Cecile's Blog

  • TheatreComplet4BertoltBrechtIl y a quelques semaines (plus de 6 je pense), l’invitée de la Dispute sur France Culture faisait part de son admiration pour ce livre. Piquée dans ma curiosité, j’ai décidé de lire cette pièce de Bertolt Brecht, écrite entre 1938 et 1940 et je l’ai donc emprunté à la bibliothèque de l’institut Goethe. Il a fallu donc 6 semaines pour que j’ouvre le livre, juste avant de devoir le rendre. Je vous dirai heureusement car j’ai découvert une excellente pièce !

    L’action se déroule dans la capitale du Se-Tchouan, « à demi européanisée », dans un quartier pauvre. Un soir débarque trois dieux à la recherche d’un logement pour la nuit. Ils sont attendus et accueillis par Wang, le marchand d’eau. Wang, dormant dans un conduit d’égout, ne peut décemment pas accueillir trois dieux et se propose de demander aux habitants le gîte de leurs parts. Tous refusent sous différents prétextes. Jusqu’à ce que Wang demande à Shen Té, la prostituée du quartier. Celle-ci accepte par amitié pour Wang (qui est désespéré après avoir tant cherché) et aussi parce que ce sont des dieux, tout de même. Elle refuse le client prévu et les accueille tous les trois pour la nuit.

    Au matin, ils la remercient et lui donnent 1000 dollars d’argent, lui permettant ainsi de sortir de la prostitution. Ce n’est pas pas pur gentillesse. Ces dieux sont en fait à la recherche de bonnes âmes sur notre planète et ont beaucoup de mal à en trouver. Craignant que tout soit pourri, ils décident d’encourager Shen Té à avoir une activité plus respectable. Elle achète avec sa nouvelle fortune un petit débit de tabac (elle s’est bien sûr fait avoir sur le prix). Avant même l’ouverture, ses anciens logeurs lui demandent le gîte et le couvert (cela correspond à huit personnes), l’ancienne exploitante de la boutique lui demande de la nourrir, elle et son fils, puisque Shen Té leur a pris leur gagne-pain, la propriétaire e la boutique demande six mois de loyers d’avance, le menuisier veut un prix exorbitant pour les étagères qu’il a montée. Sur ce, un chômeur arrive. Il y a tout un lot de profiteurs ou de plus pauvres qu’elle, suivant de quel côté de la barrière on regarde, qui s’invite dans sa nouvelle vie. Pourtant, Shen Té ne se décourage pas, nourrit tout le monde … Il est facile de comprendre que cette situation ne peut pas durer. Son cousin Shui Ta arrive pour l’aider à gérer sa boutique. Il représente plutôt la justice et le bon sens (commun). Il veut aussi aider les gens mais d’une manière qui ne lui soit pas défavorable, quitte à parfois être tangent avec la morale.

    On va donc pendant toute la pièce suivre la vie de ce débit de tabac et l’évolution des sentiments des « deux » personnages principaux : Shan Té et Shui Ta. C’est la dualité entre ces deux-là qui m’a énormément plu dans cette pièce. L’interrogation sur la difficulté d’être bon est permanente, tellement bien illustrée et juste ! Est-ce qu’être bon c’est s’occuper d’abord de soi pour pouvoir aider les autres ou s’occuper des autres, tout en ne pensant pas à soi ? Faire un mixte des deux versions fait-il de nous quand même quelqu’un de bon ? Est-ce que la pauvreté permet tout ? Est-ce qu’il est possible d’être bon quand l’argent est si nécessaire pour vivre ? Est-ce que l’amour prévaut sur tout ? Je me suis posée énormément de questions en lisant ce livre. Bertolt Brecht ne propose pas une situation simple mais clairement aussi complexe que la vie. Il ne peut pas conclure (sinon tout le monde aurait réglé ces interrogations depuis longtemps) et ne conclura pas, sauf sur une volonté d’espoir que les bonnes âmes existent réellement sur Terre.

    Le texte de la pièce est vraiment très réussi. Il présente énormément d’actions, tout en étant clair dans son message. Les protégés de la jeune femme sont extrêmement bien décrits, dans le sens où ils ne sont pas caricaturaux ou trop présents mais suffisamment en retrait et significatifs pour jouer un rôle dans la démonstration que déroule l’auteur.

    C’est une excellente découverte de Bertolt Brecht dont je suis absolument ravie. Ma prochaine étape est de découvrir les adaptations disponibles sur YouTube.

    Références

    La Bonne âme du Se-Tchouan de Bertolt BRECHT – traduit par Jeanne Stern – dans Théâtre complet – Volume 4 (L’Arche, 1988)

  • TheCreepJohnArcudiJonathanCaseJ’ai pris cette BD à la bibliothèque par pure curiosité parce qu’il y a une étiquette sur l’exemplaire, où il est indiqué que cette BD est un coup de cœur Facebook. Je n’ai absolument aucune idée de ce que c’est, qui décerne ce label … Je n’en sais pas plus après ma lecture mais j’ai lu la BD.

    La version française de The Creep est le regroupement de trois fascicules d’un comics paru aux États-Unis en 2012, 2013 et 2014 et est présenté comme un hommage de John Arcudi aux récits de privé.

    L’histoire est assez intéressante dans le sens où elle est classique mais présente un dénouement que je n’aurais pas imaginé. Un garçon vient de se suicider deux mois après son meilleur ami. La mère, complètement désespérée, appelle son amour de jeunesse devenu détective privé, Oxel Kärnhus, pour enquêter car elle ne comprend pas le pourquoi de la chose. Le problème est qu’elle ne l’a pas vu depuis longtemps. Or, il est atteint d’une maladie dégénérative, l’acromégalie, qui a beaucoup altéré son physique avantageux (et sa voix entre autre). Il a honte de lui. Il accepte cependant l’enquête en ne la rencontrant pas mais en « interrogeant » la mère du premier gamin qui s’est suicidé. Il apprend que lui aussi n’avait pas de père et que c’est le grand-père, le père de l’amour de jeunesse, qui s’occupait des deux adolescents en les emmenant en week-end de pêche par exemple. Depuis la mort des deux adolescents, le grand-père déjà fragile a perdu la boule et vit à la rue. Personnellement, mes soupçons tournaient une histoire glauque de pédophilie mais en fait, pas du tout. C’est pour cela que je vous parlais un peu plus haut de dénouement inattendu (dans mon cas).

