Quatrième de couverture
Wharton publie The Writing of Fiction en 1925 afin d’établir ce qui constitue selon elle les principes rationnels, naturels et permanents d’une fiction bien construite.
Elle suscite notre désir violent de plonger dans les œuvres qu’elle analyse (celles de Balzac, Flaubert et Sendhal qu’elle met au premier rang, celles de Tackeray, Eliot, Hawthorne, Dostoïevski, etc.). Son projet s’affine au fur et à mesure, les « personnages » étant les éléments fondamentaux du roman, comme la « situation » est fondamentale pour le temps plus court de la nouvelle : « La nouvelle, plus que le roman, est la descendante des épopées et des ballades anciennes… »
La joie que lui procure la découverte de Marcel Proust lui permet de « refuser » Joyce, de mieux dire sa colère à l’encontre de ce qu’elle considère comme « un fatras boursouflé de pornographie (de la sorte la plus grossièrement potache)… »
Proust meurt en 1922 alors qu’Ulysses est publié à Paris par Sylvia Beach. Témoin d’un monde en décomposition, qu’elle a décrit dans ses livres, Wharton oppose ces deux figures majeures de la « modernité », mais sans pressentir le génie de Joyce.
Mon avis
Il s’agit d’un essai de Edith Wharton sur les règles de la fiction comme son titre l’indique. Il est suivi d’un court texte de l’auteure sur la profonde estime qu’elle porte à Marcel Proust (elle démontre ici tout le génie qu’il possédait malgré quelques parties plus faibles d’après elle). Le texte de Marcel Proust, je n’en parlerai pas vu que je n’ai pas lu À la recherche du temps perdu, même si elle donne franchement envie de s’y mettre (elle aussi devrais-je dire).
La premier partie du livre est décomposée en quatre parties : généralités, mener un récit, construire un roman et personnage et situation dans le roman. Dans ces quatre parties, une chose frappe c’est la certitude qu’Edith Wharton a qu’elle a raison. En tout cas, c’est l’impression que cela donne mais ce n’est pas du tout comme cela qu’elle l’expose. Elle a énormément réfléchit à son Art et elle souligne l’importance de le faire pour les jeunes écrivains (voir les extraits en dessous), elle a aussi beaucoup lu. Elle en a tiré quelques consignes pour à son avis faire un roman réussi. Elle distingue les génies et le reste des écrivains (parce qu’on n’est pas tous des génies) et elle parle bien de romans réussis et non de chef d’œuvre. Je me garderai bien de faire un résumé de ses conseils (je ne les ai pas notés à vrai dire) mais j’ai trouvé que c’est intéressant car le discours se présente d’un manière logique, construite et claire (c’est ce qu’elle prône). Tout cela est illustré par des exemples pris dans la grande littérature française et anglaise (voire américaine et russe) du 19ième siècle (il y a quand même Jane Austen) et du début 20ième siècle.
Cependant, deux petites choses ont retenu plus mon attention. La première est l’explication de comment on sait que l’on doit écrire une nouvelle plutôt qu’un roman. Cela ne m’a jamais paru bien clair de différencier longue nouvelle et court roman. Je vous livre un passage pour vous donner une idée.
« Il y a au moins deux raisons pour lesquelles un sujet s’épanouira mieux sous forme de roman que de nouvelle ; mais aucune ne tient au nombre de ce que l’on appelle commodément les péripéties, ou incidents extérieurs. Certains romans d’action peuvent être condensés en nouvelles sans grande perte de substance. Dans un sujet, les éléments qui exigent un plus long développement sont, d’abord, le déploiement progressif de la vie intérieure des personnages, et ensuite la nécessité de donner au lecteur l’impression d’un écoulement du temps. Des incidents divers et palpitants peuvent sans grande invraisemblance être ramassés en quelques heures, mais les drames moraux, les tourments de l’âme, ont d’habitude des racines profondes qui remontent loin dans le temps ; et quelle que soit la soudaineté apparente de leur révélation, elle n’aura d’effet et de justification que si on y arrive pas à pas.
