Cecile's Blog

  • VoyageEnSiberieCharlesVapereauCela n’en a pas l’air mais c’est la couverture du livre. Il a juste un format un peu inhabituel. Charles Vapereau est tout le contraire d’Alexandre Dumas, un voyageur discret, attentif à ce qui l’entoure, à apprendre et à faire une description précise pour la postérité. Il est toujours accompagné de sa femme Marie lors de ces voyages. Il en a fait plusieurs (il avait un besoin d’aventure d’après la préface) mais c’est le seul qui reste aujourd’hui pour la postérité.

    Le livre présente un point de vue original car il ne démarre pas à Paris mais à Pékin où Charles Vapereau tenait la chaire de langue française au collège Tung-Wen. En 1892, lors de son dernier congé, il « obtint l’autorisation de traverser l’Extrême-Orient russe. Il part de Pékin avec sa femme Marie, son inséparable compagne de voyage, et avec Hane, son serviteur chinois. De là, il rejoint Vladivostok par la mer en passant par le Japon et la Corée puis se dirige vers Sakhaline où il visite le bagne, remonte la totalité du fleuve Amour en faisant des arrêts à Khabarovk et Blagovechtchensk. La suite du voyage le conduit par route jusqu’à Irkoutsk puis Tomsk où il prend un bateau pour descendre l’Ob. À Tioumen, il atteint le transsibérien alors en construction. » Il est écrit sous la forme d’un journal. Ce n’est donc pas un compte-rendu mais bien ce que l’auteur voit au jour le jour.

    Je vais vous mettre de longs extraits pour que vous puissiez juger par vous-même des qualités descriptives de Charles Vapereau.

    La plupart des forçats sont des condamnés à temps. Leur peine finie, ils sont cantonnés pendant six années dans un district qu’il leur est interdit de quitter, et où ils restent sous surveillance de la haute police. On leur donne des terres, des bestiaux, des instruments. Ils ont de plus quelques économies, car même durant leur temps de peine ils ont un assez joli salaire dont un dixième seulement leur est remis pendant qu’ils sont au bagne. Ils trouvent le reste quand leur condamnation est purgée. Au bout de six ans, ils sont libres d’aller où ils veulent dans Saghaline et souvent même de quitter l’île.

    Les évasions sont très fréquentes, surtout au commencement de l’été, c’est-à-dire à peu près à l’époque où nous nous trouvons. Les moins entreprenants gagnent les forêts et y vivent misérablement de ce qu’ils peuvent y trouver jusqu’aux approches de l’hiver, époque à laquelle ils reviennent d’eux-mêmes se livrer. D’autres plus hardis, et c’est le plus grand nombre veulent revoir la patrie. Ils savent que le continent n’est pas très éloigné à l’ouest et se risquent sur les choses les plus invraisemblables pour y arriver. Ce matin même, six de ces malheureux ont réuni quelques troncs d’arbres avec des liens en bouleau et, profitant du brouillard, se sont aventurés sur la Manche de Tartarie. Nous voyons un petit vapeur partir à leur recherche.

    Ceux qui parviennent à échapper, d’abord aux agents lancés à leur poursuite, puis aux flots de la mer et atteignent le continent, commencent alors une odyssée dont le récit devrait arrêter les autres forçats tentés de suivre leur exemple. Mais il n’en est rien.

    Leur objectif, c’est leur village, là-bas, dans l’ouest. A combien de verstes ? Ils ne s’en doutent pas. Ils marcheront jusqu’à ce qu’ils arrivent, toujours dans la même direction, parallèlement à la route, évitant les villes et les hameaux, vivant de ce qu’ils peuvent  trouver dans les forêts. Les gens isolés, les femmes surtout, ont tout à craindre d’eux. Quelquefois ils se réunissent en bande et attaquent les tarantass. Quatre d’entre eux se précipitent à la tête des chevaux, puis de deux de chaque côté de la voiture, et deux autres montant derrière, armés de bâtons courts, assomment les infortunés voyageurs, auxquels ils coupent immédiatement la gorge, pour plus de sûreté. Presque jamais le cocher n’est tué, ni même blessé. C’est chez ces bandits un principe, car, sachant qu’il ne le lui sera pas fait de mal, le cocher se sauve sans chercher à défendre ceux qu’il est chargé de conduire.

    De même dans les villages, jamais ils ne commettent de déprédations. Sur l’appui extérieur des fenêtres, les habitants placent le soir du pain, du lait, que les forçats évadés vont prendre pour réparer leurs forces. Ils comptent sur ces provisions, et c’est une sorte de redevance au moyen de laquelle les villageois achètent la sécurité dans leurs maisons. Ils n’ignorent pas qu’à la moindre déprédation tous les habitants du hameau organiseraient sur-le-champ une battue dans laquelle ils seraient infailliblement massacrés, et que si par miracle ils échappaient à cette battue, ils n’échapperaient pas à la justice sommaire de leurs compagnons, qui les égorgeraient impitoyablement pour avoir violé le pacte tacite existant entre eux et les paysans, et exposé les évadés à ne plus trouver ces provisions sans lesquelles leur long voyage ne pourrait s’effectuer.

    Les tigres, les ours, les panthères, les loups, en tuent un grand nombre. D’autres meurent d’épuisement, de froid, se noient en traversant les rivières, sont assassinés par leurs confrères, tués par les villageois ou les voyageurs. Cependant quelques-parviennent à franchir les milliers de kilomètres qui séparent Saghaline de leur pays. Ils arrivent après trois ou quatre années de marche, de dangers de toutes sortes, dans leur village, où ils sont le plus généralement repris et réexpédiés à Saghaline. C’est sur eux qu’il faut avoir le plus les yeux ouverts, car ils ne pensent qu’à une chose : se sauver de nouveau.

    Deuxième extrait

    Les bateaux ghiliaks sont de deux sortes : les plus petits, de simples troncs d’arbres creusés, les plus grands composés de trois larges planches : une formant le fond est placée à plat ; les deux autres formant les côtés sont munies de chevilles à la partie supérieure.

