Cecile's Blog

  • EmmaAlexanderMcCallSmithEmma de Alexander McCall SMith est le fameux gros livre en anglais qui m’a empêché d’avancer dans mes lectures. En fait, il n’est pas si gros que cela, 360 pages, mais à chaque fois que je l’ai pris, j’étais rapidement fatiguée de le porter (je ne sais pas si c’est mes doigts qui n’aiment pas être écartés ou si c’est le fait que le livre ne s’ouvre pas bien …). En tout cas, depuis 2014, date où je l’ai acheté, il est sorti en poche en anglais mais aussi en français (aux éditions Terra Nova). Emma fait partie d’une série de réécriture moderne des romans de Jane Austen par de célèbres auteurs britanniques. On peut ainsi trouver Sense and Sensibility de Joanna Trollope mais aussi de Northanger Abbey par Val McDermid.

    Il y a quelques années j’avais lu le roman de Jane Austen, roman que j’avais adoré grâce à une traduction formidable. Ici, Alexander McCall Smith reprend l’histoire, les personnages … de manière générale. Il ne suit pas à la lettre le roman de Jane Austen, mais fait sienne l’histoire en la réinterprétant pour qu’elle corresponde à notre époque. J’ai beaucoup aimé ce roman, non pas pour la réécriture de Jane Austen, mais bien parce qu’on y retrouve la manière de raconter une histoire, la plume, l’humour de Alexander McCall Smith. J’ai ressenti un plaisir proche mais moindre de celui que je prends en lisant la série des Isabel Dalhousie.

    Je ne vais pas reprendre l’histoire car en gros, l’auteur reprend l’histoire et les personnages du roman de Jane Austen. La modernisation est particulièrement drôle : Emma conduit une Mini Cooper, Harriet Smith est très superficielle mais très gentille : son père est un donneur de sperme anonyme, elle enseigne dans une école d’anglais pour étudiants étrangers, sa logeuse / patronne / ami prépare des cakes un peu spéciaux, Mr. Woodhouse craint énormément beaucoup de choses (d’autant qu’il est abonné à de nombreuses revues scientifiques), a fait fortune grâce à une invention scientifique, le frère de George Knightley est photographe de mode à Londres alors que lui a choisi de reprendre et faire revivre le domaine familial. J’ai trouvé que tout était mêlé avec énormément d’humour.

    Par rapport à l’histoire, Alexander McCall Smith ne s’intéresse pas à la même chose que Jane Austen. Elle décrivait une communauté à un moment t et travaillait surtout sur les relations entre chacun des membres de la communauté. Lui suit l’évolution du personnage d’Emma, ce qu’il fait qu’elle est comme elle est. Elle est dépeinte comme une enfant / adolescente / femme un peu spéciale, ayant un fort caractère, pour qui chaque chose à sa place (et c’est elle qui décide la place de chaque chose, les gens sont aussi des choses malheureusement), très marquée par sa gouvernante. J’ai trouvé que l’évolution d’Emma (surtout l’affirmation de son caractère) était intéressante (un peu comme si tout s’était joué pendant l’enfance). À l’âge adulte, elle est décrite comme gentille mais très, voire trop gâtée. Les autres personnages du roman ne semblent pas réellement interagir avec elle. Elle interagit avec eux et décide pour eux. J’ai eu l’impression d’une certaine solitude du personnage d’Emma, que je n’avais pas eu en lisant le roman de Jane Austen.

    Par contre, j’ai lu un commentaire sur GoodReads auquel je souscris entièrement. Comment Emma peut-elle se découvrir un sentiment amoureux pour George Knightley alors qu’elle ne le rencontre jamais ! Visiblement, les histoires d’amour ne sont pas trop la tasse de thé de l’auteur.

    Si on veut comparer le roman de Jane Austen et celui d’Alexander McCall Smith, clairement, ce n’est pas la même chose ! Alexander McCall Smith prend le temps de s’intéresser à des moments que Jane Austen n’avait pas détaillés. Ainsi, on découvre l’enfance et l’adolescence d’Emma et d’Isabella, avec leur gouvernante Miss Taylor.  Par contre, d’autres moments importants pour Jane Austen ne le sont pas du tout ; le pique-nique par exemple ne prend qu’un chapitre à la toute fin du livre. Alexander McCall Smith s’intéresse aussi énormément aux personnages secondaires : Mr. Woodhouse est particulièrement savoureux ; par contre Jane Fairfax et Ms. Bates ne sont pas trop présentes. Frank Churchill et son père ont ainsi une vie propre, pas forcément intéressante pour l’histoire d’Emma, mais que pourtant l’auteur développe beaucoup. C’est pour cela que je dis que le livre est plus Alexander McCall Smith que Jane Austen. Les digressions et les remarques (plus générales) sont la marque d’Alexander McCall Smith à mon avis

    En conclusion, un roman qui ravira les fans de Alexander McCall Smith, mais un peu moins ceux de Jane Austen.

    Références

    Emma de Alexander McCall SMITH (Borough Press, 2014)

  • SoLongSeeYouTomorrowMaxwellIl s’agit du roman en anglais, un peu compliqué (pour mon niveau d’anglais) dont je parlais dans le billet précédent. J’avais repéré ce roman sur un blog américain, car j’ai été intrigué par l’auteur qui semblait être un classique en tout cas aux États-Unis, et dont je ne connaissais même pas l’existence. Il a un peu trainé sur ma tablette, justement à cause du niveau de langue. Mon intérêt a été ravivé par la republication cette année d’un autre roman de cet auteur, Comme un vol d’hirondelles, en français cette fois-ci, par les éditions Cambourakis.

    J’ai donc recommencé le livre et je me suis accrochée, jusqu’à terminer le livre en étant complètement scotchée à ma lecture. C’est assez magnifique et extrêmement mélancolique.