    Ce n’est donc pas une histoire avec un grand mystère, où le détective montre sa puissance de déduction ou sa force (physique ou de son arme à feu) pour résoudre l’affaire. C’est plutôt un hommage au travail quotidien du détective privé, pas forcément avec des affaires grandioses, mais plutôt des enquêtes de tous les jours, glauques, tragiques et tristes. Ce qui m’a plu dans cette bande dessinée, c’est ce côté « normal » (n’y voyez pas de connotations particulières).

    Le héros m’a aussi énormément plu car il est extrêmement attachant. Les auteurs en ont fait une sorte de géant maladroit, peu sûr de lui et qui essaie de faire son travail de manière correcte, tout en vivant une vie où la maladie est là. Dans la postface, les auteurs expliquent qu’ils n’ont pas pu faire de Oxel Kärnhus un monstre car il n’aurait pas pu s’y attacher. Cela a totalement répondu à une impression que j’ai eu pendant toute ma lecture. Le personnage est dessiné comme une caricature d’Américain, avec un menton proéminent et carré, un visage fort, taillé à la serpe. Je ne comprenais pas en quoi cette maladie était si handicapante physiquement (on peut se rendre compte que si en regardant des images sur internet et en lisant wikipédia). Les auteurs, dans mon idée, avaient choisi d’accentuer les gênes physiques de la maladie, sans mettre en évidence la déformation du visage. Ils montrent bien l’avant-après mais je n’ai pas vu le problème pendant ma lecture. Il y a un changement de visage du héros mais il n’était pas devenu un monstre pour autant. Dans un sens, le pari des auteurs est à moitié réussi. L’histoire est bien un hommage aux histoires de détectives privés, avec un héros attachant, mais ils ne réussissent pas à rendre réellement la maladie (son quotidien oui par contre).

    C’est donc une lecture que j’ai appréciée. Par contre, visiblement, je ne pourrais pas faire partie du jury des coups de cœur Facebook.

    Références

    The Creep de John ARCUDI (scénario) et Jonathan CASE (dessin et couleur) – traduction de Hélène Dauniol-Remaud (Urban Comics / collection Urban Indies, 2014)

  • DuDomaineDesMurmuresCaroleMartinezIl y a deux semaines je vous parlais de ma lecture de Une autre idée du silence de Robyn Cadwallader et je vous demandais si vraiment, comme je l’avais lu sur plusieurs commentaires de blogs, cela ressemblait au livre de Carole Martinez. Gwenaëlle m’avait répondu que c’était proche dans le thème mais très différent dans le contexte. Intriguée, je l’ai emprunté en numérique à la bibliothèque et je me suis lancée.

    J’ai adoré le début mais mon enthousiasme n’a fait que décroitre tout au long de ma lecture, dû au caractère de l’héroïne.

    Je rappelle l’histoire pour ceux qui comme moi ne la connaissait pas. L’héroïne, Esclarmonde, unique fille d’un seigneur de Bourgogne, choyée par son père, vit une vie paisible mais un peu trop surprotégée. En âge de se marier (on est au XIIième siècle), son père la destine à un jeune homme qu’il a élevé comme son fils et qu’il porte en haute estime, et qui est reconnu pour ses talents guerriers mais aussi pour être brutal envers les femmes. Refusant de se plier au désir de son père le jour du mariage, elle se coupe une oreille et lui demande de faire construire un réclusoir, attenant à la chapelle du château, pour se dédier à Dieu. Le matin de l’enfermement se passe un évènement décisif qui changera complètement la donne de son engagement et surtout la tournure du roman. Personnellement, j’ai trouvé que cet évènement était un peu trop too much.

    C’est à partir de ce moment là que le roman a commencé à moins me plaire. On voit que le point commun entre les deux livres est le fait que les deux héroïnes voient, dans la réclusion, un moyen de gagner une liberté que les femmes n’avaient pas à l’époque, en France ou en Angleterre. Dès le départ, Carole Martinez présente une héroïne avec beaucoup plus de caractères que celle de Robyn Cadwallader, avec une vraie voix et la volonté de reprendre une partie du langage du Moyen-âge (cela ne parle pas moyenâgeux non plus mais cela en donne l’impression). C’est un peu une femme moderne au Moyen-Âge. Cela m’a plu, au départ (cela correspond environ au cent premières pages).

    Au fur et à mesure que j’avançais dans ma lecture, Esclarmonde a commencé par me taper sur le système car elle était devenu tout simplement trop sûre d’elle. Clairement, je n’ai pas compris ses motivations religieuses et elles ne sont pas particulièrement explicitées. Mais au fur et à mesure de sa réclusion, elle devient de plus en plus humaine, de plus en plus sûre d’elle et odieuse quand elle utilise le pouvoir qu’elle a, en tant que recluse, auprès des serfs de son père ou des pèlerins de passage. Alors qu’elle est censée se rapprocher de Dieu, elle semble plus impliquée dans la vie du village et du château que jamais. Là où Robyn Cadwallader tenait 400 pages, dans un réclusoir, avec comme toile de fonds un village anglais, Carole Martinez ne tient pas 220 pages sur le thème et privilégie la peinture d’une époque, certes très réussie mais ce n’est pas ce que je cherchais.

    De plus, comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas quelqu’un de religieux et j’ai donc énormément de mal à comprendre les convictions religieuses qui rendent un peu hystérique ou qui ne sont pas dictées par une réflexion personnelle. Bien sûr, la Sarah de Robyn Cadwallader croyait dans un Dieu qui lui avait été imposé par son époque, son pays, sa famille. Elle n’ont plu voulait une liberté qu’elle ne pouvait avoir autrement et voulait devenir une sainte en se rapprochant de Dieu. Après la réclusion, on voyait tout le processus de raffermissement de sa foi, la difficulté d’adaptation à cette nouvelle vie, très dure. L’évènement too much de Carole Martinez fait qu’on ne voit pas tout cela ; il rend l’intrigue plus moderne mais détourne le livre de son sujet de base, qui était ce qui m’intéressait.

    Si l’on dépasse cette déception initiale et que l’on s’intéresse au Moyen-âge, le livre est très intéressant et semble bien documenté. On peut en apprendre beaucoup sur les croyances de l’époque, la vie dans un château, les relations de servage entre les différents seigneurs et sur les croisades. J’ai personnellement trouvé que les autres personnages restaient un peu en retrait par rapport à Esclarmonde parce que justement, celle-ci a une voix extrêmement forte. Pour moi, l’intérêt se situe plutôt au niveau Histoire que personnages.

    Une lecture en demi-teinte donc, sûrement car j’y cherchais ce qui ne s’y trouvait. Je l’aurais lu dans un autre contexte, peut être m’aurait-t-il plu.

