Présentation de l’éditeur
Méconnue en France, alors qu’elle fait l’objet de nombreuses études à l’étranger, l’œuvre de Hedwig Dohm (1831-1919) mérite pourtant traductions et (re)lectures. Cette féministe (accessoirement grand-mère de la femme de Thomas Mann) ne s’est pas contentée d’écrire de véhéments textes polémiques, ni de lutter par tous les moyens pour l’autonomie intellectuelle et juridique de la femme. D’ailleurs, si des ouvrages comme Ce que les pasteurs pensent des femmes (1872), L’émancipation de la femme par la connaissance (1874) ou Nature et droit des femmes (1876) constituent des documents importants pour la culture féministe, c’est aussi et surtout vers ses textes de fictions qu’il faut se tourner pour prendre la mesure de ce talent si moderne.
La nouvelle dont nous proposons ici la traduction a été publiée en 1894. Elle a pour protagoniste une femme âgée découvrant – mais trop tard – qu’elle est passée à côté de sa vie. Au moyen de deux procédés littéraires bien connus (la prétendue folie de la protagoniste, et la narration constituée par la lecture de son journal intime), Dohm relate ici une quête d’identité. Au crépuscule de son existence, l’héroïne se découvre une soif de connaissance et un désir de liberté qu’elle tente de façon poétique et tragique.
Mon avis
J’ai choisi ce livre parce que je trouvais drôle qu’on précise que l’auteure était la grand-mère de la femme de Thomas Mann. Je me suis imaginée ma grand-mère si j’épousais un personnage célèbre et cela m’a fait sourire.
Plus sérieusement, les éditions José Corti traduisent pour la première fois Hedwig Dohm et c’est une très bonne idée. C’est un texte dans la même lignée que La séquestrée de Charlotte Perkins Gilman.
C’est l’histoire d’une femme qui s’est laissée enfermer dans la vie. Petite fille obéissante, serviable, gentile. On ne veut pas qu’elle lise trop ; ses parents préfèrent qu’elle se consacre aux « taches féminines » (et cela ne la dérange pas vraiment). Quand elle se marie, elle pense se libérer (elle voulait voyager) mais les enfants, 2 filles, arrivent et elle s’en occupe. Son mari lui dit qu’ils voyageront après mais il meurt avant. Elle reste toute seule chez elle, puis est hébergée chez chacune de ses filles, puis elle décide de voyager et de lire. Enfin ! C’est contraire aux idées de son entourage (bien sûr) mais elle surmonte ça et part quand même. Elle va découvrir qu’il est trop tard pour vivre sa vie et se retrouver enfermer dans un hôpital psychiatrique.
La nouvelle commence par sa vie en hôpital psychiatrique. Ensuite, on lit son journal intime d’après la mort d’après la mort de son mari.
La partie du journal où elle parle des voyages est plus lyrique, plus romantique. Cette découverte de la nature m’a moins plu parce qu’en général ce genre de prose me laisse froide. Le reste du texte est parcouru par des phrases d’une extraordinaire justesse (et surtout pleine de lucidité). Pour vous donner une idée du style je vous livre le premier paragraphe de cette nouvelle.
À l’asile d’aliénés du docteur Behrend, dans les environs de Berlin, une vieille femme – d’une soixante d’années – attirait l’attention. Elle avait des traits fins et intéressants, une vigoureuse chevelure grise et de grands yeux d’un gris tirant sur le vert. Jamais ces yeux ne fixaient dans le vide. Soit, éteints pour le monde extérieur, ils semblaient plongés dans une contemplation intérieure, soit ils étaient levés, tantôt exprimant une quête passionnée et éperdue, tantôt ravis et comme absorbés dans la contemplation d’un objet. Des yeux de visionnaire. Ces yeux extraordinnaires lui donnaient la physionomie d’une femme plus jeune.
C’est pour ça que j’ai mis à la fin du billet trois portraits d’Hedwig Dohm à différents âges. Ce qui crève ces images c’est les yeux et ce qu’exprime ses yeux, comme si ce premier paragraphe parlait d’elle.
En conclusion, c’est un livre qui illustre quelque chose que tout le monde sait mais que l’on applique pas forcément : il faut vivre sa vie au moment où elle se déroule pour ne pas avoir de regrets ensuite.
D’autres avis
Ceux d’ActuaLitté, d’Élodie, de Lucie …
Références
Deviens celle que tu es de Hedwig DOHM – traduit de l’allemand par Marie-France de Palacio (José Corti – collection romantique nº 79, 2009)
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