Tom Stoppard, dramaturge britannique, a décidé quand j’avais dix ans d’écrire une pièce de théâtre rien que moi, une pièce que je lirais quand j’en aurais trente. Jugez plutôt ! Cette pièce aborde énormément de thèmes : littérature anglais du 19ième siècle à travers la personne de Lord Byron, jeux littéraires, mathématiques, informatique, programmations, découverte scientifique, monde universitaire, publication, algorithmes.
Plus sérieusement, il a fallu que je traîne au rayon littérature en anglais de Gibert, au 4ième étage du magasin de Paris, pour entendre pour la première fois de cette pièce et de son auteur. Il se trouve que ce texte est au programme de l’agrégation d’anglais 2012. Comme rien ne me fait peur, j’ai commencé par lire ce livre en anglais. Cela se comprend plutôt bien mais il y a quand même énormément de vocabulaire que je ne connaissais pas, ce qui n’a pas rendu ma lecture fluide. Je l’ai donc relu ensuite en français.
Plantons le décor. « Une grande pièce donnant sur un parc dans une propriété du Derbyshire. » « Portes fenêtres, hautes fenêtres sans rideaux. » « On n’a pas forcément besoin d’avoir un aperçu du parc : idée de lumière, d’espace, de ciel ouvert. » Dans mon imagination, cela correspond exactement à Pemberley. J’espère que dans la vôtre aussi. Toute l’histoire se passe dans cette pièce.
Le texte est divisé en deux actes, sept scènes et se déroule sur deux périodes : une période moderne et un période ancienne, avril 1809 et trois ans plus tard.
La scène 1 s’ouvre donc en avril 1809. Septimus Hodge, 22 ans, est le précepteur de Thomasina Coverly, 13 ans, fille des propriétaires des lieux. Chacun est d’un côte d’une grande table. Septimus est en train de lire de la poésie tandis que Thomasina se concentre sur son livre de mathématiques et la démonstration du théorème de Fermat. Tom Stoppard a fait de la jeune fille un génie scientifique qui a une très bonne intuition des phénomènes, que d’autres n’appréhenderont que deux siècles plus tard. Septimus se consacre à la lecture de la poésie d’un invité du domaine, Ezra Chater, qui visiblement n’est pas brillante. Thomasina interrompt ce silence studieux pour demander à Septimus le sens de l’expression « étreinte charnelle ». En effet, elle a surpris Jellaby, le majordome, parler de cela avec la cuisinière à propos de la femme du poète Chater et d’un homme. Il s’avère que cet homme est Septimus, ce que Thomasina ignore bien évidemment. Septimus est donc en délicatesse avec le poète qui vient lui demander en pleine leçon une explication, quitte à en venir au duel.
SEPTIMUS. Je vous assure. Madame Chater est très avenante et spirituelle, avec un port élégant, une voix charmante : elle résume les qualités que le monde aime à voir dans le beau sexe. Mais ce qui fait sa gloire c’est cet état d’alerte permanent qui la maintient dans une espèce de moiteur tropicale propre à faire pousser sous ses jupes des orchidée en plein mois de janvier.
CHATER. Taisez-vous, Duncan [Hodge dans la version anglaise] ! Je ne vais pas souffrir plus loin votre insolence ! Vous battrez-vous, oui ou non ?
SEPTIMUS. Non. Il ne nous reste guère que deux ou trois poètes d’envergure, je ne vais pas courir le risque d’en expédier un ad patres pour un incident de kiosque avec une femme dont une compagnie de mousquetaires ne suffirait pas à défendre la réputation.
Là-dessus intervient Lady Croom la mère de Thomasina en plein tourment car Noakes, jardinier, est en train de lui saboter son jardin classique en jardin digne des Mystères d’Udolphe. Il y a aussi le Capitaine Brice, le frère de Lady Croom qui intervient. Celui-ci aime aussi Mme Chater, voit donc Septimus comme un ennemi et monte Chater contre-lui.
Dans la scène 3, on apprendra que Lord Byron est aussi présent dans le domaine ainsi que le père et le frère de Thomasina. Cela fait beaucoup de testostérone dans un environnement où il y a une femme très ouverte aux propositions et une Lady Croom qui n’aime pas beaucoup qu’on lui fasse de l’ombre. 1809 correspond aussi à l’année où Byron est parti d’Angleterre pour deux ans. De là à dire qu’il y a un rapport …
… il n’y a qu’un pas qui sera franchi dans la partie moderne de la pièce, qui alterne avec la partie ancienne.
