Quatrième de couverture
Dans son carnet secret, la comtesse Livia se souvient. De sa rencontre à Venise, alors qu’elle était en voyage de noces, avec Remigio, et de la passion que lui inspira ce beau lieutenant. Froidement, elle raconte aussi comment, par jalousie et par souci de vengeance, elle mena à sa perte son amant après lui avoir donné argent et bijoux.
Concis et cruel dans sa manière de camper ses personnages (sur une vision romantique de l’amour, le cynisme de la comtesse en dit long), précis dans son évocation du contexte historique (la guerre entre l’Italie et l’Autriche), Camillo Boito tire de cette trame mélodramatique un joyau romanesque.
Visconti ne s’y est pas trompé, qui prêta de manière inoubliable les traits d’Alida Valli et de Farley Granger à la comtesse et à son lieutenant dans son Senso de 1954.
Quelques informations supplémentaires pour situer l’auteur
Camillo Boito est un écrivain et architecte italien, né le 30 octobre 1836 à Rome et mort le 28 juin 1914 à Milan. Il est le fils du peintre vénitien Silvestro Boito et de la comtesse polonaise Giuseppina Rodolinska. Il est aussi le frère d’Arrigo Boito (1842-1918). Son père a une vie de bohême et déserte donc régulièrement le foyer familial. Alors quand Camillo, après des études en Italie, en Allemagne et en Pologne, obtient en 1855 la chaire d’esthétique et d’histoire de l’architecture de l’Académie des Beaux-Arts de Venise, l’argent qu’il gagne sert à soutenir sa mère et son frère. En 1856, il est démis de ses fonctions « du fait de son hostilité au gouvernement autrichien ». Il revient un peu plus tard à Venise où il restaure la basilique Santa Maria e San Donato de murano. En 1859, il quitte définitivement la chaire de Venise, toujours sous la pression de la police autrichienne. Il trouvera un nouveau poste à l’Académie des Beaux-Arts de Brera à Milan, poste qu’il occupera près d’un demi siècle (jusqu’en 1908). En 1889, il restaure le dôme de Milan. Au niveau de sa vie personnelle, il se mariera deux fois : en 1862, avec sa cousine Cecilia de Guillaume (mariage malheureux ; ils se séparent après la mort de leur fils unique), en 1887, avec la marquise Madonnina Malaspina.
Ses écrits se divisent en deux parties : la partie sur l’architecture et les nouvelles. Pour la partie archtecture, un ouvrage a été traduit en français aux Éditions de l’Imprimerie : Conserver ou restaurer : les dilemmes du patrimoine. Dans cet essai, Boito fait parler deux personnages fictifs, un adoptant les opinions de Viollet-le-Duc et l’autre celles de John Ruskin. Ces opinions sur la conservation du patrimoine ont inspiré les lois italiennes sur la conservation du patrimoine en 1902 et 1909 mais aussi la charte d’Athènes en 1931. Pour ce qui est des nouvelles, les deux plus connues sont Senso et Un corps (qui a été adapté en opéra et qui a paru en 1995 chez Alfil). Elles font partie de deux recueils : Histoires vaines (le volume des éditions Ombres ne comprend pas toutes les histoires) et Nouvelles histoires vaines. Les anglophones traduisent Histoires vaines par Tales of Vanities. J’étais surprise parce que pour moi vaines n’avait aucun rapport avec vanité.
Boito fait parti du courant littéraire des « scapigliati » (littéralement les échevelés). Dans Histoire de la littérature italienne, N. Jonard les décrit comme des « anarchistes bourgeois en révolte ouverte contre la société », n’ayant « rien à proposer pour remplacer ce qu’ils veulent détruire ». « Ils refusent l’ordre social et ses contraintes, bafouent la morale et le christianisme à la Manzoni, raillent le patriotisme de leurs aînés ». Pour ce qui est des influences, ils se réclament de Baudelaire, Poe, Hoffmann et Proudhon. S’inscrit dans ce courant, pour ce qui est de la musique, Puccini et, pour la littérature, des auteurs tels que Arrigo Boito, Emilio Praga (1839-1875), Carlo Dossi (1849-1910) et Iginio Ugo Tarchetti (1841-1869).
Mon avis
Pour ceux qui se rappellent, je vous ai déjà parlé de Tarchetti pour son livre Fosca. Là encore, dans cette très courte nouvelle de 60 pages, l’image de la femme n’est pas très brillante. Livia, 22 ans, vient de se marier avec un homme de 62 ans qu’elle a voulu avoir pour perdre sa « qualité de demoiselle ». En juillet 1865, elle est en lune de miel à Venise. D’après elle, elle est au sommet de sa beauté :
« Ma beauté était dans tout son éclat. Un éclair de désir brillait dans les yeux des hommes lorsqu’ils me regardaient ; je sentais sur moi la flamme des regards dérobés même sans les voir. Jusqu’aux femmes qui me dévisageaient, puis de la tête aux pieds me détaillaient avec admiration. Je souriais comme une reine, comme une déesse. Je devenais, dans le contentement de ma vanité, bonne, indulgente, familière, insouciante, spirituelle : la grandeur de mon triomphe me faisait presque paraître modeste. » (p. 12)
Pendant une bonne partie de la nouvelle, la dame se flatte. Cela devient de pire en pire car elle croit acquis l’amour du beau lieutenant Remigio. Jusqu’au jour où elle s’aperçoit qu’il en a une et même plusieurs autres et que c’est elle qui entretient tout cela avec l’argent qu’elle lui donne. À partir de là son ressentiment sera implacable.
« Je compris alors que le lieutenant Remigio était toute ma vie. Mon sang se glaça, et je tombais presque sans connaissance sur le lit dans la chambre sombre. S’il n’était apparu à ce moment-là, dans l’encadrement de la porte, mon coeur dans un paroxysme de soupçons et de rage aurait éclaté. J’étais jalouse à en devenir folle. J’aurais même pu devenir jalouse à en tuer. » (p.22)
Livia est une femme odieuse à mon avis : elle est vaniteuse, jalouse, vindicative même si on peut aimer son côté « extrême » dans la passion. Au delà du jugement moral sur la dame (le monsieur n’est pas non plus en reste d’ailleurs), ce texte est très bon. Le style est froid, sans sentiment. La comtesse nous exprime ses opinions sans en rougir, ni même regretter ce qu’elle a fait seize ans plus tôt (car il s’agit d’un journal qu’elle écrit a posteriori). On voit même qu’elle n’a rien appris, qu’elle est toujours la même. C’est pour ça que je vous ai fait tout un speech sur l’auteur. Ici, il nous dévoile son désenchantement par rapport au genre humain. Seul peut être les plus pauvres trouvent quelques graces aux yeux de l’auteur.
Sinon, j’ai toujours l’air de débarquer de ma planète mais est-ce que quelqu’un a vu le film de Visconti ? C’est bien ? On a le même sentiment qu’à la lecture ?
Références et sources
Senso – carnet secret de la comtesse Livia de Camillo BOITO – traduit de l’italien par Jacques Parsi (Babel, 2008 – première édition en 1994)
Histoire de la littérature italienne de Norbert JONARD (Ellipses – collection Littérature des cinq continents, 2002)
Biographie dans Histoires vaines de Camillo BOITO (Éditions Ombres, 1999) : je vous en parle dès que je l’ai lu !
Biographie et bibliographie sur le site des éditions Sillage
et bien sûr l’article de Wikipédia en français et en anglais !
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