La partie de chasse de Isabel Colegate

PartieDeChasseIsabelBolegateJe lisais le numéro du Matricule des Anges de ce mois-ci (novembre-décembre 2015), où les éditions mises à l’honneur étaient les éditions Belfond pour leur collection Vintage. La personne interrogée parlait beaucoup du livre d’Isabel Colegate, La partie de chasse. Tout à coup, je me suis demandée si par hasard je ne l’aurais et en fait, oui, dans ma liseuse tout simplement. En fait, il est beaucoup plus difficile pour moi de me rappeler des livres dans ma liseuse que ceux de ma PAL, car étant plutôt visuelle, je retiens les couvertures, l’emplacement où est le livre. Je ne vois pas trop comment distinguer un fichier d’un autre dans ma mémoire (dans celle de l’ordinateur oui, mais pas dans la mienne).

Ce livre est enthousiasment dès le départ. Il y a une préface très intéressante qui renseigne sur l’auteur, le contexte d’écriture et en quoi ce livre est important. L’avertissement nous dit cependant que cette préface révèle des éléments essentiels de l’intrigue et clairement, ce n’est pas faux. On sait ce qui se passe dans la toute dernière partie. C’est toujours un peu mon dilemme : est-ce que je dois lire la préface, au risque de me faire aiguiller sur la manière dont je vais lire le livre, cherchant les éléments dont à parler le préfacier et à savoir si je suis d’accord avec ses idées ou impressions, ou ne pas lire la préface, et manquer alors de contextualisation, penser que l’histoire est banale alors qu’elle ne l’est pas forcément, et que sa richesse se situe peut être dans les petits détails. Ici, clairement, je n’ai pas regretté d’avoir lu la préface. Certes, je connaissais le dénouement avant d’avoir commencer le livre mais l’intérêt du livre ne se situe pas dans son dénouement.

L’action se situe à l’automne 1913. C’est donc le dernier automne avant la Première Guerre mondiale, avant la fin d’un monde. Le thème principal du livre est le déclin de l’aristocratie rurale anglaise. Isabel Colegate a publié son livre en 1980, ne juge pas (malgré qu’elle décrive son milieu) et en plus, réhabilite ce type de personnages dans les romans anglais (c’est ce que précise la préface). Le roman se concentre sur trois jour, trois jours de partie de chasse sur les terres d’un sir anglais, un sir de la vieille époque.

Le roman a une grande galerie de personnage se divisant en plusieurs groupes : les aristocrates, les domestiques, les extérieurs du village, les extérieurs ne venant pas du village.

Les aristocrates se connaissent tous (d’un autre côté, ils sont invités à la chasse). Il y a trois générations. L’hôte est très vieille école. Par exemple, à la chasse, il n’y a pas de compétition, c’est le tableau global qui compte. Si on ne pense pas de la même manière, on ne se conduit pas à gentleman. Lui, par contre, voit la fin d’une époque, de son époque, veut continuer à défendre son domaine rural, quitte à avoir des idées novatrices, voire révolutionnaires. Sa femme, elle, n’est que futilité, tout en ayant pourtant à cœur le respect des convenances. Leur belle-fille et leurs trois petits-enfants habitent le domaine, et marquent un peu les générations de transition vers ce déclin proche, avec des qualités modernes, tout en gardant un certain respect pour leur position dans l’empire. On n’a invité deux couples dont un car le mari est un excellent chasseur. Pour occuper sa femme un peu casse-pied, on a invité le jeune amant pour l’occuper. La femme du deuxième couple trouve son mari ridicule, pour le respect qu’il accorde aux petits détails et qui font pour lui son rang. Elle préfère discuter avec un jeune invité célibataire de grandes idées. Je pense que vous pensez un peu la même chose que moi. Tout n’est que faux semblant : les amants se retrouvent sous les yeux des partenaires officiels. Tout le monde est d’accord du moment que cela reste discret. Il y a très peu de « grandes préoccupations ». C’est à penser que l’aristocratie ne situe bien que dans les petits détails.