    Les rares, très courtes, sont des pagaies à une seule palette. Un trou placé à une certaine distance de la poignée permet de les fixer au bord du bateau, au moyen des chevilles.

    À l’inverse du monde entier qui fait concorder les mouvements de gauche avec ceux de droite, afin de donner une impulsion plus vive au bateau par un effort simultané des deux bras, les Ghiliaks manœuvrent les rames alternativement, c’est-à-dire que celle de gauche sort de l’eau au moment où celle de droite y entre. Qu’il y ait un ou plusieurs rameurs, le procédé ne varie pas.

    À tous les bateaux, grands et petits, s’adaptent également des voiles curieuses. Il y en a deux ; elles sont carrées et d’égale grandeur, fixées à un mât unique placé au centre. Par vent arrière, quand les voiles sont déployées, on dirait un gigantesque papillon. Ces embarcations ne m’inspirent aucune confiance, et cependant tout le monde m’affirme qu’elle sont absolument sans danger et qu’il n’arrive jamais d’accident.

    Les Ghiliaks sont repoussants d’aspect. D’une saleté sans nom, habillés généralement de peaux de bêtes, et même, affirme-t-on, de peaux de poisson, ils ne sacrifient au luxe que sur un point : hommes et femmes portent jusqu’à deux ou trois paires de grandes boucles d’oreilles. L’agriculture leur est inconnue. Chasser et pêcher, ils n’ont point d’autre occupation. L’ours est leur dieux ou plutôt leur intermédiaire entre le ciel et la terre. Aussi chaque village en élève-t-il plusieurs jusqu’à un certain âge. Puis, quand arrive le jour de leur grande fête national, les Ghiliaks choisissent un de ces animaux réunissant toutes les conditions voulues de croissance et autres, le chargent de liens et le promènent de maison en maison. Tous les habitants viennent l’un après l’autre lui donner leurs commissions pour le ciel, et quand personne n’a plus aucune recommandation à lui faire, ils se précipitent sur lui, le tuent à coup de flèches, de lances et de harpons, et se partagent sa chair.

    Ces cérémonies sont également pratiquées par Aïnos. J’en ai trouvé les dessins dans un ouvrage japonais que M. Collin de Plancy, qui a été chargé d’affaire au Japon, a bien voulu mettre à ma disposition.

    Les Ghiliaks élèvent une grande quantité de chiens pour la traînage en hiver. On n’en voit pas moins de trente ou quarante devant chaque yourte ou hutte. Vers le soir ils se mettent à hurler comme des loups. On les nourrit avec de la truite saumonée qui, du 15 juin à la fin de juillet pénètre dans l’Amour par millions, mais jusqu’à une distance d’environ 300 kilomètres seulement de l’embouchure. Chaque yourte en fait sécher de trente à quarante mille tous les ans. Il en faut deux ou trois par jour et par chien. Seulement, comme ces truites sont simplement séchées et non pas salées, les vers s’y mettent très vite et consomment la plus grande partie de la provision.

    À peine la truite a-t-elle disparu que le saumon se montre. La pêche commence dans les environs du 15 août. Elle dure un mois. C’est paraît-il, un spectacle tout à fait remarquable et qui donne à Nikolaïevsk, le grand centre de pêcheries, une animation extraordinaire.

    Troisième extrait

    C’est aujourd’hui dimanche. Aux escales, les gens sont encore plus propres et mieux habillés que les autres jours. Beaucoup de jeunes filles portent une jupe dont le bas est orné d’une large bande de broderie de toutes les couleurs. En somme, aucun de ces Sibériens ne paraît misérable. Tous ont un air de prospérité qui surprend, car on ne voit nulle trace d’un travail dont cette prospérité serait le fruit. On est tenté de croire plutôt que ne rien faire est la principale occupation des habitants de tous ces villages. En effet, pas la moindre culture autour des hameaux, pas le plus petit jardin autour des maisons ; le gouvernement leur fournit une certaine quantité de farine : à quoi bon cultiver la terre pour faire pousser du grain ? Et puis n’ont-ils pas ces pêches qui tiennent du miracle et qui leur donnent en quelques jours de quoi vivre le reste de l’année ? N’ont-ils pas là, sous la main, du bois pour se chauffer d’abord et pour vendre aux bateaux à vapeur, afin d’acheter de la belle toile rouge ? N’ont-ils pas des troupeaux dont ils peuvent tirer, outre leur nourriture, un certain revenu par la vente du lait, de la crème, de la viande ?

    Le SIbérien, dont les besoins sont restreints, est très paresseux : cela ne fait aucun doute, mais c’est parce que la SIbérie est trop riche, étant donné son peu de population. Du reste, nous dit-on partout, « ce sont des Cosaques », or qui dit Cosaque dit tout.

    Les Cosaques sont en quelque sorte des colons enrégimentés, chargés héréditairement de défendre le pays contre les attaques des voisins. On sait quels services rendirent à l’Europe, au commencement du XVIe siècle, ces colons ukrainiens et moscovites établis sur la Volga, le Dniepr et le Don, où ils menaient une existence libre, vivant de la chasse et de la pêche, en arrêtant l’invasion des Tatars et des Turcs. Les Cosaques de l’Amour, colons comme ceux du Don, se considèrent comme appelés à rendre les mêmes services et par conséquent montrent le même orgueil et la même horreur de tout travail manuel. Ce sont des guerriers. Monter à cheval ou conduire, voilà leur seul plaisir et la seule occupation à laquelle ils ne refusent jamais de se livrer. Les Cosaques de Transbaïkalie furent les premiers organisés pour faire le service à la frontière chinoise en 1815. Ceux de l’Amour ne datent que de 1859.

    Ce livre est illustré par de magnifiques photos prises par Charles Vapereau lui-même dont celle d’un chamane sibérien. ChamaneSibérien Je ne sais pas à combien de personnes j’ai montré cette photo mais à beaucoup, beaucoup … Mon père et moi pensons que cela doit être difficile pour dormir ou faire la bise. Mon frère pense que cela coulisse. J’ai quelques doutes parce que cela doit faire des cicatrices tout de même. Mon chef, si je me rappelle bien, trouvait cela assez normal (je pense qu’il ne rencontre que des gens bizarres donc il est habitué). Je ne sais pas du tout en quoi consiste le chamanisme, sibérien qui plus est, mais cela donne envie d’en savoir plus (pas pour faire de même bien sûr).

