrateur essaie de l’approcher mais elle ne se laisse pas faire car elle a l’habitude qu’on se moque d’elle et s’est donc forgé une carapace pour se protéger. Il arrive cependant à lui parler lors d’une occasion particulière. Leur amitié commence enfin. Il la présente forcément à Yohan qui joue un rôle de facilitateur pour qu’une relation amoureuse puisse débuter.

    Rapidement, les trois deviennent inséparables même si les amoureux s’isolent de plus en plus. Yohan reste cependant le moteur du groupe, toujours plein d’entrain et de fantaisie. Notre narrateur sait qu’il prend de nombreux médicaments mais ne se doute pas de la gravité de son état mental. Or, un jour, Yohan fait une tentative de suicide, qui le laisse handicapé : c’est le début de la fin du petit groupe. Le livre va continuer jusqu’à un dénouement bouleversant, qu’aucun lecteur ne peut deviner, et qui montre comment les protagonistes ont été marqués par leur jeunesse.

    J’ai lu que l’auteur avait été accusé de plagiat : il aurait copié La ballade de l’impossible de Haruki Murakami. En lisant le résumé (je n’ai pas lu ce roman), on peut en effet se poser la question : un narrateur écrivain qui se remémore sa jeunesse, un groupe de deux garçons et une fille, une rencontre un an après le suicide de l’ami qui ne sera suivie par aucune autre rencontre. Je pense que c’est ignoré une très grande thématique du roman : la société coréenne des années quatre-vingt du boom économique, une thématique qui je pense n’est pas abordé par Haruki Murakami (pourquoi un auteur japonais parlerait de la société coréenne ?ême si cela reste possible). L’auteur montre à de nombreuses reprises la superficialité de cette société. L’exemple le plus frappant est que la jeune fille construit (et a construit) toute sa vie, sur le fait qu’elle sera moquée, isolée car elle est moche, alors qu’elle est sûrement plus intelligente et sensible que la plupart de ses contemporaines. Le pire est que même ses parents la préparent à se résigner.

    Ce roman est l’histoire de trois jeunes paumés, idéalistes et rêveurs, dans une société matérialiste, ne jugeant que sur les possessions et l’apparence, une société qui les tuera (en tout cas leurs esprits). C’est certes un très bon roman, mais extrêmement triste par la société qu’il dépeint.

    Références

    Pavane For A Dead Princess de Park Min-Gyu – a novel translated by Amber Hyun Jung Kim (Library of Korean Literature #11 / Dalkey Archive Press, 2014)

  • Je fouillais l’autre jour dans ma Pile à Lire quand je suis tombée sur ce livre, que j’ai depuis au moins 2012 (c’est un message privé pour mes livres, ne perdez pas espoir un jour je vous lirai). Bon, à chaque fois, cela me déprime de constater que j’ai de très bons livres et que je ne prends pas suffisamment de temps pour les lire. Je souffre du syndrome « quand tu achètes un livre, cela ne signifie pas que tu achètes le temps pour le lire ».

    Le Mal de peau est l’histoire d’une mère et sa fille, les chapitres sur l’une alternant avec les chapitres sur l’autre.

    L’histoire de Sibila, la mère, commence peu avant l’indépendant de Tinga, pays imaginaire mais occupé par la France et ses fonctionnaires, qui en assurent l’administration. Sibila est en âge de se marier, mais ses parents l’ont destinée à un vieux monsieur dont elle serait l’une des multiples épouses : un destin qui ne fait pas rêver la jeune fille. Dans les mois qui précèdent le mariage, Sibila dépérit : elle maigrit, devient triste, s’isole pour réfléchir. Ainsi elle se retrouve seule, un soir au bord d’une rivière car les villageois, suivant une légende, désertent le lieu après le coucher du soleil. Or, ce jour-là, le nouveau commandant de cercle viole la jeune fille, engendrant un enfant, une petite fille nommée Cathy, et un changement radical de vie pour Sibila.