Dans les domestiques, il y a Dan et son père, le premier garde-chasse et les domestiques de maison. Le garde-chasse veille au bon déroulement de la chasse, pas forcément parce que celui lui plait mais plutôt par ce qu’il veut perpétuer une tradition ancestrale, un empire. Il souhaite aussi faire honneur à son maître. Après le décès de sa femme, il lui reste deux choses : son métier et Dan. Il refuse d’ailleurs de voir partir son fils, pour faire des études, principalement car il ne voit pas d’un bon œil ce changement car il ne peut qu’être heureux dans un endroit, dans une position où toutes les générations précédentes l’ont été. Dan lui hésite. C’est un peu le pendant des petits-enfants des hôtes de la partie de chasse. C’est l’incarnation du changement (ici pas du déclin en cours). Les domestiques sont plus drôles et plus vivants, essaient de vivre leur histoire d’amour. Ils n’ont pas les mêmes préoccupations. Par contre, les aides de chasse vivent la compétition de leurs maîtres comme la leur. Cela m’a mit mal à l’aise au début car pour moi, c’est un peu le syndrome d’une aliénation. En réfléchissant, je juge un petit peu avec les idées de mon époque. Ce n’est sûrement pas comme cela que c’était ressenti à l’époque.

Les extérieurs représentent un peu le changement, l’apport des nouvelles idées, sur le sort des animaux, sur la place de la femme, la signification et le droit à la chasse. Pour l’instant, ces nouvelles idées sont clairement ignorées, même pas écoutées mais plutôt considérées comme des choses négligeables. Cela va avec une remarque qui m’a un petit peu choquée. Un femme, du groupe des aristocrates, demande comment savoir s’il n’existe pas des gens d’une aussi bonne société ailleurs en Angleterre et la réponse d’un des hommes ne se fait pas entendre. Ce n’est pas possible. Tout simplement par ce qu’ils ne peuvent qu’être moins distingués qu’eux. En toute modestie, bien évidemment !

Ce n’est clairement pas un roman d’actions ou d’aventures, ce sont les personnages qui priment. L’histoire est plus ou moins racontée par petites anecdotes. On se déplace de personnage en personnage, de petit groupe en petit groupe, assistant à un dialogue, à une pensée, à une action, en tout cas à quelque chose de léger, de futile, montrant les préoccupations de chacun, hors du temps mondial. Toutes ces petites scènes contribuent, cependant, à nous faire tendre vers quelque chose. On ne sait pas quoi, mais on sait qu’il va se passer quelque chose, on sait que cela ne peut pas continuer comme cela. On sent la tension montée au cours de la lecture.

Au final, c’est un très bon roman qui décrit très bien des faits dont on se doute, sans être pour autant aristocrate. J’ai été marquée par la légèreté, la simplicité du snobisme de l’aristocratie rurale de l’époque, cette surdité face aux changements, cette incapacité à l’entrevoir et encore plus à l’anticiper mais surtout à cette certitude d’être le haut du panier, d’être ceux qui dirigent. J’ai trouvé que la démonstration qu’Isabel Colegate en faisait était magistrale. J’ai regretté par contre le fait de ne pas pouvoir m’attacher aux personnages, du fait du mode de narration choisi.

Extrait

Dan regarda son père filer en avant pour déployer ses troupes. Il était content de le voir heureux de la façon dont se déroulait la journée. Il était heureux, lui aussi, Dan ; il aimait sentir qu’il avait participé à la réussite de quelque chose, tout comme il aimait sentir qu’il participait à la vie d’un village qui n’avait pas bougé depuis une éternité, et d’un Empire dont on lui avait appris à l’école (et il n’avait eu aucune peine à le croire) que c’était le meilleur qui ait jamais existé. Mais il savait aussi qu’il n’aurait jamais des certitudes aussi tranchées que celles de son père. C’était probablement parce qu’il avait un centre d’intérêt bien précis dans la vie. La plupart des gens n’avaient pas de vrai centre d’intérêt, il leur était donc plus facile de s’identifier avec tout ce qui les entourait ; mais quand on avait un centre d’intérêt on se sentait un peu à part, un peu au-dessus de tout cela. Depuis peu, Dan en avait pris conscience, et il se demandait s’il fallait s’en réjouir ou le regretter.

L’avis d’Anne.

Références

La partie de chasse de Isabel COLEGATE – traduit de l’anglais par Élisabeth Janvier – Préface de Julien Fellowes – traduit de l’anglais par Jean Szlamowicz (Belfond / Collection Vintage, 2015)


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Commentaires

2 réponses à “La partie de chasse de Isabel Colegate”

  1. Avatar de niki

    encore un billet qui donne envie de lire 🙂

    1. Avatar de cecile
      cecile

      C’est gentil. Merci !

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