Cecile's Blog

  • sluisseabraJ’ai emprunté samedi ce livre à la bibliothèque, même si j’avais le premier roman de cet auteur, F, dans mon reader (bien sûr, non lu). Je dirais que mal m’en a pris car il reprend dans ce livre S, l’univers qu’il avait créé dans son premier roman. En l’expliquant moins, je suppose. Je me suis donc perdue en cours de route car je n’ai pas bien compris où l’auteur voulait en venir car il ne s’agit pas d’une dystopie classique (avec une description détaillée d’une société où le contrôle est omniprésent, et pourtant c’est bien ce type de société qui est décrit ici) mais une sorte de mise en abîme d’une situation qui est omniprésente dans cette société : la distinction entre le vrai et le faux, entre le rêve et la réalité plus exactement. Jugez plutôt.

    On retrouve un des personnages, Zuhl, qui était déjà présent dans le roman F. Suite à la réussite de sa mission, Zuhl reçoit une nouvelle promotion, celle d’intendant général au « très prestigieux ministère des Lectures et des Publications ». Pourquoi très prestigieux ? Dans le pays où se situe l’action, les livres d’imagination ont été supprimés (leurs auteurs sont considérés comme des populations non intégrables ») et ont été remplacés par des livres mêlant fiction et réalité. En effet, dans ces registres, on retrouve la version « officielle » de ce qu’il se passe dans la réalité, je dis bien officielle car la version est réécrite, le reste n’étant qu’oeuvre d’imagination du pouvoir. Ainsi, lors de « lectures enjointes », les autorités contrôlent l’adhésion des « populations intégrables » à l’orientation du régime, et ce de la manière suivante :

    [Les lectures enjointes] avaient lieu habituellement une fois par an. Les habitants étaient convoqués, à des dates différentes, par groupes de tailles diverses en fonction de l’importance de chaque localité. On les rassemblait dans une grande salle, au sein de la bibliothèque officielle du bourg, généralement attenante au pénitencier. Un jury composé du directeur de l’établissement (ou d’un de ses adjoints), du bourgmestre et d’un agent des brigades de vérification présidait aux séances.

    Trois versions presque identiques d’un même texte étaient lues tour à tour par chacun des membres du trio. Puis on demandait aux citoyens de se prononcer, à main levée, sur le caractère « falsifié » ou non de chacune d’entre elles. Il arrivait que les trois versions le soient.

    Les falsifications étaient souvent difficiles à détecter. Un adverbe, une incise ajoutée ou oubliée, signalaient parfois le bon verdict. Les résultats, quoi qu’il en soit, n’étaient jamais connus des individus eux-mêmes. Mais il était certain que ceux qui avaient livré deux ou trois mauvaises réponses recevraient quelques semaines après une nouvelle lettre les invitant à participer à des séances de « lecture contrainte ». Un échec lors de ces dernières entraînait inéluctablement une future « séparation préventive ».

    Cette épreuve est d’autant plus difficile que les livres théorisant le régime comprennent toujours plus d’une vingtaine de tomes. Connaître tous les textes par cœur revient à dire que personne ne travaille et passe son temps à étudier les livres, ce qui même dans cette société, n’est pas le cas de tout le monde !

    Zuhl est chargé d’organisé le jubilé du cinquantième anniversaire du régime. Il décide faire la « fête » dans la Bibliothèque générale (l’équivalent de notre Bibliothèque nationale). Celle-ci est dirigé par un certain Aloïs, qui n’a plus les faveurs du régime. Zuhl s’adjoint les services d’un agent zélé, le fameux S, pour assurer la sécurité de l’événement. Mais malheur ! Au cours de la journée disparaît de la Bibliothèque un des livres interdits. Jusqu’à présent, je vous ai raconté les vingt premières pages environ et personnellement, je trouvais que cela s’annonçait bien, même si je me suis rapidement rendue compte qu’il allait me manquer les références du premier tome (je précise qu’il n’est pas dit sur la quatrième de couverture qu’il faut avoir lu un tome avant l’autre … ce n’est pas ma faute donc).

    Par la suite, l’auteur reprend le récit des trois personnages principaux (Zuhl, S et Aloïs) après l’événement. Ainsi, au lieu de décrire les conséquences du vol du livre interdit, il décrit les conséquences (et donc les sanctions) qui sont prises contre les trois hommes. Ils ne se contentent pas d’aller dans une prison classique, mais vive de manière continue des scènes dont on ne sait pas si elles sont réelles ou rêvées, brouillant réalité et fiction, pour les personnages … mais aussi pour le lecteur.

    On retrouve de plus en plus, au cours du récit, les personnages de F et donc je pense que ma déroute vient de là en partie. Pourtant, je trouve qu’il manque quelque chose au livre : un peu plus de clarté (quitte à être plus long mais plus explicatif) et une finalité plus affichée à mon avis.

    Si vous avez lu F, et si ce que j’ai dit vous rappelle des situations du premier tome, n’hésitez pas à me le dire dans les commentaires. De toute manière, comme je le disais, j’ai F en ebook et donc je le lirais mais cela me motiverait de savoir que je comprendrais quelque chose en lisant le premier livre de l’auteur.

    Références

    S de Luis SEABRA (Rivages, 2016)

  • lhommeaugrandbiuwetimmComme d’habitude, j’ai pris cette nouvelle allemande de la rentrée littéraire à la bibliothèque de l’Institut Goethe à Paris. Cela a du bon quand même d’aller dans une bibliothèque où personne ne prend les livres en français qui sont disponibles … Cela faisait que je voulais lire Uwe Timm. J’ai À l’exemple de mon frère dans ma PAL, mais aussi Die Entdeckung der Currywurst (en roman et en BD, tous les deux en allemand, qui étaient trop compliqués pour moi il y a un an mais je vais réessayer bientôt je pense). Donc par pur manque de logique et voulant découvrir Uwe Timm, j’ai pris cet ouvrage, tout nouvellement paru, pour satisfaire ma curiosité.

    Le narrateur raconte tout au long de ce livre la vie de son grand-oncle Franz (qu’il appelle oncle), l’hurluberlu de la famille puisqu’il est connu pour avoir eu l’idée fixe de propager la pratique du grand-bi dans sa ville de Cobourg (en Bavière), dans les années 1880 (je pense). Franz Schroeder est naturaliste de profession (on voit d’ailleurs sa boutique sur la couverture, juste en face de celle du boucher). Alors qu’il y a déjà trois naturalistes dans la ville, il s’installe tout de même en ville, avec sa femme Anna. Il se distingue par des compositions très réalistes (alors que celles de ses concurrents ressemblent plutôt à des saucissons), qui sont admirées certes (dans la vitrine) mais qui font surtout très peur. Il a donc très peu de commandes au début du livre et de son activité. Formé quelques temps en Angleterre (d’où sa pratique particulière), il a pu découvrir ce drôle de vélo, le grand-bi, qui y fait un tabac. Il décide d’en commander un en Angleterre pour le faire découvrir à la population de la petite ville allemande. Il espère que cela lui permettra de développer son activité mais donnera aussi l’envie à ces concitoyens de s’initier à cet art, bon physiquement mais aussi moralement.

    Une fois, son vélo arrivé, en pièces détachées, il le monte et commence à apprendre à en faire. Cela occasionne bien évidemment de nombreuses chutes, qui se font sous les quolibets de la population, qui se changent en horreur quand Franz perd deux phalanges du petit doigt dans la bataille. Malgré tout, Franz décide de se lancer comme unique représentant de la marque anglaise et de commercialiser ces vélos de la mort. Au fur et à mesure que sa pratique s’améliore, Franz vend de plus en plus de grand-bi et devient le professeur de la ville. La seule personne à qui il ne veut pas apprendre à en faire, c’est sa femme Anna.

    J’ai adoré le personnage de cette femme, à la fois d’époque dans ses habits, ses croyances et ses manières, mais éminemment moderne dans la manière qu’elle a de parler à son mari. C’est elle qui apporte tout l’humour du livre. Alors que son mari est extrêmement rêveur, aventurier et buté, elle arrive à le faire changer d’avis par un mot, en renversant la situation par son bon sens tout simplement. Elle est toujours là pour soigner les bleus du corps et les coups à l’âme, sans dire je te l’avais bien dit mais en le sous-entendant fortement. Au couple s’ajoute des personnages hautement pittoresques. Du Duc à l’ouvrier d’usine’en passant par le boucher, imitateur de cris d’oiseaux, tout le monde est là. Uwe Timm décrit une société fermée et provinciale, de l’ancienne époque, qui commence à être confronté aux progrès techniques et aux changements.