    Le livre commence par le fait marquant du roman. Dans son enfance, un fermier de sa petite ville de l’Illinois a été abattu par son voisin. C’est un fait qu’il n’a jamais oublié car cette histoire concernait un ami, pas intime mais proche tout de même, puisque celui-ci était le fils du meurtrier. Ce démarrage est très prometteur. L’histoire n’est pas racontée dans les détails mais on sent une très grande nostalgie, non pas de l’histoire mais de l’époque, de son enfance. Cela nous mène au deuxième chapitre qui m’a beaucoup dérouté lors de ma première lecture. Dans ce deuxième chapitre, le narrateur ne parle plus de cette histoire de meurtre mais de son histoire personnelle, de son enfance à son adolescence, et de sa rencontre avec cet ami. Il ne détaille pas du tout sa relation avec lui, il parle un peu de leurs occupations mais sans insisté. Cela m’a donné l’impression que c’était un ami de convenance. Ils se sont retrouvés ensemble un jour et ils le sont restés ensuite car c’était pratique d’avoir quelqu’un, jusqu’au jour où ils ont été séparés. Après cette séparation, ils ne se sont plus écrits, ne se sont plus vus. Sauf une fois, par hasard, dans le couloir d’un lycée de Chicago (alors que l’histoire initiale se passe dans une petite ville de l’Illinois). Leurs regards se sont croisés, ils se sont reconnus mais n’ont pas échangés un mot. C’est le plus grand regret du narrateur et le pourquoi il écrit cette histoire.

    La deuxième partie du livre est la tentative de reconstitution du meurtre. Il prévient de suite qu’il a beaucoup extrapolé par rapport qu’il a retrouvé dans le journal, mais il a besoin de cela, cinquante ans après, pour comprendre pourquoi il n’a pas parlé dans le couloir de ce lycée. Il va ainsi s’imaginer la rencontre des deux voisins, jusqu’au meurtre de l’un par l’autre.

    On voit bien que les thématiques de ces deux parties sont l’inéluctabilité du temps qui passe, la mémoire et le fait qu’on ne puisse pas changer le passé mais qu’on doive s’efforcer de le comprendre. C’est pour cela que je parlais de roman mélancolique au début du billet. J’ai eu une impression d’automne finissant, de feuilles qui tombent.

    Cela vient du fait que le narrateur raconte cette histoire comme s’il était vieux, comme s’il devait faire taire ou comprendre ce regret avant de mourir, mais aussi de la description des personnages. L’auteur a choisi de n’effleurer qu’assez peu les sentiments des acteurs du drame (alors que tout est histoire de passion), mais il leur donne une volonté de fer (une fois la décision prise, on la met en action), une très grande ténacité (peut être dû à une vie difficile). Je ne suis pas capable de vous dire si l’écriture contribue à ce sentiment car comme je vous l’ai dit, le niveau de langue est un peu haut pour moi et je me suis donc beaucoup axée sur le vocabulaire pour comprendre les phrases, les actions, les lieux.

    Heureusement que Cambourakis a publié ce livre en français ! Cela va me faciliter la tache pour lire de nouveau cet auteur.

    Références

    So Long, See You Tomorrow de William MAXWELL (Vintage Classics, 2012)

    Un siècle de littérature américain – Année 1980
  • LeSeptiemeJourYuHuaDésolée pour mon absence de quinze jours. Je me suis laissée enfermer dans quatre livres un peu difficile à lire pour différentes raisons : un livre en allemand (le problème est ici la langue), deux livres en anglais (là le problème est soit la langue, soit le poids du livre) et un livre en français, celui que je vais vous présenter dans ce billet : Le septième jour de Yu Hua. Cette lecture est difficile pour ce qu’elle raconte, qui est assez déprimant tout de même. Mais c’est une très très belle lecture et je vous confirme que Yu Hua est un auteur que je vais continuer à découvrir.

    Le roman se déroule sur sept jours, qui forment autant de chapitre. Il s’ouvre sur la mort du narrateur, âgé d’une quarantaine d’années, dans l’explosion / le feu du restaurant, dans lequel il était en train de manger. Plus exactement, on arrive juste après sa mort, quand il est rentré chez lui et qu’il se prépare pour aller au crématorium à 9h00, sa crémation étant prévue à 9h30. Il est seul et doit donc se préparer seul, et assez rapidement en plus car il est en retard. Il ne prend le temps de mettre qu’un brassard noir pour porter son deuil. Il arrive au crématorium et on découvre une certaine vision de la mort mais surtout de l’enterrement : d’un côté il y a les très riches, assis sur de luxueux fauteuils, qui portent de très beaux habits, qui discutent le prix de leur enterrement, et de l’autre il y a les autres, les gens normaux, avec des habits normaux, qui sont assis sur des chaises en plastique. Ceux-là sont déjà heureux quand leur famille a pu leur payer une sépulture. Mais comme je l’ai dit notre narrateur est seul, personne ne lui a donc payé de sépulture. Il décide de repartir du crématorium, car son âme ne peut retrouver la paix (et surtout il ne sait pas où aller). Il va donc errer pendant sept jours, découvrir un autre monde, celui d’après.

    Dans les chapitres suivants, il va se remémorer son mariage, son enfance avec son père adoptif suite à une naissance rocambolesque (qui en fait pratiquement un enfant né de nul part), la pauvreté et la misère mais l’amour tout de même. Ces sept jours sont aussi l’occasion de rencontrer d’autres gens avec d’autres histoires, plus tragiques les unes que les autres et qui sont l’occasion pour l’auteur de décrire, voir dénoncer, des situations d’aujourd’hui : les mensonges d’état (parce que chez eux aussi tout va bien, parce que ce que l’on ne sait pas ne peut pas nous faire de mal), la corruption quotidienne, le pouvoir de l’argent et des marques (et la manière dont cela change une société), la destruction de maisons sans même se soucier s’il y a quelqu’un à l’intérieur, les logements de misère. Finalement, ce qui aidera notre narrateur à trouver le repos, c’est le fait d’avoir pu discuter avec son ex-femme, d’avoir eu une dernière confrontation avec elle mais surtout d’avoir pu embrasser une dernière fois son père adoptif.