    Je vous conseille ce livre pour vous donner des envies de voyage.

    Références

    Voyage en Sibérie de Charles VAPEREAU – présentation de Patricia Chichmanova (collection Sépia / Les Éditions de l’Amateur, 2008)

  • LesTempsNouveauxWarnautsRaivesCette bande dessinée est aussi un diptyque, le premier tome se passant en 1938 et le deuxième en 1944, l’entre deux ne nous étant absolument pas raconté.

    L’action se situe dans les Ardennes belges, à La Goffe (je précise pour ceux qui connaissent).

    Le premier tome s’ouvre avec le retour de Thomas après huit années à parcourir le monde (l’Afrique surtout). Il va prendre la gestion de l’hôtel qu’il a reçu en héritage. Le retour est un peu délicat car il est parti après avoir appris que la fille qu’il aimait et qui l’aimait allait se marier avec Charles, le sérieux de la fratrie. Entre temps Alice et Charles ont eu des jumelles mais Alice reste amoureuse de Thomas. Thomas lui a ramené Assunta, une espagnole communiste, dont il est fortement épris. Il peut aussi compter sur le soutien de Joseph, son meilleur ami, et accessoirement curé.  Pour vous situer, sur la couverture, on voit les cinq personnages : Thomas est celui avec la valise, Assunta la femme à la robe rouge, le curé est facile à reconnaître, Alice et Charles sont les deux personnages près de la voiture. Cela ressemble à une gentille histoire de famille, qui peut se régler avec le temps. Sauf qu’on est en 1938 et que la politique est partout : Thomas partage plus ou moins les idées d’Assunta avec plus ou moins de désinvolture, tandis que Charles est proche du rexisme, même s’il commence à renier ces idées pour se rapprocher des conservateurs.

    LesTempsNouveauxWarnautsRaivesTome2Dans le deuxième tome, les Américains arrivent et libèrent La Goffe. Le temps des règlements de compte s’ouvre. Thomas n’est pas parti à la guerre à cause du paludisme qu’il a contracté en Afrique. Il s’est occupé de l’hôtel où il a vu passer les Allemands et maintenant les Américains. Il voit débarquer un jour Alice qui vient d’être tondu après la disparition de Charles soupçonné de collaboration. Joseph est très éprouvé par ce qu’il a vu. Assunta a disparu dans un camp. C’est la situation au début de ce deuxième volume mais les apparences s’avèreront trompeuses.

    J’ai trouvé que c’était un bon diptyque avec des personnages bien campés et sympathiques, une histoire intéressante. Les points qui m’ont particulièrement plu ont été :

    • de voir la manière dont la Seconde Guerre mondiale a été vécue dans un petit village belge. Finalement, cela n’a pas été très différent de ce qui s’est passé en France : l’occupation, la collaboration, la résistance, la résistance de la dernière heure, l’épuration ressemblent étrangement à ce qui s’est passé en France.
    • de voir que les Ardennes belges sont très différentes des Ardennes françaises. Je ne suis pas monté très souvent là-bas mais à chaque fois il faisait tout gris ou trop chaud. Les couleurs de l’été n’étaient pas chatoyantes et on voyait plutôt du vert partout (j’ai vu des photos de l’automne où par contre le vert des arbres devenu orange est du plus bel effet). Les Ardennes belges semblent être une sorte de paradis avec beaucoup de lumière, des fleurs, des beaux paysages dégagés, de la neige qui recouvre magnifiquement le sol. Tout cela pour dire que ce sont deux albums avec de magnifiques couleurs, de beaux paysages mais je ne suis pas très sûre que cela soit réaliste.

    Apparemment, il y a une suite qui s’appelle Après-guerre, un diptyque aussi, qui se passe à Berlin cette fois-ci.

    Références

    Les Temps nouveaux de Éric WARNAUTS et Guy RAIVES (Le Lombard)

    Tome 1 : Le retour (2011)

    Tome 2 : Entre chien et loup (2012)

  • LaVolgaAlexandreDumasCe texte est un extrait du récit De Paris à Astrakkan (1860) où Alexandre Dumas décrit son voyage en Russie de 1858. Le livre se concentre sur la Volga et sur la découverte d’un peuple, les Kalmouks, qui avaient fait sensation lorsqu’ils étaient rentrés dans Paris à la suite du tsar en 1815, à la suite de la défaite de Napoléon.

    J’avoue que je n’ai pas trop aimé ce texte car Alexandre Dumas m’a semblé voyager certes mais pas trop observer. Quand il navigue le long de la Volga, il préoccupe énormément de son confort matériel, de la manière dont on va le recevoir, de ce qu’il va manger allant même jusqu’à dire que quand on a vu un bout de rive de la Volga, on les a toutes vu. Son attention est facilement détournée par de belles femmes.

    Quant aux Kalmouks, qui lui feront une réception digne d’un roi, ils ne semblent pas vraiment les voir. Alexandre Dumas semble dans une sorte d’ébahissement devant leurs actes singuliers par rapport à sa norme. Il n’entre pas réellement dans la description mais reste tourner vers lui, vers ses perceptions et vers ses sentiments.

    J’attendais beaucoup de ce livre et c’est ce qui fait qu’il m’a déçu. Ce n’est ni le récit d’un aventurier ni celui d’un voyageur mais plutôt d’une star, mélange entre Gérard Depardieu et Obélix, qui cherche plus à parler de lui qu’à décrire ce qu’il a vu pour le faire partager à ses lecteurs. C’est trop auto-centré pour moi.

