Il y a quelques semaines (plus de 6 je pense), l’invitée de la Dispute sur France Culture faisait part de son admiration pour ce livre. Piquée dans ma curiosité, j’ai décidé de lire cette pièce de Bertolt Brecht, écrite entre 1938 et 1940 et je l’ai donc emprunté à la bibliothèque de l’institut Goethe. Il a fallu donc 6 semaines pour que j’ouvre le livre, juste avant de devoir le rendre. Je vous dirai heureusement car j’ai découvert une excellente pièce !
L’action se déroule dans la capitale du Se-Tchouan, « à demi européanisée », dans un quartier pauvre. Un soir débarque trois dieux à la recherche d’un logement pour la nuit. Ils sont attendus et accueillis par Wang, le marchand d’eau. Wang, dormant dans un conduit d’égout, ne peut décemment pas accueillir trois dieux et se propose de demander aux habitants le gîte de leurs parts. Tous refusent sous différents prétextes. Jusqu’à ce que Wang demande à Shen Té, la prostituée du quartier. Celle-ci accepte par amitié pour Wang (qui est désespéré après avoir tant cherché) et aussi parce que ce sont des dieux, tout de même. Elle refuse le client prévu et les accueille tous les trois pour la nuit.
Au matin, ils la remercient et lui donnent 1000 dollars d’argent, lui permettant ainsi de sortir de la prostitution. Ce n’est pas pas pur gentillesse. Ces dieux sont en fait à la recherche de bonnes âmes sur notre planète et ont beaucoup de mal à en trouver. Craignant que tout soit pourri, ils décident d’encourager Shen Té à avoir une activité plus respectable. Elle achète avec sa nouvelle fortune un petit débit de tabac (elle s’est bien sûr fait avoir sur le prix). Avant même l’ouverture, ses anciens logeurs lui demandent le gîte et le couvert (cela correspond à huit personnes), l’ancienne exploitante de la boutique lui demande de la nourrir, elle et son fils, puisque Shen Té leur a pris leur gagne-pain, la propriétaire e la boutique demande six mois de loyers d’avance, le menuisier veut un prix exorbitant pour les étagères qu’il a montée. Sur ce, un chômeur arrive. Il y a tout un lot de profiteurs ou de plus pauvres qu’elle, suivant de quel côté de la barrière on regarde, qui s’invite dans sa nouvelle vie. Pourtant, Shen Té ne se décourage pas, nourrit tout le monde … Il est facile de comprendre que cette situation ne peut pas durer. Son cousin Shui Ta arrive pour l’aider à gérer sa boutique. Il représente plutôt la justice et le bon sens (commun). Il veut aussi aider les gens mais d’une manière qui ne lui soit pas défavorable, quitte à parfois être tangent avec la morale.
On va donc pendant toute la pièce suivre la vie de ce débit de tabac et l’évolution des sentiments des « deux » personnages principaux : Shan Té et Shui Ta. C’est la dualité entre ces deux-là qui m’a énormément plu dans cette pièce. L’interrogation sur la difficulté d’être bon est permanente, tellement bien illustrée et juste ! Est-ce qu’être bon c’est s’occuper d’abord de soi pour pouvoir aider les autres ou s’occuper des autres, tout en ne pensant pas à soi ? Faire un mixte des deux versions fait-il de nous quand même quelqu’un de bon ? Est-ce que la pauvreté permet tout ? Est-ce qu’il est possible d’être bon quand l’argent est si nécessaire pour vivre ? Est-ce que l’amour prévaut sur tout ? Je me suis posée énormément de questions en lisant ce livre. Bertolt Brecht ne propose pas une situation simple mais clairement aussi complexe que la vie. Il ne peut pas conclure (sinon tout le monde aurait réglé ces interrogations depuis longtemps) et ne conclura pas, sauf sur une volonté d’espoir que les bonnes âmes existent réellement sur Terre.
Le texte de la pièce est vraiment très réussi. Il présente énormément d’actions, tout en étant clair dans son message. Les protégés de la jeune femme sont extrêmement bien décrits, dans le sens où ils ne sont pas caricaturaux ou trop présents mais suffisamment en retrait et significatifs pour jouer un rôle dans la démonstration que déroule l’auteur.
C’est une excellente découverte de Bertolt Brecht dont je suis absolument ravie. Ma prochaine étape est de découvrir les adaptations disponibles sur YouTube.
Références
La Bonne âme du Se-Tchouan de Bertolt BRECHT – traduit par Jeanne Stern – dans Théâtre complet – Volume 4 (L’Arche, 1988)