    Il est facile de deviner, au vu de mon résumé, que ce qui m’a énormément plu est le fait que ce roman soit un roman social mais aussi un roman qui permet de connaître un peu mieux la société chinoise (même s’il est toujours mieux d’avoir plusieurs point de vue). J’en suis sortie avec l’impression d’une société très hiérarchisée, où la dégringolade sociale peut être très rapide et sévère, mais aussi d’une société où les gens acceptent leur sort, comme s’il savait qu’il y avait autre chose de plus important (je ne sais pas quoi par contre).

    Yu Hua n’écrit pas un roman désespérant. Bien au contraire, en faisant « vivre » ses personnages après leur mort, il peut envisager les deux points de vue (l’avant et l’après) et ainsi mettre une certaine solidarité entre les « morts » abandonnés, en tout cas les plus pauvres, puisque c’est eux que l’on suit dans une grande partie du roman. Cette relation entre les gens n’est que très peu mis en scène dans les moments « vivants » du roman (voire même plutôt le contraire).

    L’écriture est assez dépouillée et se met entièrement au service du discours. Il n’y a pas d’effets de style, en tout cas je pense même s’il est très difficile de juger une écriture dans une langue que l’on ne connait pas. Je n’ai ainsi pas trouvé que l’on remarquait la présence de l’auteur. J’ai même eu l’impression de lire une sorte de journal intime du narrateur, comme un récit ou un témoignage. La seule faiblesse du roman (le pourquoi je ne lui ai mis que 4.5/5 sur LibraryThing), ce sont parfois les transitions, en particulier les passages entre monde des vivants et des morts. Elles semblent factices ou bien on glisse d’un monde à l’autre sans s’en rendre compte.

    En conclusion, je vais continuer à découvrir Yu Hua, qui me semble pour l’instant un auteur extrêmement intéressant.

    Références

    Le septième jour de YU Hua – traduit du chinois par Angel Pino et Isabelle Rabut (Actes Sud, 2014)

  • JeTAiVuPleurerImmanuelMifsudJ’ai reçu juste avant l’eurovision la newsletter de Book Depository, donnant une liste de livres dont les auteurs étaient originaires des pays favoris de l’enseigne. Il y avait et Chypre et Malte. Ne connaissant aucun pays de ces deux pays, j’ai regardé et il s’est avéré qu’un des livres, d’un auteur maltais, Immanuel Mifsud, venait juste de sortir chez Gallimard (les autres auteurs maltais étaient Clare Azzopardi, auteur de théâtre, et Oliver Friggieri). Le hasard fait bien les choses tout de même. Un passage au Divan et hop, je commence à le lire !

    Le livre est très court (90 pages). C’est un récit et non un roman : Immanuel Mifsud raconte son père mais surtout l’image de la paternité et de la masculinité (repris de la quatrième de couverture) qu’il lui a transmise.

    Quelques années avant la mort de son père, l’auteur a trouvé un carnet marron où son père racontait de manière très méticuleuse les années où il a servi comme soldat maltais au côté des britanniques, pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’était alors promis de le publier d’une manière ou d’une autre.

    Au décès de son père, il écrit ce livre où sont insérés des passages de ce fameux journal car le passé militaire de son père, ses médailles et sa baïonnette font partie intégrante de l’image qu’il s’est forgé de l’homme. Image d’un homme fort qui ne pleure pas, qui ne se plaint pas, une image d’Homme avec un très grand h, d’un patriarche. Voici un extrait de son carnet :

    L’Homme devrait avoir trois Cœurs. Un Cœur de feu qui brûle d’amour pour Dieu un autre de Chair pour aimer ses proches et un Autre en Bronze pour contenir tous les désirs du Corps ; et la Famille devrait obéir à l’Autorité du Père – si l’Homme est une poule et la Femme un Coq, alors toute la Famille sera sens dessus dessous.

    Ce père pouvait être extrêmement sévère vis à vis d’un fils moins inhibé vis à vis de ses émotions, d’un fils qui voulait vivre ses propres expériences. L’auteur parle de querelles fréquentes, de rebellions… Pourtant, cette image « idyllique » du père est cornée par d’autres moments, des moments où son fils se rappelle l’avoir vu pleuré, des moments où son handicap (il boite) l’a rendu plus fragile qu’il ne l’aurait voulu.

    Ses souvenirs entraînent Immanuel Mifsud à réfléchir à ce que son père lui a transmis, et c’est cette image du père et de la masculinité qui lui vient à l’esprit. Lui aussi a un fils et il se demande si justement il n’est pas en train de reproduire le même schéma.

    Ce récit n’est donc pas un hommage au père, comme on peut en lire régulièrement, ni un règlement de compte d’ailleurs, même si parfois on est un peu gêné par la violence du propos (sans concession), dans le sens où le livre est très personnel, voire trop personnel. Cette impression est amplifiée par l’écriture de l’auteur, souvent impérative et exclamative. Il ne s’adresse jamais à son lecteur mais bien à son père avec un tu répété très fréquemment et à lui-même par un je, répété lui aussi très fréquemment dans la seconde partie du récit. C’est un bon livre, mais si je voulais vraiment lui trouver un défaut, c’est celui-là : le récit ne permet pas de réfléchir soit même à la transmission de la féminité ou de la masculinité entre parents et enfants, justement parce qu’il est très personnel et particulier. La manière dont lui réfléchit à ce sujet est par contre très intéressante.

    Un point très positif aussi pour ma première lecture maltaise : on apprend des petites choses sur l’histoire maltaise, sur des traditions du pays (tant de choses dont je suis complètement ignorante). La traductrice a fait un très bon travail tant au niveau de la traduction, que des notes de bas de page, pour éclairer le lecteur francophone.

    Je lirai d’autres livres de cet auteur, peut être en anglais (s’il n’y a pas de nouvelles traductions), car j’ai apprécié l’écriture ainsi que sa manière de raconter son histoire.