    Références

    La Volga d’Alexandre DUMAS (Magellan & Cie / Geo, 2005)

  • SiberieMicheluzziJ’ai découvert cette BD en faisant une recherche bibliographique sur la Sibérie. Je ne connaissais pas du tout l’auteur mais il semble avoir fait beaucoup d’album et être assez réputé. Comme d’habitude, j’ai été un peu déçue car la couverture est en couleur et les dessins à l’intérieur sont en noir et blanc (j’aime les couleurs je suis désolée). En fait à la lecture, ce n’est pas du tout gênant …

    J’ai eu en main, si j’ai bien compris, la réédition de 2011 de l’album de 1989 (qui était paru dans la revue Corto Maltese). L’histoire est celle de Gabriel Kovalensky, Comte de Lazarev, professeur de mathématiques à l’Université, qui en 1897 a comploté pour assassiner le tsar. Cela a raté et le Comte s’est pris comme peine 20 ans au Goulag. Il réussit à s’évader, essaie tant bien que mal de survivre, en venant même à tuer de ces propres mains. On arriverait pratiquement à croire que c’est un phénix tellement il échappe de fois à la mort sans mourir. Il ne renoncera jamais à ses idéaux, mais attendra leurs réalisations car la Russie ne semble pas prête.

    Il ne fera jamais l’erreur de revenir à Moscou et restera en Sibérie. En 1917, on le retrouve donc en Sibérie « engagé dans la révolution du côté des bolchéviks ». On se dit enfin mais comme il reste un noble, ses aventures sont loin d’être terminées.

    Cette BD est un coup de cœur absolu. En 120 pages, la vie complète de Gabriel est retracée. On passe par tellement d’univers différents ! du Saint-Pétersbourg bourgeois, noble, comploteur à la Sibérie, aux Goulags, aux travaux forcés, aux sorts des évadés qui errent sans fin (on retrouve même Raspoutine, en vieux prêtre lubrique), à la Révolution Russe, au complot, à la survie, à la trappe, aux chemins de fers … L’histoire ne connaît aucun temps morts ; elle est toujours amenée de manière extrêmement logique.

    Les dessins (même s’ils sont en noir et blanc) rendent extrêmement bien les différents univers. Chaque personnage est travaillé tant au niveau de l’habillement, que des expressions du visage qui sont toujours adéquates. J’ai particulièrement admiré le travail qui est fait sur le visage de Gabriel où chaque évènements le marquent (comme le passage du temps d’ailleurs).

    Je pense que j’ai été claire : j’ai trouvé cette BD vraiment excellente.

    Références

    Sibérie de MICHELUZZI – traduction de Michel Jans – Couleur de la couverture : Greg Cruz (Mosquito, 2011)

  • LesErrantsMamineSibiriakLes errants est un tout petit texte de 90 page, à classer dans la catégorie récit. En effet, Mamine-Sibiriak, dont le vrai nom est Dmitri Narkissovitch Mamine (1852-1912) est connu pour ses récits décrivant de manière réaliste « la vie misérable des petits paysans, des ouvriers et de mineurs de l’Oural et des confins occidentaux de la Sibérie avec une totale sincérité et une précision quasi-ethnographique ». On peut trouver plusieurs de ces textes sur le site de la Bibliothèque russe et slave.

    Dans ce récit, on suit l’arrivée dans un village de trois évadés du goulag. Il y a Ivan-la-vie-malheureuse, Joseph-le-Magnifique et Pérémet (dont finalement on entendra peu parler). Normalement, ils sont bien accueillis par les villageois dans le sens où on leur met à manger près des fenêtres pour ne pas qu’ils attaquent les maisons. Les villageois restent donc méfiants mais ne tuent pas les errants. Bien sûr, il ne faut pas faire parler de soi dans le mauvais sens du terme au village, sinon cela se termine mal. Nos trois errants s’installent dans une île à la périphérie de la ville. Les villageois viennent voir pour prendre contact. L’oncle Listar s’infiltre vite dans le groupe et cherche à les faire admettre par le village. Il présente ainsi Joseph puis Ivan à la femme, une veuve, chez qui il loge. Or celle-ci reconnaît en Ivan l’homme qui a tué son mari et accessoirement son frère (d’Ivan, pas de la veuve bien sûr). Elle n’ose pas ébruiter cette affaire même si plusieurs personnes semblent le reconnaître. Tout cela va entraîner la jalousie de l’oncle Listar et cela va tourner au drame, les villageois cherchant à tout prix à faire partir les errants.

    J’ai adoré ce livre pour son réalisme. J’avais lu juste avant Voyage en Sibérie de Charles Vapereau (dont je vais vous parler après), où justement il parlait de la cohabitation entre les Sibériens et les évadés du goulag. Il disait exactement la même chose que Mamine-Sibiriak. Je n’ai donc pas trop eu de doute sur la qualité « quasi-ethnographique » du récit, en tout cas pour ce qui concerne la description de la vie quotidienne. À la lecture on a l’impression de lire un roman russe classique, de bonne facture, avec les personnes qui reviennent, les drames, la pauvreté, le pouvoir de la famille, toutes les actions étant amplifiées. La question que je me suis posée est celle de savoir si même cela avait une « précision quasi-ethnographique ». Cela n’a un peu rien à voir mais en fait, on dit que pour comprendre les Russes il faut lire des romans russes. Je me demande donc si cette vie pleine de drames et de passions est la réalité. Quel est votre avis sur ce sujet ?

    Références

    Les errants de MAMINE-SIBIRIAK – récit traduit du russe par Marc Lazarewitch (Éditions ombres, 1999)

  • Abdallahi1Abdallahi est un diptyque racontant le voyage de René Caillé, le premier blanc à être rentré à Tombouctou. En fait, le terme qui convient est plutôt chrétien et d’après Wikipédia ce n’est même pas vrai. N’empêche que cette BD nous parle d’un périple hors du commun.

    J’ai pris complètement au hasard ces deux BD à la bibliothèque, juste en regardant les dessins qui sont absolument magnifiques. C’est seulement rentrée au bureau que j’ai regardé le résumé de la couverture. J’en parle à mon chef qui me répond « comment cela tu ne connaissais pas ? » J’ai cherché donc sur internet pour bien vérifier que c’était une histoire vraie. C’est le cas. Vous pouvez même lire le récit de son voyage (écrit par lui-même donc) aux éditions La Découverte. Il y a même un petit livre Géo sur la ville de Tombouctou écrit par René Caillé.