    En effet, elle est obligée de fuir en ville, pour ne pas jeter l’opprobre sur ses parents. Elle se réfugie dans un premier temps chez les sœurs, puis lorsque sa grossesse est découverte, chez une commerçante. Elle montera ensuite son commerce, qu’elle gérera seule comme elle élèvera seule ses enfants. L’homme, lui, s’enfuira du pays juste après le viol. Personne dans la région n’a jamais compris son nom. Il restera un inconnu pour Sibila et sa fille, d’autant plus inatteignable que le pays deviendra indépendant peu de temps après.

    Cathy aura une scolarité difficile, non pas à cause des notes, mais à cause de sa couleur de peau qui la rend très différente de ses camarades. À vingt ans, elle part étudier l’architecture à Paris. Elle souhaite aussi retrouver son père, même si elle ne sait pas comment s’y prendre. Refusant de prendre parti dans les courants politiques agitant les étudiants parisiens originaires de Tinga, elle emménage dans la résidence universitaire d’Antony où elle fait la connaissance de Régis, amie de sa voisine de chambre. Problème : Régis est blanc, issue d’une famille bourgeoise de Lyon, voyant d’un mauvais œil l’arrivée d’une jeune métisse dans la vie de leur fils.

    J’ai trouvé cette histoire extrêmement positive (sauf la fin, qui m’a laissé perplexe). Cathy et Sibila sont deux femmes qui ne se laissent jamais décourager malgré les ennuis qui s’accumulent. Elles suivent leurs idées et instincts pour diriger leur vie, sans jamais laissé personne décidé pour elle, surtout en matière d’amour. Cela peut parfois donner l’impression que Sibila, un peu moins Cathy, sont un peu solitaires. Cela peut même rendre distants certains hommes. Pourtant, cela ne semble pas les perturbées. Deux personnes / personnages vraiment remarquables.

    J’ai aimé la franchise de l’auteur, le style extrêmement direct pour nommer les choses, sans jamais avoir de tabou. L’histoire, les personnages et ce style direct ont fait de ce livre une bonne lecture, intéressante et instructive.

    J’avoue que ce livre m’a aussi plu pour un aspect plus personnel. J’habite à Antony, qui est connu pour deux choses : le terminus du Orlyval et la cité universitaire qui domine la rouge (surtout depuis qu’elle a été peinte au rouge). Quand vous parlez à une personne ayant étudié à Paris dans les années quatre-vingt, il finit souvent par raconter avoir habité dans cette cité et raconte plus ou moins une vie ressemblant à celle décrite dans le livre. Cela me fait toujours sourire de lire des romans, qui se passent dans les lieux que je connais bien.

    Références

    Le Mal de peau de Monique ILBOUDO (Le Serpent à Plumes / collection Motifs, 2007)

  • Tout le monde lit Sebastian Fitzek, en tout cas parmi les gens dont j’écoute les avis sur YouTube, dont je lis les avis sur des blogs et surtout parmi les gens apprenant l’allemand. En tout cas, c’est l’impression que j’en ai (j’ai aussi l’impression que c’est un peu le Guillaume Musso allemand au niveau de la popularité… après je ne sais pas pour les histoires, puisque je n’ai pas lu Guillaume Musso). Du coup, à mon dernier passage à la bibliothèque, j’ai emprunté ce livre qui était mis en évidence sur une étagère au rayon livre en allemand. Et c’est une très bonne pioche. J’ai eu de la chance car apparemment, la qualité des intrigues peut être inégale pour cet auteur.

    L’explication du titre est déjà toute une histoire. On appelle passager 23 sur un bateau de croisière, un passager qui disparaît pendant le voyage. En effet, chaque année dans le monde, 23 personnes disparaissent sur ces bateaux, qui sont souvent vus comme la solution parfaite pour se suicider. Sebastian Fitzek va fonder toute son histoire sur ce fait réel, qu’il a lu il y a quelques années dans un journal. Et sur un autre fait : il n’y a pas de personnel de police sur un bateau de croisière, seulement des officiers chargés de la sécurité. Si un acte illégal, comme un meurtre, se produit durant une croisière, il faut attendre la prochaine escale pour prévenir la police et les faire monter pour mener l’enquête.

