J’ai Brothers dans ma PAL depuis des années, offert par ma cousine et j’ai quand même acheté ce livre-ci (c’est le mal, je sais) car il était plus court pour découvrir cet auteur dont on parle tant.
L’histoire débute en 1966, début de la Révolution Culturelle en Chine, quand un professeur d’histoire est arrêté par les gardes rouges. Il disparaît à tout jamais laissant derrière lui une petite fille et une femme. Contrairement à d’autres, elles ne sauront jamais ce qu’il est devenu, s’il est mort ou non. Au cours du texte, on apprend que ce professeur avant de se marier avait commencé des recherches sur l’histoire des tortures en Chine (on a même le droit à une liste).
Ce « détail » n’est pas anodin pour la suite. L’histoire se continue justement au printemps et à l’été 1986. La femme a retrouvé un mari, avec qui elle forme un très beau couple. D’ailleurs, la petite fille, devenue grande, le considère comme son vrai et unique père. Ce bonheur idyllique se détériore d’un coup d’un seul. La femme se met à ne plus sortir de chez elle, à laisser fermer les stores, elle devient apathique. Cela coïncide avec l’arrivée d’un fou en ville, qui se promène partout en ville en parlant de tortures, qu’il s’inflige ensuite à lui-même.
Personne ne l’écoute bien évidemment, tout le monde préfère ne pas entendre et continuer ses activités. Quand on lit ce texte, on se rend rapidement compte que Yu Hua ne parle pas que de cette histoire. Il en fait très clairement l’analogie avec le comportement général des Chinois doivent ou ont (je ne sais pas) face à la Révolution Culturelle, ce texte ayant été écrit en 1987. À partir de 1979, la Chine était en pleine mutation et les années 80 ont vu plusieurs changements. La question se posait très clairement de savoir comment considérer l’histoire récente.
Je pense que l’on peut distinguer trois groupes d’individus dans le texte : les habitants, jeunes et vieux, la femme et sa fille et le fou. J’ai choisi trois citations pour illustrer mon propos :
Ils [les jeunes] marchaient dans les rues pour marcher et entraient dans les magasins pour marcher aussi. Leurs parents avaient fait juste quelques pas avant de rentrer à la maison, mais eux voulaient marcher encore, parce qu’ils en avaient besoin. Ce n’était qu’en marchant qu’ils se sentaient en pleine jeunesse
Clairement, on voit que pour Yu Hua, les jeunes, non concernés par la Révolution Culturelle, doivent avancer ou avancent pour oublier pour ne pas perdre de temps avec le passé. Les vieux / adultes approuvent et observent mais ce n’est pas eux qui vont enclencher le changement, ou même le faire.
La femme et la fille par rapport à cela sont dans une sorte de position intermédiaire, surtout la femme. Elle est réticente à oublier mais elle ne veut pas non plus en faire sa vie entière. Elles seront toutes les deux prisent dans le mouvement, dans l’évolution. On retrouve cette idée dans la citation suivante, qui parlent de la fille et de sa copine, lors d’une fête foraine :
Elles avaient déjà perdu le contrôle de leurs mouvements. Poussées par tant de gens derrière elles, elles ne pouvaient plus rien faire d’autre qu’avancer, il leur était impossible de reculer.
Sur ce, le fou bien sûr pourra faire ce qu’il veut, gesticuler, se torturer autant que possible, il ne pourra rien faire contre ce mouvement de renouveau :
Il s’aperçut qu’il était alors tout près de chez lui, mais il n’avait plus de corps, il lui était impossible de rentrer à la maison.
Le mot corps peut ici s’interpréter de deux manière car on est à la fin de l’histoire. Le fou s’étant mutilé lui-même n’a plus de corps au sens propre (il s’est amputé le nez, les jambes…) mais au sens figuré : il n’a plus corps dans l’esprit, la mémoire de sa femme et de sa fille. Et là, on voit la qualité de la traduction !
Yu Hua, en situant son histoire en début de printemps et en la faisant se terminer à l’été, justifie aussi cette interprétation d’une analogie de la transformation de la société chinoise. Le mouvement des saisons tient en effet une grande place dans le texte.
Passons maintenant au sentiment pendant la lecture. J’ai beaucoup apprécié le fait que l’auteur fasse comprendre son discours sans pour autant le dévoiler directement. Je ne sais pas si c’est dû au moment de publication du livre ou au contraire indépendant, mais cela fait du bien de lire un texte intelligent comme cela. Par contre, par moment, c’est un peu glauque quand les tortures que s’infligent le fou sont décrites par le menu. Pendant toute ma lecture, je me suis demandée si l’histoire était vraisemblable : est-ce que le fou était vraiment là ? (personne ne l’aide tout de même) est-ce qu’il s’inflige vraiment de telles souffrances ? (on meurt de telles blessures tout de même, d’hémorragies sûrement) Cela contribue à mettre dans une certaine ambiance, un peu lourde, un peu mystique, qui fait que l’on cherche forcément un sens à ce que dit l’auteur. Je n’ai pas réussi à savoir si c’était ce qui passait à ce moment-là en Chine ou si c’était ce que l’auteur aurait aimé voir.
En résumé, le livre fait 90 pages, est très dense mais aussi très marquant et significatif de la littérature chinoise contemporaine, dans le sens où il donne des indices pour comprendre la société chinoise.
Références
1986 de YU Hua – roman traduit du chinois par Jacqueline Guyvallet (Actes Sud, 2006)
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