    Tome 1 : Dans l’intimité des terres

    Ce tome commence par l’introduction de René Caillé chez les Braknas (en Mauritanie). En effet, il vient y demander asile et protection dans le but d’apprendre l’arabe et de devenir musulman. Il ment en toute conscience et à tout le monde pour arriver à son but ultime : explorer des terres inconnues. Bien que méfiants, les Maures Braknas l’aident mais quand il a atteint son but, il prétexte de devoir retourner au comptoir de Saint-Louis du Sénégal pour récupérer ses marchandises. Il ne part pas seul mais avec Arafanba, un esclave noir affranchi de la tribu. En fait, il vient demander de l’argent pour arriver à son objectif de découvrir de nouvelles terres. On lui refuse sous prétexte qu’il n’est pas assez préparé. Il apprendra une nouvelle intéressante pour lui : une prime est offerte au premier Français (blanc, chrétien, Européen, comme vous voulez) qui entrera dans la ville de Tombouctou. De ce que j’ai compris, il y déjà des gens qui y sont rentrés mais ils n’en sont pas revenus. Arafanba décide d’aider René Caillé à faire ce voyage même si celui-ci lui a menti et lui mentira tout du long (en effet, il ne se confiera pas trop de peur d’échouer). Ce tome raconte le début du périple de René Caillé et d’Arafanba.

    Tome 2 : Traversée d’un désert

    Au début de ce tome, on retrouve Abdallahi, allias René Caillé essayant deAbdallahi2 traverser le fleuve Niger. Tombouctou approche … J’ai trouvé que cette partie était très intéressante d’un point de vue historique. L’esclavage ayant été interdit en Europe, les Noirs ont continués à être esclave, vendus par les Maures. Je ne savais pas du tout. Les scènes de détresse et de courage sont poignantes.  Abdallahi et Arafanba arrivent après maintes péripéties à Tombouctou. René est particulièrement déçu car cette ville est complètement « endormie » et ne présente pas les splendeurs tant fantasmées par les Européens. Désirant rentré en France, René doit traverser le Sahara pour rejoindre Tanger et le gouverneur de France. Ce sera la partie la plus éprouvant de son voyage, car là il sera vraiment seul.

    ArafanbaDans une postface, les auteurs expliquent avoir adaptés quelque peu le récit de René Caillé et en particulier, avoir donné une part plus importante à Arafanba qui n’est que mentionné dans le livre de l’explorateur.

    Comme je l’ai dit au début de ce billet, ce sont les dessins qui m’ont particulièrement attirés vers cette BD. Chaque vignette est une sorte de petit tableau où tout est intense. J’ai particulièrement apprécié la manière qu’a eu le dessinateur de nous faire admirer les splendeurs de l’Afrique, les populations simples et très gentilles. Pour cela, il a utilisé des couleurs vives, des visages et des corps qui ressortent du paysage.

    AbdallahiJ’ai moins apprécié les parties sombres, plus obscures marquant des zones de doute et de danger dans l’histoire, tout simplement parce que mon ressenti était moins intense après avoir été plongé dans un monde splendide. C’est mon goût personnel. Le seul regret que je pourrais avoir est de ne pas toujours avoir reconnu Abdallahi. Je ne sais pas si c’était voulu par les deux auteurs pour montrer la profondeur du mensonge et des transformations que René s’est infligé pour réaliser son rêve.

    En conclusion, c’est une histoire intéressante (et avant inconnue de moi), servie par des dessins sublimes, lumineux, extrêmement travaillés.

    Références

    Abdallahi – première partie : Dans l’intimité des terres de Christophe DABITCH (récit) et Jean-Denis PENDANX (dessin et couleur) (Futuropolis, 2006)

    Abdallahi – deuxième partie : Traversée d’un désert de Christophe DABITCH (récit) et Jean-Denis PENDANX (dessin et couleur) (Futuropolis, 2006)

  • LePorteurDeFlambeauArvoValtonC’est un livre que j’ai découvert complètement en fouillant sur internet car oui, il fallait absolument que je lise un auteur estonien. Je l’ai donc fait venir à la bibliothèque sans avoir vu que sur la couverture il y avait écrit nouvelles. J’étais un peu déçue en revenant avec le livre à la maison mais il s’est avéré qu’au final c’est une très bonne surprise car les nouvelles sont très bien troussées.

    Si j’ai bien compris la préface, ce recueil est un recueil fabriqué par l’éditeur française pour faire connaître l’auteur. On peut donc penser que c’est un choix des « meilleures nouvelles ». Il y a donc onze nouvelles, et à mon avis aucune n’est plus faible que l’autre. Elles sont différentes tout en formant un tout cohérent. Il n’y a donc rien à redire quant à cette création de l’éditeur.

    Arvo Valton, né en 1935 à Tallin, a écrit la plupart de ses textes lorsque l’Union Soviétique occupait encore son pays. Il s’est fait une spécialité de croquer des situations quotidiennes, en y introduisant de l’absurde, du farfelu. Je vais essayer de faire un résumé d’une phrase pour chaque nouvelle :

