Il y a trois semaines j’ai trouvé ce livre à la bibliothèque de l’institut Goethe. J’étais un peu surprise car allant à Gibert Joseph très souvent, je ne l’avais pas vu sur la table des sorties germanophones. En plus, je le guettais puisque je l’avais repéré pour mes envies de rentrée littéraire à cause d’une phrase de la quatrième de couverture « Vladimir Vertlib écrit là un grand roman russe, énergique, fascinant, qui vous emporte à sa suite aussi sûrement que le cours de l’Histoire ». Le fait qu’un auteur allemand écrive un roman russe m’a tout de suite attiré. C’est donc une première sur ce blog. Vous avez une chronique d’un livre qui sort aujourd’hui (en fait le 18 février, mais j’écris le billet le 17) !!! Je pense qu’il était déjà à la bibliothèque car il y a une rencontre organisée lundi 22 février à la bibliothèque de l’institut Goethe de Paris, à 19h00.
J’ai adoré ce livre ! Je lui mettrai 4.5/5 sur LibraryThing à mon avis. C’est typiquement le type de roman qui vous remonte le moral (ce n’est pas un livre doudou par contre) en vous plongeant dans un univers romanesque qui vous fait tout oublier.
Le livre commence par une scène dans la cuisine d’un appartement communautaire, à la toute fin des années 90, à Saint-Pétersbourg, entre un homme âgé d’une soixantaine d’année, Kostik Schwarz, et une prostituée âgée aussi, qui autrefois a appris le français et rêve d’Aix-en-Provence. Kostik vit avec sa femme Frieda et sa mère Rosa Masur, âgée de 92 ans, le fils unique du couple ayant immigré en Allemagne. C’est un peu le débat entre les membres de la famille : doit-on rester en Russie ou partir en Allemagne. Kostik ne fait qu’hésiter et c’est Svetlana, la prostituée, qui l’aidera, le forcera en fait, à prendre la décision d’émigrer. Une fois arrivés tous les trois, c’est la déception. Ce n’est pas aussi extraordinaire qu’on le dit… et surtout, l’important pour Rosa est que Kostik n’est toujours pas heureux. Il rêve d’Aix-en-Provence !
Un problème financier se pose alors pour Rosa, qui veut absolument lui faire plaisir.Elle tombe miraculeusement sur une solution. À l’occasion du 750ième anniversaire de la ville, Giricht propose à « ses étrangers » de raconter quelque chose d’intéressant contre 5000 marks. Il y aura de nombreux entretiens indemnisés … Elle y voit un coup de la providence et se rend donc aux auditions accompagné de sa meilleure amie, morte depuis 60 ans à Leningrad. Elle a 92 ans tout de même. Plusieurs immigrés russes font la queue mais c’est elle qui sera choisit.
À 92 ans, Rosa Masur est une femme très décidée et surtout très inventive pour résoudre ses problèmes. Elle va donc commencer à raconter sa vie de juive russe, née dans un petit village de Biélorussie en 1907, dans la Russie tsariste et soviétique (elle ne va pas dans l’Histoire post-soviétique). Elle raconte les pogroms, la Première Guerre mondiale, l’éducation des filles, a fortiori juives, à l’époque, l’envie de faire des études de juriste, l’impossibilité de les faire à cause des « amitiés anti-révolutionnaires » de son père, ou de son grand-père (je ne sais plus), son travail à l’usine pour obtenir une bourse, la Nouvelle Politique Économique (NEP), son mariage, la naissance de ses deux enfants, son travail dans une maison d’édition où elle est chargée de traduire de l’allemand, les difficultés avec Kostik qui était un enfant difficile, l’évacuation de Leningrad à la Seconde Guerre mondiale, en charge de 100 enfants avec seulement quatre autres adultes, le siège terrible de Leningrad, le combat pour faire admettre son fils à l’université à une époque où les juifs soviétiques y avaient très peu accès … Elle ira même jusqu’à rencontrer Staline, tout de même. Elle passe sous silence
Rien que tout cela résumé en 410 pages, je trouve cela extraordinaire ! Mais, en fait, Vladimir Vertlib glisse dès le départ qu’il peut y avoir des inventions de Rosa dans le récit (plus cela dure, plus il y a de séances indemnisées, plus le voyage à Aix-en-Provence se rapproche). L’auteur le rappellera très régulièrement, un peu comme pour réveiller la conscience du lecteur, qui aurait pu se faire endormir par Rosa. À chaque fois qu’il a fait, je me suis dit en moi-même qu’elle était franchement extraordinaire tout de même. Même inventé tout cela, avec autant de détails, à cet âge, montre un très fort esprit de décision. Esprit énergique qu’elle a d’ailleurs montré tout au long de sa vie. Tout le roman décrit une femme de tête, fière d’elle, ferme dans ses convictions, qui ne s’en laisse jamais compter par les autres. Vous aurez compris que le personnage principal est tout simplement extraordinaire (il m’a beaucoup beaucoup plu).
Les personnages secondaires sont du même acabit. On ne rentre pas du tout dans leur psychologie mais par contre, chacun est décrit de manière précise dans ses comportements et dans ses gestes. On voit chacun. Cela fait qu’on ne se perd jamais dans le roman. J’ai laissé ma lecture parfois pendant deux-trois jours et à chaque fois, je n’ai eu aucun soucis à me remettre dedans, à retrouver les personnages et à me remettre dans l’ambiance. En fait, pendant ma lecture, ma belle-sœur lisait le livre qu’elle m’a offert à Noël et que je n’ai pas aimé. Elle me disait au téléphone qu’elle comprenait qu’on ne puisse pas adhérer au style mais à l’histoire, quand même elle était bien. Je n’ai rien dit pour ne pas être méchante mais j’avais envie de répliquer en m’aidant de ce livre. En 300 pages, son auteur n’a pas réussi une fois à me faire la Sologne, à notre époque alors que j’y suis passé avec ma mère. Vladimir Vertlib arrive lui à me faire voyager en quelques pages dans un pays que j’ai certes visité (en touriste et donc je n’ai vu ques les bons côtés) mais pas à cette époque. Ne parlons pas de l’histoire qui se résume dans son livre à des histoires d’amour, même pas entières. Par rapport au livre de Vladimir Vertlib, que puis-je dire. À mon avis, c’est la différence entre une histoire romanesque et une histoire qui ne l’est pas (qui ressemble un peu trop à la vie de tous les jours et où l’auteur ne voit pas ou plus l’intérêt d’ajouter ou d’inventer des détails que tout le monde connaît).
C’est le premier roman de Vladimir Vertlib traduit en français (j’espère qu’il y en aura beaucoup d’autres ou que je pourrais les lire en allemand). Il a été publié pour la première fois en 2001. L’auteur est né en 1966 à Leningrad (Saint-Pétersbourg) et a émigré en 1971 en Israël avec sa famille. Il vit actuellement en Autriche.
En conclusion, j’espère que vous avez compris que j’ai adoré ce livre, que je vous le recommande si vous aimez les romans avec plein de choses dedans, et pas seulement si vous êtes intéressé par la Russie du XXième siècle.
Références
L’étrange mémoire de Rosa Masur de Vladimir VERTLIB – traduit de l’allemand (Autriche) par Carole Fily (Éditions Métailié, 2016)
P.S. Par contre, je signale que le « mais parents » de la page 286 fait mal aux yeux. Il faut prévoir vos lunettes de soleil.
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