L’action se situe dans la même pièce, qui n’est plus une salle d’étude, mais un lieu de passage entre la maison et le jardin. On y garde cependant les archives du domaine. C’est là qu’on croise à la scène 2 Bernard Nightingale, universitaire dont le sujet de recherche est Lord Byron. Il pense avoir trouvé une piste inédite. Il aurait identifié des critiques inédites de l’auteur et en plus, il serait capable d’expliquer pourquoi Byron a quitté l’Angleterre en 1809.
Il vient essayer de confirmer sa piste en consultant les archives et surtout Hannah Jarvis qui travaille aussi sur le l’histoire du domaine, en particulier sur son jardin et ses modifications successives. Elle travaille aussi sur l’identité de l’ermite qui a habité l’ermitage aménagé par le jardinier-paysagiste Noakes. Alors que la théorie de Bernard n’est confirmé par aucun élément probant, il s’y engouffre sans même considérer d’autres interprétations tout aussi plausibles suggérées par Hannah qui est dans ce cas la voix de la raison. Il veut ABSOLUMENT publier rapidement pour être reconnu par ses pairs. Devant l’explication scandaleuse qu’il propose, il publiera même d’abord dans un journal à scandale. Le texte illustre bien le processus de recherche universitaire pour certains, un processus guidé plutôt par la reconnaissance que la connaissance, quitte à se fourvoyer.
Dans cette partie interviennent aussi les trois enfants du domaines dont deux sont particulièrement marquants.
Il y a Chloë Coverly, 18 ans, jeune fille en quête d’amour, de sensationnel, un peu évaporé sur les bords et qui semble sérieusement manqué d’éducation. Elle s’attachera donc forcément à Bernard dans la pièce.
Il y a aussi Valentine Coverly, 25-30 ans, étudiant (ou chercheur) en informatique. Il se penche sur les travaux de son aïeule et découvre que celle-ci était un génie uniquement bloqué par les moyens de calcul mis à sa disposition (elle n’avait pas l’informatique à l’époque). Alors que son travail à lui est imputable, son travail à elle l’est et est en plus remarquable. J’ai trouvé ce type de discours très intéressant. L’informatique ne peut pas résoudre tous les problèmes s’il n’y a pas un cerveau humain derrière. En clair, on ne peut pas mettre toutes les données dans l’ordinateur et attendre qu’il sorte la solution. L’ordinateur n’est qu’un moyen. On peut même se resservir de ce que d’autres ont fait si c’est pertinent (et là j’ai souri parce que dans mon travail on m’a expliqué deux fois le contraire, comme si une théorie mathématique pouvait avoir une date de péremption).
Ce que j’ai énormément aimé c’est la manière très intelligente dont une partie renvoie à l’autre, ainsi que l’ensemble es réflexions porté par le texte. Le texte ne fait qu’une centaine de pages et il y a une multitude de thèmes qui sont abordés Tout est brillant ! Jusqu’à la tortue qui se retrouve dans les deux époques de la pièce.
Pour l’adaptation, la première chose que l’on constate est que Jean-Marie Besset a commencé par francisé les noms : Valentine est devenu Valentin (je trouve que c’est très bien car dans ma première lecture, j’avais d’abord pensé que c’était une fille), Hannah est devenue Anna, Lady Croom est devenue Lady Gray, Septimus Hodge est devenu Septimus Duncan. Cette seconde lecture en français m’a permis de me rendre compte de la grossièreté de certains échanges dans la partie moderne de la pièce de théâtre. Par contre, les échanges dans la partie ancienne m’ont semblé plus drôles, plus ironiques, plus humour anglais en anglais qu’en français. Septimus Hodge en particulier. Il semble déférent, sans impertinence envers la famille qui l’emploie, sans montrer d’esprit (en tout cas autant qu’en anglais). Pour une troisième lecture, je pense que je lirais les deux textes pour les comparer et comprendre le travail d’adaptation et non de traduction de Jean-Marie Besset.
J’espère vous avoir donné envie de lire cette pièce génialissime ! Peut-être même l’avez-vous déjà lu ? vu ?
Références
Arcadia de Tom STOPPARD (Faber and Faber, 1993)
Arcadia de Tom STOPPARD – adaptation française de Jean-Marie BESSET (Actes Sud – Papiers, 1998)
Laisser un commentaire