J’ai lu la première fois L’Étranger en première parce qu’on devait l’étudier en classe et je n’ai pas aimé du tout. J’ai trouvé que c’était froid, sans âme, incompréhensible pour ma petite tête de lycéenne. Ma deuxième lecture a été quand un de mes collègues, de quand j’étais en thèse (c’était encore l’époque où je rencontrais des gens avec qui je pouvais parler de livre), m’avait dit qu’il fallait que je le relise car pour lui c’était un chef d’œuvre. Comme je l’aimais beaucoup, je l’ai fait et j’avoue que cela s’est mieux passé entre L’Étranger et moi. J’attends pour la troisième lecture. Peut être que je déclarerais que c’est un chef d’œuvre.
Je me rappelle très bien de l’étude sémantique sur la lumière, le soleil … dans la scène du meurtre et de la prof tout excitée de gens de génie. Dans les faits, j’avais plutôt l’impression que Meursault avait tué l’Arabe parce qu’il avait le soleil dans l’œil. Tout cela pour dire que le livre de Kamel Daoud est tout le contraire du livre d’Albert Camus. Enfin un humain qui nous parle !!! Ce livre est tout sauf froid.
On est attablé, soir après soir, dans un bar avec le frère de l’Arabe, Haroun. Je dis nous mais en réalité Haroun parle à un jeune universitaire qui travaille sur le meurtre de Moussa qui s’est produit il y 70 ans. Quand Moussa est mort, Haroun avait sept ans. Il est resté seul avec sa mère car son père, gardien de nuit, était parti depuis longtemps. Sa mère a reporté tous ses espoirs de vengeance sur lui mais aussi toute sa colère (car bien sûr il n’était pas le frère disparu). Haroun, dans son discours, le mépris des Roumi (les Français d’Algérie au temps de la colonisation) face au meurtre de son frère. Dans les articles, on ne mentionne même pas son nom, personne n’a prévenu la famille, pas de corps … La mère était illettrée mais conservait deux articles en son sein sur la mort de son fils. Elle a attendu que Haroun sache lire pour les décrypter (lui, a inventé les détails pour la contenter). Ils ont fuit Alger parce qu’ils ne savaient pas quoi faire d’autre mais là encore, ils n’ont pu échapper à l’ombre du frère. Le mère était devenue dure, en attente. Haroun libère sa famille le jour de l’Indépendance, quitte lui à se perdre encore plus. En fait, à ce moment il acquiert plutôt son indépendance face à sa mère, son histoire mais aussi son pays. Il sera singulier partout où il ira (où il vivra plutôt).
Le livre est donc l’histoire d’Haroun, plus détaillée dans sa jeunesse (7 à 27 ans), qu’il raconte à un universitaire dans un bar. Le langage est donc très parlé, mais c’est un parlé d’homme qui a déjà pris beaucoup de vin (la boisson préférée d’Haroun), pas suffisamment pour bégayer mais suffisamment pour ressasser sans fin la même histoire, en changeant des détails ou en en rajoutant. Il y a aussi de très belles perles au milieu du texte (qui montre une maîtrise de la langue extraordinaire).
J’ai eu beaucoup de mal avec le titre car j’étais persuadé qu’il s’agissait d’une véritable enquête quand j’ai commencé le livre mais en fait pas du tout (et puis en plus je n’avais pas vu la virgule dans le titre). C’est le point de vue de l’autre partie car nous n’avons eu que celui de Meursault depuis que le livre d’Albert Camus a été publié. À part ce tout petit bémol, je vous conseille cette lecture car ce premier roman est très bien écrit, singulier et qu’en plus il exploite jusqu’au bout une idée originale (je ne vois pas comment on aurait pu faire différemment).
Références
Meursault, contre-enquête de Kamel DAOUD (Actes Sud, 2014)
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