Bon, ça y est, j’ai fini le tome 4 des enquêtes de Quirke et écrites par Benjamin Black (alias John Banville). J’ai beaucoup aimé ce volume car il mêle adroitement l’enquête et l’étude psychologique des personnages récurrents. Ce n’est pas seulement le dernier comme dans le précédent épisode.
Comme toujours, l’enquête de Quirke se situe dans les milieux aisés dublinois, des années 50. Il est appelé un dimanche dans la « maison » de campagne d’un homme d’affaire, possédant entre autre le journal où Jimmy Minor travaille, le Daily Clarion. Quirke est le légiste de garde, suite à la maladie du titulaire. Il retrouve là bas l’inspecteur Hackett. Tous les deux se retrouvent face au corps de l’homme d’affaire, qui à première vue, s’est suicidé se tirant une balle dans la tête (je vous passe la description du cerveau éparpillé par tout mais vous vous imaginez). Je dis bien à première vue car les deux hommes voient assez rapidement que ce n’est pas possible puisque d’après leurs expériences, il est impossible de tenir encore fermement le fusil quand on s’est tiré une balle dans la tête. Quelqu’un a voulu maquillé son crime en suicide. Ils vont l’annoncer à la famille de la victime : sa femme Françoise, française énigmatique, sa sœur Dannie, hautement perturbée psychologiquement même avant le drame, et Giselle, sa fille. Françoise oriente tout de suite les soupçons vers le rival de Dick Jewell, la victime, Carlton Sumner. En effet, tous les deux se seraient disputés car Carlton voulait récupérer de manière plus ou moins malhonnête les affaires de Dick.
Quirke et Hackett prennent bonne note mais s’intéresse aussi à Maguire et à sa femme, le couple qui entretient la maison de campagne. Ils les interroge en premier puisqu’ils étaient sur place. Ensuite ils vont interroger la famille Sumner que Quirke a connu à l’université. Hackett connaît lui le fils, Teddy, qui a déjà eu des problèmes avec la police pour violence. Au fur et à mesure de l’enquête, ils vont aussi s’intéresser de plus près à Dannie (la sœur donc) qui s’avère être une amie proche de Sinclair, l’assistant de Quirke, qui s’est rapproché de Phoebe, la fille de Quirke, à l’initiative de ce dernier. Phoebe va donc encore être mêlé aux enquêtes amateurs de son père, bien malgré elle. Quirke se charge de manière très très rapprochée des entretiens avec la veuve (au revoir Isabel) (elle n’aura tenu qu’un épisode).
Comme vous le constatez, il y a beaucoup de suspects, tous aussi plausibles les uns que les autres. C’est donc particulièrement intéressant au niveau de l’enquête (même si on devine avant la fin le dénouement). Il ne faut pas vous attendre à une action démentielle car les enquêteurs de Benjamin Black sont quand même très cérébraux. Tous se passe en entretiens, interrogatoires et réflexions. Les jeunes vont cependant particulièrement être en vedette dans cet épisode ; je veux parler de Phoebe (qui y était déjà dans les volumes précédents), Sinclair, Dannie et Teddy.
C’est ce qui m’a beaucoup étonné ; enfin, David Sinclair intervient enfin comme un personnage actif. Dans le volume précédent, il était plus ou moins vu comme le subalterne de Quirke qui cherchait à profiter de l’alcoolisme de son patron pour pouvoir prendre sa place et voyait donc son retour avec une grande déception. De plus leurs relations étaient empreintes d’une certaine froideur. Ici, Quirke prend l’initiative d’inviter Sinclair au repas hebdomadaire avec sa fille. Sinclair s’attache bien malgré lui à Phoebe. Tout s’enchaîne assez vite. Je suis assez contente du tour que prend cette histoire. De plus, dans ce volume, on abandonne complètement Malachy et on retrouve Rose seulement pour le dénouement. J’ai trouvé que c’était plutôt une bonne chose car leurs personnages commençaient à s’essouffler précédemment.
Sinclair est aussi l’occasion de mentionner une autre chose : la religion juive. En effet, Sinclair comme Jewell sont juifs et visiblement, c’est quelque chose de très particulier en Irlande, pays majoritairement catholique. Les Jewell et Sinclair sont pas ou peu pratiquants mais Benjamin Black insiste dessus. Je n’ai pas compris où il voulait en venir mais j’ai trouvé les réactions des personnages très étranges. Par exemple, Phoebe dit tout de suite à son père que Sinclair est juif, qui lui ne sait pas comment elle l’a vu. Elle ne le dit pas comme un jugement mais comme une constatation froide. Pourtant quand elle va devenir plus intime avec lui, elle va lui demander comment cela fait. Dannie a été pensionnaire dans une école religieuse catholique ; elle y a appris tout le protocole de cette religion mais elle dit que les autres savaient qu’elle était différente. L’impression que cela m’a donné est que l’auteur envisage ses personnages juifs, comme un groupe singulier et pourtant non homogène. Ils sont sources de curiosité et quelques fois d’agressivité. Dans le volume précédent, il y avait un personnage noir. J’ai l’impression que Benjamin Black veut souligner la diversité dans une société que l’on pourrait penser très homogène (surtout dans les années 50). Il veut peut être montrer que les liens qui sous-tendent la société irlandaise sont plus complexes qu’on ne pourrait le penser. C’est ce que j’ai pensé mais je ne suis pas vraiment sûre.
Ce qui m’a fait pensé cela, c’est aussi l’atmosphère très particulière qui se dégage de l’écriture de Benjamin Black dans ce volume-ci. Il utilise un narrateur omniscient, qui voit les sentiments de chacun des personnages, mais qui se place tour à tour dans le point de vue de chacun des personnages. J’ai eu cette impression que chaque personnage est isolé par rapport aux autres, qu’il voit bouger devant ses yeux comme des marionnettes incompréhensibles. Chacun est aussi obnubilés par ses sentiments, sans forcément s’intéresser à ceux des autres. C’est comme si les personnages n’avaient pas de liens entre eux ou très peu. C’est pour cela que j’ai pensé qu’il était important pour l’auteur de montrer d’une autre manière comment les personnages interagissent entre eux. Ils jugent les autres non par leurs caractères mais pas leurs appartenances à une certaine classe sociale ou à une certaine religion.
C’est donc un volume des aventures de Quirke que j’ai particulièrement apprécié, plus que les volumes 2 et 3 à mon avis. Je commence à mieux voir la manière dont Benjamin Black construit ses romans et surtout à mieux comprendre sa manière de narrer ses histoires.
Références
Mort en été de Benjamin BLACK – traduit de l’anglais (Irlande) par Michèle Albaret-Maatsch (Nil, 2014)
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