Je continue d’explorer le livre « 1001 livres qu’il faut avoir lu dans sa vie ». J’ai choisi Le sous-lieutenant Gustel de Arthur Schnitzler, il fait partie des auteurs que j’ai découvert grâce à la blogosphère, et surtout grâce à Lilly. En fait, j’aurais du connaître le nom car j’ai dans ma PAL la correspondance de Stefan Zweig et d’Arthur Schnitzler (mais en fait je l’avais acheté parce qu’il était en solde et que j’étais dans ma période Zweig). Dans la préface de mon édition du sous-lieutenant Gustel, Maël Renouard fait le rapprochement entre ce livre et Mademoiselle Else, commentée par Lilly :
Chez Schnitzler, le monologue intérieur relate un moment de crise relate un moment de crise, de rupture avec le monde et de résolution démente ; il traduit la résonance extrême, dans l’esprit d’un individu, d’un évènement qui le contraint de remettre en cause son existence toute entière. Il en va de même avec Mademoiselle Else (1924). Dans les deux œuvres, le monologue est à chaque fois une pensée de la mort. Il témoigne d’une plongée si profonde en soi-même que les attaches avec le monde sont rompues. À ce point de solitude, la mort devient un apaisement.
L’épilogue du Sous-lieutenant Gustel comporte un retournement qui n’apparaît pas dans Mademoiselle Else. Les deux récits se répondent peut-être à la manière de la comédie et de la tragédie – aussi parce qu’Else montre beaucoup plus de courage dans le désarroi et que ses raisons d’en finir nous paraissent moins étrangement futiles. Ainsi le monologue féminin réplique-t-il, à vingt-cinq ans de distance, au monologue masculin, excepté la mère et la sœur, ne sont que des objets de désir et de consommation.
Du coup, j’ai lu les deux nouvelles pour me faire ma petite idée.
La quatrième de couverture, très réussie à mon avis, du Sous-lieutenant Gustel est la suivante :
Jeune officier bravache, le sous-lieutenant Gustel est rudoyé par un civil en sortant du théâtre. Pris de court, incapable de se défendre, il se croit déshonoré à jamais. S’ensuit une nuit de déambulation dans Vienne, durant laquelle il passe de la colère au désespoir, prend les plus terribles résolutions, met en ordre ses souvenirs … jusqu’à l’instant décisif, au petit matin.
La quatrième de couverture de Mademoiselle Else, moins réussie parce qu’elle n’arrive pas à rendre compte de la complexité des sentiments de Else, est :
Else doit trouver cinquante mille florins pour sauver sa famille de la ruine. Un vieux monsieur se propose de les lui fournir en échange de quoi il veut « voir » la jeune fille. Else commence par se révolter, mais traversée de désirs obscurs, troublée par des images qu’elle enfermait en elle, la voici qui cède. Cela se fera publiquement, au cours d’une soirée au casino …
Au premier abord, les deux nouvelles romans m’ont fait pensé à deux romans que j’ai lu l’année dernière mais pas commenté. Pour le Sous-lieutenant Gustel j’ai pensé à La cendre aux yeux de Jean Forton pour l’égocentrisme sans borne du narrateur. On ne ressent rien pour lui, ni pitié, ni dégoût comme pour le narrateur de Jean Forton même si les tons de ces deux textes sont très différents (il y a un froideur chez Forton qu’on ne retrouve pas chez Schnitzler). Pour Gustel, on ressent surtout une sorte d’incompréhension : se sentir déshonoré pour un tout petit affront tel que celui-ci nous paraît aujourd’hui très étrange. On ne comprend pas l’envie de vouloir mourir pour ça mais on suit les pensées nocturnes de Gustel avec intérêt parce qu’on se demande si il va le faire ou pas le faire. On a l’impression à des moments que c’est sincère (il sort visiblement d’un milieu où sa carrière est assez exceptionnel) et d’autres qu’il fait ça parce qu’il n’a rien dans sa vie et qu’il faut bien penser à quelque chose (il doit en même temps régler une histoire de duel dans l’après-midi qu’il a lui-même déclenché pour se faire bien voir de ses camarades). C’est un bon texte car on arrive à voir à travers les yeux de Gustel mais cependant on n’arrive pas à ressentir ses émotions. C’est pour ça que c’est une nouvelle sans commune mesure avec Mademoiselle Else. En vingt-cinq ans, que d’évolution !
Bien sûr, la technique narrative est la même : on voit l’histoire à travers les yeux d’Else, mais en plus on arrive à ressentir ses émotions ! Alors que Gustel se promène la nuit dans Vienne, et n’a d’interactions avec d’autres personnes qu’au matin, dans Mademoiselle Else tout le long du livre il y a des dialogues rapportés qui font changés d’avis Else, et qui la font évoluer très rapidement et donc le récit plus haletant et plus intéressant. De même, il y a plus de personnages connus d’elle et qui sont à même de mieux nous la faire découvrir. Alors que Le Sous-lieutenant Gustel est réellement un monologue intérieur, Mademoiselle Else m’a semblé être plutôt une histoire racontée à travers les yeux, les pensées et les sentiments d’Else.
Pour ce qui est de l’histoire cela m’a fait penser à Chez les heureux du monde d’Edith Wharton, pour la fin mais surtout pour le fait qu’une jeune fille qui a tout pour être heureuse, n’y arrive pas à cause de son milieu et des gens abjects qui constituent ce milieu. Ne parlons pas des parents qui vendent leur fille pour récupérer de l’argent !
Finalement, si j’avais conseillé un des deux, c’est Mademoiselle Else qui aurait ma préférence.
D’autres avis sur cette Mademoiselle Else : chez Je lis, tu lis, il lit, chez Karine:), chez L’encreuse, chez Kalistina, chez Malice, chez Brize … Il y en a sûrement d’autres mais j’ai fait avec ce que me donnait mon Google reader.
Références
Le Sous-lieutenant Gustel de Arthur SCHNITZLER – traduction de l’allemand par Maël Renouard (Éditions Sillages, 2009). Paru pour la première fois en 1901.
Mademoiselle Else de Arthur SCHNITZLER – traduit de l’allemand par Dominique Auclères (Bibliothèque Cosmopolite Stock, 1980). Paru pour la première fois en 1924.
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