    Références

    Je t’ai vu pleurer de Immanuel MIFSUD – récit traduit du maltais par Nadia Mifsud (Gallimard, 2016)

  • LeLivreDesSecretsDeLAlcoveHongYingJ’ai pris ce livre à la bibliothèque, sur la foi de la quatrième de couverture. Automne 1935. Julian Bell, 27 ans, débarque à Wuhan pour donner des cours de littérature anglaise à l’Université de la ville. Ce n’est pas n’importe qui puisqu’il est le fils de Vanessa Bell, sœur de Virginia Woolf. Il a grandi entouré des membres du groupe de Bloomsbury et a fondé ses convictions, entre autre, à partir de ce qu’il a vu et qu’il a entendu dans son enfance, adolescence et âge adulte. Ainsi, il se vante d’être poète, analyste politique, hédoniste, libéral et révolutionnaire mais aussi d’avoir l’esprit ouvert face à d’autres. J’utilise le verbe vanter à dessein car ses convictions vont être mises à rude épreuve à Wuhan, surtout à cette période.

    En arrivant à l’université, il fait la connaissance de la femme du doyen. C’est une intellectuelle, écrivain, proche du mouvement d’avant-garde Lune Nouvelle, comme son mari d’ailleurs. Elle n’est pour lui qu’une femme comme les autres mais rapidement ils se tournent sans que lui reconnaisse son attirance. Tout va changer à partir du moment où ils vont céder à leurs pulsions. La femme du doyen se dévoile beaucoup moins sage que prévu. Elle lui explique faire l’amour selon les principes taoïstes, enseignés par sa mère, et qui permettent de vivre une vie plus pleine et longue. Elle se propose de lui enseigner ses principes car elle se fane au contact de son mari qui ne supporte pas de telles pratiques (cela le rend littéralement malade). Elle a donc besoin d’un partenaire suffisamment vigoureux et , qu’elle voit en Julian. Lui qui se croyait aguerri, se trouve rapidement ramené au rang de débutant. De plus, il éprouve très rapidement des sentiments amoureux, qu’il n’assume pas car il n’en a jamais ressenti auparavant sauf peut être pour sa mère, avec une relation qui tient plus de l’amour platonique entre amants que celle d’une mère et d’un fils.

    Voilà pour le résumé ! Je savais ce que je prenais à la bibliothèque, un livre à caractère érotique et clairement c’est un roman de belle facture sur ce sujet là en tout cas. L’auteur décrit assez pudiquement les relations sexuelles entre les deux protagonistes principaux du roman, tout en arrivant à nous faire ressentir l’attraction des corps.

    Par contre, il m’a semblé que tout le reste sonnait faux. Pour une raison toute simple, l’auteur ne raconte l’histoire que du point de vue de l’occidental Julian. Aux pages 242 et 243 (pratiquement à la fin), Julian se rend compte de quelque chose que le lecteur a bien remarqué depuis les cinquante premières pages :

    Julian prenait conscience qu’il n’était en fin de compte qu’un pur Anglais. La Chine, ses femmes, sa révolution et le reste demeureraient pour lui un éternel mystère. Il ne pouvait pas plus admettre sa frénésie amoureuse que la violence de sa révolution.

    […]

    Il ne pouvait s’affranchir d’un certain racisme dont il avait simplement moins conscience que ses semblables. Son âme dissimulait dans ses profondeurs son mépris des Chinois, jusqu’à la femme la plus chère à son cœur. Sa décision de rupture, face à Lin et Cheng, n’était au fond qu’une arrogance d’Occidental.

    Ne regarde pas en arrière, se mettait-il en garde. Lui qui se voyait en internationaliste n’avait succombé en Orient qu’à l’attrait de l’exotisme. Révolution ou aventures amoureuses, il ne pouvait trouver sa place qu’en Occident.

    Julian, dès le départ, est un personnage qui n’est que caricature, n’ayant aucune complexité. Il est sûr de lui-même, de ses convictions mais aussi de ses charmes. Il n’a rien à apprendre des autres, surtout pas des Chinois. Il ne se montre pas ouvert, pas curieux (en tout cas Hong Ying ne le montre jamais). C’est un goujat (il y a un peu du « alors, chérie, cela t’a plu »), peu sensible à sa partenaire. Il juge tout sans comprendre, en particulier le mouvement Lune Nouvelle, que finalement il ne connaît pas parfaitement, et surtout il juge par rapport aux critères du groupe de Bloomsbury et non sur des critères qui seraient importants pour lui. Il ne s’intéresse pas à l’évolution de la situation politique de la Chine, qui vit pourtant une période mouvementée sous la pression des Communistes et des Japonaise. Il se prétend tout de même analyste politique ! Je crois que le pire est tout de même sa relation avec sa mère. Il lui dit tout mais vraiment absolument tout, deux fois par semaines par lettre. Il dit à plusieurs reprises que leur relation est assez inhabituelle (moi j’aurais dit malsaine).

    Le roman devient rapidement ennuyeux puisqu’on a seulement le regard de cet horrible personnage pour vivre cette histoire. On ne découvre pas la Chine, l’histoire d’amour n’est pas crédible puisque Julian n’est pas capable d’éprouver ce genre de sentiment (trop centré sur lui-même pour cela). Reste le sexe mais malheureusement cela ne fait pas tout.

    Comme je l’ai dit, je pense que le problème vient d’avoir choisi de raconter l’histoire uniquement du point de vue de Julian. Hong Ying précise son projet dans la postface :

    En tant qu’auteur chinoise en Occident, ma plus grande difficulté est de résider en un lieu sans en saisir les réalités : réalité des hommes, réalité culturelle, réalité du pays. Au cours de mes insomnies surtout, dans le profond silence de la nuit, ce tracas peut se muer en véritable souffrance, Tout ce qui se passe ici, je ne le découvre qu’après coup, par la presse ou la télévision. Un million de personnes en liesse dans la rue, par quel mystère ai-je pu passer à côté ? Quand cinq millions de personnes assistaient à des courses hippiques, comment se fait-il que je n’en connaisse ni l’heure ni le lieu ? Non pas que je souhaite absolument y participer, mais je suis dans l’impossibilité d’en être informée. Et lorsque je demande où puiser les renseignements, on me répond par un grand rire – le simple fait de vivre ici suffit pour être tout naturellement au courant.