    Le grand-bi est le vecteur de ce changement dans la ville de Cobourg. On y voit une société tiraillée entre ses traditions (doit-on autoriser la femme et l’ouvrier à faire du vélo) et la curiosité de découvrir ce nouveau mode de locomotion. J’ai d’ailleurs beaucoup aimé la réflexion sur la rapidité des déplacements. Avant l’introduction du vélo, les gens « normaux » se déplaçaient pour la plupart à pied pour les trajets quotidiens (je sais bien qu’il y avait le train et les chevaux sinon). Cette lenteur est aujourd’hui concurrencé par le vélo. C’est donc du temps gagné pour les loisirs. Mais à quoi va-t-on occuper ces loisirs ? Est-ce qu’il n’y a pas risque de dépravation ? Surtout pour un ouvrier qui a quatre heures par jour de trajet en plus de son travail quotidien, est-ce que cela ne va pas trop l’émanciper ? (ahlalala, je t’en donnerai du bourgeois moi, ils n’avaient qu’à le faire aussi si c’était si facile). On voit toute une catégorie de personnes cherchant à garder ce qui fait qu’ils se sentent supérieurs. Je n’avais jamais réfléchi sur le fait que le vélo et plus généralement le changement de rythme pour les déplacement ait été cause d’autant de questionnements et de bouleversements. J’ai trouvé cela très intéressant. Bien sûr, le grand-bi restait très cher et d’ailleurs l’arrivée du bicycle bas démocratisera quelque peu la pratique du vélo aux femmes et aux ouvriers, même à Cobourg.

    C’est sur cet événement que se termine l’histoire d’Uwe Timm (je ne dévoile rien parce que je suppose que vous le saviez depuis longtemps). En refermant le livre, on se prend à être nostalgique de cet oncle Franz et cette tante Anna. À travers une chronique familiale très réussie avec des personnages haut en couleur, l’auteur réussit à faire revivre une époque révolue et ce de manière passionnante et très drôle, même pour les personnes qui ne sont pas intéressées par le vélo.

    Références

    L’homme au grand-bi de Uwe TIMM – traduction de Bernard Kreiss – 24 dessins de Sophia Martineck (Le nouvel Attila, 2016)

    Un siècle de littérature européenne – Année 1984
  • ArmeeDeTerreCuiteRenzoRossiJ’ai commencé mes lectures sur la Chine ancienne par ce livre sur l’armée de terre cuite. Mon idée était de partir de mes connaissances de bases et la seule connaissance que j’avais sur la Chine ancienne était qu’il y avait des soldats de terre cuite enterrés dans la tombe d’un roi quelconque et que cela datait d’il y a très longtemps.

    Heureusement, le livre de Renzo Rossi, L’armée de terre cuite – Les guerriers de la chine ancienne, a corrigé toutes ces idées idiotes. Contrairement à ce que je pensais, l’armée de terre cuite n’est pas enterrée avec l’empereur mais autour de gigantesques fosses autour du mausolée non pas de n’importe quel roi, mais juste Qin Shi Huangdi, premier empereur de Chine ayant vécu au IIIe siècle avant J.-C. (je n’étais pas loin pour la date, tout de même), dans un complexe formant plusieurs km2.

    Dans un premier temps, Renzo Rossi brosse une description très intéressante du site archéologique en lui-même. Il faut savoir que le premier soldat a été découvert par des paysans en 1974. Depuis le site n’a cessé d’être fouillé. Pour l’instant, ont été mis à jour trois fosses pleine de soldats de différents régiments diront nous et une fosse vide, le mausolée de l’empereur n’a pas encore été fouillé et je me demande s’il le sera un jour (si vous avez un élément de réponse, je suis preneuse). La collection à laquelle appartient l’ouvrage s’intitulant Les grands mystères de l’archéologie, je m’attendais à ce que l’auteur décrive par le menu les différentes hypothèses du pourquoi cette fosse vide, qui a travaillé sur ces terres cuites, combien d’hommes. Que nenni. L’auteur donne des éléments de réponse mais ne donne pas ses sources. À lire le livre, les grands mystères de l’archéologie semblent en réalité plutôt très bien compris.

    Devant tenir quand même un certain nombre de pages, l’auteur commence alors à vulgariser et très bien (n’ayant aucunes connaissances, j’ai appris plein de choses) sur la période historique tout simplement. Après un rappel historique de ce qui a précédé l’empire de Qin Shi Huangdi (premiers habitants, âge de Bronze = dynasties Xia, Shang et Zhou, Époque des Printemps et des Automnes, Période des Royaumes Combattants), l’auteur donne une première idée de la forme de l’empire du premier empereur, puis continue à suivre le fil de l’histoire en parlant de la dynastie des Han. Il revient ensuite sur la vie quotidienne de l’époque : vie religieuse, vie après la mort, agriculture, commerce et structure de la ville chinoise.

    À souligner, l’ouvrage est richement illustré avec des illustrations de bonne qualité, toujours très à propos.

    Si on résume, il y a une soixantaine de pages sur les soldats de terre cuite et cent vingt sur la Chine ancienne. Si je fais le bilan de ma lecture, je dirais que ce qu’il en sortira sera positif. J’ai appris beaucoup de choses sur la manière de vivre à l’époque mais aussi sur la chronologie des évènements. Cependant, les dates restent plutôt floues dans ma tête (je n’ai pas fait d’effort pour les retenir au cours de ma lecture aussi). Le livre a aiguisé mon appétit sur le sujet (c’est ce que je demande à un ouvrage de vulgarisation) mais n’est pas une fin en soi pour comprendre de manière correcte la Chine ancienne.

    3minutesComprendre50FaitsCHineAncienneYijieZhangLa même semaine, je suis tombée au Relay de Paris Saint-Lazare sur 3 minutes pour comprendre les 50 faits les plus marquants de la Chine ancienne de Yijie Zhuang (qui est le directeur de l’ouvrage et donc pas le seul rédacteur). Quand j’ai trouvé ce livre, j’étais absolument ravie car je voulais lire un livre de cette collection depuis très longtemps, la voyant dans tous les rayons de vulgarisation scientifique (ils n’ont pas que des livres sur ce sujet mais je ne fréquente pas forcément les bons rayons).

    J’ai donc ouvert pour la première fois un livre de cette collection ! Pour vous décrire, les 50 faits marquants sont divisés en thématiques, 7 dans ce livre : La terre, l’architecture et les États ; les grandes découvertes ; les bronzes et les rituels ; les sciences et la société ; l’au-delà et les croyances ; l’écriture et la philosophie ; la guerre, les transports et le commerce. Chaque thématique a sa couleur. On trouve dans chaque thématique un glossaire, une biographie d’un personnage jouant un rôle dans la thématique et entre 6 et 8 faits marquants. Chaque fait marquant est présenté sur une double page : à gauche le texte, à droite l’illustration. Le texte est divisé en plusieurs catégories : condensé en 3 secondes, histoire en 30 secondes (le texte principal), fouille en 3 minutes, biographie en 3 secondes et histoires liées (renvoyant à d’autres faits dans le livre).

    Le livre en lui-même est très surprenant car il est hybride : on n’est ni dans un ouvrage de vulgarisation, ni dans un ouvrage scientifique. Il rentre trop dans des détails très particuliers de cette période sans avoir donné d’aperçu vraiment global de la période. La lecture préalable de l’ouvrage de Renzo Rossi m’a beaucoup aidé pour tirer quelques profits de la lecture de ce livre-ci.

    L’ouvrage cherche tout de même à vulgariser des sujets très complexes, avec des textes très courts et rigoureux. Ainsi, on voit très clairement que l’ouvrage est écrit par des chercheurs car chaque fait est justifié par une découverte archéologique, qui elle-même est détaillée dans la rubrique fouille en 3 minutes. Il est aussi indiqué là où il y a encore débat. On a l’impression d’avoir une photographie à un instant t d’une science en marche. Je trouve cela très intéressant mais surtout très ambitieux.

