Un extrait
Non, l’urgence n’est pas un don, c’est une quête. Elle s’obtient par l’effort, elle se construit par le travail, il faut aller à sa rencontre, il faut atteindre son territoire. Car il y a bien un territoire de l’urgence, un lieu abstrait, métaphorique, situé dans des régions intérieures qui ne s’abordent qu’au terme d’un long parcours. C’est par l’immersion qu’il faut l’atteindre. Il faut plonger, très profond, prendre l’air et descendre, abandonner le monde quotidien derrière soi et descendre dans le livre en cours, comme au fond d’un océan. On n’atteint pas le fond tout de suite, il y a des étapes, des paliers de décompression. Dans les premières phases de la descente, on pressent encore le monde visible au-dessus de soi, on peut encore le voir, on peut encore s’en inspirer. C’est qu’on n’est pas descendu assez profond, il faut descendre encore, persévérer. À partir de 130 mètres, on ne voit quasiment plus rien, on commence à deviner des ombres nouvelles, le souvenir des personnes réelles s’estompe, des créatures fictives apparaissent et nous entourent, un grouillement de micro-organismes vivants de tailles et de formes diverses. Nous sommes dans un monde trouble, entre la réalité et la fiction. On descend encore, et, au-delà de 200 mètres, plus aucun rayonnement solaire ne nous parvient. C’est que nous avons atteint le territoire de l’urgence, le monde des abysses, plus de 300 millions de kilomètres carrés d’obscurité et de silence où règnent des pressions écrasantes et où prolifèrent d’incessantes présences aveugles, d’infimes potentialités de vie en mouvement. Nous y sommes, c’est la bonne profondeur, nous avons maintenant le recul nécessaire, la distance idéale pour restituer le monde, pour retranscrire, dans les profondeurs mêmes de l’écriture, tout ce que nous avons capté à la surface.
Mon avis
Je n’avais pas aimé (ou pas compris) son Faire l’amour. L’autre jour, ils ont parlé du livre au Masque et la Plume et franchement cela avait l’air plutôt pas mal. Puis j’ai lu l’avis de Yokai sur LibraryThing (elle l’a aussi publié sur son blog). Puis encore après je l’ai vu sur Feedbooks et du coup je l’ai acheté et lu tout de suite parce que cela faisait trop de coïncidences et que surtout, je suis faible.
J’ai beaucoup aimé cette lecture, en fait, j’ai adoré. J’ai recopié énormément de passages dans mon carnet de lecture (je ne vous ai mis que mon préféré). C’est un tout petit livre constitué de 11 essais sur la manière d’écrire, de lire, de s’enthousiasmer de Jean-Philippe Toussaint. Ce qui est intéressant, c’est que l’auteur nous livre son expérience avec ses anecdotes et pourtant on n’a pas l’impression de lire la vie de Jean-Philippe Toussaint : il généralise assez facilement son discours (pas dans le sens où il pense que tout le monde fait comme lui). J’ai eu aussi l’impression de rentrer dans sa vie, de l’accompagner en quelque sens dans ses réflexions sur sa manière de travailler, comme si il discutait avec moi (voilà que je me flatte toute seule maintenant).
Pour un peu parler, il parle de ce qu’il l’a décidé à écrire, de ses bureaux, du processus d’écriture d’un livre (dans l’essai qui donne son nom au livre), de littérature et cinéma (il pense qu’entre la littérature et le cinéma il y a le même antagonisme qu’entre mathématiques et biologie. Il parle Proust, Dostoievski, Jérôme Lindon et Beckett et maintenant je veux lire Beckett. Genre là, maintenant, ou plutôt comme lui dans le bus 63 qui va de l’institut Goethe à Gibert. Je suis comme cela, une vraie copieuse !
Références
L’urgence et la patience de Jean-Philippe TOUSSAINT (Les éditions de minuit, 2012)
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