    Anouk, âgée d’une dizaine d’années, réapparaît soudainement sur le « Sultan des Mers », après avoir disparu, avec sa mère, Naomi, soudainement, de ce même bateau, il y a deux mois. Le propriétaire du bateau, le capitaine, une habituée (qui loue une cabine à l’année), la doctoresse … tout le monde se demande où la petite fille a bien pu se cacher pendant ces deux mois, et surtout qui l’a enlevée et retenue dans cette cachette. Bien sûr, la petite fille ne dit rien puisqu’elle est complètement traumatisée et blessée par ce qu’il s’est passé. Ne voulant pas alerter la police pour ne pas perdre de l’argent, suite à l’immobilisation du bateau, nécessaire pour l’enquête, on décide d’appeler Martin Schwartz, policier psychologue, spécialiste des infiltrations à haut risque. Pourquoi ce choix ? Schwartz a perdu il y a quelques années femme et fils sur ce même bateau. La mère aurait jeté son fils par-dessus bord après l’avoir endormi au chloroforme et avant de se suicider. Bien sûr, Martin Schwartz n’a jamais cru à cette version et n’a jamais perdu espoir de comprendre enfin ce qu’il s’est passé, d’autant qu’il s’en veut puisqu’il n’était pas là au moment de la disparition, trop occupé par sa « dernière » enquête.

    Dès le début, il y a un schéma, puisque dans les deux cas, il s’agit de femmes seules, voyageant avec leur enfant, préadolescent, ayant des problèmes dans leur vie (pour Anouk, on ne saura qu’après quel problème mais on comprend rapidement qu’elle est particulière). Le fait que la fillette réapparaisse fait que l’on peut soupçonner sans beaucoup de difficultés que le coupable est à bord et qu’il était déjà là pour la famille de Martin (si on suppose que pour la famille de Martin, il y ait bien eu meurtres et que l’on a affaire à un serial killer). On a une belle enquête en huis clos (bon avec 4000 suspects, je vous l’accorde mais quand même), qu’il presse de résoudre, puisque le capitaine accueille sa filleule et sa mère, qui voyagent seules, toutes les deux, après un divorce. Or la jeune fille de quinze ans pose des problèmes depuis plusieurs mois : elle ne voit plus ses amies, a du mal à l’école, se rebelle contre sa mère … Juste avant de partir, sa mère apprend par son amant l’existence d’une vidéo où on voit la fille en prostituée faire des avances à un client. La mère craint un potentiel suicide mais… trop tard le bateau est déjà parti.

    Je pense que je vous ai raconté environ 40 pages du roman ! Et il y en a 425. Ces chiffres permettent de voir que le livre a un rythme rapide, enchaîne les scènes d’action, les retournements de situation, les fausses pistes. On ne s’ennuie jamais, mais alors jamais dans ce livre. De plus, le dénouement est complètement inattendu (même s’il y a un bout que j’ai trouvé un peu exagéré). L’épilogue est amusant car il répond au prologue, sur lequel le lecteur s’appuie pour comprendre le roman et que le lecteur n’a pas (forcément) compris après le dénouement.

    De plus, ce livre nous fait découvrir un environnement qu’on connaît peu, même en ayant fait des croisières : celui des bateaux de croisière (et même en ayant regardé tous les épisodes de La Croisière s’amuse). On découvre les coulisses d’un bateau tant au niveau des lieux qu’au niveau des personnes. Dans les remerciements, Sebastian Fitzek remercie d’ailleurs un capitaine qui lui a fait découvrir ce monde lors de ses recherches.

    Pour ce qui est de l’écriture, je ne peux pas vraiment en parler puisque je l’ai lu en allemand. Mais pour ceux qui veulent le lire pour entretenir leur allemand, cela se lit bien. Il n’y a pas de parties entières qui soient complètement incompréhensibles, seulement des mots de vocabulaire. De plus, c’est un livre très motivant car il est fait de courts chapitres, où il se passe forcément quelque chose, permettant de fractionner sa lecture plus facilement quand on n’est pas bilingue et ainsi de ne pas se décourager.