    Le point faible de l’ouvrage est son illustration. La plupart du temps, elle n’est pas à propos, pas vraiment jolies, pas vraiment mise en page. Le problème vient du format de la collection qui oblige à forcément avoir une illustration sur chaque double page car quand quand l’illustration est là, elle est vraiment bien faite. En général, ce sont celles montrant les découvertes archéologiques : il y a une volonté de toujours situer l’endroit de la découverte sur une carte, d’indiquer à quoi servent des objets dont l’utilisation n’est pas toujours évidente à comprendre. L’illustration sert le texte. Parfois non. Je pense par exemple à la première thématique, pour le fait « Fleuves et moussons », il y a une photo d’un fleuve avec un caractère chinois mais vous ne savez pas lequel. Je sais à quoi ressemble un fleuve donc cela ne m’apporte rien. Par contre, l’illustration du fait « Chars et chevaux » expliquent très bien l’usage des objets présentés.

    En résumé, l’illustration est très inégale, le texte est rigoureux et ambitieux (cela doit être la vulgarisation intelligente dont parle la quatrième de couverture).

    D’autres livres qui peuvent être intéressants sur le même sujet

    Dans cette section, je vais classer les ouvrages qui sont intéressants mais dont je ne suis pas le bon public. Mon but initial est de me renseigner sur la culture chinoise (vie quotidienne, vie religieuse, organisation du territoire…), en sachant que je suis complètement néophyte sur le sujet. Les livres suivants m’ont appris des choses mais soit sont trop précis, soit supposent des connaissances préalables que je n’ai pas (en archéologie ou en histoire de l’art par exemple).

    Bien évidemment, je n’ai pas pu m’empêcher de lire le Découvertes Gallimard sur le sujet et qui est intitulé La redécouverte de la Chine ancienne. Il a été écrit par Corinne Debaine-Francfort.LaRedecouverteDeLaChineAncienne

    Il est divisé en six chapitres. Après un premier chapitre traitant de l’histoire de l’archéologie chinoise, l’auteur passe en revue le néolithique chinois, le temps des Shang, des Zhou, du premier empereur Qin Shi Huangdi et le temps de l’empire des Han. Toutes ces périodes sont donc décrites par le prisme de l’archéologie.

    J’ai beaucoup aimé ce livre pour plusieurs raisons. Les différentes périodes historiques sont très bien décrites. On situe très bien, temporellement et spatialement, chaque période / dynastie (voire la coexistence des périodes). Par rapport aux livres que j’ai lu précédemment, c’est un très net apport de ce volume-ci. De plus, l’auteur prend le temps de décrire chaque illustration de manière très précise. Je me suis surprise à prendre de l’intérêt à la description des découvertes archéologiques, à la particularité de pièces apportant de l’information aux connaissances actuelles.

    Le problème est qu’à un moment, j’ai saturé. Il y en avait trop, je n’arrivais plus à situer, plus à retenir. Pour là, le format m’est apparu trop court. Ce n’est pas un problème de pédagogie de l’auteur mais vraiment qu’il y a à un moment trop d’informations pour le lecteur lambda.

    Pour une fois, j’ai aussi beaucoup aimé la partie Textes et Documents, que j’ai trouvé vraiment intéressante pour comprendre l’évolution de l’archéologie s’intéressant à la Chine ancienne.

    Pour être honnête, j’avais lu avant le Découvertes Gallimard un gros livre que j’avais trouvé à la bibliothèque (en fait c’est la bibliothécaire qui me l’a mis dans les mains) sur le même thème : La Chine – 5000 ans d’histoire et d’archéologie, paru aux éditions Belfond, en 1985.

    La démarche est tout autre que pour l’ouvrage précédent. Le fil est chronologique : on va du néolithique à la dynastie des Ming, sans qu’aucune période ne nous échappe (dynastie Shang, dynastie Zhou, Qin Shi Huangdi, dynastie des Han de l’Ouest, dynastie des Han de l’Est, dynastie du Nord et du Sud du IIIe au VIe siècles, les dynasties Sui et Tang, dynastie Song, dynastie Ming). Pour chaque période, les grandes découvertes archéologiques sont ensuite détaillées par site.

    Les rappels historiques sont extrêmement brefs et supposent un grand nombre de connaissances. Par contre, les différentes particularités des objets trouvés sur les sites archéologiques sont particulièrement détaillés. Mais alors vraiment beaucoup détaillés ! Savoir que la statue fait 62.3 cm plutôt que 62.4 cm m’intéresse peu et pourtant c’est le type de détail qui est présenté. Si dans le Découvertes Gallimard sur La redécouverte de la Chine ancienne, j’avais été un peu perdue dans les descriptions des poteries, des bronzes … là, je me suis complètement noyée.

    Le livre apporte très peu d’informations pour comprendre l’évolution de la société chinoise, mais par contre en lisant ce livre, on peut apprendre énormément sur l’évolution de l’art chinois. Il faut juste être le bon public.

    Un autre bémol est que le peu de photos de paysages ou de sites de fouilles sont floues (je ne vois pas trop l’intérêt de mettre ce genre de photos). Par contre, les photos d’objets sont très nettes.

    Si vous êtes intéressés, je pense que le livre ne peut que se trouver en bibliothèque (peut être aussi en occasion).

    LaChineAncienneEmmanuelleLesbreAutre ouvrage sur la Chine ancienne : La Chine ancienne de Emmanuelle Lesbre, avec la collaboration de Marie Laureillard. C’est un tout petit livre de 90 pages, très intéressant et bien construit mais ne s’adressant pas forcément aux néophytes. Là encore, le livre s’intéresse à l’histoire de la Chine ancienne par le prisme de l’archéologie, et plus particulièrement des rites puisque la plupart des objets témoignant de cette période ont été retrouvés dans des tombes. Le texte se décompose en trois parties, les deux premières plus importantes que la dernière.

    La première partie est intitulée Les ateliers de la Chine ancienne et décrit, par matériaux, « l’ensemble des objets » que l’on a pu trouver dans les tombes (description, utilisation supposée) mais aussi l’évolution de la manière dont les Chinois ont travaillé ces matériaux. Je n’ai jamais lu une explication aussi claire du travail du jade, des métaux et du laque ! C’est la partie qui m’a le plus plu.

    La deuxième partie est intitulée Dans l’oeuvre – Les rites funéraires. Elle décrit par le menu les rites funéraires et leur évolution au cours des siècles. C’est intéressant mais à mon avis moins novateur dans la présentation et pas du tout dans le texte car je n’ai pas vraiment appris plus que ce que j’avais déjà lu. Par contre, là encore, on ne peut saluer que la clarté des explications.

    La troisième partie est courte mais permet de préparer un voyage en Chine si l’on s’intéresse particulièrement à l’archéologie du pays. Je ne sais pas si cette présentation est encore d’actualité puisque le livre a été publié en 2000, mais en tout cas c’est un début de piste.

    Pourquoi ce livre ne s’adresse pas à des néophytes ? Tout simplement parce qu’il n’y a ni carte ni chronologie dans le texte. Il y a une carte au début de la troisième partie et une chronologie simplifiée à la fin. Pour s’adresser aux néophytes, à mon avis, cela aurait été plus judicieux de mettre la carte au début ou en tout cas aux moments où les différents endroits étaient cités et la chronologie n’aurait du être qu’un support du texte pour ce qui est de s’y retrouver dans les dates (il n’y a même pas de renvoi).

    En conclusion, un très bon ouvrage mais à réserver à une deuxième étape de recherches bibliographiques.

    Je voulais présenter d’autres livres mais le billet est déjà bien assez long ! Ce sera pour la prochaine fois.

    Références

    L’armée de terre cuite – Les guerriers de la Chine ancienne de Renzo ROSSI – traduit de l’italien par ? (Éditions Eyrolles, 2010)

    3 minutes pour comprendre les 50 faits les plus marquants de la Chine ancienne de YIJIE Zhuang (directeur d’ouvrage) – traduit de l’anglais par Elisa Guenon (Le Courrier du livre, 2015)

    La redécouverte de la Chine ancienne de Corinne DEBAINE-FRANCFORT (Découvertes Gallimard, 2012)

    La Chine – 5000 ans d’histoire et d’archéologie de Hubert DELAHAYE et HAN Zhongmin – présenté et commenté par Wang Fangzi et Nebojsa Tomasevic (Belfond, 1985)

    La Chine ancienne de Emmanuelle LESBRE – avec la collaboration de Marie LAUREILLARD (Hazan / Paris Musées, 2000)

    P.S. : Je m’absente quelques jours pour le travail (pour une fois, je pars quelque part, c’est assez miraculeux). À bientôt !

