J’ai voulu lire ce livre après la lecture d’un article du Matricule des Anges de juillet-août 2014, présentant une librairie-tartinerie, à Sarrant dans le Gers.
Extrait :
Question : Votre fonds n’est-il pas intimidant pour celui qui franchit le seuil de la librairie ?
Réponse de Didier Bardy : Oui, il y a peut-être cette ambiguïté. D’où l’intérêt que les gens se posent, prennent leur temps pour aller vers les livres. C’est tout notre pari : un lieu où l’on peut décomplexer les gens. Je leurs dis : ouvrez C’est un dur métier que l’exil… de Nâzim Hikmet. Allez vers Poussières de la route de Henri Calet et ses promenades le long de la Garonne. Lisez le petit Élisa de Jacques Chauviré ! Giaconda de Nikos Kokàntzis est également un livre que nous conseillons beaucoup.
J’ai lu ce tout petit passage et à défaut de me rendre dans cette librairie (qui a l’air absolument géniale), je me suis dit que j’allais lire Jacques Chauviré parce que je n’avais jamais entendu de parler de cet auteur. Un libraire qui défend « encore » un livre paru il y a plus de dix ans ne peut que être de bons conseils. Je l’ai donc commandé en occasion et j’ai été charmée par cette lecture. Si vous avez lu August de Christa Wolf cette année, dites-vous que le thème de ce tout petit livre (moins de 100 pages) est similaire à celui de l’auteure allemande.
Le narrateur, Ivan, sur le tard, raconte sa première histoire d’amour. Il avait cinq ans et elle dix-huit. Bien évidemment, le sentiment n’était pas réciproque. On est à la sortie de la guerre de 14. Le père d’Ivan est décédé ; Ivan, sa mère et son frère habite chez les grands-parents. Un jour, une nouvelle domestique arrive à la maison. Elle s’appelle Élisa. C’est la première place qu’elle prend. Tout de suite, Ivan est amoureux. Élisa répond mais comme une grande sœur. L’enfant ne comprend pas et se montre de plus en plus possessif, quitte à en devenir étouffant. Comme le livre est écrit par un Ivan plus âgé, l’adulte porte un regard assez sévère sur l’enfant qu’il a été. Il ne s’accorde pas la circonstance atténuante d’avoir été un enfant. Il n’essaie pas de recréer le personnage qu’il a été mais plutôt la manière dont il l’interprète aujourd’hui.
Je trouve que cette narration apporte un caractère très particulier au livre. Le livre s’installe dans une période d’entre-deux : la famille loge chez la grand-mère en attendant, ils attendent tous le rapatriement du corps du père dans le caveau familial. Même si le déroule sur plus d’une année, j’ai eu l’impression que l’on était en été, comme en vacances. La lumière brûle et on attend que quelque chose se passe. Le fait que le narrateur est le personnage, mais plus âgé, donne l’impression d’une période bénie, préservée (la guerre est finie mais la vie n’a pas encore recommencée, on finit de panser ses plaies).
La fin qui raconte l’ultime rencontre entre Élisa et Ivan humanise l’histoire d’amour car aucun des deux n’a jamais oublié qui était l’autre.
C’est un livre magnifique qui emporte dans un monde beaucoup plus serein que le nôtre. Cela fait du bien parfois.
Références
Élisa de Jacques CHAUVIRÉ (Le Temps qu’il fait, 2003)
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