Quatrième de couverture
« Mes Deux Mondes, c’est l’histoire d’un écrivain en visite dans une ville du Brésil. Parcourant son parc emblématique, il voit dans cet espace à la dérive des signes de sa propre incomplétude, la preuve cosmique que « de même que nous ne choisissons pas le moment de notre naissance, nous ignorons les mondes changeants que nous allons habiter ». Cette longue promenade, menée par une prose aux phrases parfois ahurissantes, nous ramène au souvenir d’auteurs remarquables comme Sebald, Saer et Aira. Puis, nous réalisons que Chejfec ne ressemble à personne, qu’il a choisi son propre chemin, insolite et unique. Il semble appartenir à cette race d’écrivains apparue il y a bien longtemps, au temps où Proust méprisait une littérature réduite à un défilé cinématographique des choses.«
Enrique Vila-Matas
Deux extraits
« Du coup, ces promenades d’anniversaire étaient approximatives à plus d’un titre. Mes anniversaires consistaient en exercices ambigus de ce type, un exil de quelques heures vers une partie du passé et un secteur de la géographie qui ne correspondaient plus à moi, mais que pour m’avoir appartenu je considérais jusqu’alors unis : les deux parties étaient une même chose, mélange de temps et de lieu. Lorsque la fin de la journée arrivait, je rentrais des faubourgs comme si je revenais non pas d’une autre réalité mais d’une planète sœur, une dimension extravagante que je ne pouvais approcher qu’une fois par an, quand le calendrier, en soulignant ma présence, disons, dans le monde, m’invitait par cette même opération à la suspendre, ou à la mettre en doute, ou du moins à la cacher.«
« Pendant longtemps, j’ai considéré l’écriture comme une tâche privée, qui toutefois doit devenir publique à un moment, sinon elle aurait beaucoup de mal à subsister, en particulier et en général. Mais la honte ne venait pas seulement du fait que je me consacre à quelque chose de privé aux yeux de tous, mais du fait que je faisais quelque chose d’improductif, une chose plus ou moins inutile et assez banale. Je sentais qu’on parlerait de moi comme de quelqu’un de léger, capable de perdre son temps sans se soucier de rien, étranger à tout intérêt élevé. Et je me connaissais trop bien pour ne pas leur donner raison par avance. Du coup, ma principale préoccupation ne consistait pas à surmonter mes défauts et mes illusions insensées d’écriture, mais à ne pas être découvert. C’est à cela que se réduisait ma vie, pouvais-je dire, juste avant cet anniversaire crucial : à ne pas être découvert. Chacun a un mensonge vital, sans lequel son existence quotidienne et routinière s’effondrerait ; le mien résidait dans les simulacres, de la littérature dans ce cas.«
Mon avis
Je vous renvoie déjà vers une véritable critique, celle du Fric-Frac club, pour un livre qui le mérite amplement car il est extrêmement fascinant. Les deux extraits que j’ai mis illustrent les deux thèmes principaux de ce court livre, 110 pages : la littérature et l’écrivain mais aussi la relation temps-espace.
L’écrivain cherche à aller dans un parc dans cette ville où il est en visite. Il va se perdre, autant au niveau de l’espace (lire un plan en Amérique du Sud à l’air très complexe) que du temps (il repense à tellement de moments passés et fait des liens), et nous perdre aussi dans cet espace-temps (Einstein quand tu nous tiens !). Pour cela, il va faire des phrases que l’on pourrait dire à rallonge mais dans lesquelles il faut accepter de se perdre pour découvrir cette langue merveilleuse ! Vous ouvrez le livre et vous trouvez forcément une phrase magnifique (il n’y en a pas beaucoup qui peuvent en dire autant). L’auteur arrive à décrire son monde au travers de la description du monde réel. Il arrive à nous partager ses idées et ses doutes sans pourtant les formuler de manières trop explicites.
Ce que j’ai particulièrement apprécie : on me fait souvent la remarque que je regarde les toutes petites choses avec énormément d’intérêt et j’invente autour sans me soucier de la réalité et mon esprit après divague autour de cela. Mon collègue résume cela en disant que je ne dois jamais m’ennuyer dans le bus, dans la rue, au bureau (c’est à propos des e-mails que l’on reçoit). L’auteur a exactement su dépeindre ce que je ressens ! J’étais fascinée que quelqu’un puisse dire cela ! Et aussi quand il parle des activités improductives, de ce que l’on ressent, de l’envie de le cacher plus que de le dire. C’est exactement cela aussi.
Je ne rends pas justice à ce livre. Il est un peu compliqué à aborder mais il faut absolument le lire !
Références
Mes deux mondes de Sergio CHEJFEC – roman traduit de l’espagnol (Argentine) par Claude Murcia – préface d’Enrique Vila-Matas (Passage du nord-ouest, 2011)
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