  • lenoyaublancchristophheinLe noyau blanc est le nouveau roman de l’auteur Christoph Hein, qui a déjà publié aux éditions Métailié plusieurs livres dont Prise de territoire et Paula T., une femme allemande (qui reparaît en cet automne dans la collection de poche de chez Métailié, Suites). Christoph Hein était un intellectuel très en vue dans la RDA des années 1980, au côté de Christa Wolf. Il est dit dans le Matricule des Anges de septembre 2016 que Christoph Hein est « un indéfectible observateur de son pays après sa réunification » et « reste ici encore à l’écoute de l’époque ». Je suis plus proche de cette analyse que celle de la quatrième de couverture où il est écrit que « Christoph Hein analyse à sa manière sobre et incisive la façon dont la chute du Mur et la réunification ont profondément modifié le cours de la vie des Allemands de l’Est ».

    Christoph Hein situe en effet son histoire à Leipzig, dans l’ex-RDA, mais cela n’intervient pas du tout dans le roman, en tout cas pas de manière claire comme dans le roman de Judith Schalansky L’Inconstance de l’espèce. Le personnage principal du roman s’appelle Rüdiger Stolzenburg. Il est âgé de 59 ans et occupe un demi-poste à l’université. Il enseigne Shakespeare et Confucius à des jeunes que cela n’intéresse pas car ils ne voient pas comment ils pourront s’en servir dans leur futur professionnel, qui ne pourra être que non littéraire. Au début du roman, Rüdiger croit encore qu’il pourra disposer un jour d’un poste à temps complet. Il est vite détrompé par son supérieur. Il ne pourra pas avoir ce poste à cause de son âge ; on préférera un jeune moins expérimenté et donc moins cher. Il peut même s’estimer heureux qu’on ne supprime pas son demi-poste. Il faut faire des économies de toute part, trouver de nouvelles sources financières. Tout cela n’est pas joyeux. On a affaire à un Rüdiger complètement démotivé. Alors qu’au début de sa carrière, il préparait de nouveaux cours chaque année, il recycle maintenant un peu comme tous les profs. Comment fait-il pour survivre avec si peu d’argent ? Il se prive de tous les côtés ; il écrit aussi de petits articles pour la presse, donne des cours dans d’autres écoles mais là encore ces sources de revenus commencent à se tarir … Dès lors, le ciel lui tombe sur la tête dès lors que les impôts exige de lui une somme considérable suite à un redressement fiscal. Ce n’est pas la joie donc pour notre « héros ».

    Côté sentimental, il n’est pas au mieux de sa forme non plus, mais il est plus désagréable et un peu moins caliméro. Il entretient une relation avec une femme qui l’adore et ferait tout pour lui. Pourtant, elle ne lui convient pas (à mon avis, cela vient du fait qu’elle est peut Être un peu trop à son service justement, elle a aussi un travail moins intellectuel que lui). Il ne va donc pas hésiter à profiter des services d’entremetteuse de la bibliothécaire de l’université, quand celle-ci lui propose de lui présenter une amie : Henriette. Elle a en effet beaucoup plus belle prestance, est peut être beaucoup plus jolie. Pourtant, à mon goût, elle fait beaucoup de simagrées et entretient une sorte de mythe d’inaccessibilité (j’espère que vous avez compris que je l’ai trouvé casse-pied).

    Comment Rüdiger se console-t-il ? Avec sa passion secrète, son thème de recherche confidentiel dont il espère retiré un jour gloire et honneur : Friedrich Wilhelm Weiskern (d’où le titre Weisser Kern = le noyau blanc), « célèbre » topographe mais connu surtout pour avoir été un des librettistes de Mozart. C’est là que l’on retrouve toute la flamme de l’intellectuel et du chercheur. D’ailleurs, il n’en croit pas ses yeux quand un homme le contacte pour lui vendre des lettres inédites de son Weiskern. C’est un peu le moment suspens du roman.

    On peut diviser les thématiques du livre en deux : l’argent contre la culture d’un côté, l’amour de l’autre.

    Stolzenburg jalouse ses élèves dont un particulièrement, qui est le futur héritier d’une entreprise de batterie, appartenant à son père et à son oncle. Cependant, pour hériter de la part de son oncle, qui est légèrement fantaisiste, il se doit d’obtenir un double diplôme, scientifique et littéraire car l’oncle possède une grande collection d’autographe. Le diplôme scientifique ne pose pas de problèmes au jeune homme ; le diplôme littéraire beaucoup plus, et particulièrement la matière de Rüdiger. Il décide donc tout simplement de l’acheter. Ce n’est pas la première proposition que reçoit l’enseignant et pas la dernière. Les demoiselles ne proposent pas d’argent mais tout simplement leurs faveurs pour obtenir de bonnes notes. D’autres enseignants n’hésitent pas à accepter. Rüdiger lui n’est pas dans le refus franc et immédiat. Il semble toujours être au bord de la falaise, toujours du bon côté mais à deux doigts de tomber. Il observe bien la perte d’intérêt des autres vis à vis de son savoir et de ses connaissances, et se demande perpétuellement pourquoi lui aussi ne bénéficierait pas de cet argent qui semble couler à flot quand on fait un métier tendance ou tout de moins qui est utile pour la société (vous ne pouvez pas vous imaginer comment je l’ai compris, ce Rüdiger, sur ce point là en tout cas). Il se donne l’impression d’être passé à côté de sa vie car il a cru aux promesses mais aussi aux valeurs d’une société aujourd’hui disparue (il y aussi d’autres passages qui traitent du non respect de l’expérience et de l’âge dans cette nouvelle société et que l’on peut classer dans la même thématique). L’impression que j’ai eu en lisant le livre est qu’il semble se recroqueviller sur lui-même, comme s’il vivait déjà la fin de sa vie.

    Comme je vous le disais plus haut, je suis tout à fait en mesure de comprendre le personnage de Rüdiger sur ce point là. Par contre, pour le côté sentimental, je l’ai trouvé abominable et cynique avec sa compagne, et stupide et niais avec Henriette. Il transpose dans sa vie sentimentale son envie d’être admiré et son besoin de reconnaissance dans sa vie professionnelle. Il n’arrive pas à comprendre, à mon avis, ce qu’est l’amour ou un couple (l’article du Matricule des Anges parle du fait qu’il privilégie les relations sans investissement). Il n’envisage pas une relation à deux « normale », avec une certaine affection liant les deux personnes, qui se situent sur un pied d’égalité, l’un faisant des choses pour l’autres et vice versa. Il admire d’ailleurs son amie la bibliothécaire qui entretient une relation avec un homme marié, dont la femme est malade, qui lui paie des petits weekends et des petites choses contre des moments de plaisir sans aucune autre contre-partie.

    La relation avec Henriette est malsaine car il la met tout de suite sur un piédestal sans la connaître, il est prêt à tout lui sacrifier, à faire de grands frais. Il ne donne aucune chance à sa compagne de comprendre et de rivaliser (à la fin, c’est quand même elle qui a le plus de caractère). J’ai même pensé à un moment qu’Henriette le traitait comme il traitait sa compagne (et que c’était bien fait pour lui). En tout cas, là encore, Rüdiger semble vivre dans une société pour laquelle il n’est pas adapté. Tout cela se répercute dans tous les moments de sa vie.

    Quand je lisais ce roman, j’ai trouvé qu’il y avait un décalage entre ce que je ressentais et ce que je lisais. Je ressentais une grande mélancolie, comme si toutes les calamités du ciel s’abattaient sur la tête du pauvre Rüdiger. Dans cette situation, j’aurais personnellement été désespérée mais lui, il ne se laisse pas abattre. Il essaie de trouver des solutions (avec l’aide ou non de ses amis), de vivre au jour le jour et de résoudre les problèmes un par un mais surtout de ne pas perdre pied : de garder des liens avec tous les gens qui comptent pour lui, de garder son emploi (même s’il n’est pas satisfaisant), de garder aussi ses convictions (sa morale / son éthique / ses valeurs) intactes. À mon sens, c’est un peu la morale du livre : il ne sert à rien de se révolter ou de se plier mais il faut plutôt affronter la société au mieux de ce que l’on peut.

    Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le roman est très agréable à lire car il se passe beaucoup de choses. C’est écrit dans une prose très raffinée et précise. Il n’y a pas de ton moralisateur ; tout se passe vraiment dans l’action.

    J’avais déjà entendu parler de Christoph Hein mais c’est le premier livre que je lis de lui. Je suis conquise par cette première lecture.

