En ouvrant ce livre, vous avez l’impression de tomber sur une des histoires les plus idiotes qu’un écrivain ait pu écrire : un type de quarante ans nous raconte comment lors d’une Bar Mitzvah d’un camarade de classe, ils se sont tous ligués pour le laisser tomber sur le dos lorsqu’ils auraient dû le faire sauter en l’air. Le jeu des gamins est stupide mais en plus, ressassé cela à quarante ans, en cherchant le pourquoi du comment c’est stupide.
Vous continuez quand même le livre et vous vous rendez compte que Michel Laub a construit son roman de manière parfaite. À partir de ce simple évènement, Michel Laub raconte l’histoire de trois générations, trois histoires de chute. Son grand-père est arrivé au Brésil après avoir séjourné à Auschwitz. Avant de mourir, il a écrit seize cahiers sur la vie telle qu’elle devrait être et non comme elle le sera pour lui. Ainsi, il n’y parle pas de Auschwitz, n’y parle pas des problèmes de grossesse de sa femme, de sa belle-famille qui le rejette.
Le narrateur n’a pas connu son grand-père mais c’est à travers son père qu’il fera sa connaissance. Non que ce dernier lui en parle souvent mais, justement, la fameuse année de la chute du camarade verra le narrateur se rebeller et rejeter sa religion, son histoire familiale … C’est à ce moment-là que le père raconte l’histoire à son fils et lui dévoile la manière dont son grand-père est mort et tout ce que cela représente pour lui. À cet épisode père-fils de la jeunesse du narrateur répond un autre épisode, un épisode actuel où le fils s’occupe de son père qui vient d’apprendre qu’il a Alzheimer.
Comme vous le constatez, les thèmes de la mémoire et de la transmission entre père et fils sont omniprésents dans le livre, par les histoires mais aussi par l’écriture. À la lecture, j’ai eu la sensation d’un mouvement perpétuel de ressassement, un mouvement donc sans frottements, un mouvement infini. Il creuse en déterrant toujours de nouveaux détails, lui permettant de comprendre autrement. L’histoire nous est livrée assez vite mais jusqu’à la dernière page, on apprendra de nouveaux éléments.
On parle beaucoup en cette rentrée littéraire de L’oubli de Frederika Amalia Finkelstein. Je ne l’ai pas lu mais j’ai l’impression qu’il traite du même thème. Comment vivre avec les camps de concentration quand on est de la troisième génération ? Jusqu’à présent, j’avais surtout lu des livres où les gens cherchaient à comprendre pourquoi et comment cela avait pu se produire, à travers le prisme familial. Dans ce livre, il y a une autre approche. Le narrateur sait les évènements, le contexte … mais cela ne lui donne pas à sentir son grand-père. C’est un être qui lui échappe. C’est ce qui lui manque. Ainsi la chute du narrateur a commencé par la chute de son camarade, qui l’a entraîné dans son histoire familiale dont il n’a pas réussi à sortir. Michel Laub met donc au centre de son roman l’humain et non l’Histoire. Le texte prend alors une portée assez universelle.
Finalement, ce livre en dit beaucoup plus que ce que l’on pourrait penser au départ et prête à réfléchir.
Le seul bémol que je mettrais à ce livre est que je l’ai lu en électronique (je ne sais donc pas si c’est pareil pour l’édition papier) et que chaque paragraphe a un numéro comme si c’était un chapitre. Je n’ai pas compris l’intérêt de ce découpage. Comme le texte est fluide, on n’y prête pas vraiment attention au cours de la lecture mais cela surprend.
Références
Journal de la chute de Michel LAUB – traduit du portugais (Brésil) par Dominique Nédellec (Buchet-Chastel, 2014)
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