    •  Le porteur de flambeau : un homme se réveille dans une morgue et essaie d’expliquer au gardien qu’il doit sortir car il n’est pas vraiment mort.
    • Dans une ville étrangère : un homme trouve le cadavre de son meilleur ami, qu’il ne connaissait pas, dans une ville étrangère. S’en suit un dialogue de sourd avec la police.
    • Le collet : un homme se retrouve devant un piège absurde au milieu d’un champ et se demande qui peut bien tomber dedans.
    • Le messager : un homme arrive, sur son cheval, dans une ville en prétendant avoir un message. Toute la ville est dans l’expectative de connaître ce fameux message …
    • Le tonneau : un homme décide d’habiter dans un tonneau pour montrer à l’humanité qu’on peut se contenter de peu mais l’administration tatillonne lui cherche des noises.
    • Le courant d’air (c’est ma préférée) : l’appartement d’un couple se retrouve envahi par des passants qui ne veulent plus faire le tour de l’immeuble et prennent donc le chemin le plus direct (quoique, ils montent jusqu’au troisième étage tout de même).
    • Tous comprenaient : un homme arrive au travail et décide de ne pas travailler, boit, s’endort sur sa table de travail … Tout le monde se demande dans l’entreprise ce qui se passe.
    • Événement littéraire à Mustamäe : un homme cherche désespérément son codétenu, un écrivain espagnol, pour lui rendre les affaires qu’il a oubliées en prison. Le problème est qu’il arrive un peu tard.
    • Le gâteau : un jeune couple veut choisir un gâteau dans une pâtisserie. Le vendeur un peu spécial leur en déconseille un qu’ils prendront tout de même.
    • Les harengs : un homme croise une femme dans un parc qui essaie de le persuader qu’elle n’est pas un hareng.
    • L’amour à Mustamäe (la plus jolie et originale) : un homme emménage dans un appartement, tombe amoureux de sa voisine d’en face d’un amour bien particulier dont naîtra une petite fille.

    Comme il est dit dans la préface, l’auteur mêle à son récit qui peut paraître absurdes, des détails réalistes, clin d’œil à la réalité estonienne, compréhensible par ceux qui la vivent. Clairement, ce sont des allusions qu’un lecteur francophone lambda ne peut pas comprendre facilement. Pourtant ces nouvelles valent le coup d’être lu.

    Pour admirer l’art de l’auteur en premier lieu. Enfin une personne qui respecte l’idée qu’une nouvelle est un récit ramassé. avec un nombre restreint de personnage, avec une véritable histoire à l’intérieur. (Je trouve qu’il y a beaucoup d’auteurs qui pensent que les nouvelles sont des bouts de romans, que l’on peut laisser voguer les personnages, ne donner aucune fin, même ouverte au texte ; c’est ce qui me déprime en général dans les nouvelles). Ici, on a 11 nouvelles pour 180 pages avec une mise en page aérée. Chaque nouvelle créé un/son univers. Il n’y en a pas une qui n’a pas une chute, un détail qui fait sourire.

    J’en viens à la deuxième raison de pourquoi ces nouvelles doivent être lus : pour pouvoir sourire à des petits détails de rien du tout, à des petites trouvailles qui vous font voir un court moment votre monde autrement. Comme je l’ai écrit, Le courant d’air est ma nouvelle préférée. Pendant ma lecture, d’abord je souriais bêtement (je crois que j’ai fait un adepte de mon livre dans le RER) mais en plus je m’imaginais la scène. Cela aurait pu tout à fait se produire. Qui n’a jamais vu un chemin non officiel, tracé à force de passage, dans les bois, dans les parcs par exemple.

    Une très bonne excursion dans la littérature estonienne.

    Références

    Le porteur de flambeau de Arvo VALTON – préfacé et traduit par Antoine Chalvin (Éditions Viviane Hamy, 1992)

  • TangenteVersLEstMaylisDeKerangalEn ce moment, j’ai besoin de froid, de grands espaces, d’évasion. Je me suis donc forcément tournée vers la Russie, et plus particulièrement la Sibérie. Qui dit Sibérie dit Transsibérien. J’ai donc pris ce livre que je voulais lire depuis longtemps à la bibliothèque.

    On suit deux personnages Aliocha, un conscrit, russe, et Hélène, une Française. Tous les deux se retrouvent dans le Transsibérien. Lui parce qu’il doit entamer son service militaire et doit donc être transporté jusqu’à son poste, pratiquement à la frontière chinoise. Elle parce qu’elle vient de partir sur un coup de tête de chez Anton, son petit ami russe rencontré à Paris, qui à Paris se moquait de la Russie et qui aujourd’hui redécouvre son pays. Il est donc en troisième classe et elle en première. La particularité du transsibérien est que pour vous rendre au wagon restaurant vous devez traverser toutes les classes quand vous êtes en première. Le monde n’est pas clôturé dans ce train.

    Les deux personnages se rencontrent en queue de train, en observant les rails défilés. Ils ne peuvent pas se comprendre car aucun ne parle la langue de l’autre. Pourtant un attachement se créé et Aliocha y voit l’occasion de réaliser son désir : ne pas se rendre à l’armée. Hélène accepte de le cacher de son supérieur pour qu’il puisse déserter. C’est ce que le roman va développer.

    J’ai lu ce roman dans le RER. Bien évidemment, vous n’êtes pas dans le transsibérien quand vous êtes dans le RER. Par exemple j’imagine un bruit très différent en ce qui me concerne. Pourtant j’y étais. J’ai oublié les gens, je me suis concentrée sur les bruits du train et j’y étais. J’étais Hélène avec cette envie de faire autre chose, de voir autre chose, de partir. Je voyais le lac Baïkal comme elle (en fait, c’était l’Oise mais on fait avec ce que l’on a). Je ne me suis pas identifiée à Aliocha du tout dont le caractère m’est resté en partie mystérieux. C’est un livre que je vous conseille si vous avez envie d’aventure, de grands espaces, de froid.

    J’y mettrais cependant un bémol. Je me suis reconnue dans Hélène parce qu’elle était française. Maylis de Kerangal jette sur le Transsibérien et sur la Russie l’imaginaire que nous en avons. Cela colle à ce que l’on a envie de lire surtout pour moi. Ce qu’elle raconte c’est ce que la littérature et les films nous ont fait penser du pays (on pense à Anna Karénine et au Barbier de Sibérie). Ce n’est pas un livre qui fait découvrir et/ou comprendre la Russie. Je trouve que c’est un peu gênant pour une fiction née d’un voyage dans le Transsibérien, effectué dans le cadre de l’Année France-Russie (juin 2010). Il ne faut pas se tromper. Je suis ressortie enchantée de ce livre mais il a souffert que j’ai lu juste après Sibérie d’Olivier Rolin. J’en parlerai dans un autre billet mais pour le coup, là, j’ai eu l’impression de comprendre quelque chose à la Russie, de lire des instantanés venant de Sibérie, de vivre une véritable aventure, de voir des grands espaces. Il y a un côté humble et franc chez Olivier Rolin qu’on ne retrouve pas chez Maylis de Kerangal, où toute la narration est maîtrisée.