    Tout est là : nul besoin de documents, de lectures, de relations, les choses se font spontanément, les gènes culturels sont donnés à la naissance. Confronté à ce même « mur transparent » qui m’entoure, qu’adviendrait-il d’un étranger vivant en Chine ? À quelle situation se trouverait-il réduit ? Sans doute lui non plus n’arriverait à rien.

    En lisant cela, j’ai pensé que l’idée était bonne mais le résultat pas franchement. Et surtout je me suis posée les questions suivantes : est-que Julian Bell était vraiment ce type d’hommes ? est-ce que l’auteur décrit l’idée qu’elle se fait d’un occidental (et franchement cela fait peur) ou tout simplement n’a-t-elle pas réussi à rentrer dans le « mental » d’un homme occidental (et se soit du coup incapable de décrire une histoire de ce point de vue) ? J’ai pris un autre roman d’elle à la bibliothèque. Si je le lis, j’aurais la réponse à ma deuxième question mais j’aimerais bien que les spécialistes du groupe de Bloomsbury me disent si le personnage de Julian Bell s’approche de la réalité.

    Références

    Le livre des secrets de l’alcôve de HONG Ying – traduit du chinois par Véronique Jacquet-Woillez (éditions du Seuil, 2003)

  • ExtinctionDesColeopteresDiegoVargasGaeteJ’ai été samedi au Divan .. ah ! (officiellement pour aller à la bibliothèque et aussi acheter du café et un livre).

    Je suis tombée sur ce livre et je l’ai pris pour plein de raisons (raisonnables bien évidemment) : j’aime beaucoup la couverture, je ne connaissais pas la maison d’éditions, je ne connaissais pas l’auteur, cela faisait longtemps que je n’avais pas lu un livre d’Amérique du Sud et le résumé était très dynamique (en tout cas la première partie) :

    Le 19 décembre 1986 Olaf Krause reçut un coup de fusil en pleine jugulaire alors qu’il participait à une partie de chasse aux lapins dans la propriété des Kunz.  L’attaque mit un point final à la vie d’Olaf Krause et fut classée par la police et les médias dans les faits divers tragiques. Tania Cayupi, la compagne du citoyen allemand à cette époque, confia lors de l’enquête qu’une semaine avant de mourir, Olaf Krause lui avait fait part de son projet de révéler publiquement et à la communauté internationale les aberrations commises dans le sous-sol du collège.

    Cela ne ressemble pas trop à un thriller ? En fait pas du tout. C’est un des livres les plus étranges que j’ai lu et pourtant je n’ai pas pu le lâcher !

    Le livre est séparé en deux parties : la première raconte l’histoire de Sylvana Kunz, descendante d’immigrés allemands, ayant une grosse fortune, et dont le père faisait partie de la direction du Collège allemand de Temuco, où se sont passés les fameuses aberrations dont parlent le résumé ; la deuxième partie raconte principalement la vie du fils de l’agent d’entretien chargé de la surveillance du sous-sol, même si la vie du père est évoquée. On a donc deux points de vue, venant de deux communautés différentes.

    Sylvana Kunz était une enfant capricieuse, qui s’est mariée à un homme, un journaliste, qui sera à l’origine du scandale sur les atrocités du sous-sol (il sera assassiné dans une chambre d’hôtel). Pourtant, l’auteur nous montre son futur qui ne sera que brillant, jusqu’à un certain point, où les apparences tant protégées éclateront. Cette partie est fascinante pour le lecteur. L’auteur nous tient par le suspens, sur le pourquoi du décès de Olaf Krause, sur la nature des pratiques du sous-sol. Pourtant, il écrit d’une manière à perdre son lecteur : il mélange les trois périodes (présent, passé, futur) de la vie de Sylvana, en exagérant pas mal sur le futur. Chaque « période » est séparée par trois petites étoiles qui indiquent le changement, mais jamais je ne me suis jamais retrouvée perdue pour savoir où j’étais temporellement. Une autre chose sur cette première partie est le fait que le lecteur ne sait pas où l’auteur veut en venir. Il semble tourner autour du suspens, de l’élément important. Quand je lisais, je regardais la deuxième partie arrivée (où j’avais bien vu que les protagonistes de la première partie, surtout Sylvana, ne revenaient pas) et je ne comprenais pas ce que l’auteur voulait montrer, ce qu’il voulait dire.

    La deuxième partie est plus conventionnelle au niveau de la narration. Elle est aussi est menée en trois narrations : la vie du père, la vie pathétique du fils, devenu professeur-assistant de droit, la vie virtuelle de celui-ci. En effet, il entretient une correspondance avec une femme vivant aux États-Unis et qui vend ses charmes sur internet. Le père a une conscience qui lui dit que ce qui se passe dans le sous-sol n’est pas moral et est, et sera toujours, très gêné par cela, même s’il n’est jamais intervenu car il a baissé la tête devant son chef, tout simplement. Malgré le fait qu’il est meilleur que le père Kunz, sa vie ne sera pas meilleur et son fils ne sera pas meilleur (ni sa vie) malgré toute sa soumission (sa vie est à mettre en parallèle avec les exploits de Sylvana dans la première partie).

    Cette deuxième partie m’a fait voir le livre d’une autre manière. L’auteur n’a pas du tout voulu faire un thriller, un livre glauque sur des exactions de migrants, mais bien comme le dit la deuxième partie de la quatrième de couverture (que je n’ai pas lu dans la librairie),  une histoire sur un siècle « de la région rurale du sud du Chili, modelée par la rencontre du Mapuche, du Chilien et du Colon ». Quand on lit le livre de ce point de vue, les détails auxquels on porte attention sont tout autres. C’est l’évolution des générations qui commencent à intéresser, la différence de vies mais aussi les jeux d’apparences et de pouvoirs qui mènent la petite et la grande Histoire.