    Références

    Le noyau blanc de Christoph HEIN – traduit de l’allemand par Nicole Bary (Éditions Métailié, 2016)

  • cieldaralmilastankevitchJ’ai acheté ce livre au printemps à Gibert Joseph à Paris, au rayon récits de voyage. Je m’en rappelle bien car je l’ai acheté en même temps que le livre Sur le quai de Soukhoum – Murmures d’Abkhazie. Ils étaient l’un à côté de l’autre et je me suis dit que j’avais fait deux bonnes trouvailles. Je vous raconte tout cela pour en venir au fait que ce livre n’est pas un récit de voyage. La quatrième de couverture et les photos de la mer d’Aral dans les premières pages de l’ouvrage ne pouvaient que tromper le vendeur de chez Gibert et moi aussi du même coup.

    Une fois passée cette première « surprise », le livre est plutôt lui une bonne découverte. Il ne s’agit donc pas d’un récit de voyage où serait relaté la catastrophe de la mer d’Aral, mais bien une grosse nouvelle sur (à mon avis) un fait d’imagination (peut être que cela s’est produit tout de même mais je ne pense pas que l’auteur l’a vécu). Le narrateur, Alexandre Gontcharenko, est un photographe russe, spécialisé en océanographie, parti faire, suite à la demande d’un journal, un reportage sur la catastrophe de la mer d’Aral. Pour cela, il utilise les services d’un guide et d’un chauffeur qu’il va partager avec d’autres hommes.

    Cela se gâte à partir du moment où leur véhicule est stoppé par deux pirates. Franchement, à ce moment là, j’ai rigolé bêtement parce que trouvé des pirates échoués à cause d’une mer asséchée, j’ai trouvé que c’était franchement bien trouvé. J’ai même continué à trouver l’histoire plaisante quand il y a eu un premier assassinat parce que le narrateur ne semblait pas vraiment prendre cela au sérieux (je me disais en plus que cela ne pouvait que bien se passer vu qu’on était dans un texte de fiction). Ce narrateur a un comportement complètement fascinant au cours de cette prise d’otage. Il passe de l’insouciance, à l’envie de faire son héros, à l’envie que cela se finisse bientôt, de se faire tout petit ou de prendre la direction du groupe des otages. Il repasse sa vie, tout en considérant ses voisins avec condescendance mais aussi avec bienveillance.

    Cette richesse du caractère du personnage principal (en très peu de pages tout de même) m’a énormément plu ; ce n’est pas manichéen, tout blanc ou tout noir. C’est même crédible (enfin je suppose, vu que je n’ai jamais vécu cette situation), plus que ce que l’on peut voir dans un film ou ce que l’on peut lire dans certains romans. Les personnages secondaires semblent eux aussi réels : ils sont flous, n’ont pas franchement de caractères affirmés même s’ils ont un trait de caractère particulier. Personne ne semble savoir comment agir, quoi penser (les otages comme les pirates d’ailleurs).

    Paradoxalement, après avoir fini l’histoire de cette prise d’otage, vous vous rendrez compte que vous n’avez pas vu le ciel d’Aral (tout se passe dans le véhicule des otages) et qu’on ne vous a pas parlé de la catastrophe de la mer d’Aral par contre vous aurez ressenti ce qu’est cette catastrophe : le territoire « dégagé » est devenu une jungle où plus aucune loi ne s’applique, et où tout le monde est perdu mais a aussi perdu ses repères. Le texte impose à son lecteur de se poser une seule question : que sont devenus les gens qui vivaient grâce à la mer d’Aral ? Ce sont les grands absents des reportages que l’on peut voir ou lire …

    Références

    Ciel d’Aral de Mila STANKÉVITCH (La Découvrance, 2016)

  • lefrereallemandchicobuarqueJ’ai mis deux mois à lire ce livre : je l’ai emprunté une première fois à la bibliothèque en papier (je l’ai rendu alors qui ne me restait que quarante pages … depuis trois semaines parce que les deux cent premières je les ai lu rapidement) et une deuxième fois en numérique et il a fallu le rappel de fin de prêt pour m’obliger à lire les quarante dernières pages.

    Ce livre avait tout pour me plaire, mais je ne l’ai compris qu’à la dernière page. Au final, il ne m’a plu mais que moyennement et je ne le recommanderai pas à tout le monde.

    Jugez plutôt : le père du narrateur, qui n’est autre que l’auteur, est un critique littéraire très apprécié au Brésil (personnellement, j’avais compris qu’il était plutôt comme responsable d’une sorte de bibliothèque nationale mais la quatrième de couverture dit critique littéraire donc je m’incline). La maison est pleine à craquer de bouquin : dans le salon, dans les chambres des deux fils de la maison (ils n’ont pas le droit d’avoir leur propre décoration) … Le père se consacre uniquement à la lecture et reste allongé des heures à lire (cela correspond plutôt au profil du critique littéraire, je vous l’accorde). C’est la mère qui lui passe les livres qu’il veut lire (car c’est elle qui les range et les époussette et elle sait donc parfaitement où ils sont). C’est donc une famille un peu particulière qu’a eu l’auteur : entre une mère qui adule un père, absent, toujours dans les livres. En plus de cela, il n’a jamais été proche de son frère. L’auteur est plutôt un intellectuel (il cherche à se rapprocher de son père qui totalement absorbé ne voit rien) tandis que son frère est un coureur de jupons et briseurs de cœur (et c’est l’auteur qui récupère les pots cassés bien évidemment).

    Un jour, le narrateur fait tomber un livre duquel s’échappe un bout de papier. Ce bout de papier lui apprend l’existence d’un frère allemand, que son père a eu avant la Seconde Guerre mondiale avec une allemande. Celle-ci souhaite savoir si il veut s’en occuper. Sa mère connaît forcément l’existence de ce papier et donc du frère allemand, elle qui est si maniaque avec les livres du père. Ne parlons pas du père, il est forcément au courant. Le narrateur décide de n’en parler à personne (de sa famille en tout cas) et de mener sa petite enquête.

    Ce n’est pas une enquête méticuleuse, mais un peu comme au fil de l’eau ; il la mène en dilettante en fait. Il découvre des événements, des nouveaux papiers ou de nouveaux faits un peu par hasard à chaque fois, comme si le destin lui donnait un coup de pouce. C’est la première chose qui m’a déçue car je m’attendais à une enquête méticuleuse, découvrir des pans de l’histoire du Brésil et de l’Allemagne avant la Seconde Guerre mondiale et en fait ce n’était pas le cas.

    Entre ces petites découvertes, le narrateur nous raconte sa vie et ses divagations. Avant de tout savoir, il imagine complètement l’histoire, la vie de son frère, ses traits … Plutôt que de découvrir le « véritable » frère allemand, le lecteur découvre le frère allemand fantasmé par l’auteur. Je trouvais que c’était tout de même assez bizarre comme manière de raconter (surtout si on se base sur le titre du livre). Lors de la jeunesse du narrateur, une dictature militaire s’installe au Brésil. Il voit coup sur coup la disparition d’un ami proche et celle de son frère, complètement innocent et qui s’est fait embarquer car il accompagnait une jeune femme (l’amie de l’ami proche du narrateur), qui elle était suspecte, mais lui c’était uniquement pour le sexe, disons le franchement. Là encore, on a très peu de détail (à mon goût) sur l’installation de la dictature, sur les disparitions, l’angoisse de la famille ou quoi que soit (alors que la mère de l’ami proche remue ciel et terre). Le narrateur semble dans son monde fantasmé et les parents complètement anesthésié ; l’absence se fait ressentir mais c’est tout. On parle du frère comme d’un parent éloigné absent. J’ai trouvé que c’était très étrange à la lecture.

    Le temps passe, le frère brésilien ne réapparaît pas mais le narrateur continue la quête de son frère allemand (l’enquête va quand même durer une quarantaine d’années). En lisant, je n’avais pas du tout compris le parallèle qu’il y avait entre les deux frères absents du narrateur. En fait, il abandonne la recherche de son frère brésilien car il sait qu’il y a peu d’espoir de le revoir vivant (même s’il se l’imagine errant dans la ville) mais espère le retrouver (avec ses traits) en la personne de son frère allemand. Et cela, je ne l’ai compris qu’à la dernière page, par une phrase. Quand j’ai fini le livre, je me suis sentie flouée parce que j’ai eu l’impression que l’auteur avait fait sa thérapie avec moi. Le manque de construction, l’impression qu’il tournait autour de ce qui aurait normalement dû l’intéresser, tout s’est expliqué à la lumière de cette phrase. Normalement, il aurait dû digérer son histoire, avant d’écrire son livre, non ?