    L’avis de Gwenaëlle donc, de FondantGrignote, et un autre sur le site Lecture/Écriture.

    Références

    Du domaine des Murmures de Carole MARTINEZ (Folio, 2013)

  • LEtrangeMemoireDeRosaMasurVladimirVertlibIl y a trois semaines j’ai trouvé ce livre à la bibliothèque de l’institut Goethe. J’étais un peu surprise car allant à Gibert Joseph très souvent, je ne l’avais pas vu sur la table des sorties germanophones. En plus, je le guettais puisque je l’avais repéré pour mes envies de rentrée littéraire à cause d’une phrase de la quatrième de couverture « Vladimir Vertlib écrit là un grand roman russe, énergique, fascinant, qui vous emporte à sa suite aussi sûrement que le cours de l’Histoire ». Le fait qu’un auteur allemand écrive un roman russe m’a tout de suite attiré. C’est donc une première sur ce blog. Vous avez une chronique d’un livre qui sort aujourd’hui (en fait le 18 février, mais j’écris le billet le 17) !!! Je pense qu’il était déjà à la bibliothèque car il y a une rencontre organisée lundi 22 février à la bibliothèque de l’institut Goethe de Paris, à 19h00.

    J’ai adoré ce livre ! Je lui mettrai 4.5/5 sur LibraryThing à mon avis. C’est typiquement le type de roman qui vous remonte le moral (ce n’est pas un livre doudou par contre) en vous plongeant dans un univers romanesque qui vous fait tout oublier.

    Le livre commence par une scène dans la cuisine d’un appartement communautaire, à la toute fin des années 90, à Saint-Pétersbourg, entre un homme âgé d’une soixantaine d’année, Kostik Schwarz, et une prostituée âgée aussi, qui autrefois a appris le français et rêve d’Aix-en-Provence. Kostik vit avec sa femme Frieda et sa mère Rosa Masur, âgée de 92 ans, le fils unique du couple ayant immigré en Allemagne. C’est un peu le débat entre les membres de la famille : doit-on rester en Russie ou partir en Allemagne. Kostik ne fait qu’hésiter et c’est Svetlana, la prostituée, qui l’aidera, le forcera en fait, à prendre la décision d’émigrer. Une fois arrivés tous les trois, c’est la déception. Ce n’est pas aussi extraordinaire qu’on le dit… et surtout, l’important pour Rosa est que Kostik n’est toujours pas heureux. Il rêve d’Aix-en-Provence !

    Un problème financier se pose alors pour Rosa, qui veut absolument lui faire plaisir.Elle tombe miraculeusement sur une solution. À l’occasion du 750ième anniversaire de la ville, Giricht propose à « ses étrangers » de raconter quelque chose d’intéressant contre 5000 marks. Il y aura de nombreux entretiens indemnisés … Elle y voit un coup de la providence et se rend donc aux auditions accompagné de sa meilleure amie, morte depuis 60 ans à Leningrad. Elle a 92 ans tout de même. Plusieurs immigrés russes font la queue mais c’est elle qui sera choisit.

    À 92 ans, Rosa Masur est une femme très décidée et surtout très inventive pour résoudre ses problèmes. Elle va donc commencer à raconter sa vie de juive russe, née dans un petit village de Biélorussie en 1907, dans la Russie tsariste et soviétique (elle ne va pas dans l’Histoire post-soviétique). Elle raconte les pogroms, la Première Guerre mondiale, l’éducation des filles, a fortiori juives, à l’époque, l’envie de faire des études de juriste, l’impossibilité de les faire à cause des « amitiés anti-révolutionnaires » de son père, ou de son grand-père (je ne sais plus), son travail à l’usine pour obtenir une bourse, la Nouvelle Politique Économique (NEP), son mariage, la naissance de ses deux enfants, son travail dans une maison d’édition où elle est chargée de traduire de l’allemand, les difficultés avec Kostik qui était un enfant difficile, l’évacuation de Leningrad à la Seconde Guerre mondiale, en charge de 100 enfants avec seulement quatre autres adultes, le siège terrible de Leningrad, le combat pour faire admettre son fils à l’université à une époque où les juifs soviétiques y avaient très peu accès … Elle ira même jusqu’à rencontrer Staline, tout de même. Elle passe sous silence

    Rien que tout cela résumé en 410 pages, je trouve cela extraordinaire ! Mais, en fait, Vladimir Vertlib glisse dès le départ qu’il peut y avoir des inventions de Rosa dans le récit (plus cela dure, plus il y a de séances indemnisées, plus le voyage à Aix-en-Provence se rapproche). L’auteur le rappellera très régulièrement, un peu comme pour réveiller la conscience du lecteur, qui aurait pu se faire endormir par Rosa. À chaque fois qu’il a fait, je me suis dit en moi-même qu’elle était franchement extraordinaire tout de même. Même inventé tout cela, avec autant de détails, à cet âge, montre un très fort esprit de décision. Esprit énergique qu’elle a d’ailleurs montré tout au long de sa vie. Tout le roman décrit une femme de tête, fière d’elle, ferme dans ses convictions, qui ne s’en laisse jamais compter par les autres. Vous aurez compris que le personnage principal est tout simplement extraordinaire (il m’a beaucoup beaucoup plu).

    Les personnages secondaires sont du même acabit. On ne rentre pas du tout dans leur psychologie mais par contre, chacun est décrit de manière précise dans ses comportements et dans ses gestes. On voit chacun. Cela fait qu’on ne se perd jamais dans le roman. J’ai laissé ma lecture parfois pendant deux-trois jours et à chaque fois, je n’ai eu aucun soucis à me remettre dedans, à retrouver les personnages et à me remettre dans l’ambiance. En fait, pendant ma lecture, ma belle-sœur lisait le livre qu’elle m’a offert à Noël et que je n’ai pas aimé. Elle me disait au téléphone qu’elle comprenait qu’on ne puisse pas adhérer au style mais à l’histoire, quand même elle était bien. Je n’ai rien dit pour ne pas être méchante mais j’avais envie de répliquer en m’aidant de ce livre. En 300 pages, son auteur n’a pas réussi une fois à me faire la Sologne, à notre époque alors que j’y suis passé avec ma mère. Vladimir Vertlib arrive lui à me faire voyager en quelques pages dans un pays que j’ai certes visité (en touriste et donc je n’ai vu ques les bons côtés) mais pas à cette époque. Ne parlons pas de l’histoire qui se résume dans son livre à des histoires d’amour, même pas entières. Par rapport au livre de Vladimir Vertlib, que puis-je dire. À mon avis, c’est la différence entre une histoire romanesque et une histoire qui ne l’est pas (qui ressemble un peu trop à la vie de tous les jours et où l’auteur ne voit pas ou plus l’intérêt d’ajouter ou d’inventer des détails que tout le monde connaît).