    En conclusion, comme je le disais, une bonne pioche. Et je relirai sans aucun doute Sebastian Fitzek, d’autant qu’il y en a un qui se passe dans un avion !

    Références

    Passagier 23 de Sebastian FITZEK (Droemer Knaur Taschenbuch, 2015)

    Ce livre a paru en français en mars 2018 chez L’Archipel, sous le titre Passager 23.

  • J’ai trouvé ce livre mercredi dernier à la bibliothèque, pas vraiment par hasard, mais plutôt grâce à un coup de pouce des bibliothécaires qui avait exposé ce livre sur une étagère sans raison particulière ; il n’est pas neuf, n’a pas d’actualité, ne rentre pas dans une thématique. Et franchement, ce livre est absolument formidable (en tout cas pour moi). Je l’ai commencé dans le RER et je ne pouvais plus le lâcher.

    Le narrateur revient nettoyer la maison de campagne, qu’il a occupée avec sa femme pendant quelques années. Suite à leur rupture, ils ont en effet décidé de la vendre et c’est lui qui se charge de la remettre en état. Pour les deux protagonistes, il s’agissait d’un second mariage et ils ont tout de suite, en tout cas le narrateur, ressenti une réelle passion l’un pour l’autre, la passion devenant rapidement exclusive, virant à la jalousie pour le narrateur. Ces sentiments sont exacerbés par la maison de campagne elle-même. Située à la frontière suédo-norvégienne, malgré la proximité d’une zone commerciale importante, elle est une sorte de paradis isolé du monde extérieur (sauf à vouloir retrouver le monde extérieur), avec son lac pratiquement privé, puisque les voisins sont suffisamment loin pour ne pas gêner.

    Comme vous l’aurez sans doute deviné, l’histoire est racontée uniquement du point de vue du narrateur. Le texte alterne entre les étés précédents, où le narrateur se remémore les moments heureux de son mariage, et l’été actuel, où le lecteur constate que le narrateur n’a pas compris les raisons de la rupture. Il soupçonne que Siri, l’été précédent, ait eu une liaison avec un des estivants d’une maison voisine, qui veut d’ailleurs aujourd’hui lui acheter la maison.

    Le lecteur est forcé d’adopter le point de vue du narrateur et se prend à chercher les signes d’infidélité de Siri. Au fur et à mesure que le récit progresse, trop de signes apparaissent. La pauvre Siri accumule les contrariétés et problèmes : un bijou qui disparaît, des paroles malheureuses… On comprend que Siri ait eu besoin de s’extraire du cocon de la maison par de longues balades à vélo. Le lecteur prend alors un point de vue plus neutre, moins empathique ; il se met en position d’observateur (ou de voyeur car on est parfois réellement dans l’intimité du couple). Sauf que l’auteur est joueur ! Il ne change jamais son mode de narration. Le narrateur sera toujours l’homme et on ne sera jamais réellement ce qu’il s’est passé pendant l’été dernier et l’année qui a suivi. Après bien sûr, cela permet d’avoir sa propre théorie en tant que lecteur. C’est l’éternel dilemme entre fin ouverte ou fermée !

    Qu’est ce qui fait de ce livre un très bon livre, un formidable moment de lecture et pas seulement une pathétique histoire de couple, où le lecteur devient un voyeur ? L’écriture, voyons ! Niels Friedrik Dahl recrée l’atmosphère à l’intérieur du couple, mais surtout l’inscrit dans un environnement à la fois idyllique et oppressant. On ressent l’isolement, la chaleur de l’été, la magie des lieux. Cela a été pour moi jusqu’à être exaspérée, comme les deux protagonistes, par l’agitation du monde extérieur, qu’ils redécouvrent lors des visites dans la zone commerciale.

    Pour finir, je signale que Niels Fredrik Dahl, écrivain et journaliste, est à la ville Monsieur Linn Ullmann, dont j’avais lu en 2011 Je suis un ange venu du Nord où il y avait aussi des sentiments exacerbés en vase clos. J’espère que ce roman est réellement un roman… Sinon je m’inquiète pour eux.

