Ce roman est initialement une pièce de théâtre et que son auteur a donc « transformé » en roman (d’après ce que j’en comprend). On retrouve de sa « première » forme le mode déclaratoire.
Là aussi, c’est un roman très court (120 pages) mais très fort. Un attentat vient d’avoir lieu à Stockholm ; une voiture vient d’exploser. Un suspect est recherché avec comme description cheveux noirs, énorme sac à dos, foulard palestinien.
Le narrateur, Amor, qui parle et qui est en fait l’homme dont on suit les pensées, qui vont devenir de plus en plus paranoïaques au fil du roman, est un jeune homme, issu de l’immigration, parfaitement intégré, qui a fait de hautes études … Le jeune homme bien sous tout rapport, quoi. Amor est bouleversé tout au long de la journée qui suit cette attentat et c’est cette journée que l’on va suivre.
Au début, il dit :
J’appelle mes frères et je dis : Ne vous faites pas remarquer pendant quelques jours. Éteignez les lumières. Fermez les portes. Orientez les persiennes de manière qu’on ne puisse pas vous voir à l’intérieur mais que vous, vous puissiez voir à l’extérieur. Débranchez la télé. Éteignez votre portable. »
Il ne veut pas sortir de chez lui mais sa cousine Alhem le force car elle a besoin de changer un outil qu’elle a utilisé en Tunisie (je ne suis pas sûre de ce détail) pour construire une maison pour un membre de la famille. Elle en Tunisie a chargé Amor de s’en occuper. Il a repoussé, repoussé … mais elle le force à y aller aujourd’hui même. Il y a va en appelant son ancienne petite amie Valeria (en fait, elle ne l’a jamais été ; il l’a plutôt harcelé alors que elle voulait juste rester son amie). Pendant cette errance, on le sent transpiré à grosses gouttes venant de son anxiété. Le texte continue un peu comme cela avec différents personnages.
Ce qui est intéressant dans ce texte, c’est vraiment la manière de raconter l’histoire : style déclamatoire (on voit l’acteur joué), phrases leitmotiv (J’appelle mes frères et je dis), style rapide avec des phrases courtes et marquantes, paragraphes courts avec quelques pages « entières ». Vous ne pouvez pas ne pas ressentir l’anxiété, la peur mais surtout les sentiments d’Amor : vous êtes à l’intérieur de sa tête.
Je trouve que ce texte fait ce que la littérature fait de plus beaux : nous mettre à la place de quelqu’un, ici ce n’est pas une place agréable, nous faire ressentir ce que peut penser l’autre. Ce texte parle 10 fois mieux qu’un reportage de 3 minutes de la « stigmatisation » que peuvent ressentir les jeunes (et moins jeunes) issus de l’immigration. Ce ne sera plus un vain mot pour un lecteur de ce livre.
Je vous cite le bas de la quatrième de couverture (qui pour une fois n’est pas mensongère) :
Un monologue intérieur saisissant qui soulève avec beaucoup de subtilité les questions liées aux sentiments d’exclusion et d’appartenance, servi par une voix singulière de la littérature suédoise contemporaine.
Références
J’appelle mes frères de Jonas HASSEN KHEMIRI – roman traduit du suédois par Marianne Ségol-Samoy (Actes Sud, 2014)
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