    C’est le premier roman de Vladimir Vertlib traduit en français (j’espère qu’il y en aura beaucoup d’autres ou que je pourrais les lire en allemand). Il a été publié pour la première fois en 2001. L’auteur est né en 1966 à Leningrad (Saint-Pétersbourg) et a émigré en 1971 en Israël avec sa famille. Il vit actuellement en Autriche.

    En conclusion, j’espère que vous avez compris que j’ai adoré ce livre, que je vous le recommande si vous aimez les romans avec plein de choses dedans, et pas seulement si vous êtes intéressé par la Russie du XXième siècle.

    Références

    L’étrange mémoire de Rosa Masur de Vladimir VERTLIB – traduit de l’allemand (Autriche) par Carole Fily (Éditions Métailié, 2016)

    P.S. Par contre, je signale que le « mais parents » de la page 286 fait mal aux yeux. Il faut prévoir vos lunettes de soleil.

  • LeConvoyeurDuIIIeReichCJBoxJ’ai pris ce tout petit livre à la bibliothèque à cause du titre, en rapport avec la Seconde Guerre mondiale. Je n’ai donc pas les mêmes avis que sur Amazon, où les gens parlent plus ou moins d’arnaques car le livre est très très court et coûte 8 euros (en ce moment, il est à 2,99 euros en version électronique, pour ceux que cela intéresse).

    J’ai beaucoup aimé cette courte nouvelle, non pas à cause du contexte historique, mais grâce la tempête de neige qui est décrite à l’intérieur du livre. L’histoire commence par l’attaque, à son domicile, d’un vieil avocat (et accessoirement de son chien) par deux « bandits ». Le but est de le kidnapper avec son jeu de clés et de le forcer à ouvrir un chalet (c’est une grosse maison en fait, mais c’est dans la montagne). On apprendra dans le texte qui sont ces deux bandits, qui possédait cette grosse maison dans la montagne et surtout qu’est qu’on peut y trouver.

    On ne va jamais en Allemagne de toute la nouvelle et elle se passe dans un temps contemporain. Cela vous donne un peu une idée du lien ténu qu’il peut y avoir avec le IIIe Reich (2 pages environ). L’auteur s’est inspiré librement d’une brève trouvée dans un journal et donc vraisemblablement, il n’a pas trouvé de matières supplémentaires pour faire un roman historique (c’est plus ou moins ce qu’il précise dans l’interview en postface).

    Par contre, pendant toute la nouvelle, on reste dans le Wyoming, en plein hiver et surtout en pleine tempête de neige. J’y étais totalement. En très peu de pages, l’auteur arrive à faire ressentir la peur de l’avocat, la stupidité des deux bandits, l’absence de visibilité, l’accélération de la tempête, la voiture avançant au pas dans un climat de fin du monde, les dérapages non contrôlés. C’est juste extraordinaire.

    Je sais que C.J. Box écrivait des romans policiers mais je ne sais rien dessus. Est-ce que cela passe toujours dans le Wyoming ? Je demande parce que dans l’interview de fin, il dit qu’il s’est fixé comme but de décrire sa région et de lui rendre hommage. En lisant les résumés des autres livres, cela ne m’a pas inspiré mais peut-être pouvez-vous me donner des conseils par rapport à ce qui m’a plu dans ce livre-ci ? … Je ne suis pas chicaneuse sur l’histoire si le contexte est aussi bon.

    Références

    Le convoyeur du IIIe Reich de C.J. BOX – traduit de l’anglais (États-Unis) par Aline Weill (Ombres noires, 2014)

  • MourirEtPuisSauterSurSonChevalDavidBoscCela fait déjà trois ans que je lisais La Claire Fontaine du même auteur. Quand j’ai pris le livre à la librairie, le libraire m’a dit que c’était différent mais que c’était bien quand même.

    En effet, c’est très différent. David Bosc a découvert l’histoire de Sonia A. dans les notes du poète Georges Henein. Cette femme, fille d’un diplomate espagnole, artiste de son état, s’est suicidée à l’âge de 23 ans, en se jetant par la fenêtre, le 4 septembre 1945. L’auteur n’a trouvé que quelques coupures de journaux relatant cette histoire. Ce livre est donc clairement un roman, même si le personnage principal a existé.

    La première partie du livre, très courte, fait place au chagrin du père suite au suicide de sa fille et surtout à son désir de comprendre pourquoi. Pour cela, il rompt les scellés de l’appartement et cherche un indice. Il découvre un livre où sa fille a tenu une sorte de journal entre les lignes. C’est ce journal qui constitue la deuxième partie du livre.

    Plus qu’un journal linéaire, il s’agit de pensées et d’observations, non articulées les unes avec les autres et non datées. À travers ce journal, on découvre la personne de Sonia et surtout son sens de l’observation et sa capacité à faire vivre ce qu’elle voit. Elle alterne une folie de vivre (et une aptitude à rendre poétique et très fort ce qu’elle vit) avec une sorte de deuil ; c’est un peu l’époque qui veut cela aussi, la guerre vient de se finir. On cherche à panser les plaies tout en voulant reprendre la vie là où on l’avait laissée.

    Je suis toujours un peu gênée quand un livre prend cette forme. Il n’y a pas vraiment de narration ; le but est surtout de rendre un personnage dans toute sa complexité. Du coup, la lecture linéaire est difficile. Si on enchaîne les paragraphes, on ne voit rien. Si on lit un paragraphe puis on repose le livre …, l’écriture frappe par sa capacité à rendre les sensations et sentiments des choses les plus ordinaires (le livre est très physique), à les rendre dix fois plus intéressant. Si on fait ce type de lecture, le livre de David Bosc est un très bon livre. Si on se laisse piéger par la première, clairement on s’ennuie. Le problème est que la première partie du livre encourage à la première version et non à la deuxième et qu’il est difficile de passer de l’une à l’autre.

    Pourtant, c’est aussi un moyen pour l’auteur de faire sentir la différence entre Sonia, qui voit le monde avec une très grande acuité tout en le rendant plus fantasque qu’il ne l’est, avec son père, et son fonctionnement linéaire, qui prend des choses inutiles pour importantes.