    Le fait que finalement l’auteur cherche à résoudre son problème est contrebalancé par le fait qu’il est pressé. À plusieurs reprises, je me suis dit qu’il était pressé par quelque chose, qu’il allait trop vite pour décrire la scène et l’action. Quand il s’essouffle, il change de chapitres (et parfois cela n’a rien à voir).

    Une lecture mitigée, qui pourtant avait tout pour me plaire.

    Références

    Le frère allemand de Chico BUARQUE – traduit du portugais (Brésil) par Geneviève Leibrich (Gallimard / Du monde entier, 2016)

  • impossibleicisinclairlewisComme on peut le deviner à la couverture, ce livre du Prix Nobel de littérature 1930, Sinclair Lewis, s’inscrit dans l’actualité électorale des États-Unis. C’est un livre qui est actuellement redécouvert dans ce contexte (il a été publié pour la première fois en 1935) ; on peut le constater au nombre d’avis sur LibraryThing et sur Goodreads.

    De quoi s’agit-il ? On est en 1936, année électorale aux États-Unis. (Dans la version française, on est en 1940 (p. 33, 42 et 54 par exemple) alors que toutes les sources américaines indiquent que dans l’original, on est bien en 1936. Être en 1940 est un peu étrange pour le lecteur contemporain, vu que l’Europe n’est pas en guerre mais sous-tension. Il n’y a pas de Guerre mondiale. Je peux comprendre ce choix pour la première édition française (et encore) mais pour cette nouvelle édition, j’aurais repris la bonne date, personnellement. Mais bon, ce n’est pas si grave. Je referme la parenthèse). La situation économique du pays n’est pas glorieuse. Une partie importante de la population est au chômage. Elle a son défenseur en la personne d’un homme que l’on pourrait assimiler aujourd’hui à un prédicateur. D’autre part, la situation internationale est tendue. Une guerre semble inévitable, d’autant que certains trouvent que la population se ramollit (un peu). Les mêmes pensent au déclin de la civilisation américaine. Une des solutions : renvoyer la femme à ses foyers pour raffermir la vigueur du peuple. On a tous déjà entendu ce type de clichés (n’appelons pas cela des idées tout de même) et on a tous pensé que ces clichés étaient innocents et resteraient à tout jamais sans conséquence car on pense tous que la majorité de la population est tout de même sensée. Que le fascisme (comme en Italie ou en Allemagne, à l’époque de la parution du livre) ne peut pas arriver ici. D’où le titre : Impossible ici (le titre américain est It Can’t Happen Here).

    Sinclair Lewis part justement du postulat que si, cela peut se produire ici (où que soit l’ici). Il situe son histoire dans une petite ville du Vermont, Fort Beulah. Le « héros » de l’histoire est un journaliste d’une soixantaine d’années, Doremus Jessup. C’est donc un homme bien installé dans la vie qui sera le témoin par lequel on suivra l’histoire. Il est propriétaire du journal local, possède une certaine érudition, surtout dans son domaine de prédilection, la politique. Il est plutôt orienté républicain. Il vit avec sa femme d’une façon que je qualifierai de bourgeoise, dans le sens où leur quotidien est dicté par le fait d’avoir ou de paraître, et non pas par l’amour ou une quelconque tendresse. Il a une maîtresse (avec des idées très libérables) pour cela. En entendant pour la première fois les propos que j’ai cités plus haut, il est sceptique mais a peur. D’autant qu’un candidat, Berzelius « Buzz » Windrip, annoncé tardivement semble se détacher dans la population. Les autres candidats, les plus classiques, ne veulent pas le prendre au sérieux et ne répondent pas sur son programme ou ses arguments, semblent que tout peut rester tel quel sans aucun changement. Ils ne sentent pas ce qui se passe dans la population (et c’est tout de même la population qui fait l’élection), une population qui est sensible aux discours de son candidat (du candidat le plus populiste en fait) : tout le monde aura 5000 dollars par mois, il supprimera le chômage et la délinquance. Le soutien tardif du prédicateur des chômeurs sera décisif pour l’élection du candidat populiste. L’auteur montre d’ailleurs les meetings, montrant une certaine vitrine, de l’ordre, du clinquant.

    Une fois le pouvoir acquis, on se doute qu’aucune des promesses ne sera tenue (ou sinon de manière particulièrement absurde). La presse est mise au pas (on ne sait plus rapidement ce qui se passe réellement dans le pays), une milice est créée (complètement aux ordres du président) pour dompter la population, des camps sont construits, le pouvoir change de main, ne s’exerce plus de manière éclairée mais bien de manière autoritaire, on éloigne ou brime les opposants. Tout le monde ne se rend pas compte immédiatement de ce qu’il se passe ; la résistance s’organise très progressivement (d’autant plus que personne ne sait ce qui se passe réellement ; l’information arrive très tardivement). Doremus Jessup hésite à rentrer en résistance, parce qu’il est trop vieux, qu’on ne l’embête pas encore, puis pas tant que cela. Il s’accommode de sa nouvelle vie jusqu’au jour où il ne peut plus et commence par résister à l’autoritarisme du régime avec des petites actions. Le régime réplique en tapant de plus en plus fort. Et tout va crescendo.

    La préface de Thierry Gillyboeuf est absolument fascinante pour comprendre le contexte de l’écriture du livre (l’auteur montre aussi l’actualité du livre mais vu le sujet du livre, il n’y a pas beaucoup de peine pour penser aux prochaines échéances électorales dans plus d’un pays occidental). Sinclair Lewis était marié à l’époque à la journaliste Dorothy Thompson, qui a été la première journaliste étrangère à rencontrer Hitler. À la sortie de l’entretien, elle s’est dit que l’homme qui faisait peur au monde était tout de même bien insignifiant et finalement n’avait plus si peur (comme quoi, tout le monde peut se tromper). On ne peut pas douter que tout cela ait influencé son écrivain de mari. D’autant qu’à cette élection, il y avait réellement un candidat avec ce type d’idées et qui était lui aussi extrêmement populaire. Il a été assassiné et n’est donc pas resté dans nos mémoires.

    Le choix de Sinclair Lewis de situer son histoire dans une petite localité est très intéressant. Pareil pour le fait de prendre un « héros » âgé, bien installé, intellectuel, avec ses défauts, sans aucun superpouvoir. Cela rend la démonstration moins abstraite pour le lecteur lambda. Il montre que la résistance à l’autoritarisme peut se faire, dès qu’on le veut (et dès qu’on est courageux tout de même, il ne faut pas minimiser les actes), à même très petite échelle. Ce n’est pas forcément décisif mais peut créer un mouvement. Le « héros » n’est pas parfait et est même assez désagréable car finalement, il ne s’interroge pas ou ne cherche pas à comprendre (il voit par contre ce qui va se passer ; il défend son candidat), il est trop installé dans ses certitudes et son confort, est très souvent condescendant face à ses enfants mais aussi face aux autres. Il n’aime pas non plus grand monde (à part sa maîtresse, tout le monde est bête). Pourtant, à son échelle, il décide de faire quelque chose pour changer le nouvel ordre national.

    La localisation dans la petite ville vise un peu à la même chose à mon avis. Elle montre l’évolution des proches, des voisins et des amis d’enfance, que l’on redécouvre à l’occasion de tels événements. En isolant la ville, l’auteur montre la proximité du régime. On ne voit pratiquement pas le président « Buzz » Windrip, au cours du roman, uniquement les conséquences de ses décisions sans qu’on connaisse ses décisions. Le livre se distingue d’un probable film sur le même sujet, où finalement on aurait eu un héros qui aurait tué le méchant président et hop, tout aurait été arrangé ! Le livre permet un traitement plus profond du sujet, plus quotidien pour le lecteur.

    Passons maintenant aux points négatifs. La langue a extrêmement vieilli. Apparemment, ce n’est pas un problème de traduction car j’ai lu le même type de commentaire sur Goodreads. Le traitement des personnages est aussi un peu léger : le « héros » est correctement personnifié mais reste très superficiel, lointain pour le lecteur. L’auteur ne détaille pas la psychologie des autres personnages : ils semblent tous être extrêmement légers (pour les relations amoureuses par exemple mais j’ai l’impression que cela vient d’une mode de l’époque car la manière d’écrire m’a rappelé certaines scènes des livres de Rosamond Lehmann), inconséquents, prendre des décisions sans aucune réflexion. C’est assez particulier car cela joue sur l’ambiance du livre. Tout le monde semble vivre dans l’inconscience ou dans la gravité extrême. L’impression que j’ai eue à la lecture, c’est que j’ai vécu l’histoire avec ma tête mais pas avec mon cœur. Je ne l’ai pas vraiment ressenti.