    Je trouve cependant que c’est un livre difficile d’accès pour un lecteur, on va dire, occidental. On peut lui faire dire n’importe quoi (ce n’est qu’ici mon interprétation, guidée par la quatrième de couverture tout de même) ou même complètement passé à côté, tant à cause de l’histoire, tant à cause de l’écriture.

    Quand je vous disais que c’était un livre étrange !

    L’avis de Nathalie

    Références

    L’extinction des coléoptères de Diego VARGAS GAETE – roman traduit de l’espagnol (Chili) par Julia Cultien (L’atelier du tilde / Tadeys, 2015)

  • UneVieChinoiseLiKunwuCela faisait des années que cette BD traînait dans ma PAL, je crois depuis 2010 en fait. Comme je suis dans une période chinoise, je l’en ai sorti vaillamment (c’est-à-dire sans que tout me dégringole sur la tête), pour m’instruire sur l’histoire chinoise car c’est bien de cela dont il s’agit.

    C’est le premier tome d’une série de trois, retraçant la vie de l’auteur Li Kunwu. Après une préface très intéressante de Pierre Haski sur la Chine d’aujourd’hui et les générations qui l’habite, mais surtout sur son évolution pendant les soixante dix dernières années , l’autobiographie de Li Kunwu commence par la rencontre de ses parents en 1950 qui aboutira sur sa naissance en 1955. Le père de Li Kunwu, 25 ans, est un révolutionnaire de la première heure, prêchant les enseignements de la révolution dans les campagnes, un an après la naissance de la République Populaire. C’est lors d’un discours dans un village de la province du Yunnan, qu’il voit sa femme pour la première fois. Xiao Tao a alors 17 ans. Après avoir convaincu le père de la jeune fille, il l’épouse et quelques années plus tard naît notre auteur.

    Ce premier volume est divisé en trois chapitres et va de 1955 à la mort de Mao Zedong en 1976. Le premier chapitre est centré sur le Grand Bond en avant, le deuxième chapitre est centré sur la Révolution culturelle. À eux deux, ils couvrent l’enfance et l’adolescence du héros / auteur (217 pages sur 250). C’est une bande dessinée très intéressante pour qui ne connaît pas l’histoire récente chinoise (tout est expliqué suffisamment pour qu’aucune connaissance de base ne soit nécessaire), mais pas que. C’est en effet aussi un témoignage très lucide sur ce qu’a été cette période. En effet, l’auteur décrit un véritable endoctrinement mais aussi la force d’entraînement d’une foule ou d’un peuple, le jugement n’étant plus de mise alors. J’ai été surprise de découvrir que cela commençait très jeune, à l’école tout de même. C’était même encouragé car la jeunesse formait la force vive de la nation. Les élèves étaient mis à contribution pour toutes les opérations, dans le but d’encourager l’esprit de la Révolution. Ils pouvaient même prendre des initiatives, quitte à prendre le pas sur les adultes. Le mythe du respect des ancêtres par les Chinois en prend en tout cas. En tout cas, pour cette époque-là. L’auteur n’échappe pas à tout cela et se rend toujours compte, trop tard, que peut-être cela va trop loin et pour cela, il faut toujours que les excès le touchent de près (sa famille ou la famille de la fille qu’il aime).

    Le troisième chapitre est plus court (et je ne sais pas s’il est complet ou s’il s’arrête parce que Mao est mort) et traite de la vie de l’auteur à l’armée, dans laquelle il s’est engagé à l’âge de 17 ans. Dans ce chapitre, l’auteur met en évidence le culte de la personnalité qui entourait Mao. On pouvait douter (pas à haute voix) de la Révolution mais pas de Mao. Il était le père de la Nation, il guidait son peuple de manière lucide … (même si vers la fin, on ne comprenait plus grands choses) Le père du titre, c’est bien lui. Au cours de ma lecture, je pensais que c’était le père de l’auteur parce que son père tient une part importante dans sa vie d’enfant et d’adolescent. La dernière image où on voit les soldats pleurer comme lors d’une fin du monde. Pour eux, c’est bien la fin d’une période et d’une nouvelle période qui est redoutée mais surtout inconnue.

    C’est une bonne BD (en tout cas, ce premier tome) car elle permet de s’éloigner de l’histoire officielle mais aussi de l’histoire partisane. C’est vraiment les mémoires d’un homme lucide, sans regrets ni remords. Cela ouvre l’esprit, je trouve.

    Vous pouvez trouver un article plus conséquent, avec la description des trois volumes, sur le site Lecture / Écriture. Je lirai les deux autres tomes mais pas tout de suite car ils ne sont ni dans ma PAL ni à la bibliothèque.

    Références

    Une vie chinoise – 1. Le temps du père de LI Kunwu et P. ÔTIÉ (Kana, 2009)

  • LaDernierePageGazmendKapllaniVoilà donc le premier livre albanais que j’ai lu avant de lire Le paumé de Fatos Kongoli et qui m’a tant impressionnée. Ce livre, découvert par hasard à la bibliothèque (j’ai vu depuis que Sandrine avait mis l’auteur dans sa liste de Lire le monde), m’a donc énormément plu à cause de l’histoire, de l’écriture, de la narration, des personnages.

    L’histoire s’inscrit totalement dans l’histoire de la Grèce et de l’Albanie de la deuxième moitié du XXième siècle. On va suivre en alternance l’histoire de Melsi et de son père.

