Cette année, Fayard fait une rentrée très inscrite dans le roman social avec Faux nègres ou bien Parlez moi du sous-sol et ce livre, Les fils de rien, les princes, les humiliés. Je trouve cela plutôt bien car j’aime beaucoup ce type de littérature (avec celle de pays où il fait froid, très à la mode aussi cette année ; j’espère pouvoir vous en reparlez). Si c’est bien fait, cela permet de capturer une époque mais surtout les changements en train de se faire, qu’on ne voit pas forcément à court ou même moyen terme.
L’histoire est celle du narrateur Falco, quarante-sept ans. Il est en train de construire une maison dans les Pyrénées profondes (de celles où il y a des loups qui chassent les moutons) (je rigole pour ceux qui sont des Pyrénées). Une maison qu’il assemble pierre par pierre. Cette maison est censée pouvoir accueillir son fils. On apprend qu’il l’a abandonné à sa mort car il avait peur de la violence qu’il avait en lui. C’est cette violence que nous explique le narrateur.
Entre l’Espagne et la France, j’ai choisi une vallée d’altitude pour disparaître. J’ai quarante-sept ans. Je tiens ma jeunesse à l’écart autant que je peux. [p.15]
Je m’enfonce dans les bois. Je voudrais que la nature aspire toute ma colère. [p.18]
Cela commence par son père violent, par la disparition de son grand frère (dispartition au sens de il n’est plus là, pas au sens de mort), le licenciement de son père d’une usine automobile de Poissy (la vidéo en bas est plus claire sur le contexte à mon avis), les vols de voitures avec une famille de gitans, l’entrée dans une Meute de skinheads pour arriver à l’acte fatal : il a tué un homme. La violence contenu en lui a explosé. Il va en prison, en sort, mais n’arrive à vivre. Il abandonne tout, sa femme mais surtout son fils qu’il n’oubliera pas. La reconstruction de la ruine qu’il a acheté, c’est en réalité sa tentative pour reconstruire sa vie, pour canaliser tout cela. C’est cette histoire que le narrateur nous raconte.
Ce n’est donc pas un roman bien réjouissant mais il raconte bien comme un jeune, et par lui une société devient violente. Stéphane Guibourgé, pour dire cela à son lecteur, lui met un grand coup de poing dans la face. Vous sentez la violence du narrateur, prête à éclater, mais aussi ses interrogations, ses doutes, sa croyance qu’il ne peut pas y arriver. Le style est haché, percutant. Ce ton est renforcé par des chapitres très court. L’histoire n’est pas raconté de manière linéaire, mais plutôt comme un flot de souvenir qui remonte.
On arrive au tout petit, très léger point faible que j’ai trouvé au livre. J’habite en région parisienne comme vous le savez, dans le sud de Paris, sur la ligne B (j’y habite depuis 31 ans, 1983 pour ceux qui ne sauraient pas compter) et je vais travailler tous les jours au nord-ouest de Paris, dans l’agglomération de Cergy-Pontoise, sur la ligne A du RER, juste à côté de Poissy. Je connais donc à peu près la géographie des lieux décrits par l’auteur et j’avoue que cela m’a complètement perdu. À un moment, l’auteur dit qu’il se retrouve sur la ligne B du RER et dit
Nous retrouvons les quais du RER. La ligne B. La Courneuve d’un côté. De l’autre Bagneux, Fontenay, jusqu’à Robinson.
Dans ce passage, il est avec la Meute. Je pensais qu’il était encore à Poissy à ce moment-là, avec son père. J’en suis venue à me demander s’il n’était pas à Aulnay (où il y avait aussi une usine automobile). Plus loin, le narrateur précise que la famille a déménagé dans le sus de Paris, après le licenciement du père. Il dit aussi qu’il a quitté sa famille assez tôt, pour s’émanciper. Je n’arrivais absolument plus à savoir où il était et à quel moment on était (je vois bien les faits dans quel ordre il se range mais je ne les situe pas dans les temps et dans l’espace, quelle date, quel lieux). Je précise aussi que dans le sud, on n’a pas tous des BMW (je n’en vois pas à tous les coins de rue et cela n’a jamais été le cas, il ne faut pas penser qu’on vit tous comme à Sceaux).