    En conclusion, une lecture excellent d’un point de vue sociétal. Par contre, je suis moins convaincue d’un point de vue littéraire.

    Références

    Impossible ici de Sinclair LEWIS – version française de Raymond Queneau – préface de Thierry Gillyboeuf (La Différence, 2016)

    Un siècle de littérature américaine – Année 1935

    P.S. : Je suis désolée de vous avoir encore laissés tomber cette semaine. Je suis retombée dans une psychose rédactionnelle et comme je le disais la dernière fois, quand je rédige pour le travail, je ne peux pas rédiger pour le blog. C’est juste trop !

  • lanacondamatthewgregorylewisJ’ai acheté ce livre hier à la librairie, juste parce qu’il était beau ! Aussi bien sûr, parce que c’était anglais et que c’était classique. Mais c’est vraiment le critère esthétique qui l’a emporté sur tout ! Il faut vous imaginer l’intérieur. Le cadre, celui des serpents dessinés en blanc sur fond noir, est repris sur chaque page ! Le texte s’inscrit à l’intérieur du cadre, qui est noir sur la couverture mais blanc (cassé peut être) à l’intérieur. Tout est noir sauf la zone du texte donc. La typographie des chapitres fait un peu ancien. Cela donne l’impression d’ouvrir un vieux livre, un vieux grimoire avec une histoire ancienne qui va nous être raconté. Si vous avez l’occasion d’aller en librairie ces prochains jours, je vous conseille de le regarder, de le feuilleter. Et donc, voilà pourquoi je l’ai acheté parce que l’histoire ne me tentait pas trop au départ. Pensez donc ! Une histoire avec un serpent qui assiège sa proie pendant des jours …

    Mais en fait, c’est beaucoup mieux que ne le laisse supposé la quatrième de couverture (en tout cas, le premier paragraphe). On est dans un petit village anglais, dans les années 1780. Un homme a promis à son protégé, de retour de Ceylan, la main de sa fille adorée. Lui ayant toujours fait confiance, il l’a confiée avec grand plaisir au jeune homme. D’autant que celui-ci a acquis une fortune considérable lors de son séjour en Inde. Le problème est que justement on est dans un petit village et qu’il refuse de s’expliquer sur la manière dont il a acquis cette fortune. C’est une grave erreur puisque cela laisse beaucoup de place aux ragots, cancans et inventions de toutes sortes. La plus véhémente à ce sujet n’est autre que la sœur du père. Le jour où elle apprend l’histoire (en tout cas, ce qu’elle suppose être l’histoire) de la bouche même du petit serviteur indien que le jeune homme a ramené avec lui, elle ne peut que jubiler : il aurait en effet liquider le père pour épouser ensuite la fille et la tuer pour pouvoir récupérer toute la fortune. Elle s’empresse de propager cette histoire sous un prétexte plus que fallacieux (ou une justification plus que bancal), qui m’a beaucoup fait rire :

     Mais alors, pourquoi refuse-t-il de dévoiler à quiconque la façon dont il l’a obtenue ? Laissez-moi vous dire, mon frère, que lorsqu’un homme peut se glorifier d’une action positive, il n’est pas si prompt à tenir sa langue ; je dirais même que tenir sa langue tout court n’est naturel en aucune circonstance, et je vous garantis que celui qui se soumet à une contrainte aussi déplaisante a nécessairement une très bonne raison de le faire. Les Williamson pensent la même chose, et les Jones, et mon cousin Dickins également, de même que toute la famille Burnaby ; car je ne suis pas, moi, d’un tempérament aussi secret que chez votre cher Evrard, Dieu merci ! Non, si je suis en possession d’une nouvelle, je suis trop généreuse pour ne pas la partager et ne trouve le repos qu’une fois tous les voisins instruits comme je le suis. C’est ainsi que ce matin, sitôt informée de cette sanglante histoire, j’ai fait préparer ma voiture pour sillonner le village et communiquer ces renseignements à tous nos amis et relations. Évidemment, ils furent grandement choqués par ce récit. Qui ne l’aurait été ? Et pourtant, ils ont tous avoué avoir déjà soupçonné quelque méfait à l’origine de ce mystère, et ont appris avec soulagement que j’avais découvert la vérité avant que les choses ne soient allées trop loin entre Everard [le nom du jeune homme] et votre fille Jessy.

    Au vu de la réaction de ses voisins mais aussi pour se justifier aux yeux du père et de sa fille, le jeune homme décide d’expliquer la véritable histoire. Parti pour Ceylan, il a « la chance de trouver une place dans la maison d’un homme qui gagnait l’estime de tous grâce à ses vertus, et qui m’accorda de si nombreuses faveurs que je lui fus extrêmement attaché ». Il est engagé tout d’abord comme secrétaire mais devient rapidement l’ami du couple, l’homme de confiance aussi. En rentrant tôt un matin, un jour avec la femme du couple, après avoir réglé une affaire à Colombo, les deux cherchent l’homme du couple. Le domestique leur explique que le maître est allé dans une sorte de bungalow, qui se situe à une centaine de mètres de la maison principale et qui est entouré de palmiers, qui font à la fois de l’ombre et permettent de voir le paysage et ainsi d’admirer le lever du soleil. Les deux décident d’aller le retrouver là-bas. La femme part cependant se changer avant. Pendant ce temps là, le jeune homme observe le bungalow, et voit une branche d’un palmier bougée, plus exactement ondulée, alors qu’il n’y a pas de vent. Il ne comprend pas tôt de ce qu’il se passe. Il appelle le domestique et lui demande son natif. En tant que natif de Ceylan, il reconnaît tout de suite un anaconda, serpent qui peut rester des mois pour attendre la proie qu’il a repéré. Il est évident que cette proie est l’homme dans le bungalow. Celui-ci a vu le serpent et a calfeutré le bâtiment pour l’empêcher de rentrer. Un compte à rebours s’engage pour délivrer l’homme de ce piège.

    On assiste à toutes les tentatives pour réussir cet exploit auquel très peu de gens croient. On a particulièrement le droit aux démonstrations de force du serpent. Comme le dit la quatrième de couverture, M.G. Lewis reprend les codes du gothique (le type de personnage, la géographie des lieux…) pour les transposer dans un environnement tropical et recréer une atmosphère étouffante et angoissante (j’avoue que l’attitude peu avenante du serpent aide bien quand même). Le livre fait 125 pages et l’auteur est excellent pour ce type de format : les personnages sont plantés rapidement (l’imagination fait le reste), le décor aussi.

    L’éditeur a choisi de publier cette grosse nouvelle dans une nouvelle traduction, ce qui à mon avis est un très bon choix vu la qualité du travail effectué. D’un autre côté, L’anaconda a été édité pour la dernière fois en 1822 en France ; cela aurait pu être gênant de reprendre cette traduction. Ici, le texte est moderne, tout en conservant l’élégance d’un style ancien. Cela donne une lecture très agréable, dans le sens où on n’est pas freiné par des tournures de phrases un peu étranges. Je précise cela car je viens de finir un livre, édité cette années mais où une ancienne traduction a été reprise et franchement, cela m’a gêné dans ma lecture. On est bien en présence d’un texte qui semble intemporel.

    C’est donc aussi une très belle lecture de « rentrée littéraire » !

    Vous trouverez un autre avis sur le blog Lire au lit.

    Références

    L’anaconda de M.G. LEWIS – traduit de l’anglais par Pauline Tardieu-Collinet (éditions Finitude, 2016)

  • precisdemedecineimaginaireemmanuelvenetPrécis de médecine imaginaire est donc le troisième livre de Emmanuel Venet que je lis, après Marcher droit, tourner en rond et Ferdière, psychiatre d’Antonin Artaud. C’est aussi celui qui m’a le moins plu.

    Le livre est composé de très courts textes (une à deux pages), regroupés selon quatre thématiques : le Vademecum de sémiologie médical (avec des entrées telles que la cystite, les rhumatismes, les maladies infantiles, le cancer, les vers, la dépression, la mort…), les Premières esquisses d’un traité des ondes, la Névrose pianistique – Quelques précisions, Imprécis de thérapeutique (avec des entrées telles que le mépris, les rayons, les vaccins, les tisanes, les ambulances…) La névrose pianistique est une maladie propre à l’auteur et a été déclenchée par sa mère qui a acheté un piano pour que ses deux fils apprennent à en jouer aussi bien qu’elle. Elle les a émerveillés en jouant brillamment quelques morceaux, puis s’est arrêtée en prenant comme prétexte des problèmes articulaires, et a passé le relais à ses fils : le frère de l’auteur a abandonné rapidement mais l’auteur a insisté alors qu’il ne présente pas de talent particulier (ni de désir particulier d’apprendre, quoique). Il est enfermé dans une sorte d’amour-haine de l’objet piano.

