Le mot de l’éditeur
Le livre
Australie, dans les années 1960. En pleine vague de contre-culture, sur fond de jazz et d’existentialisme, un jeune métis aborigène sort de prison. Sa courte errance de citoyen libre dans la ville lui fera découvrir les multiples barrières entre lui et les Blancs, lui et les Aborigènes, lui et une société dans laquelle il ne trouve pas ses repères. S’ensuit un parcours initiatique entre déchéance urbaine et retour à la brutalité du bush.
L’auteur
Mudrooroo est né en 1938 en Australie-Occidentale, sous le nom de Colin Johnson. Son enfance tumultueuse ne tarde pas à le mener en maison de correction, puis, une fois adolescent, à la prison de Fremantle. Il publie en 1965 son premier roman, Chat sauvage en chute libre. Suivront des années de voyage, de littérature, de militantisme pour les droits des aborigènes. Mudrooroo vit désormais au Népal et travaille à son autobiographie.
Citation et extrait
Il ne me juge pas, il me voit simplement tel que je suis.
Je me suis si souvent dit que je désirais mourir, mais je prends conscience aujourd’hui que ce n’était pas vrai. J’ai toujours désiré vivre. C’était simplement la telle qu’elle m’apparaissait dont je ne voulais pas, et dont j’avais décidé qu’elle était futile et absurde. J’ai tenté d’étouffer tout espoir en moi, mais je n’y suis jamais vraiment arrivé. Une dernière lueur ne voulait pas mourir. Et maintenant que la souffrance interminable du jugement et de la punition est la seule chose qui m’attend, je veux vivre, vire plus que je ne l’ai jamais fait. J’ai même l’impression que je saurais le faire un petit mieux désormais.
À mon avis, …
ce livre se lit d’une traite.
L’écriture est magnifique. Elle fait ressentir très vivement ce que peut ressentir le narrateur âgé de dix-neuf ans (et il faut dire qu’il ressent tout très intensément et très intelligemment). Il est l’enfant d’un chercheur d’or, décédé, et d’une métisse (même si il décrit sa mère principalement comme aborigène). Ses parents étaient mariés tout à fait légalement. Sa mère veut donc qu’il profite d’être un blanc à part entière. Il doit vivre comme eux, penser comme eux même si pour eux, il devra toujours faire des efforts pour prouver qu’il est blanc (on a l’impression que pour sa mère, il doit mériter d’être blanc alors qu’il l’est déjà). Il a été enlevé à sa mère à l’âge de neuf ans car il avait commis un vol pour avoir les richesses qu’ils n’avaient pas. Il a été envoyé dans un « institut pour jeunes garçons » où l’éducation était très orientée vers la religion catholique. Trop intelligent pour subir cela, il s’est rebellé et enfui mais est malheureusement tombé dans la délinquance.
Le roman est composé du présent, la sortie de prison après y avoir effectué un séjour de 18 mois, et de flashbacks qui nous raconte tout ce que j’ai dit avant. J’y ai d’abord vu l’histoire d’un jeune homme qui a l’impression que sa vie est déjà fini avant d’avoir commencé, d’un jeune homme brisé par toute une enfance d’emprisonnement. Le roman explique bien la difficulté qu’il y a à se construire sans qu’il y ait de fondations solides. Le narrateur hésite sur ses amis, vers quoi il doit s’orienter, vers ses goûts ou faire comme les autres pour pouvoir s’intégrer.
Ce livre est touchant pour ce qu’il dit des souffrances d’un jeune métis dans une société où la couleur de peau définit votre appartenance. Blanc pour les Aborigènes, aborigène pour les Blancs, maltraité par tous, le narrateur ne situe pas dans la société qu’on lui propose. Il ne peut d’ailleurs pas se situer car la société ne lui donne pas de place. On voit que les choses commencent quelque peu à changer car à un moment, le narrateur rencontre des étudiants qui se montrent plus bienveillants et plus ouverts. Ils le font avec maladresse car eux aussi doivent découvrir et comprendre. Le narrateur a d’ailleurs une impression de curiosité malsaine, d’être comme une bête de foire parmi eux alors qu’il est lui aussi extrêmement intelligent.
L’aspect culturel est très intéressant même si comme le souligne Yvon, le livre date des années 1970. Il y a bien sûr tout ce que l’on peut apprendre sur l’intégration, à l’époque, des Aborigènes dans la société australienne (on était dans une logique d’assimilation pure et dure). Il y a aussi tout le côté « bas-fond » de cette société qu’il n’est pas évident de voir décrire en littérature : on descend notamment dans les milk-bars, épicerie servant de l’alcool, à la rencontre des bodgies et widgies. On trouve d’ailleurs un billet passionnant au sujet de ces jeunes gens sur le blog des éditions Asphalte. C’est là qu’on voit que le narrateur écrit un roman sur la jeunesse et la difficulté de se trouver une place dans une société ; il confronte les bodgies et widgies avec les étudiants, plus aisés et se demande qui a raison. Qui vit le mieux et le plus intensément ? Ne sont-ils pas tous perdus ?
En conclusion, j’ai beaucoup aimé l’écriture, qui retranscrit bien la solitude et le sentiment d’abandon du héros, mais aussi l’aspect découverte d’un pays dont je lis très peu la littérature.
D’autres avis
Chez Yvon, La livrophile, Lo, Polar Noir (le moteur de recherche du site est absolument génial … je viens seulement de découvrir) …
Références
Chat sauvage en chute libre de MUDROOROO – traduit de l’anglais (Australie) par Christian Séruzier (éditions Asphalte, 2010)
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