    Ce n’est pas le coup de cœur que j’avais eu pour La Claire Fontaine, qui était plus abordable par rapport à ce que je lis d’habitude. C’est un beau livre (avec des passages magnifiques que j’ai noté) mais je ne pense pas qu’il reste longtemps dans ma tête. Désolée.

    Un extrait

    Faire un pas supplémentaire, un pas au-delà, un saut hors de la chose et de la cadence, cet effarant tic-tac de la marche du monde que mon rythme propre contrarie, contrarie à contretemps, par des stridences des apnées, des clappements de lèvres.

    Références

    Mourir et puis sauter sur son cheval de David BOSC (Verdier, 2016)

  • HansFalladaVieEtMortDuBuveurJakobHinrichsTout est parti de l’envie de l’éditeur Peter Graf, en 2013, d’adapter le livre de Hans Fallada Le buveur. Il a chargé le dessinateur Jakob Hinrichs de ce projet car il lui a semblé le plus adapté pour faire ce qu’il voulait.

    Je n’ai jamais lu le livre de Fallada mais ce n’est pas gênant pour la lecture de cette BD (vous pouvez vous aussi vous lancer sans problème). Le roman raconte la descente aux enfers de Erwin Sommer, homme prospère, propriétaire d’un magasin de produits agricoles, marié à une femme parfaite depuis longtemps. Ils viennent d’ailleurs d’acheter une magnifique maison. Elle est si parfaite que c’est plus ou moins elle qui fait que l’affaire fonctionne (ou fonctionnait car elle s’occupe principalement de sa nouvelle maison dorénavant), et ce grâce à son sens de l’organisation et sa méticulosité. Au début du roman graphique, cela fait un an que Erwin Sommer ne va pas bien, a relâché la pression et n’a plus envie de rien. Il vient d’ailleurs de perdre un très gros contrat, l’approvisionnement de la prison, qui faisait que son entreprise fonctionnait encore. Le banquier ne veut plus le suivre. Il commence à boire plus que de raison, se cache pour que sa femme ne s’en rende pas compte. Au final, la bouteille prend tellement d’importance qu’il n’a plus aucun scrupule.

    Le dessinateur Jakob Hinrichs explique, dans une postface, qu’à la lecture du roman le personnage d’Erwin Sommer lui a paru fade, sans humanité. Il s’est alors penché sur la vie de l’auteur et sur le contexte d’écriture. Le Buveur a été écrit à l’automne 1944, à la prison Neustrelitz, par Rudolf Ditzen dit Hans Fallada alors qu’il y était emprisonné pour avoir tiré sur sa femme. Il faut voir que Le Buveur a une (petite) partie autobiographique puisque Hans Fallada avait des problèmes de dépendance à la drogue et à l’alcool. Jakob Hinrichs a trouvé dans l’histoire personnelle de l’auteur de quoi rendre plus épais le personnage de Erwin Sommer.

    Au lieu d’adapter uniquement le roman, il a choisi de mélanger les vies d’Erwin Sommer et d’Hans Fallada de manière vraiment très fluide, et d’en présenter ainsi les similitudes. Par exemple, les deux montrent une certaine lucidité sur leur (la) vie : l’un sur les ravages de l’alcool et l’autre sur ce qui se passe en Allemagne à l’époque. C’est cette manière d’adapter, je pense, que j’ai le plus aimé dans cette BD : voir l’adaptation du roman et apprendre en même temps la manière et le pourquoi ce livre a été écrit. C’est tellement mieux fait que si Hinrichs avait suivi un scénario classique : montrer l’auteur en train de rédiger, puis raconter le livre et revenir à l’auteur !

    Le choix des couleurs est à l’image de la couverture : psychédélique. C’est à mon avis un bon choix pour montrer le changement de perception quand on est sous alcool. L’univers de Fallada est tout de même beaucoup plus sombre puisqu’il est en sevrage forcé et en pleine dépression. Après, on n’adhère ou pas.

    C’est une très bonne adaptation littéraire puisqu’elle donne envie de découvrir l’original ainsi que l’auteur, dont la plupart des écrits restent inédits en français, même s’il est de plus en plus traduits. Je pense que si j’arrive un jour à lire ce livre il me touchera peut être plus, en sachant comment il a été écrit.

    Références

    Hans Fallada : Vie et mort du buveur de Jakob HINRICHS – traduit de l’allemand par Laurence Courtois (Denoël Graphic, 2015)

  • UneAutreIdeeDuSilenceRobynCadwalladerJe ne sais plus trop comment j’ai entendu parler de ce roman, peut être en feuilletant les coups de coeur de la librairie La Procure, sur leur site internet. Je l’ai ensuite emprunté sur le site de la bibliothèque numérique de Paris.

    Vous ne pouvez pas vous imaginer comment j’ai adoré ce livre ! Je n’en avais jamais entendu parler. Depuis, j’ai lu d’autres avis mais il n’était pas très bon (je ne le cache pas) et les commentaires disaient de plutôt lire Du domaine des murmures de Carole Martinez sur le même thème. Donc je demande votre avis : est-ce que cela parle vraiment de la même chose ?

    On est en Angleterre, au XIIIième siècle. Sarah, à peine dix-sept ans, vient de se faire enfermer à vie dans un réclusoir, un endroit où elle ne verra plus le jour directement, où elle n’aura plus de contact visuel avec des hommes, où elle doit limiter son contact avec les femmes … et se consacrer entièrement à la prière. Elle est « morte pour le monde ». Lors de la réclusion, de manière générale, on procédait plus ou moins comme un enterrement (en tout cas, pour les prières).

    Cela me semble juste horrible (en tout cas, pour moi). Je ne comprenais pas comment on pouvait choisir volontairement cette vie, surtout à dix-neuf ans. Commençons par décrire sa vie d’avant. Sarah est la fille aînée d’un riche marchand d’étoffes. Sa mère est décédée quand elle était plus jeune. Sarah et sa sœur, Emma, sont devenues très proches, tout en étant opposé de caractères. Sarah est aussi discrète qu’Emma était exubérante et pleine de vie. Elle voulait profiter de la vie, avoir des bébés, un mari … Elle a eu le mari et le bébé, mais elle est morte en couche, dans les bras de sa sœur impuissante. En fait, Sarah en devenant recluse, décide plutôt de fuir la vie que de se rapprocher de Dieu. Elle fuit aussi son fiancé, fils du seigneur du manoir de la paroisse, le père étant d’ailleurs son mécène et soutien financier. On se doute que ce dernier n’a pas fait ce geste que par pur piété mais aussi pour éloigner une prétendante indigne du rang de son chérubin (comme on se doute que celui-ci n’a pas forcément bien digéré tout cela).