    Ce livre n’est pas un précis de médecine au sens propre du terme, bien évidemment. Emmanuel Venet, qui exerce la psychiatrie, ne présente pas de cas … Le livre est plutôt prétexte à évoquer des souvenirs d’enfance ou des souvenirs plus récents (d’amis malades par exemple) mais d’un point de vue non médical, plutôt poétique, voire nostalgique. Par exemple, le texte sur la cystite parle des queues de cerises que sa grand-mère utilisait pour soigner cette maladie (qui n’avait pas vraiment de sens pour l’auteur au moment où cela se passait). Le texte sur les maladies infantiles parle de la visite au médecin avec sa mère, où celle-ci ne cherchait qu’à se faire confirmer le diagnostic qu’elle avait posé après lecture du Larousse médical. Ce texte rejoint celui sur le mépris, vu comme méthode de soins. Les symptômes que l’on ne peut attribuer à la maladie ou à aucune maladie ne sont bons qu’à être ignorés (jusqu’au jour où on en meurt).

    La dernière phrase du livre illustre parfaitement le projet du livre : allier poésie et littérature avec la médecine, concilier musique et instrument, « réalité » du quotidien et  beauté intrinsèque de cette réalité tout simplement :

    C’est là que j’ai découvert la difficulté à concilier le bois dur des pianos et la substance des sonates ; le noir du saturnisme et le bleu de Primo Levi ; la sécheresse du discours médical et la poésie des commères qui, sur le marché de Monplaisir ou d’ailleurs, s’entraînent à mourir.

    Emmanuel Venet arrive très bien à faire cela. Il nous rend un peu nostalgique d’une médecine que j’appellerais « familiale » mais aussi de grand-mère, ou les maux se soignaient encore, ou on discutait les cas médicaux sur le marché avec le plus grand sérieux. Maintenant on se demande : qu’est-ce qu’il a bu ? qu’est-ce qu’il a fumé ? qu’est qu’il a mangé ? la troisième question étant réservée aux non-fumeurs et aux abstinents. Emmanuel Venet parle d’une époque révolue à mon avis, où il y avait une certaine innocence par rapport à la médecine, une innocence de sa part (dans beaucoup de textes, il parle de souvenirs d’enfance) mais aussi de son environnement proche. Pour les personnes qui n’étaient pas médecins, la médecine était plus une affaire d’imagination et d’interprétation (pleine de bon-sens) que de connaissances. On se servait du Larousse médical plus que d’internet (et pourtant, pour avoir un Larousse médical à la maison hérité de ma grand-mère, je trouve que la médecine et le corps humain vu comme cela, c’est assez glauque).

    Cette recherche de poésie se retrouve dans l’écriture de l’auteur, dans l’interprétation qu’il fait, dans l’humour qu’il met dans ses textes. J’ai retrouvé sa plume et son esprit que j’avais déjà particulièrement appréciés dans les deux précédents livres que j’avais lus. J’ai dans celui-ci particulièrement aimé que les textes renvoient les uns aux autres, se répondent en fait, retrouver des gens (j’adore sa grand-mère), des souvenirs, des maladies.

    Pourquoi ce texte m’a moins plus, alors que j’ai aimé tant de choses dans ce livre ? Tout simplement parce que je ne sais pas comment il faut le lire, comment il faut « s’en servir ». J’ai pris ce livre à la bibliothèque et je l’ai lu d’une traite. C’est ce qu’il fallait faire car sinon je n’aurais pas vu que les textes se répondaient et je n’aurais pas vu la logique du livre. Mais après quelques mois, je ne suis pas sûre qu’il m’en restera grand chose. C’est typiquement le type de livres qu’il faut avoir dans sa bibliothèque (et donc l’emprunter ne suffit pas) pour le feuilleter régulièrement, se rappeler des sentiments éprouvés à la lecture, de ce qui nous a faire sourire à ce moment-là et se rappeler que la vie peut aussi être vu comme cela, avec un peu d’humour, de légèreté et de poésie. Sauf que je ne pourrais pas faire cela, sauf si je me l’achète un jour…

    Références

    Précis de médecine imaginaire de Emmanuel VENET (Éditions Verdier, 2005)

  • vasmersbruderpeermeterdavidvonbassewitzOn fait connaissance avec Martin Vasmer lorsqu’il se trouve au poste de police de la petite ville polonaise de Ziębice pour signaler la disparition de son frère Hans-Georg Vasmer. Celui-ci, travaillant en free-lance, avait accepté, pour des raisons pécunières, un reportage hors du champ de ses compétences, sur le sujet du tueur en série cannibale, Karl Denke, ayant officié dans la petite ville de 1903 à 1924, alors que celle-ci était encore allemande. Elle s’appelait alors Münsterberg.

    Martin s’inquiète pour son frère qu’il n’arrive pas à joindre mais qui lui envoie des SMS étranges depuis quelques jours. Il sait cependant qu’une jeune femme du village, Hanna Jablonska, a fourni une chambre à Hans-Georg et qu’il a été en contact avec un homme, Sadowski, qui effectue des recherches (depuis longtemps sur Kral Denke). Arrivé sur place, il rencontre Hanna qui lui donne la chambre qu’avait occupée son frère. S’y trouve encore l’ensemble des papiers relatifs à l’affaire. Il y découvre notamment l’histoire de la dernière victime (non morte) de Karl Denke, Vincenz Olivier. Sans domicile fixe, il avait frappé à la porte de Denke pour demander un petit travail et/ou un peu d’argent. Le cannibale l’avait fait rentrer sous le prétexte d’écrire une lettre mais lorsque le sans-domicile fixe voulait commencer, il l’a frappé à la tête. Dans la BD, Vincenz Olivier a criée si fort que la police a été alarmé (en réalité, il a réussi à prendre la fuite). Seulement, Denke s’est fait passer pour la victime et Vincenz Olivier s’est fait arrêté et enfermé. Plus tard, les policiers ont revu leur position et ont été arrêté Denke. Celui-ci se suicidera dans sa cellule, par pendaison, sans avoir expliqué ses actions et ses motifs. En perquisitionnant son domicile, on découvre un carnet contenant les informations sur un certain nombre de ses victimes ; on en dénombre au moins 30.

    Plus tard, Martin Vasmer fait la connaissance de Sadowski, qui éprouve, plutôt qu’un intérêt scientifique, une fascination macabre pour l’affaire. Craignant le pire pour son frère, Vasmer va se plonger dans son monde pour retrouver la trace de celui qu’il est venu chercher.

    Visiblement, Peer Meter éprouve un certain intérêt pour les histoires de tueurs en série allemand. En effet, c’est la deuxième BD que je lis de lui sur ce sujet, après Haarmann, le boucher de Hanovre. Cette fois-ci, plutôt que sur l’histoire des crimes de Karl Denke (dont l’explication est reportée en annexe), l’auteur s’intéresse à la fascination qu’exerce ce type de criminel sur certains, quitte à ne plus se rendre compte de l’horreur de la chose et s’amuser avec ; Sadowski en est l’exemple même.

    Cette BD n’est clairement pas gaie, vu le sujet mais l’atmosphère est aussi plombée par un dessin extrêmement sombre, comme enveloppé dans de la gaze. C’est un peu mon bémol : le dessin est magnifique (car c’est lui qui suggère le ressenti du lecteur et « met dans l’ambiance) mais est quand même beaucoup trop sombre, tout de même. J’ai lu un commentaire où un lecteur disait qu’il n’avait pas réussi à voir quoi que ce soit dans cette BD. Finalement, j’ai lu deux fois le livre, une fois pour comprendre le texte (il est en allemand tout de même, je ne suis pas encore bilingue malheureusement) et une deuxième fois pour pouvoir voir les cases (et je l’ai fait avec une grande lumière et c’est vrai que c’est beaucoup plus confortable). Je vous ai mis une planche en exemple, mais il faut garder en mémoire que c’est une des plus claires !

    Références

    Vasmers Bruder de Peer METER (scénario et texte) et David von BASSEWITZ (dessins) (Carlsen / Graphic Novel, 2014)

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