Le point de vue des éditeurs
« La réponse résidait dans la peau de l’amant. Ses pores contenaient de minuscules et invisibles traces de ce liquide noir qui génère tant de passions. Ce mélange dense et obscur au pouvoir illimité. De l’encre.«
Dans la Mayence de Gutenberg, au début du XXe, une femme vit une passion insensée. Tous les mardis, contre son gré, elle rejoint dans une chambre d’hôtel un amant dont elle ne sait rien, et qui exerce sur elle une aberrante emprise. Son mari, libraire, trouve dans les livres mille raisons à toutes sortes de passions, mais pas une à l’injustice qui le frappe. Se présente un jour à lui un mathématicien désespéré par la disparition de son fils qui poursuit la même quête à travers les chiffres. Les deux hommes s’allient pour composer l’ouvrage capable de les aider à s’affranchir du non-sens qui les hante.
Avec ce court roman philosophique qui convoque tous les acteurs du livre et les appelle à unir leurs savoirs face à l’infortune humaine, Fernando Trías de Bes signe une œuvre fervente, dédiée aux sortilèges inépuisables de la lecture.
Mon avis
Je n’ai pas trop besoin de vous raconter comment l’idée m’est venue de lire ce livre ; tout est dans la quatrième de couverture : mathématiques et livres.
Comme le suggère la quatrième de couverture, ce livre est un court conte philosophique dont la quête est un livre décrivant l’origine de toute chose. En effet, tous les personnages du roman ont eu à subir une perte, irrémédiable ou non, d’un être cher : le libraire a perdu sa femme au profit d’un amant (uniquement envisagé du point de vue sexuel), le mathématicien a perdu son enfant, noyé en Normandie, et sa femme, qui veut qu’il lui explique pourquoi, l’imprimeur a perdu son frère jumeau, suicidé car ridiculisé par ses pairs, le correcteur a perdu son amoureuse intrépide dans un accident d’avion, l’éditeur a perdu sa mère. Tous ont donc une bonne raison de faciliter l’arrivée de ce livre qui ressemble plus à une chimère qu’à autre chose pour l’observateur extérieur.
Le libraire va prêter (plutôt donner) ses livres au mathématicien qui va déchirer des phrases qui se retrouvent de livres en livres (il est évident que cela n’aide pas le libraire car il finit par ne plus avoir de livres). Le mathématicien va assembler les phrases pour en faire un livre, qu’il devra ensuite faire imprimer. Vu le pouvoir du livre, il faut que le livre puisse être lu mais non conservé. L’imprimeur doit donc inventer une encre spéciale (ce sera de l’encre homéopathique). L’imprimeur le fera corrigé puis édité.
le livre commence à devenir un peu fou quand il commence à penser que l’encre fait en majorité d’eau et avec quelques gouttes d’encre peut faire un livre comme il le désire. Mais c’est là aussi toute la révélation philosophique du livre : il n’est pas nécessaire de trouver une seule explication à toute chose mais tout simplement d’en trouver une en laquelle on peut croire et l’encrer très solidement dans sa tête. Une seule explication correspond à quelque chose qui n’existe pas ou qui est inatteignable.
Le livre est très plaisant à lire car les péripéties et les idées s’enchaînent rapidement dans un style très classique. L’auteur ne cherche pas trop à faire revivre la Mayence de l’époque et se concentre plutôt sur LE livre. Pour la fin, il m’a rappelé Pour l’amour du chocolat de José Carlos Carmona que j’avais lu l’année dernière. Ce sont tous les deux des auteurs espagnols qui racontent une histoire qui ne se situent pas en Espagne, qui font preuve d’un art impressionnant pour dérouler de manière astucieuse leurs récits : il est suffisamment bien construit pour qu’on ne le lâche tout en se demandant où l’auteur veut nous emmener. Quand le dénouement arrive, les deux fois complètement inattendu, on est surpris alors qu’en fait l’auteur avait semé toutes les pistes pour comprendre avant.
Références
Encre de Fernando TRÍAS de BES – roman traduit de l’espagnol par Delphine Valentin (Actes Sud, 2012)
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