    Références

    L’été dernier de Niels Fredrik DAHL – roman traduit du norvégien par Céline Romand Monnier (Actes Sud, 2007)

  • Voilà donc le billet concernant un livre écrit par un auteur pakistanais, le Pakistan étant le deuxième pays gratté sur mon planisphère.

    Alice Bhatti est une jeune chrétienne, habitant à Karachi dans la Colonie Française, quartier pauvre de la ville où les habitants sont des intouchables, dont le travail est souvent de nettoyer les trottoirs de la ville.

    Alice Bhatti, après un séjour de 14 mois au Borstal, prison pour les femmes et les enfants, veut se faire engager à l’hôpital du Sacré-Cœur en tant qu’infirmière, métier dont elle a suivi la formation avant la prison, comme on le découvrira dans la suite du roman. C’est sur son entretien d’embauche devant trois membres importants de l’hôpital, que s’ouvre le roman. Le docteur Pereira, directeur de l’hôpital, la Sœur Hina Alvi, infirmière-chef, et le médecin-chef sont très impressionnants pour la jeune femme ; Alice Bhatti débite tout le discours savamment préparé avec Noor, le secrétaire du Dr Pereira, qu’elle a connu en prison. Celui-ci s’est proposé de faire tous les petits travaux de l’hôpital pour qu’en échange sa mère, Zainab, soit soignée de ses trois cancers. Noor est amoureux d’Alice, même si elle est beaucoup plus vieille que lui et a peu de chances de le remarquer.

    Elle va finalement être recrutée à l’hôpital et commencé à exercer son métier. C’est pour nous l’occasion de découvrir la société pakistanaise : l’extrême pauvreté, l’art de la débrouille, l’art de soigner (ou de le faire croire) sans médicament, les inégalités, la corruption par exemple, mais surtout la manière dont on considère les femmes comme des quantités négligeables, surtout quand elles sont catholiques. Sauf qu’Alice Bhatti n’est pas une femme qui se laisse faire, c’est d’ailleurs ce qui lui vaudra son séjour en prison. Elle n’hésite pas à mutiler les parties intimes des hommes qui souhaitent des fellations par exemple.

    Noor est « ami » avec Teddy Butt, haltérophile médaillé, est un collaborateur non-officiel de la police, et plus particulièrement d’une unité qui n’obéit pas aux règles. Il s’agit d’arrêter quelqu’un, par toutes les manières possibles, pas forcément le coupable et lui faire comprendre qu’il ne faut pas recommencer. C’est le travail de Teddy Butt qui réussit la plupart du temps puisqu’il tue souvent le client. Teddy Butt est aussi un homme au cœur tendre et tombe amoureux d’Alice Bhatti. Il lui fait la cour de manière maladroite. Elle n’est pas vraiment amoureuse. Il est musulman ; elle est catholique. Malgré tout cela (la différence religieuse étant en plus mal vue), ils vont se marier et commencer leur vie commune, avec toutes les incompréhensions que cela entraîne.

    Le livre est construit (la plupart du temps) par une alternance des points de vue de Noor. d’Alice Bhatti et Teddy Butt. Cela confère un certain dynamisme au livre, où il faut le dire on ne s’ennuie jamais. C’est à mon avis dû à deux choses : l’humour de l’auteur, et accessoirement de ses personnages, et la situation tout simplement. Les gens sont très pauvres, ne peuvent prendre la situation qu’avec philosophie et humour, au risque de devenir fou ou dépressif. En plus de par la construction,  le dynamisme du livre est assuré par, là aussi, la situation. Il n’y a aucun répit, personne ne se repose jamais dans ce roman, tellement les problèmes surgissent les uns après les autres.

    C’est le premier roman pakistanais que je lis et je suis plutôt contente de mon choix. Outre que c’est un bon roman, je trouve que cela donne un bon aperçu de la vie à Karachi, comme l’a révélé l’affaire Asia Bibi.

    Un autre avis sur Lecture / Écriture.

    Références

    Notre-Dame d’Alice Bhatti de Mohammed HANIF – traduit de l’anglais par Bernard Turle (Éditions des Deux Terres, 2012)