Quatrième de couverture (en fait un extrait du livre)
« J’en saisis un que j’ouvris, c’était Dostoïevski. Gros comme deux gaufres ! Je me mis à lire la première phrase du premier que j’ouvrais de ma vie, Notre bagne se trouvait à l’extrémité de la forteresse, au bord du rempart. Elle était courte.
Comment l’auteur avait-il fait entrer dans une phrase aussi courte le bagne, la forteresse et le rempart ?
J’étais accroché. Je poussai jusqu’à la deuxième phrase. Quand, à travers les fentes de la palissade, nous cherchions à entrevoir le monde, nous apercevions seulement un pan de ciel étroit et un haut remblai de terre, envahi par les grandes herbes, que nuit et jour les sentinelles arpentaient. Ça me plaisait. Surtout le pan de ciel étroit. Je le voyais ! C’était un miracle que les deux premières phrases du premier livre que j’ouvrais dans ma première librairie me plaisent du premier coup ! Bagne ! Forteresse ! Rempart ! Remblai ! Sentinelles ! Pour un cadeau à une jeune fille, je n’y allais pas de main morte ! Au fond, je n’en revenais pas que Mathilde m’ait choisi, embrassé, aimé … Une bibliothécaire ! »
Mon avis
Si vous vous posez la question de quel livre de Dostoïevski le narrateur parle dans cet extrait, c’est Souvenirs de la maison des morts.
C’est un joli conte que nous raconte Jean-Marie Gourio mêlant livre, lecture et amour. Une princesse, Mathilde, bibliothécaire de son état, tape dans l’œil du narrateur, militaire en permission, dès qu’il la voit lire dans le parc. Il l’aborde. Elle lui parle de son livre Le Savon de Francis Ponge. Voilà notre amoureux bien désarçonné car il n’a jamais ouvert un livre de sa vie. Pourtant Mathilde va lui prêter pour qu’il puisse en discuter à la prochaine permission du jeune homme. C’est ce qui se passera mais il se retrouvera avec un autre livre à lire, Kafka. Il essaye, il essaye mais franchement la lecture ce n’est pas sa tasse de thé.
Pourtant, sa mère aimait les livres. En tout cas, c’est la légende familiale que son père entretient bien soigneusement car pour lui, c’est le plus grand hommage qu’il puisse rendre à celle qu’il est morte trop tôt noyé après avoir reposé, sur la plage, son livre, les 1275 âmes de Jim Thompson. Le narrateur nous parle de ce que le livre représente dans sa famille, plutôt pauvre : 21 volumes d’encyclopédie (on ne les ouvre pas trop car sinon le savoir de la Terre risquerait de s’échapper) et des Selection du Reader’s Digest (la quintessence du livre : on sélectionne le meilleur du livre car le reste ce n’est que du « gras »)(ma grand-mère lisait cela tous les soirs et cela ne l’a pas empêché d’avoir comme écrivain favori Pierre Loti, d’avoir lu tous les Mazo de la Roche et Pearl Buck et d’acheter des livres dès qu’elle avait trois sous de côté et ce dès son plus jeune âge donc à mon avis, ce ne doit pas être si mal que cela).
Mathilde vient elle d’une famille de lecteurs et de possesseurs de livres. Il va donc falloir que notre héros s’y mette mais bon, la lecture franchement … Il va trouver une parade : au lieu de les ouvrir, il va s’attacher à l’objet livre. Il va construire des étages, se servir des livres comme une armure mais il va surtout s’ouvrir au fur et à mesure à ce qu’est un livre et il nous présente toutes les réactions des gens (lire c’est bien mais point trop n’en faut), il va nous parler de la gêne qu’il y a à acheter un livre ou même à rentrer pour la première fois dans une librairie. C’est un des aspects du livre : le livre et la lecture.
Le deuxième aspect c’est l’amour entre notre héros et sa princesse (un amour qui est aussi charnel rassurez vous), l’amour entre notre héros et son père qui est amplifié par le souvenir d’une mère qui apportait la luminosité dans cette famille. La princesse, qui ressemble à la mère, va essayer de les guérir, de les rouvrir à la vie et à l’amour.
C’est un livre qui fait du bien, qui vous met de bonne humeur, qui vous fait sourire. Il ne va pas vous entraîner dans de très longues réflexions sur des sujets susceptibles de sauver le monde mais pour ouvrir cet été qui s’annonce pluvieux, c’est un (très) bon livre.
Références
Chut ! de Jean-Marie GOURIO (Julliard, 1998)
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