C’est un détail qui m’est très particulier car je ne pense pas que le lecteur non parisien, ou même non français (dans le sens métropole) s’intéresse beaucoup à ce genre de chose et clairement il n’est pas nécessaire qu’il s’y intéresse pour trouver ce livre très bon.
C’est donc un livre que je vous conseille vivement de lire, si le résumé vous tente et si le livre vous passe entre les mains.
Des extraits
Nous venons des mêmes banlieues. L’autre côté du périphérique. Des mères enfermées, femmes de ménage, caissières, ce genre de vie. Les horizons limités. Nos pères sont chômeurs. le gouvernement évoque des demandeurs d’emploi. Ils n’ont jamais su demander quoi que ce soit, ne savent pas appeler à l’aide. Travailler, ils connaissent. Trimer. Des ouvriers, rien de plus. Les voilà contraints aux suppliques. À présent ils baissent les yeux devant leurs fils. Troisième dévaluation. Leurs camarades aussi à genoux. Rigueur. Nos pères ne comprennent pas. Ce pouvoir a des mots exsangues. Le vocabulaire est altéré. La réalité devra suivre bientôt. Elle change déjà. [p.9]
De nouvelles chaînes de télévision. Les variétés, le sport, la pornographie. Un gouvernement qui détourne l’attention du peuple en organisant la mise en scène de son action. Sac de riz sur l’épaule du ministre étranger, chute dans le spectacle, fête de la musique. [p.9]
[ici c’est un employé de l’Office national des Forêts qui parle] Mon temps, je le fous en l’air avec la « démarche qualité » de la direction. Toutes nos tâches ont été répertoriées, standardisées, il faut en plus décrire ce que l’on fait et le transmettre aux types du ministère. Eux, ils font des tableaux avec nos « données ». Ensuite, ils nous fixent des « objectifs »… [p.33]
Nous assistons à la vente des terrains situés au fond de l’avenue Jean-Jaurès, des jachères qui bordent l’avenue Sully-Prudhomme. La lutte des classes, ce sont des bureaux, des sièges sociaux, de nouvelles résidences de standing, trois étages, cernées de haies bien taillées, une aire de jeux pour les enfants. Portes électriques, box fermés en sous-sol, caves aux portes blindées. Des ascenseurs qui fonctionnent. Nous sommes relégués plus loin. Les humiliés, les princes, les fils de rien. [p. 86]
Je retrouve la Meute depuis peu. Nous avons perdu en route nos racines ouvrières, la culture de nos origines. Nous n’aurons jamais accès à celle de la bourgeoisie, parce qu’elle est trop chère pour nous – c’est aussi pour cela que nous la méprisons. Nous en sommes les témoins envieux. L’eunuque au harem. Nous sommes laminés. Des salauds ordinaires. Je me souviens de nos pères. De ces temps où, malgré le travail pénible, le salaire dérisoire, l’ouvrier sidérurgiste est fier de fournir de l’acier à l’industrie, le mineur est fier d’extraire du charbon pour l’aciérie, l agriculteur est fier de nourrir le pays. Ils tissent là, sans le savoir, une légende, une chanson de geste, qui, mieux que les discours officiels, écrivent l’histoire de la nation. Bien sûr, ils demeurent exploités, mais ils comptent encore parmi les hommes. Je me souviens de ma grand-mère, elle appelle chacun « pauvre ». Aucune désolation dans sa voix, mais de la compassion, un sentiment vrai de fraternité. Cette flamme, ce foyer, nous aurions dû les préserver. La violence n’a rien à faire là. La nostalgie, l’amertume, oui. Mais pas la rage. [p.87-88]
La gauche méprise la famille par convention bourgeoise, pour se donner l’illusion de l’émancipation, de la liberté. Elle a juste oublié que la famille n’est pas une question de liberté, ni même d’amour, mais de faire ciment, de tenir les gens ensemble. La famille, c’est l’instrument de la cohésion. Enlève le ciment, et les maisons s’écroulent. Les hommes s’écroulent. [p.103]
Ailleurs sur internet
Je vous mets encore une vidéo car j’aime décidément beaucoup celles que font Mollat.
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L’avis de Jérôme.
Références
Les fils de rien, les princes, les humiliés de Stéphane GUIBOURGÉ (Fayard, 2014)
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