    Melsi, installé en Grèce, pour fuir une Albanie qu’il a énormément de mal à comprendre (et peut-être aussi pour avoir une meilleure vie), revient en Albanie lorsqu’il apprend le décès de son père à Shangai. Ayant très peu de contact avec lui, Melsi ne comprend pas du tout pourquoi celui qui lui semblait si « sage » est allé mourir là-bas. Il faudra 22 jours pour rapatrier le corps et pendant ce temps-là, notre narrateur habite dans l’appartement de son père, rencontre (et est soutenu) par la compagne de son père (sa mère étant mort) et est parfois rejoint par sa petite amie grecque (sa maîtresse nordique restant à distance raisonnable mais tient à rester présente). On voit déjà que le narrateur a une vie compliquée, une vision de la vie compliquée mais aussi une relation complexe à son enfance et à son pays. Comme expliqué dans le billet sur le livre de Fatos Kongoli, l’Albanie, pendant l’enfance du narrateur, était une dictature marchant sur la tête. Le preuve en est, s’il en est besoin, le prénom de l’auteur. L’année de naissance de Melsi, le dictateur Enver Hoxha avait décidé qu’il ne fallait plus aucun prénom d’origine religieuse (musulmane, catholique, juive …). Les parents et grand-parents de l’enfant ont dû se creuser la tête pour trouver un prénom au nouveau né et on choisit une combinaison de Marx, Engels et Staline. Dans les parties qui lui sont consacrées, on ressent un attachement-haine à son pays d’origine, tout en n’idolâtrant pas la Grèce.

    Au cours de ses 22 jours dans l’appartement de son père, Melsi va découvrir un manuscrit sur l’histoire d’un crypto-juif (je ne comprends pas ce terme), commençant à Thessalonique en 1943. À cette époque, la Grèce est occupée par les Allemands, qui appliquent la même politique que partout en Europe. Les grands-parents de Melsi, juifs, vont s’enfuir vers l’Albanie, pays à majorité musulmane, accueillant encore des réfugiés. Ils changent d’identité et de religion pour passer inaperçu et le fils du couple va donc grandir en Albanie. Il suivra les traces de son père en devenant bibliothécaire. Malheureusement, il vivra un autre enfer, l’enfer de la dictature albanaise et de sa surveillance à tout-va. suite à sa liaison d’une nuit avec une collègue.

    J’ai aussi aimé le livre pour son histoire car j’ai appris beaucoup de choses sur l’histoire de l’Albanie et de la Grèce. De plus, il n’y a pas de temps morts. C’est pratiquement un page-turner.

    D’un autre côté, le livre ne fait que 150 pages mais l’auteur mène ses deux histoires, leur entrelacement très brillamment. Elles sont toutes les deux intéressantes, très distinctes et pas seulement à cause de la police d’écriture. L’auteur décrit les deux périodes de manière différente comme s’il était deux auteurs. L’histoire du père et grand-père est linéaire ; on sent qu’elle a été romancée. Il y a un peu de dépit derrière (un peu comme dans le livre de Fatos Kongoli, d’ailleurs) ; l’auteur semble penser que son histoire est celle de toute personne vivant sous un régime autoritaire. En comparaison, les parties sur Melsi sont plus heurtées ; le personnage est aussi plus complexe. J’ai aimé suivre les variations de ses sentiments, de ses souvenirs et impressions. Par son écriture, par son choix de narration, l’auteur arrive à nous faire sentir l’absence du père, tout en nous le faisant connaître, à nous faire comprendre le fils. Cela semble d’une simplicité enfantine quand on lit le livre mais quand on réfléchit, c’est assez énorme.

    Je suis assez étonnée d’avoir si peu entendu parler de cet auteur car le livre est très réussi et intéressant. C’est une lecture que je recommanderai facilement.

    L’avis de Daniel Fattore

    Références

    La dernière page de Gazmend KAPLLANI – traduit du grec par Françoise Bienfait et Jérôme Giovendo (Éditions Intervalles, 2015)

  • LEpouxImpatientGraziaLiviJe suis tombée par hasard sur ce livre à la bibliothèque. Je l’ai sorti des étagères juste parce qu’il était publié chez Actes Sud. Quand j’ai lu la quatrième de couverture, ma surprise a été totale et très agréable : le livre raconte les deux jours de trajet qui vont mener Léon Tolstoï  et sa toute nouvelle femme Sofia Andreevna à Iasnaïa Poliana. Je suppose que vous vous imaginez ma joie et mon enthousiasme devant ce livre. Il se lit très rapidement mais est finalement un peu décevant.

    Il faut s’imaginer dans un espace clos, avec Léon Tolstoï, écrivain déjà reconnu, et Sofia Andreevna, 18 ans, fille d’amis de l’écrivain. Elle est bien plus jeune que lui, n’est même pas l’aînée, ne comprend pas vraiment pourquoi il l’a choisie, elle. On assiste au tout début de leur relation, de leur couple, fait de tellement de sentiments contradictoires. Au fur et à mesure, l’auteur enrichit son texte avec des extraits des journaux des deux personnages mais aussi mélange les époques puisqu’elle raconte la « rencontre », la « séduction » mais aussi la vie du « vieux » couple, une fois mariés.

    Ainsi, on assiste à l’évolution du « personnage » de Sofia Andreevna. De petite fille, elle devient fille, jeune femme et épouse. Elle passe de timide, peu sûre d’elle à plus confiante en elle-même. Durant le trajet, elle a des sentiments contradictoires : elle aurait du demander à sa mère comment il fallait faire, elle est honorée d’avoir été choisie par le grand homme, désire être tout pour lui, l’aider dans son grand destin mais en a aussi très peur, regrette déjà la maison de ses parents. Il faut dire que lui ne l’aide pas non plus : il passe alternativement d’un rôle de père de substitution à celui d’un amant fougueux (dans le sens où il montre son sentiment amoureux de manière très extrême, jamais dans la demi-mesure).

    C’est donc une forme originale qu’a choisi l’auteur pour nous raconter l’histoire de ce couple et son idée de mettre des extraits des journaux intimes du couple est intelligente car elle rend crédible et plus palpable la réalité de ce qui nous est racontée. Pourquoi ce livre m’a-t-il un peu déçu ? Tout simplement, parce que je n’ai pas réussi à vivre avec les personnages, surtout Tolstoï ; j’ai gardé tout au long du texte une certaine distance avec le couple. J’ai un peu réfléchi à cela et je pense que cela vient de l’histoire en elle-même, tout simplement. L’auteur ne peut pas décrire une intimité du couple car au départ, durant ce fameux voyage de deux jours, il n’y en a tout simplement pas (et la première relation sexuelle n’est pas du tout la création d’une intimité quelconque dans ce cas-ci). Ce qui m’a gêné finalement, c’est ce qui est raconté : deux personnes, dans une calèche, séparés par un vide abyssal, ne sachant pas quoi se dire. L’auteur arrive très bien à mélanger les époques et donc à rendre l’histoire du couple mais est-ce que ce voyage était le plus intéressant à raconter, est-ce qu’il y a des fragments qui permettaient de le reconstruire « mieux » dans les journaux intimes ?

