Je viens de prendre ma douche et au cours de celle-ci, je réfléchissais à comment je pouvais intitulé ce billet pour vous donner envie de le lire jusqu’à la fin. La semaine dernière, j’ai lu deux livres dont le sujet principale était la famille ; les deux livres étaient en langue allemande. J’en ai tiré beaucoup d’enseignements :
- Ne pas se marier avec un allemand ;
- Et / Ou Ne pas faire d’enfant avec lui ;
- Et / Ou Ne pas aller habiter n’importe où en Allemagne (je l’ai déjà dit plusieurs fois mais je suis en train d’apprendre l’allemand et donc, je lis aussi des livres simplifiés où la famille allemande est plutôt un père blond avec un chapeau tyrolien, des chaussettes longues et un short, une mère nourricière et blonde, une petite fille avec des nattes et un garçon blond, le tout formant un très grand paquet d’amour) (je vous laisse le choix de la couleur de cheveux de la fille) .
J’aurais pu intituler ce billet de manière intellectuelle « Analyse comparée de deux romans de langue allemand dont le sujet principale est la famille dans la société post-68 ». J’ai réfléchi à tout cela dans ma douche et je commençais à rédiger dans ma tête un billet extrêmement bien construit comme d’habitude.
Et là, le drame s’est produit. Je suis remontée dans mon bureau et je me suis rendue compte que l’un des romans était autrichien. Donc, j’avais trois possibilités :
- Renommer mon billet (trop difficile de faire œuvre d’imagination à cette heure-ci) ;
- Généraliser les enseignements ci-dessus décrits ;
- Clairement indiquer que j’étais une menteuse et une usurpatrice (j’ai choisi cette troisième possibilités parce que même pas peur).
Devoirs d’école de Jakob Arjouni
On va commencer par le roman allemand (parce que quand même il y a le titre). Il s’agit de Devoirs d’école de Jakob Arjouni. Vous pouvez trouver un excellent avis sur le blog de Cachou. On suit Joachim Linde, professeur d’allemand, qui à la veille d’un grand week-end où il a prévu d’aller dans les environs de Berlin, termine un cours sur « les écrivains allemands d’après-guerre et leurs prises de position sur le Troisième Reich ». La discussion dégénère. On en vient à parler de la relation que doivent entretenir les Juifs et les Allemands après le génocide de la Seconde Guerre mondiale et les prises de position qui doivent être celles de l’Allemagne vis à vis d’Israël. La discussion reste dans la bien-pensance et les pensées non personnelles (on cite l’opinion publique) . Tous les élèves voient le noir de l’autre côté de la rue (les camps sont partagés). Dans cette scène d’ouverture, Jakob Arjouni dénonce une société où le débat ne peut pas être serein. Chacun s’emporte mais personne ne réfléchit. Pour le pédagogue qu’il se prétend, ce cours se termine donc sur un échec.
Joachim rentre donc chez lui pour prendre ses affaires et prendre le train pour Berlin. Il tombe sur le petit ami de sa fille venu chercher ses affaires. Elle ne vit plus dans la maison familiale depuis quelques mois. Le petit ami accuse clairement le père d’être responsable de ce départ, suite au harcèlement (à caractère sexuelle) qu’il a fait subir à sa fille.
Il faut bien voir que tout au long du roman, on a uniquement le point de vue de Joachim même si l’histoire est racontée par un narrateur extérieur. En tant que lectrice, j’étais encore dans la première scène et je pensais que ce n’était pas possible mais bon, quand même … si elle le disait. Pourtant, il se prétendait un pédagogue (et sur cela qu’il va insister tout au long du livre). L’édifice commence à se fissurer. On voit Joachim comme un homme et non plus comme un personnage de roman. Là-dessus, le téléphone sonne. C’est la mère d’une de ses élèves qui l’engueule comme une harpie à la suite du cours, qui menace de le faire virer, de prévenir les journalistes … Joachim garde son calme, se montre raisonnable en plus. Quand j’ai lu le livre, je me suis demandée si le livre allait tourner au Dr Jekyll / Mr Hyde (un personnage publique et un personnage privé) parce que je commençais à avoir des doutes sur l’homme Joachim. D’autant que je venais de faire la connaissance du fils de la famille, membre actif d’Amnesty International, jeune et emporté comme il sied à son âge, cette connaissance se faisant à travers les yeux de Joachim (j’espère que mon père ne pense pas cela de moi ou en tout cas en ces termes). Joachim ne semble pas capable d’offrir un quelconque amour au sien. Ainsi, on apprend que sa femme est en hôpital psychiatrique parce qu’elle est en dépression.
On découvre une famille de quatre personnes complètement disloquée, des individus qui n’ont plus rien à voir les uns avec les autres. Ce Joachim est pourtant le même que le pédagogue.
Le roman va parler de la famille mais surtout de comment le scandale du harcèlement va éclater en un week-end et avoir des répercussions dans la vie intime et professionnelle de Joachim.
Jakob Arjouni nous décrit un homme dans toute sa complexité et sa dualité, d’autant qu’ici on a accès à toutes ces pensées (après moi je ne sais pas si tous les hommes allemands n’ont pas les mêmes pensées). Un thème important du livre est la dénonciation de l’hypocrisie de bons nombres de notables : bien sous tout rapport mais avec un grands nombres de secrets et de cadavres dans les placards.
