Présentation de l’éditeur
L’ambulance file à travers la ville. Il saigne, on lui tire dessus.
Dans son esprit embrumé, dans son délire, surgissent des souvenirs, des bribes de son passé, le petit garçon qu’il était, assis à l’arrière de l’Aronde familiale, les femmes qu’il a aimées, les rêves qui l’ont nourri …
Il y a cette belle fille aussi, celle qui vient de le quitter, de l’abandonner, sous les néons d’un centre commercial. Et puis ce café un peu poussiéreux, où il aime s’accrocher à ses chimères d’écriture. La vie est difficile pour les tendres.
Mais tout s’emmêle, tout se mêle, les histoires, les visages, les mots même …
Il saigne, on lui a tiré dessus.
Présentation de l’auteur (par l’éditeur)
René Corona vit entre la Calabre et la Sicile, où il enseigne les beautés de la langue française et cultive son spleen au bord du Détroit ou face à l’Etna. Il s’intéresse à l’histoire de la langue, à sa traduction, à la poésie, sujets sur lesquels il a publié quelques essais. Il lui arrive aussi de traduire en français des poètes italiens et de traduire en italien des écrivains français qu’il admire. Henri Calet par exemple, dont il vient de traduire l’Italie à la paresseuse.
Quelques extraits et citations
Il apprit la joie des mots et l’amertume des jeux de mots. Quand un mot glisse, il se fait mal et il fait mal.
La vie, c’est comme la rentrée des classes, on pousse, on pousse pour rien, pour que dalle au fond, juste une petite place près de la fenêtre pour regarder les feuilles tomber et puis voilà que le pion ou le maître ou un plus gros que toi te pousse vers une autre place…
Le ciel devenait sombre et un ou deux corbeaux dansèrent sur le trottoir. Un corbeau ? ici ? quelle idée ! plus probablement un merle ? un corbeau, nevermore nevermore et hop il était mort, pas de poe ! L’humour des derniers instants, ricana-t-il en son for intérieur, maintenant qu’il savait qu’il allait mourir, il n’avait plus qu’une hâte, que tout se termine rapidement, tout ce cinéma, l’entracte avec naissance et enterrement, le film de sa vie, jadis, naguère, autrefois, aujourd’hui et demain. Après-demain.
Revenir en arrière toujours toujours, comme si à piétiner son passé on pouvait y changer quelque chose. Il a plus de souvenirs que s’il avait… il a pluie de souvenirs, trempé jusqu’aux larmes à se secouer les puces et vous verrez qu’elles tomberont, les larmes-Calet, sur ce coin de trottoir, comme le dernier des mots et des camps, la dernière séquence des scouts feu de bois et croix de fer, on n’en reviendra jamais au bois charmant mesdames, c’est bien fini, une fois jeunesse passée on ramasse à la pelle nos souvenirs comme sur la plage de Prévert, vite fait en traînant cette petite brouette Godot pleine de ramassis et de feuilles mortes et de pleurs et d’histoires, de chagrins, de chat gris, de magma confus confits de mots et de paperasses, nos premières années, nos tendres années, nos nounours arrachés, nos osselets, nos billes de toutes les couleurs, vite vite, ne poussez pas, il y a assez de place pour tout le monde, la paille qui danse dans le verre de grenadine, nos bécanes au bois joli, les palissades du bois de Vincennes, les flaques et les vêtements du dimanche et les manèges ah la tête qui tourne, mon manège à moi entraîné par la foule, les manèges, Paris, Paname… et le pont de Charenton… À la pelle les souvenirs, dans une brouette que l’on traîne d’un trottoir à l’autre, vous n’allez tout de même pas nous ressasser ces vieilles histoires qui n’intéressent pas grand monde, allons allons lalonlonlaire, soyons sérieux, à votre âge, on se met devant une télé et on ferme sa gueule.
Mon avis
J’ai acheté ce livre au Salon du Livre le mois dernier, avec un livre d’Italo Svevo, après avoir écouté l’éditrice (je suppose) m’expliquer un petit peu le sujet. Je vais vous raconter l’histoire un peu comme elle l’a fait : un homme, qui vient de se disputer avec sa compagne, Lucy Fair, se fait tirer dessus en descendant dans la rue. Il tombe sur le bitume et se remémore sa vie, pendant que l’ambulance arrive et les médecins le soignent. Il repense à tous ces moments perdus, aux personnes célèbres, écrivains, chanteurs, qu’aujourd’hui il admire et qu’il aurait pu rencontrer dans sa jeunesse, mais il est né trop tard et n’a pas pu les apprécier au bon moment. Il pense à sa jeunesse, à ses conquêtes. Tout cela entraîne une réflexion sur sa vie, sur la vie. La fin, où nous est dévoilé l’identité du tireur, est, je trouve, hautement ironique par rapport à ce qui a été dit avant.
J’ai beaucoup aimé cette réflexion sur le temps qui passe, sur le fait d’être né trop tard. De nombreuses fois, je me suis dit que je m’étais intéressé trop tard à la lecture car il y a de nombreuses éditions aujourd’hui épuisées qui étaient encore disponible dans les années 90.
Ce que l’éditrice n’avait pas défloré, c’était le style de l’auteur qui m’a enchanté. René Corona utilise l’association d’idées, de sons, de mots pour construire de longues phrases où toute une pensée se déroule. Parfois, c’est ardu à comprendre mais à d’autres moments, on ne peut qu’être impressionné. L’auteur réinvente avec malice parfois l’orthographe parfois la ponctuation. Le livre en devient très vivant, très rythmé. Un peu comme d’antan (enfin j’imagine) avec la gouaille parisienne des bistrots.
En conclusion, une lecture intéressante grâce au style très particulier de l’auteur.
Références
L’hébétude des tendres de René CORONA (Finitude, 2012)
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