    Titine l’a lu récemment.

    Références

    Tangente vers l’est de Maylis de Kerangal (Éditions Verticales, 2012)

  • KerstenBedouelPernaKersten, médecin d’Himmler est un diptyque consacré à la vie de Félix Kersten, qui devenu médecin de Himmler, « profita » de la situation pour sauver des Juifs entre autre. Je ne connaissais pas du tout cette histoire mais elle a déjà été racontée apparemment dans un livre de Joseph Kessel, intitulé Les mains du diable.

    Dans ce premier volume, on fait la connaissance de Félix Kersten (1898-1960) quand il va au ministère des affaires étrangères à Stockholm pour demander un permis de travail. On est en juin 1945, il est allemand et pas n’importe quel allemand : le médecin personnel d’Himmler. Sa demande est refusée par le nouveau ministre. Cependant, un fonctionnaire récupère le dossier, l’étudie et découvre que Kersten n’est peut être l’homme que l’on croit. Ainsi, les auteurs de cette BD commencent à nous dérouler le passé de ce médecin énigmatique.

    Le 10 mars 1939, à Berlin, Félix Kersten est appelé pour soigner le Reichsführer Himmler lui-même. En effet, le nazi a beaucoup entendu parler du médecin et souhaite savoir s’il peut le soulager de ses douleurs à l’estomac. Le médecin y arrive sans difficultés apparentes. Dès lors, Himmler ne pourra plus se passer de lui et le fera appeler n’importe quand. Kersten en profite pour lui demander des services, entre autre libérer ses amis, mais aussi pour espionner et renseigner ces mêmes amis.

    Dans ce premier volume, on ne découvre pas le « dernier des Justes » (ou je ne l’ai pas compris). On découvre plutôt la manière dont il a réussi à s’infiltrer dans les petits papiers de Himmler, comment Heydrich, chef de la Gestapo en est arrivé à se moquer. Par contre, dans ce volume, il sauve peut-être des Juifs mais on ne le sait pas car il m’a plutôt semblé qu’il essayait de sauver des amis de son réseau de « résistance ». C’est la petite chose qui m’a gêné dans cet album : je n’ai pas réussi à comprendre quelles étaient ses convictions, à quel réseau il appartenait. C’est resté très nébuleux dans mon esprit. Le scénario est pour moi une réussite car tout semble vraisemblable, alors qu’il est précisé dans la présentation de l’éditeur que le livre est un mélange entre fiction et réalité (j’espère qu’il y aura une petite note explicative dans le deuxième tome).

    Pour les dessins, j’ai particulièrement apprécié le travail qui a été effectué sur les visages (Himmler et Kersten sont extrêmement ressemblant) et leurs expressions. Ainsi je trouve que la tension de Kersten quand il essaie d’obtenir quelque chose, paraissant à la fois déterminé, sûr de lui et en plein doute, est palpable dans chacune des situations.

    J’ai adoré lire ce premier volume car il m’a fait connaître une histoire que je ne connaissais pas du tout. Je lirai sans aucun doute le deuxième tome.

    Références

    Kersten, médecin d’Himmler – tome 1/2 : Pacte avec le diable de Patrice PERNA (scénario), Fabien BEDOUEL (dessin) et Florence FANTINI (couleurs) (Glénat, 2015)

  • RefletsDansUnOeilDOrCarsonMcCullersCette semaine, j’ai lu Reflets dans un œil d’or de Carson McCullers. Je l’ai pris totalement au hasard dans ma PAL car il était petit (130 pages) et que c’est ce qu’il me fallait pour aller repasser. Ce livre est un bijou, tout simplement.

    Le livre est normalement dédié à Annemarie Schwarzenbach d’après ce que j’ai pu lire sur Wikipédia mais dans mon édition ce n’est pas le cas. Je ne sais pas pourquoi (et en plus, je n’ai pas pris le temps de chercher) mais si vous savez, je prends la réponse.

    Le livre s’ouvre sur une préface de Jean Blanzat. J’ai trouvé que c’était une bonne préface dans le sens où, tout en étant courte, elle permettait de mettre l’accent sur les points sur lesquels on pouvait faire attention au cours de la lecture :

    • pour lui, il est tout à fait possible de lire ce roman comme un drame bourgeois ;
    • on pouvait y voir une dimension supplémentaire, caractéristique du roman américain : la capacité à généraliser

    Si l’on en croit l’exemple de Reflets dans un oeil d’or, le plus récent roman américain a quelque peu changé de ton, il semble se tenir plus près de la vie banale, mais il n’a pas renoncé à son ambition essentielle. Il cherche à remonter, à travers la fiction des vies privées, aux mythes permanents du destin de l’homme.

    • faire attention à la manière dont sont décrits les personnages car chacun est décrit avec sa propre profondeur.

    L’action se situe sur une base militaire américaine, dans le Sud. Les principaux personnages sont deux couples, voisins, un domestique Philippin et un soldat. Il y a aussi un cheval qui appartient à une des dames. Il paraît qu’il faut y voir un symbole de vigueur masculine mais je vais laisser cela de côté pour mon billet. Un des hommes est l’amant de la femme de son voisin. Le mari ne sait pas comment le prendre (il s’en doute mais ne veut pas trop voir) ; l’autre femme, elle, sait et ne supporte pas franchement. Elle ne pense qu’à partir mais le problème est qu’elle est malade et qu’elle doit apprendre à vivre avec la mort de sa petite fille. Elle supporte sa vie tant bien que mal grâce à l’aide son domestique philippin, Anacleto. Sur cet équilibre précaire vient se greffer un soldat qui tombe amoureux de la femme qui a déjà un amant. Voilà pour la lecture du roman en tant que drame bourgeois, un peu passionnel. Ne vous en faites pas, je ne pense pas avoir trop spoilé car l’histoire est racontée dès les premières pages.

