Mon premier slovaque ! Et j’ai eu la chance que ce soit une très bonne lecture. Cela a d’abord commencé par une prise de conscience : les chars soviétiques en Tchécoslovaquie, en 1968, n’étaient pas qu’à Prague, mais bien dans toute la Tchécoslovaquie, et donc forcément à Bratislava, capitale de l’actuelle Slovaquie.
Dans ce livre, on suit trois familles, liées par un lien familial ou amical. Ces trois familles sont parties en exil à la suite de l’ »invasion » soviétique de 1968.
La première famille est celle de Šani, sa femme Anna et leur fille Petra. Ils habitent dans une petite ville, Stara Ruda, où les deux parents travaillent dans l’unique entreprise tchécoslovaque de matériel médical. Lui est un ingénieur reconnu. Il a adhéré au parti communiste, plutôt pour les avantages, que par convictions. Anna occupe, elle, le poste de comptable. Tous les deux mènent une vie plutôt confortable, ont une belle habitation, une belle voiture … Leur fille, Petra, vient de terminer ses années de médecine à Bratislava. Au début du roman, au début de l’été 68, Petra retourne vivre chez ses parents, avec dans l’idée de commencer en septembre à travailler
Stara Ruda est une petite ville, assez loin de Bratislava, mais suffisamment proche pour y aller régulièrement sans trop de peine, et donc assez loin des vents réformateurs qui soufflent sur les capitales :
Quand le foehn réformateur du Printemps de Prague 68 souffla jusque-là, Šani réalisa que le froid y était encore glacial. À Stara Ruda, au point de vue sociétal, on n’était pas sorti de l’hiver 1965.
On pourrait donc s’attendre qu’à l’été 68, la répression soviétique soit moins sévère dans les campagnes. Pourtant, les parents de Petra craignent pour elle et pour son avenir. Ils envoient leur fille en Autriche, chez des amis, tant que la frontière est ouverte. Problème : étant donné la place de Šani, il est assez mal vu que sa fille soit partie. On lui propose d’aller à Vienne, récupérer / convaincre sa fille de rentrer au pays où elle sera pardonnée et pourra servir la République socialiste. Le problème est qu’il doit y aller seul, en laissant sa femme derrière lui. Ils prendront une décision très difficile : Šani ne rentrera pas de Vienne, il émigrera avec sa fille, en laissant sa femme derrière lui.
Quand elle faisait ses études, Petra logeait, à Bratislava, dans une famille amie de Šani, de confession juive. Dans cette famille, il y a une jeune fille sensiblement du même âge que Petra ; elle s’appelle Tereza. À l’été 68, Tereza est dans un kibboutz en Israël. Elle « décide », après de grandes hésitations, de ne pas rentrer ; commence alors, pour elle, un exil, seule, alors qu’elle n’a qu’une vingtaine d’années.
Anna, la femme de Šani, a une soeur, Erika, mariée à Jozef. Celui-ci a étudié la théologie. Il a cependant refusé d’être ordonné, car cela impliquait forcément de dénoncer ses paroissiens. Il s’est lancé dans la radio, ses émissions sont très appréciées. À l’arrivée des Soviétiques, Jozef rentre en résistance en faisant des émissions clandestines. On fait comprendre à sa femme qu’il doit cesser ou qu’ils doivent partir. C’est ce qu’ils feront …
On voit donc suivra, dans ce roman, ces trois groupes de personnes, sur les routes d’un exil qui, pour certains, sera définitif. J’ai beaucoup aimé la construction en chapitre alterné, parfois sans qu’il y ait de lien entre les chapitres. Ici, c’est très bien fait, et donc il n’y a pas de lassitude et le lecteur a toujours en mémoire l’histoire de chaque protagoniste. L’auteur a une très belle écriture, très mélancolique, très sensible. Il met beaucoup d’empathie retenue dans son texte. On s’imagine les personnages, on vit, on comprend leur situation. Pourtant, on reste à une petite distance. Cette distance fait qu’à la fin du texte, on garde en mémoire les situations de l’exil, plus que les situations particulières de nos personnages. Cela donne une composante générale / universelle au texte.
Je tiens à signaler que ce livre est inspiré d’histoires réelles, ce qui peut-être explique le côté crédible du texte, tant au niveau des histoires, que des personnages. Je reste persuadée que c’est bien le talent de l’auteur qui fait que ce roman est aussi réussi, sa manière de raconter, sa manière d’agencer ces histoires, sa manière de généraliser des situations particulières, pour faire une histoire universelle.
En conclusion, ce livre est tout ce que j’aime. Empathique, sensible, il permet au lecteur de vivre et de ressentir profondément une situation tragique, qu’il n’a pas forcément vécue. En plus, on apprend plein de choses sur la vie en Slovaquie, dans la seconde partie du vingtième siècle. Je vous recommande vivement ce livre !
Références
Bratislava 68, été brûlant de Viliam KLIMÁČEK – traduit du slovaque par Richard Palachak et Lydia Palascak (Agullo, 2018)
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