    Je ne sais pas mais quoi qu’il en soit, le livre est bien mais il reste une note d’inachevé à mon goût.

    Références

    L’Époux impatient de Grazia LIVI – traduit de l’italien par Tessa Parzenczewski en collaboration avec Marguerite Pozzoli (Actes Sud, 2010)

  • MurderMostPersuasiveTracyKielyPour me changer les idées après ma lecture de 1986 de Yu Hua, j’ai choisi une lecture légère dans ma PAL : Murder most persuasive – a mystery de Tracy Kiely. C’est la troisième tome d’une série de quatre (j’ai les trois premier dans ma PAL et je commence par le troisième bien évidemment ; je suis indécrottable), mettant en scène Elizabeth Parker, grande Janéite, citant à l’envie son auteur préféré. Au vu du titre, on peut penser que Tracy Kiely est dans le même cas puisque chaque début de chapitre commence par une citation de Jane Austen et qu’elle utilise une partie de Persuasion pour construire son histoire.

    Justement, rentrons plus avant dans l’intrigue. L’ouverture du livre se fait sur un enterrement (il n’est pas mort de mort suspecte, rassurez-vous). Toute la famille est réunie pour rendre un dernier homme à Oncle Marty, Martin Reynolds officiellement, grand-oncle d’Elizabeth Parker, mort d’un cancer qu’il a combattu pendant des années. Tous les membres de la famille se retrouvent au restaurant après les funérailles.

    C’est là où on découvre tous les protagonistes de notre histoire, en tout cas la majorité. Il y a Elizabeth, sa mère et sa sœur Kit, enceinte e 8 mois, avec qui Elizabeth ne s’entend que très moyennement. Il y a des chamailleries, dirons-nous.

    Il y a les trois filles du mort : Reggie, la sœur aînée connue pour sa beauté et son tempérament, Frances, ayant deux jumeaux et un mari, Scott, connue pour être plus carriériste pour son mari que son mari lui-même, et Ann, la gentille, qui prend soin de toute la famille sans se préoccuper de sa vie, de ses amours, de son futur (j’espère que vous voyez le clin d’œil à Persuasion, sinon il faut le relire d’urgence).

    S’ajoute la femme du défunt et belle-mère des filles, Bonnie. Plus jeune que lui, elle avait été choisie pour servir de substitut de mère aux filles après la mort de leur mère dans leur enfance. Cela n’a jamais marché car c’est une cruche. Le mari s’en est désintéressé très vite. Pourtant, elle se fait remarquer en ce jour en pleurant et en soupirant « pauvre Marty, je ne m’y attendais pas » (je rappelle qu’il est mort d’un cancer) et parle même de meurtre, les autres essayant de la persuader de sa sottise. Elle est tellement éplorée qu’elle décide de partir en thalassothérapie le lendemain, laissant Ann régler les détails pour le catalogage des objets du testament.

    Avant de mourir, Martin Reynolds, entrepreneur, avait vendu sa maison d’été du Maryland (ils ont une maison d’hiver dans la même ville, si j’ai bien compris) et voulait répartir cet argent entre ses trois filles mais n’ayant eu le temps de régler les détails, Bonnie demande aussi une part (cela aura une petite importance pour la suite). Tout cela pour dire que la maison d’été a changé de propriétaires et que ceux-ci sont en train de modifier la piscine. Et là, c’est le drame, on retrouve le corps de Michael, le crâne fracassé. Celui-ci n’est autre que l’ancien fiancé de Reggie, avec qui elle a rompu deux mois avant le mariage, un 4 juillet, il y a huit ans. Plus personne n’avait entendu parler de lui (et pour cause), surtout qu’il avait été ensuite découvert qu’il avait détourné 1 millions de dollars de la compagnie de son futur beau-père (il avait été choisi comme successeur en plus, maintenant c’est Scott au grand plaisir de Frances).

    La police enquête bien évidemment, enquête menée par Joe, qui n’est autre que l’ex d’Ann, avec qui elle avait rompu le 4 juillet aussi, sur les conseils de Laura, meilleure amie de sa mère lorsque celle-ci était encore en vie (au prétexte qu’elle était trop jeune pour s’engager au près d’un tel homme, si vous ne voyez pas Persuasion, je désespère). Laura, elle, est mariée à Miles, ancien associé (depuis il a monté sa propre entreprise) et meilleur ami de Marty. Sur ce, Bonnie revient de sa thalassothérapie, avec une espèce de don Juan qui se prétend expert financier pour placer l’argent des riches veuves qu’il rencontre. Elizabeth Parker va aider Ann, mais aussi la police, pour cette troisième enquête dans laquelle elle se voit impliquer « de force ». Elle sera bien conseillée adroitement par Peter son petit ami et tante Winnie, sœur de Martin Reynolds, elle aussi grande janéite.

    J’ai beaucoup aimé cette lecture, qui a totalement remplie son office de lecture détente. L’auteur écrit une bonne histoire, en y mettant des touches d’humour, très bien placées. Le niveau d’anglais n’est pas suffisamment haut pour ouvrir son dictionnaire à chaque phrase. L’auteur décrit une galerie de personnages tout à fait crédibles, bien incarnés, un peu loufoques. L’enquête est vraiment bonne aussi. J’ai eu quelques soupçons à un moment mais l’auteur les a habilement détournés. Les clins d’œil à Jane Austen sont nombreux mais à mon avis ce n’est pas ce qui fait le charme de ce livre. C’est tout simplement un bon cozy mystery dans lequel il fait bon s’installer pour se détendre un peu.

    Références

    Murder most persuasive – A mystery de Tracy KIELY (Minotaur Books, 2011)