Quatrième de couverture
L’enfant veut lire, tout l’en empêche. Ce qui contrarie son « plaisir divin » l’augmente aussi. Une abeille, un rayon de soleil, l’heure du goûter ou du dîner, autant de freins et de souvenirs liés aux livres d’une façon impérieuse. Quand Marcel Proust adulte feuillettera ces livres, c’est « avec l’espoir de voir reflétés sur leurs pages les demeures et les étangs qui n’existent plus ».
Mon avis
Mon premier Proust ! Je suis trop fière. C’est encore un des livres que j’ai été obligé de prendre à la librairie à cause de Matilda. Mais je ne regrette pas du tout, rassurez-vous.
C’est en réalité une préface de Marcel Proust à sa traduction du livre de John Ruskin Sésame et les lys. Elle est divisée en deux parties. Une première où Proust une journée d’enfance passée à lire. Plutôt que de parler des sentiments qu’il a eu à la lecture, il parle de son environnement, de ses souvenirs de la nature, de ce qu’il a ressenti quand son entourage a essayé de lui faire fermer son livre. Finalement, c’est ce qui l’entoure qui reste important et pas vraiment le livre (dont il dira du mal dans la deuxième partie). En effet, il était en train de lire Le Capitaine Fracasse, qu’il dit avoir adoré à cet âge mais en l’ayant repris plus tard il a été déçu car alors qu’il pensait que Théophile Gautier ne commençait qu’à lui dévoiler le monde (et qu’il fallait continuer à lire d’autres œuvres du même auteur), aujourd’hui il en arrive à la conclusion que c’était tout ce qu’il avait à dire.
Pour vous donnez une impression de cette première partie, un petit extrait (franchement, si c’est ça À la recherche du temps perdu je signe de suite) :
Puis la dernière page était lue, le livre était fini. Il fallait arrêter la course éperdue des yeux et de la voix qui suivait sans bruit, s’arrêtant seulement pour reprendre haleine, dans un soupir profond. Alors, afin de donner aux tumultes depuis trop longtemps déchaînés en moi pour pouvoir se calmer ainsi d’autres mouvements à diriger, je me levais, je me mettais à marcher le long de mon lit, les yeux encore fixés à quelque point qu’on aurait vainement cherché dans la chambre ou dehors, car il n’était situé qu’à une distance d’âme, une de ces distances qui ne se mesurent pas par mètres et par lieues, comme les autres, et qu’il est d’ailleurs impossible de confondre avec elles quand on regarde les yeux « lointains » de ceux qui pensent « à autre chose ». Alors, quoi ? ce livre, ce n’était que cela ? Ces êtres à qui on avait donné plus de son attention et de sa tendresse qu’aux gens de la vie, n’osant pas toujours avouer à quel point on les aimait, et même quand nos parents nous trouvaient en train de lire et avaient l’air de sourire de notre émotion, fermant le livre, avec une indifférence affectée ou un ennui feint ; ces gens pour qui on avait haleté et sangloté, on ne les verrait plus jamais, on ne le saurait plus rien d’eux. Déjà, depuis quelques pages, l’auteur, dans le cruel « Épilogue », avait eu soin de les « espacer » avec une indifférence incroyable pour qui savait l’intérêt avec lequel il les avait suivis jusque-là pas à pas. L’emploi de chaque heure de leur vie nous avait été narrée. Puis subitement : « Vingt ans après ces événements on pouvait rencontrer dans les rues de Fougères un vieillard encore droit, etc. » Et le mariage dont deux volumes avaient été employés à nous faire entrevoir la possibilité délicieuse, nous effrayant puis nous réjouissant de chaque obstacle dressé puis aplani, c’est par une phrase incidente d’un personnage secondaire que nous apprenions qu’il avait été célébré, nous ne savions pas au juste quand, cet étonnant épilogue écrit, semblait-il, du haut du ciel, par une personne indifférente à nos passions d’un jour, qui s’était substitué à l’auteur. On aurait tant voulu que le livre continuât, et si c’était impossible, avoir d’autres renseignements sur tous ces personnages, apprendre maintenant quelque chose de leur vie, employer la nôtre à des choses qui ne fussent pas tout à fait étrangères à l’amour qu’ils nous avaient inspiré et dont l’objet nous faisait tout à coup défaut, ne pas avoir aimé en vain, pour une heure, des êtres qui demain ne seraient plus qu’un nom sur une page oubliée, dans un livre sans rapport avec la vie et sur la valeur duquel nous nous étions bien mépris puisque son lot ici-bas, nous le comprenions maintenant et nos parents nous l’apprenaient au besoin d’une phrase dédaigneuse, n’était nullement, comme nous l’avions cru, de contenir l’univers et la destinée, mais d’occuper une place fort étroite dans la bibliothèque du notaire, entre les fastes sans prestige du Journal de modes illustré et la Géographie d’Eure-et-Loir…
Dans la deuxième partie, Marcel Proust se fait plus essayiste que romancier. Il prend prétexte d’une idée de John Ruskin (la lecture d’ouvrage savant est la même chose que de discuter avec des gens savants) pour développer une idée (il répond notamment que la lecture permet une solitude et donc une réflexion que la discussion ne permet pas), ou plutôt son idée, sous-entendue dans la première : la lecture sert à sublimer le monde et la vie, à encourager la flânerie mais ne doit aucunement le remplacer.
C’est un texte magnifique par le propos et par l’écriture que je découvre ici (et pourtant ce n’est pas faute que personne ne m’en ait parlé).
Références
Sur la lecture de Marcel PROUST (Mille et une nuits numéro 24, 1997)
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