    Pourtant, Sarah montre une exaltation féroce à devenir la plus pieuse possible, en cherchant à respecter au plus près et surtout à la lettre sa règle. Pour cela, elle dispose des modèles des deux précédentes recluses : Agnès et Isabella. Agnès est morte dans sa cellule et est reconnue pour sa très grande piété. Isabella est partie au bout de cinq ans de réclusion (on ne connaît pas les raisons au début du livre). Agnès sera le modèle de Sarah au début du livre. Clairement, cela ne la rendra pas du tout heureuse (ni plus proche de Dieu) car elle cherche à se rapprocher d’un état qu’elle ne peut pas atteindre à son âge, avec son expérience, au tout début de sa réclusion. Au fur et à mesure de sa réclusion, Sarah va de mieux en mieux comprendre Isabella. Cela fait partie de l’évolution du personnage : elle devient plus tolérante, recherche moins la perfection, est plus à l’aise avec sa règle (va même jusqu’à l’interpréter).

    En cela, elle est guidé par trois personnages je dirais : le père Ranaulf, qui est son confesseur, et ses deux servantes Louise et Anna.

    Les chapitres alternent entre les voix de Ranaulf et Sarah, même si c’est elle qu’on entend le plus. C’est un personnage très intéressant. C’est donc un prêtre copiste, obsédé par ses livres et très peu intéressé par les affaires du monde, qui dans un monastère ressemble surtout à des affaires d’argent et d’expansion. Pourtant, quand l’ancien confesseur de Sarah devient trop âgé pour faire le chemin jusqu’au réclusoir, c’est lui qu’on désigne pour prendre la relève. Il a une très basse estime des femmes, surtout de leur capacité à comprendre les textes sacrés sans l’aide des hommes, de leur capacité à résister au péché et comme Sarah, a une idée très stricte de ce qu’est la piété. Lui aussi va évoluer au contact de la recluse vers un petit plus de tolérance dans tout cela.

    Louise et Anna sont donc les servantes de Sarah qui lui ont été affectées. La première est aussi âgée que la seconde est jeune (du même âge que Sarah à peu près). Dans le livre, l’auteur nous explique que les servantes étaient plus ou moins condamnées à avoir la même vie que la recluse. J’ai trouvé que c’était particulièrement sévère de condamner une jeune fille à assumer le choix d’une autre. Pourtant, Anna ne s’en laissera pas compter pour autant, et vivra sa vie comme elle l’entend, même si cela lui fera du tort à cause de sa naïveté et de sa joie de vivre. C’est elle qui apporte une bouffée d’air frais et de tolérance à Sarah. C’est son influence, de manière intentionnée ou non, qui la fera évoluer vers ce qu’elle souhaite. Louise jouera plus le rôle de maman ou de conseillère, possédant un grand sens pratique tout en étant très pieuse.

    À ces quatre personnages se greffent tout une galerie de personnages qui permettent de donner un certain rythme au récit : les femmes et petite fille qui viennent rendre visite à Sarah et lui racontent la vie du village, les malheurs comme les ragots (alors que c’est interdit par la règle), les hommes aussi qui se réunissent dans l’église à laquelle est accolé le réclusoir et que Sarah peut entendre, les seigneurs du manoirs, les moines aussi.

    Je ne vais pas vous mentir : il n’y a pas beaucoup d’actions dans ce livre. Il ne faut pas vous imaginer un dénouement de folie. Le but de Robyn Cadwallader, et elle l’explique dans plusieurs entretiens, est de rendre le ressenti physique, psychologique, moral de la recluse lors de son enfermement. Il est donc logique qu’elle est fait le choix de décrire les premières années de réclusion car c’est là où les sensations sont les plus fortes.

    J’ai trouvé le point de vue physique très intéressant. L’auteur n’insiste pas trop dessus mais arrive à faire passer l’affaiblissement progressif, du au manque d’exercices, à la nourriture mais aussi au manque de lumière. Il y aussi le manque d’hygiène, la forte d’odeur, qui ne devait pas être habituel pour une fille de marchand.

    Ce qui m’a aussi particulièrement plu, c’est l’évolution du personnage de Sarah. Le roman est « long »; il fait quatre cent pages et cette évolution n’a rien de réellement romanesque. Elle se fait progressivement, par petites touches, par réflexions, par influence des autres … C’est le fait que l’auteur ait choisi un temps long pour asseoir son roman et le déroule à un rythme très lent qui donne cette impression. Personnellement, j’ai beaucoup aimé car cela m’a donné l’impression de vivre avec ce village (pas avec la recluse tout de même, car cela reste un état d’esprit particulier), pratiquement de lire une histoire vraie.

    C’est un très beau livre. Je repose donc ma question de départ : est-ce que cela rassemble à Du domaine des murmures de Carole Martinez ?

    Références

    Une autre idée du silence de Robyn CADWALLADER – roman traduit de l’anglais (Australie) par Perrine Chambon et Arnaud Baignot (Denoël, 2015)

  • LeCriquetDeFerSalimBarakatJ’avais ce livre depuis six mois dans ma PAL (et du coup j’ai oublié comment j’en ai entendu parlé), quand je l’ai ressorti après avoir lu un livre d’un auteur portant le même nom (mais pas le même prénom). En fait, je cherchais l’autre livre sur LibraryThing quand il m’a aussi indiqué que je possédais ce livre. Voilà, voilà …

    Le livre est court en plus. C’est le récit par Salim Barakat de son enfance en Syrie, aux débuts des années 50, en pleine guerre, le pays étant déjà instable à l’époque. Salim Barakat n’enjolive pas du tout son enfance et son « personnage » puisqu’il présente dans ce livre cinq tableaux d’une extrême violence sur ses jeux lorsqu’il était enfant. Pendant 100 pages, aucune personne de son entourage ne sera vraiment présenté, ils resteront des ombres. Le contexte n’est que sous-entendu ; il n’y a aucun récit de combat, de révoltes … sauf une fois où il est fait allusion à la manière dont les autres groupes  regardent les kurdes.

