J’avais prévu de vous écrire, ce soir, un billet sur un autre livre, mais j’ai lu cet après-midi cette pièce de théâtre. Il fallait absolument que je vous en parle aujourd’hui. J’ai découvert cette pièce sur internet. Le thème m’intéressant particulièrement, je l’ai commandé.
Je ne sais pas si vous connaissez la revue où est paru le texte. Je l’ai découvert à la bibliothèque. L’avant-scène théâtre paraît tous les quinze jours (sauf exception à Noël par exemple). On y trouve une pièce, commentée par les acteurs, le metteur en scène, l’auteur (et ici le traducteur), mais aussi une mise en contexte par rapport à d’autres pièces sur le même thème. C’est très agréable, quand on ne va jamais au théâtre comme moi (et qu’on n’y connaît donc rien), cela permet de ne pas louper d’informations et de mieux comprendre ce qu’on lit. Tout cela occupe environ 90% de la revue. Le reste est pris par des actualités théâtrales et des conseils de textes publiés.
Transmission est le nouveau titre d’une ancienne pièce L’affrontement. Plus exactement, il s’agit d’une nouvelle version de la pièce Mass Appeal écrite initialement dans les années 80 (je n’ai pas vu le film tiré du texte). Si on en croit le dossier, cette nouvelle version est moins déclarative, moins théâtrale, plus ancrée dans la vie de tous les jours. Il s’agit d’un vrai dialogue entre un nouveau prêtre qui refuse toutes concessions sur sa pratique religieuse et un ancien prêtre qui en a déjà consenti un peu trop. La pièce est donc un dialogue entre les deux protagonistes. Les personnages ne s’arrêtent jamais pour donner leur avis au public, le public restant spectateur et n’étant pas pris à partie. Cela ne semble pas avoir été le cas dans la première version.
Mark Dolson est un jeune séminariste, qui se destine donc à la prêtrise, après trois années de ce qui est qualifié d’orgie. Avant cela, il doit devenir diacre. Cependant, le passage de séminariste à diacre ne semble pas gagner. En effet, Mark envisage son futur métier avec le désir d’aider les gens dans leur détresse, mais dans leur vie quotidienne : il veut par exemple leur faire comprendre que l’important c’est eux et pas ce qu’ils possèdent. Il a par ailleurs des idées très larges sur l’ordination des femmes dans l’Église catholique (qui reste bloquée sur ce sujet), mais aussi sur l’homosexualité (l’Église catholique reste aussi bloquée sur ce sujet, rassurez-vous). On se doute bien que cela secoue un peu trop le séminariste. On l’envoie donc en stage (en tout cas, c’est ce qu’on suppose au début) dans la paroisse du père Farley.
Celui-ci est particulièrement aimé de ses paroissiens. Il faut dire qu’il fait tout pour. Il leur dit toujours ce qu’ils veulent entendre, ne cherche jamais à les bousculer. Il adapte même ses sermons suivant si son auditoire tousse ou pas (apparemment, la toux est une marque d’ennui dans une église). Ses paroissiens viennent à l’église avec plaisir, mais est-ce vraiment cela le but de l’Église ? C’est un peu une des questions que soulève Mark. Cela n’aide pas plus les paroissiens, et cela a fini par détruire le père Farley. Il boit plus que de raison pour pouvoir continuer à exercer son métier en se taisant, et en faisant semblant d’écouter ses ouailles. Il faudra des discussions animées avec Mark pour qu’il commence à s’en rendre compte.
Clairement, c’est tout ce que j’aime : c’est intelligent, pertinent et cela pousse à la réflexion. Le rythme est juste parfait. On ne peut qu’être frappé par l’actualité de la pièce, alors que cette deuxième version a été écrite dans les années 90 (même si elle n’est traduite que maintenant chez nous).
Même si au premier abord, le père Farley peut apparaître détestable dans ma description. Ce n’est pas le cas. On peut comprendre qu’à un moment, il doit tenir compte de son auditoire. Personne n’aime être poussé dans ses retranchements tous les dimanches. Une de ses répliques que j’ai notées par exemple, le dit très clairement :
[en réponse à Mark, qui lui demande pourquoi on l’a envoyé en « stage » chez lui] Parce que vous êtes un lunatique ! Et l’Église a besoin de lunatiques. Vous êtes un de ces lunatiques précieux qui passent de temps en temps et qui rendent l’Église vivante, on en a besoin, surtout en ce moment. Le seul problème avec les lunatiques, c’est qu’ils ne savent pas comment survivre. Moi si.
Même le père Farley se rend compte qu’il faut des gens comme Mark, mais qu’il ne peut pas survivre dans ce monde. Il faut savoir faire des concessions, et aussi savoir ne pas en faire trop. Sinon, on peut perdre ses opinions et le courage de les exprimer. Le père Farley a tellement renié ses engagements initiaux, qu’il n’aide plus personne : ni lui ni les autres :
Mark : Ce que vous avez fait, ou pas fait, pour moi n’a plus aucune importance. Je vous ai cru parce que j’avais besoin de vous croire. Je me suis laissé avoir. C’est pas votre faute. Mais ceux qui viennent pour votre aide méritent mieux.
Père Farley : Ne vous en faites pas pour eux. Je m’en occupe très bien.
Mark : Vous les « gérez », je vois ça, comme vous m’avez géré moi. Vous leur dites ce qu’ils veulent entendre. Peu importe que ce soit la vérité ou non, du moment que ça apaise cette personne. Vous diriez n’importe quoi pour qu’une personne dans le besoin vous faite la paix.
C’est un bon exemple, des dialogues qu’échangent les deux protagonistes. Cela peut sembler violent, mais c’est surtout direct. C’est aussi ce que j’aime dans le théâtre. Si on compare au roman, la démonstration est forcément plus explicite (dû à la forme uniquement dialoguée) et plus succincte (à cause de la contrainte de temps).
Si vous vous intéressez à ces thématiques, je vous conseille vivement ce texte. Je ne sais pas si elle est encore jouée. Si c’est le cas, vous pouvez aussi peut-être encore voir une représentation avec Francis Huster et Valentin de Carbonnières, qui ont interprété cette deuxième version, dans une mise en scène de Steve Suissa.
Références
Transmission de BILL C. DAVIS – traduction de Davy Sardou (L’avant-scène théâtre, 2020)
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