Cependant, la force du roman à mon avis (même si c’est contradictoire avec ce que j’ai dit précédemment) est de nous mettre en position de juge de l’affaire. Dans la scène d’ouverture, on ne peut qu’être d’accord : le débat ne doit pas être noir ou blanc, qu’il doit être réfléchi et éclairé. Quand dans la suite du roman, on doit, en tant que lecteur, se poser la question de savoir si Joachim est coupable du harcèlement sur sa fille, on est pris entre deux positions : le harcèlement (même si il est mental et pas physique) est une chose des plus horribles qui peut arriver à une femme / à une fille / à une fillette (on prend le parti de la mère et de la fille, puis du fils) et la défense de Joachim (je n’ai pas su rendre ma famille heureuse et oui j’ai des torts mais qu’en pensée -> c’est le mal quand même à mon avis) (c’est pour cela que je n’aimerais pas être dans la tête d’un homme allemand ou pas). On se dit que la situation n’est pas aussi claire que cela. Personnellement, il m’a été impossible de conclure mais au cours de la lecture, je n’ai pas arrêté de changer d’avis entre compassion, rejet … c’est-à-dire entre des sentiments qui ne permettent pas de se faire une idée sereinement (je rappelle aussi que je suis quelqu’un de naïf et que j’ai tendance à un peu croire tout le monde). Pour moi, cela ressemble à une démonstration magistrale même si je trouve que le fait que le narrateur suive uniquement Joachim biaise tout.
Le tout est servi par une écriture / traduction très fluide qui fait que les pages se tournent toutes seules (le livre ne fait que 150 pages en plus).
Nous avons tué Stella de Marlen Haushofer
J’ai lu aujourd’hui ce court roman / longue nouvelle de Marlen Haushofer, auteure autrichienne (1920-1970).
Encore une famille bourgeoise, un homme « fait pour prendre du plaisir », une femme qui aurait pu jouer dans Desperate Housewives, une petite fille et un adolescent : Richard, Anna, Annette et Wolfgagng. Le père n’a d’yeux que pour sa fille à qui il cède tout et la mère n’a d’yeux que pour son fils (là encore, j’ai trouvé que la relation était très malsaine). Le père « fait pour prendre du plaisir » enchaîne les maîtresses comme les saucisses (si c’était en France, j’aurais dit comme des baguettes de pain parce que cliché un jour, cliché toujours).
L’équilibre précaire de cette famille est complètement perturbé quand Louise, une « amie » d’Anna, lui demande de prendre en pension sa fille Stella (qu’elle ne supporte pas). Trois ans après, Stella est morte sous les rues d’un camion. On dit que c’est un accident même s’il y a peu de doutes sur le suicide. Les 70 pages de ce livre sont la confession de Anna sur comment on en est arrivé à cette situation.
Je spoile beaucoup : l’homme « fait pour prendre du plaisir » a pris du plaisir avec la jeune fille et la femme qui savait n’a rien fait quand l’homme a rompu (ni même avant pour empêcher le tout).
Ce qui ressort du livre, c’est la solitude de tous les personnages : Anna regarde son jardin depuis que Wolfgang l’a délaissé depuis qu’il a compris le souci de ne surtout pas faire de vague. Le père continue ses conquêtes et de vivre sa vie de manière effrénée. Je trouve personnellement cela toujours très suspect.
Là encore, l’auteur dénonce l’hypocrisie, la bien-pensance, les adeptes du « surtout ne pas faire de vague ». Jakob Arjouni est plus ambitieux puisque lui parle de la société alors que Marlen Haushofer reste dans le couple.Pourtant Marlen Hashofer assure une conclusion simple, la prise de conscience d’Anna :
Et tandis que la chair de Stella se détachant des os imprègne les planches du cercueil, le visage de son meurtrier se reflète dans le ciel bleu des yeux innocents d’une enfant.
Je n’ai pas choisi de lire ce livre par hasard. Il y a quelques mois j’ai lu L’Inondation de Evgueni Zamiatine, paru aux éditions Sillage :
Dans le Saint-Pétersbourg des années 1920, Sofia et Trofim, couple sans enfant, voient leur union se fissurer peu à peu. Sofia décide d’adopter une jeune orpheline du voisinage, Ganka. Ce qui devait préserver son mariage va amener la catastrophe : Trofim cède au charme de l adolescente. Anéantie, Sofia s enferme dans le mutisme. Les eaux de la Neva commencent à monter…
J’avais lu que le thème du livre de Marlen Haushofer se rapprochait de celui de la nouvelle de Zamiatine et comme vous pouvez le juger au résumé ce n’est pas faux même si le livre de l’Autrichienne reste plus terre à terre à mon avis. Je ne vais pas en parler plus car mon billet n’est pas sur la famille allemande.
J’ai aussi lu au mois de juillet un autre livre où la famille allemande était mise à mal : L’inconstance de l’espèce de Judith Schlansky. Je ne vous fait pas un commentaire ici car je ferais un billet avec les extraits les plus dans un billet hautement intellectuel intitulé : « Tu as toujours voulu savoir pourquoi ta prof de biologie te disait que tu descendait du singe ; rentre dans ses pensées et tu apprendras pourquoi mais gare à toi ! »
Références
L’Inondation de Evgueni ZAMIATINE – traduction de Marion Roman (éditions sillage, 2013)
Nous avons tué Stella de Marlen HAUSHOFER – roman traduit de l’allemand par Yasmin Hoffman et Maryvonne Litaize (Actes Sud / Babel, 2010)
Devoirs d’école de Jakob ARJOUNI – traduit de l’allemand par Marie-Claude Auger (Christian Bourgois, 2007)
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