    Ce qu’on ne dit pas dans les personnages, c’est la personnalité des personnages. Rentrons plus en détail pour chacun. Il n’y en a que six après tout. Les Penderton sont le premier couple. Il y a le Capitaine et Léonore (c’est la femme qui a l’amant). Il y a donc aussi le couple formé par les Langdon, le Commandant et Alison. Le domestique philippin s’appelle donc Anacleto. Le soldat s’appelle L.G. Williams (mais pour l’armée, il s’appelle Elgé).

    Léonore est une jeune femme dans la fleur de l’âge, séduisante et épanouie physiquement. Elle s’occupe en tant que femme du Capitaine de recevoir. En plus de ses occupations, elle aime monter son cheval, le fameux étalon (pas le Commandant, ne soyez pas mauvais esprit). On apprend au milieu du livre qu’elle souffre d’un défaut qu’elle nous avoue elle même. Elle est peu intelligente. Elle le sait, son mari le sait (mais d’après lui c’est normal pour une femme de moins de 40 ans), son amant le sait aussi (mais il ne l’en aime que plus). Finalement, sa description reste très superficielle. On sait juste qu’elle est séduisante vu qu’elle attire l’œil et qu’elle peut réagir de manière inappropriée par rapport à certaines situations. Alors qu’on aurait pu penser qu’elle était le personnage principale du roman, finalement non.

    Le Capitaine est un personnage extrêmement complexe. Sur la base, il est chargé de l’enseignement, un métier pour lequel il est doué et respecté. Il n’aime pas monté à cheval. Il se couche tous les soirs à deux heures du matin pour travailler sur des sujets qui l’intéressent. En apparence, il est donc un homme très carré sur qui ont peut compter, peut être un peu froid. Quand on gratte un peu, c’est un cleptomane, un homme frustré et trop ambitieux. Quand on finit la lecture, on a l’impression de ne pas le connaître vraiment, ce qui est paradoxal vu que c’est un des personnages qui est le plus détaillé. Devant une situation, je n’arriverais pas à savoir ce qu’il va ou ce qu’il va penser. J’ai trouvé qu’il était attachant pour cela. Il a des réactions qui sont petites, mesquines mais c’est un humain.

    En comparaison, le commandant Langdon ne m’est pas apparu comme quelqu’un de sympathique. Il trompe sa femme malade dans sa propre maison ; cela n’aide clairement pas à en avoir une bonne opinion. Pourtant, il essaie de ménager la chèvre et le chou, sa femme et sa maîtresse, d’être ami avec le mari de sa maîtresse. Il connaît tous ces hommes au contraire du Capitaine. Il n’est décrit que par ses relations aux autres, on ne peut pas s’attacher avec un tel personnage.

    Sa femme, Alison, est, elle, décrite comme une sorte de femme-enfant, qu’il faut protéger après la perte de son bébé, malade qui plus est mais qui arrive à faire des plans d’avenir. Elle aussi est très paradoxale car elle a un caractère de tête, tout en étant fragile. Il faut voir comme elle tient tête à son mari, au Capitaine, comme elle juge Léonore (bien comme quelqu’un de stupide). Sa relation avec Anacleto est intéressante car il semble être son ami, sa confidente, plutôt que son domestique. C’est un personnage intelligent et sensible. On s’attache à elle ; elle ne fait pas pitié.

    Elgé Williams, le soldat, est un psychopathe amoureux. Il voit une fois Léonore nue en regardant chez elle depuis la rue. Il en tombe amoureux après avoir pensé pendant des années que les femmes n’étaient qu’une même et terrible maladie pour les hommes. Il fait ensuite une fixation sur elle, quitte à observer chez elle la nuit, à rentrer chez elle la nuit malgré la présence de son mari, à braver son mari. Il est évident qu’elle ne l’aimera jamais. Pourtant, le sentiment de haine qui naît tout au long du roman entre le soldat et le Capitaine n’est pas humain. Il tire plutôt vers la maladie mentale que vers autre chose.

    Je ne pense pas comme l’auteur de la préface que le livre peut se lire simplement comme un drame bourgeois. Si s’en était un, l’auteur aurait insisté sur le caractère de certains personnages, nous aurait attaché plus à l’un qu’à l’autre. Ici, ils ont des réactions étranges auxquelles on ne s’attend pas. Il y a de la froideur, et paradoxalement une certaine touffeur qui se dégage de tout cela : ils sont englués, ne réagissent pas. Je sais que le drame est ce qui se passe sur la fin mais il ne me semble pas que l’auteur en fasse un drame. Elle ne dramatise pas.

    C’est exactement ce que souligne l’auteur de la préface. Ici, on parle de l’incarnation du destin de l’homme. Le dénouement est inévitable. Il n’aurait pu en être autrement. Le livre reste très moderne grâce au fait justement qu’on ne peut pas l’interpréter comme un simple drame bourgeois. Si les sentiments bons ou mauvais avaient été présents, ils auraient été trop marqués par une époque.

    J’ai adoré ce livre. A partir du moment où j’ai commencé à le lire, je n’ai pas pu le lâcher. Cela fait une semaine que je l’ai fini (et oui je n’écris pas mes billets en une fois) et je n’arrête pas d’y penser. Je n’arrive pas à mettre mes mots sur ce que l’auteur de la préface appelle un « écart » par rapport à ce que l’on s’attend car je ne vois pas à quoi j’aurais pu m’attendre. Une fois que Carson McCullers a commencé son histoire, je ne vois pas comment il aurait pu en être autrement.

    Je suppose que je ne suis pas toute seule à avoir lu ce livre. Je suis intéressée par vos interprétations. J’ai acheté le DVD du film. Il me reste à le voir. L’avez-vous vu ?

    Références

    Reflets dans un œil d’or de Carson McCULLERS – roman traduit de l’anglais par Charles Cestre – préface de Jean Blazat (Livre de poche, 2005)

    Un siècle de littérature américaine – Année 1941