    J’ai été vraiment gênée par cette lecture (dans mon confort peut être). La description des jeux d’enfants ne mènent à rien. En tout cas, c’est ce que je me suis au début. C’est violent et voilà : comment j’ai torturé des chats, comment j’ai torturé des grenouilles … cela devient vite long parce qu’on ne voit pas bien où l’auteur veut en venir. Puis, au fur et à mesure de l’avancement de ma lecture, j’ai commencé à voir le style (il est franchement magnifique mais le livre est trop court et trop fort pour pouvoir l’apprécier), les phrases évocatrices des sentiments de l’enfant, d’une sorte de malaise, d’étouffement. Dans le sens où ses gestes étaient comme dictés par quelque chose de plus fort que lui. Puis, après j’ai compris. Ben c’est tout simplement cela une enfance dans un pays en guerre. Des jeux d’enfants avec des pensées et des actions copiées sur les adultes. Plus exactement, le monde des adultes rentrant dans le monde des enfants. À la fin du livre, la seule pensée que j’avais est que c’était franchement tragique. Il n’y a pas une note positive, rien. J’étais triste pour l’auteur car on ne se remet pas de ce genre d’enfance ; j’étais aussi curieuse de savoir comment il était devenu lui, tout simplement.

    En conclusion, ce n’est pas le type de lecture que je recommanderai. Pourtant c’est une lecture qui montre ce qui nous est habituellement caché. Le livre rompt le silence, ne nous montre pas d’images horribles d’enfants en sang, mais donne surtout à comprendre le ressenti d’enfants qui essaient de vivre « normalement » dans un monde où c’est impossible.

    Extraits

    Les extraits que j’ai choisi ne rendent pas compte de l’écriture et du ton du livre. J’ai retenu les passages qui m’ont marqués et qui m’aide un peu à mieux voir ce qui se passe aujourd’hui en Syrie.

    Mais notre haine du Khabour n’arrêta pas son cours. Il demeura le prince des fleuves, un prince bruyant regroupant autour de lui des villages bruyants, des villages qui se partageaient l’espace, les fruits et les coutumes, depuis celles des Assyriens jusqu’à celles des Kurdes et des Yazidis.

    Les village assyriens n’avaient pas leur égal pour la culture de la vigne, tandis que les villages kurdes et yazidis leur étaient supérieurs pour la pâture et l’élevage, et pour quelques petites cultures comme le concombre et le coton. Mais tout cela n’était rien au regard de l’étrangeté des Yazidis.

    En ce temps-là, nous étions des enfants. Et l’histoire qui relègue les Yazidis parmi les sectes ésotériques nous importait guère, pas plus que leurs origines ou les intrigues des anglais qui en avaient fait l’une des minorités du Moyen-Orient, se jouant de nos sociétés noyées dans leur passé jusqu’à l’étouffement ou figées dans la soumission. En ce temps-là, nous étions intrigués et étonnés à la fois par ces hommes qui tressaient leurs cheveux comme les femmes et laissaient pousser des moustaches si épaisses qu’elles cachaient leurs lèvres. Ils étaient sales, ne se baignaient pas et adoraient le roi Paon – le Grand Satan comme ils disaient.

    Ce fur le début de la joie officielle et violente, et celui de la pauvreté populaire et violente. Cela sortit de l’école, gagna le marché puis la maison, pour ne plus la quitter.

    Références

    Le criquet de fer de Salim BARAKAT – récit traduit de l’arabe (Syrie) par François Zabbal (Babel / Actes Sud, 2012)

  • 2084BoualemSansalQuand j’avais postulé à l’opération du Match de la rentrée littéraire, j’avais très envie de lire ce livre parce que j’avais été très marquée par Le village de l’Allemand du même auteur (parce que oui je postule pour des livres que j’ai vraiment envie de lire ou de découvrir). Je n’ai jamais reçu de mail de confirmation donc j’avais pensé ne pas avoir été retenu. Je m’étais donc acheté ce livre à la FNAC un midi. Puis quinze jours plus tard, je reçois un exemple par Chapitre.com. Je me suis dit que cela devait venir de PriceMinister car je ne reçois des livres que par cet intermédiaire ou par Masse Critique (parfois des cadeaux aussi). Cela ne fait donc pas beaucoup de possibilités de me tromper. Si vous avez postulé, vous savez qu’il fallait indiquer le réseau social sur lequel on souhaitait mettre notre chronique. J’ai donc écrit à PriceMinister par l’intermédiaire de leur interface de blog mais ils ne m’ont jamais répondu (alors qu’une personne valide les commentaires). Je me suis dit que ce n’était pas grave parce que je voulais lire le livre, de toute manière. Je l’ai lu aux vacances de décembre mais comme il ne m’a pas particulièrement plu, je ne voulais pas trop faire de billets. Mais en janvier, j’ai reçu un mail comme quoi on me rappelait  que j’avais reçu 2084 – La fin du monde à commenter sur Pinterest (ceci explique l’image à la fin du billet, qui est celle que je vais utiliser pour Pinterest donc) avant le 24 janvier (et oui c’est le dernier jour). C’est un réseau social que je n’utilise que pour les langues et les images de bibliothèque, aucun rapport donc avec les livres … Cela m’a un peu surprise, d’autant que j’utilise plus facilement Twitter pour parler de livres. Tout cela pour dire que l’année prochaine, je ne repostulerai pas parce que je n’ai pas trouvé que c’était très bien organisé, même si j’ai été ravie de recevoir un livre gratuit (que j’avais déjà acheté mais bon …)

    Tout cela pour dire que j’ai été un peu déçu par ce roman. Je n’avais pratiquement entendu que des critiques positives sur lui, excepté à La Dispute de France Culture où si je me rappelle bien il avait été dit que le discours avait peut être été trop privilégié par rapport à la forme romanesque. C’est un peu mon point de vue aussi.

    Je rappelle quand même l’histoire au cas où quelqu’un l’ignore. Ati est depuis deux ans absent de Qodsabad, la capitale de l’Abistan, suite à une maladie. Il a passé la première dans un sanatorium aux confins du pays et la deuxième à en revenir (j’espère que vous vous demandez aussi pourquoi l’absence n’a pas duré trois ans, car il a bien fallu y aller au sanatorium). En tout cas, ces deux années vont changer sa vie. Il va commencer à douter des enseignements et des croyances qui lui ont toujours été enseignés et qu’il a toujours appliqués, entre autre le respect absolu de Abi, prophète, délégué de Yölah sur terre. L’Abistan est en fait une sorte de « dictature », basée sur le contrôle de la pensée et du discours à l’ancienne, c’est-à-dire sans ordinateur. Le langage, les nouvelles, la surveillance des habitants, tout est contrôlé par une sorte d’administration centrale, qui est isolée du reste des habitants. Pourtant, Ati, lors de son voyage de retour, rencontre Nas, qui revient d’une mission d’un nouveau site archéologique, datant d’avant la domination de Abi sur l’Abistan (qui ne s’appelait donc pas comme cela). Ce site témoignerait que la culture précédente était plus évoluée que la culture présente, ce qui est totalement contrairement à tous les enseignements. Rentré dans sa ville, Ati reçoit un bel appartement, un bon travail mais se montre de plus en plus sceptique, alors qu’auparavant il était un des plus zélés. Il se découvre des affinités avec Koa, descendant d’un prêcheur reconnu par tous. Koa s’intéresse particulièrement au contrôle des esprits par la langue et surtout son appauvrissement. Lorsqu’on apprend la disparition de Nas et la réécriture de l’histoire du site archéologique, les deux amis se lancent dans la recherche de la vérité.

