Quand j’ai vu à Gibert ce magnifique petit livre, je l’ai pris sans même savoir de quoi cela parlait, ni même qui était Torgny Lindgren. Maintenant, je regrette que personne ne m’ait jamais dit que cet écrivain était génial. Heureusement qu’Actes Sud sait faire vivre son fonds. Ils ont lancé, en novembre 2013, une nouvelle collection « les inépuisables » dans ce but. Ils expliquent comment dès le début du livre
Si vous avez acheté ce livre il y a de grandes chances que vous le transmettiez un jour à votre descendance. « les inépuisables » réalisent, en effet, une promesse que se font sans doute beaucoup d’éditeurs : rassembler dans une collection de prestige quelque-uns parmi les plus beaux titres du fonds, et apporter à ces ouvrages une présentation particulièrement soignée. Imprimés au début du troisième millénaire, alors que souffle sur le livre un vent de dématérialisation, « les inépuisables » réaffirment, par une fabrication exigeante, la pérennité d’un objet aussi choisi que son contenu : comme leur nom le suggère, « les inépuisables »sont conçus pour durer des siècles.
Dans Le Chemin du Serpent, on est en Suède dans la deuxième moitié du XIXe siècle, une Suède que l’on pourrait qualifier de très religieuse, tout du moins dans les campagnes. Un homme simple interpelle Dieu pour qu’Il lui explique la destruction de sa famille. Le grand-père de cet homme s’est endetté au près du propriété du magasin de la région. Il se suicide en laissant sa femme, sa fille, veuve, et son petit-fils qui vient juste de naître se débrouiller avec la ferme. Le propriétaire du magasin en prend le contrôle et vient demander un fermage. Les habitants ne pouvant pas payer, il exige que la jeune fille paye en nature. Cela recommencera chaque année comme cela et cela ira même en s’aggravant puisqu’il leur ouvre un crédit qu’ils ne peuvent payer que par la même méthode.
Quand le propriétaire meurt, le fils prend le relais. Pourtant, cela s’arrangera quand un homme arrivera pour aider la famille qui s’est agrandit entre temps. Cela durera un peu, jusqu’à ce que le nouveau propriétaire fasse enfermer l’homme. La femme aura eu deux enfants de lui.
Le problème est qu’à un moment elle devient trop vieille, et elle doit donc être remplacée …
C’est une histoire tragique que raconte Torgny Lindgren puisque toutes les catastrophes s’abattront sur la famille au cours du temps (la mort, la pauvreté, la misère), que trois femmes subiront le joug de deux hommes abominables.
Le narrateur raconte son histoire a posteriori dans un langage simple et comme souvent dans ce cas-là évocateur et poétique. Ce qui m’a touché au cœur c’est qu’il ne semble pas avoir compris d où venait ses malheurs et qui étaient les fautifs d’une telle situation. Il vit sa vie comme une fatalité, une vie décidée par avant, comme on lui a apprit à le penser. Il cherche maintenant pourquoi cela s’est produit comme cela (car en fait il y a une catastrophe ultime qui provoque la destruction de son monde), en quoi il est fautif. Pour lui, il n’est pas évident que les propriétaires du magasin ait été puni par Dieu. Il lui semble que c’est plutôt lui et sa famille. Pourtant Il ne lui en veut pas.
C’est un livre court et admirable. Si vous avez envie d’avoir les larmes aux yeux en ce moment, il vous touchera aussi.
Il m’a fait penser à un livre que j’ai lu récemment Le Mauvais Sort de Beppe Fenoglio. Le livre le plus connu de cet auteur est La Guerre sur les Collines. Ce petit texte, publié en 2013 par Cambourakis, est dans la même veine que Le Chemin du Serpent.
Le narrateur est cependant plus averti, plus combattif, plus intelligent au monde qui l’entoure, moins crédule face à la religion. Il se résigne tout en songeant à mieux. On est dans les Langhes, une région du Piémont, région dont est originaire l’auteur, dans la période de l’entre-deux-guerres. Malgré les efforts du père, la terre de la ferme doit être vendu au fur et à mesure, et la culture ne permettent plus de nourrir la famille et surtout de payer le fermage au propriétaire. L’aîné des fils restera pour aider sa mère et son père, le dernier des fils partira dans les ordres puisqu’il est doué et surtout subventionné par une vieille dame. Agostino, le fils du milieu, sera lui placé dans une famille qui a besoin de bras supplémentaires pour l’entretien de sa ferme. Il sera comme un esclave, tout en étant comme un membre de la famille (du genre qui ne peut rien demander car il ferait répondre qu’il est un ingrat vu tout ce que l’on fait pour lui)(en plus, son propriétaire est un avare). Le narrateur nous raconte la vie simple, le travail harassant, ses premiers amours, les discussions autour du feu, ses « servitudes » … Il ne rêve que d’une chose, retourner dans sa famille, reprendre la ferme en main pour ne plus être sous les ordres de quelqu’un. Il lui semble que parfois cela peut se produire et parfois non. C’est cela dont parle ce livre que je vous recommande aussi.
Références
Le Mauvais Sort de Beppe FENOGLIO – traduit de l’italien par Monique Baccelli (Cambourakis, 2013)
Le chemin du serpent de Torgny LINDGREN – roman traduit du suédois par Elisabeth Backlund (Actes Sud, 2013)
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