Une nouvelle peut certes se fonder sur un paroxysme moral. Mais il faut qu’il s’agisse d’un drame qu’un seul éclair rétrospectif suffit à révéler ; si les causes sont complexes, s’il faut tenir compte de phases successives, la suggestion d’un écoulement du temps est nécessaire, l’élaboration est justifiée, et c’est alors le roman qui est une forme adéquate. »
La seconde est sa détestation du « flux de conscience » car justement c’est la marque d’un désordre de l’esprit qui selon elle, empêche la mémorisation du livre par le lecteur (on ne mémorise que la sensation et pas l’intrigue ou bien le sentiment qui se cache derrière cette sensation). Comme je n’y connais rien en histoire littéraire, je pensais que la chef de fil de ce courant était Virginia Woolf mais apparemment non (d’un autre côté elle ne cite pas de noms). Cependant, maintenant, je me demande si elle avait lu Virginia Woolf ou elle ne l’aimait ou est-ce qu’elle ne l’avait pas lu (parce que cet essai et les livres de Virginia Woolf sont un peu contemporain tout de même). Si vous avez des infos, je suis preneuse.
En conclusion, je dirais qu’on ne peut qu’admiré la confiance qu’Edith Wharton avait en son jugement pour l’exprimer à la postérité d’une manière qui peut paraître à la première lecture péremptoire. Elle n’avait pas peur qu’on lui dise qu’elle avait loupé quelque chose. C’est pour cela que je dis « à la première lecture » car à mon avis elle nous livre sa vision et sa réflexion qu’elle essaye d’objectiver un maximum.
Quelques extraits sur la littérature et les écrivains
« Un autre élément perturbant dans l’art moderne est ce symptôme courant de l’immaturité, qui consiste à craindre de faire ce qui a déjà été fait ; car si la jeunesse a l’instinct de l’imitation, elle en a un autre, tout aussi impérieux, qui est de s’en défendre farouchement. À cet égard, le romancier d’aujourd’hui est en danger d’être pris dans un cercle vicieux, car la demande insatiable de production rapide tend à le maintenir dans un perpétuel état d’immaturité, et l’acceptation machinale de sa marchandise l’encourage à penser qu’il est inutile de perdre du temps à étudier l’histoire de son art, où à réfléchir sur ses principes. Cette incitation renforce l’idée qu’une prétendue « originalité » peut être gâchée par de longues méditations sur le thème abordé, et une trop intime fréquentation des œuvres passées ; mais toute l’histoire de l’art montre au contraire que les créateurs dont les œuvres subsistes ruminèrent longtemps leur sujet pour en extraire et en restituer toute la saveur, et l’enrichir de toutes les impressions et les émotions qui nourrissent sa personnalité.
La véritable originalité consiste, non pas dans une nouvelle manière, mais dans une nouvelle vision. L’écrivain ne peut atteindre à une vision nouvelle et personnelle que s’il observe son objet suffisamment longtemps pour le faire sien ; et l’esprit qui veut faire germer cette graine secrète doit être capable de l’alimenter avec toute la richesse accumulée de son savoir et de son expérience. Pour connaître une chose, on doit non seulement connaître un grand nombre de choses,, mais aussi […] beaucoup plus de cette chose-là qu’on n’en fait paraître dans une représentation visible […]. »
« C’est autant le manque de culture générale que de vision originale qui pousse tant de jeunes romanciers, en Europe comme en Amérique, à accorder une importance excessive à des innovations insignifiantes. Une vision originale ne craint jamais d’employer des formes reconnues ; et seule une intelligence cultivée peut échapper au danger de considérer comme une profonde nouveauté ce qui risque de n’être qu’un changement superficiel, ou le retour à une technique oubliée. »
« La principale différence entre l’imagination créative et la simple sympathie est que la première a deux aspects, et qu’elle combine le pouvoir de pénétrer les esprits avec celui de s’élever suffisamment au-dessus d’eux pour voir au-delà et les relier à tout un ensemble vivant dont ils n’émergent qu’en partie. Cette sorte de vision globale ne peut être obtenue qu’à partir d’une certaine hauteur ; et cette hauteur, en art, est proportionnelle à la part d’imagination que l’artiste est capable de détacher du problème particulier dans lequel l’autre part reste immergée. »
Références
Les règles de la fiction suivi de Marcel Proust de Edith WHARTON – traduit de l’anglais et présenté par Jean Pavans (Éditions Viviane Hamy, 2006)
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