    Le parallèle avec 1984 de George Orwell est évident. On retrouve dans les deux livres, par exemple, les ennemis invisibles, qui changent tout le temps pour faire la société dans une sorte de crainte du danger imminent. Boualem Sansal pointe les mêmes problèmes du contrôle des esprits, non par la surveillance comme l’auteur anglais, mais par l’abêtissement pseudo-religieux. Les deux auteurs pointent le fait que cela passe forcément par la langue, la novlangue pour Orwell et l’abilang pour Sansal. En fait, on voit à plusieurs reprises dans le roman que l’appauvrissement de la langue ne permet pas d’accéder et de comprendre réellement les textes fondateurs de la religion, de laquelle on se revendique. On voit bien aujourd’hui la portée politique de ce message aujourd’hui, même si je ne trouve pas que l’auteur, dans son livre en tout cas, s’adresse à une religion particulière. C’est un peu pourtant ce que les médias ont retenus. N’ayant pas la télévision, je ne peux cependant pas savoir comment l’auteur a vendu son livre.

    L’élément qui m’a gêné est que le discours (et l’intention), certes très construit et intelligent, ont pris le pas sur le roman. Boualem Sansal ne montre rien mais dit explicitement ce qu’il faut interpréter de l’action, des faits qu’il vient de nous raconter. L’impression que j’ai eu est que rien ne sort du cerveau d’Ati mais tout est dans la plume de Boualem Sansal, l’écrivain est trop présent dans le livre à mon avis. Tout cela aboutit à un déséquilibre du roman. Au début, l’auteur a besoin de nous expliquer beaucoup de choses puisqu’il doit construire un nouveau monde. Il intervient donc beaucoup, le rythme du livre est très lent, s’accélère progressivement (on arrive même à un équilibre à un moment) pour retomber ensuite. En effet, une fois que l’auteur nous a dit tout ce qu’il avait à nous dire, il doit aussi finir le roman (c’est le livre 4 qui ne commence qu’à la page 213 sur 274). Comme cela ne l’intéresse pas franchement, Boualem Sansal nous propose une fin bien trop facile, qui n’est pas digne du reste de son livre.

    Beaucoup d’éléments restent pourtant inexploités. Je pense en particulier à l’importance des familles régnantes dans la direction du pays (parce qu’Abi est mort depuis le temps, en tout cas c’est ce que j’ai compris à demi-mots). D’autres éléments sont incohérents. Les réflexions d’Ati semblent un peu nées de nulle part. J’ai du mal à comprendre qu’un homme éduqué dans un tel pays soit capable, tout de suite, sans intervention extérieure, soit capable d’employer de suite un tel vocabulaire, un tel langage pour exprimer des idées qu’il n’avait jamais eu auparavant. Le roman commence après mais je trouve qu’il aurait intéressant de savoir comment on commence à douter du monde dans lequel on vit, de la manière dont évoluent les pensées et comment elles gagnent en précision.

    Pour résumer, le livre est très intéressant, est écrit par un homme érudit mais la construction pèche et dessert finalement le roman, mais pas le propos. C’est donc un avis très mitigé pour moi et une légère déception par rapport au Village de l’Allemand qui présentait les mêmes qualités sans les défauts.

    Extraits

    Koa, que travaillait une certaine révolte encore juvénile, tournée contre la figure oppressive du grand-père, partit ensuite s’établir comme professeur d’abilang dans une école d’une banlieue dévastée et là, comme dans un laboratoire de campagne mis à sa disposition, il put vérifier in vivo la force de la langue sacrée sur l’esprit et le corps de jeunes élèves, nés et élevés pourtant dans l’une ou l’autre langue vulgaire et clandestine de leur quartier. Alors que tout dans leur environnement les vouait à l’aphasie, à la déchéance et à l’errance dans la désunion, ils se muaient en croyants ardents, rompus à la dialectique et déjà juges unanimes de la société après un petit trimestre d’apprentissage de l’abilang. Et la couvée, criarde et vindicative, se proclamait prête à prendre les armes et à partie à l’assaut du monde. Et de fait, physiquement aussi ils n’étaient plus les mêmes, ils ressemblaient déjà à ce qu’ils seraient après deux ou trois terrifiantes Guerres saintes, trapus, bossus, couturés. Beaucoup estimaient qu’ils en savaient assez et qu’ils n’avaient pas besoin de plus de leçons. Pourtant Koa ne leur avait pas dit un traître mot de la religion et de ses visée planétaires et célestes, ni enseigné un seul verset du Gkabul, sinon la salutation courante « Yoläh est grand et Abi est son Délégué » qui n’avait après  tout, chez les gens heureux, qu’une façon un peu grandiloquente de dire bonjour. D’où venait le mystère ? Koa se posait une autre question, plus personnelle : pourquoi le mystère ne l’avait pas affecté, lui qui était dans l’abilang et le Gkabul, les connaissait intimement, et dont l’ancêtre était un virtuose de la manipulation mentale de masse ?

    Si d’aucuns avaient pensé qu’avec le temps et le mûrissement des civilisations les langues s’allongeraient, gagneraient en signification et en syllabes, voilà tout le contraire : elles avaient raccourci, rapetissé, s’étaient réduites à des collections d’onomatopées et d’exclamations, au demeurant peu fournies, qui sonnaient comme cris et râles primitifs, ce qui ne permettait aucunement de développer des pensées complexes et d’accéder par ce chemin à des univers supérieurs . À la fin des fins régnera le silence et il pèsera lourd, il portera tout le poids des choses disparues depuis le début du monde et celui encore plus lourd des choses qui n’auront pas vu le jour faute de mots sensés pour les nommer.

    Références

    2084 – La fin du monde de Boualem SANSAL (Gallimard, 2015)

    2084 - La fin du monde de Boualem SANSAL_petitPour ceux qui se posent la question, j’ai conscience de l’ironie de donner mon avis par un dessin sur un livre dénonçant l’appauvrissement de la langue.