Le résumé de ce court essai d'une quarantaine de pages peut se résumer en un sous-titre : "ou comment je ne pourrais jamais être un écrivain réaliste". Face à un résumé aussi court, il faut mettre quelques extraits pour mieux se rendre compte. En parlant des écrivains réalistes,
"Le cas de ces romanciers est très étrange. Ils ont été des enfants et des jeunes gens ; ils se sont attardés sous la fenêtre de leur bien-aimée qui était probablement en train d'écrire à un autre ; ils se sont retrouvés assis devant une feuille de papier avec le sentiment d'être emplis de poésie mais incapables d'écrire une ligne ; ils ont marché seuls dans les bois, ils ont marché dans des villes aux innombrables lumières, ils ont connu la haine, ils ont connu la peur, ils ont eu envie de poignarder un homme, et l'ont peut-être fait ; le goût âcre de la vie leur a piqué la gorge. Et quand bien même vous leur refuseriez tout le reste, il y a au moins un plaisir qu'ils ont connu dans toute sa plénitude – leurs livres sont là pour en attester – le plaisir intense de la création littéraire. Par conséquent, ils inondent la terre de livres dont l'intelligence m'inspire une admiration teintée de désespoir. S'y mêle la colère de les voir donner constamment une vision erronée de ce que je me plais à appeler l'existence. Si je n'avais rien de mieux à espérer que de continuer à patauger dans ces petites histoires minables, assomantes, dans lesquelles ils plongent leurs héros, et à m'émouvoir des attentes et des peurs dérisoires qui les habitent, j'affirme que je mourrais sur le champ." (p. 31-32)
"Ces écrivains me rétorqueraient (si je ne trahis pas leur pensée) que tout cela est très vrai ; qu'il en est de même pour eux et les autres personnes douées (comme ils disent) d'un tempérament artistique ; qu'en cela nous sommes exceptionnels et devrions apparemment avoir honte ; mais que nos oeuvres doivent traiter exclusivement de (ce qu'ils appellent) l'homme ordinaire, qui est quelqu'un de prodigieusement ennuyeux, accessible uniquement aux considérations les plus futiles. Soit. Nous ne connaissons les autres qu'à travers nous-mêmes. Avoir un tempérament artistique (maudite soit cette expression) ne nous rend pas différent des autres, sans quoi nous serions incapables d'écrire des romans ; l'homme ordinaire (la peste soit ce mot) est absolument comme vous et moi, sinon ce ne serait pas un homme ordinaire." (p. 32-33)
"Dans un tel cas, la poésie vit sous les apparences. L'observateur (pauvre homme, avec ses documents !) est dans un autre monde. S'il se contente de regarder l'homme, il ne peut que s'attendre à être trompé. Il verra le tronc d'où il tire sa nourriture, mais l'homme lui-même est au-dessus, et bien loin, dans le dôme vert du feuillage, bercé par les vents et partagent le nid du rossignol. Le véritable réalisme serait celui du poète qui grimperait jusqu'à lui comme un écureuil, pour apercevoir le royaume céleste dans lequel il vit. Le véritable réalisme, toujours et partout, est celui des poètes qui savent où la joie prend sa source et lui prêtent une voix bien au-delà du chant." (p. 38-39)
N'est-il pas beau ce dernier extrait ! J'ai beaucoup aimé cette idée que la poésie est en tout homme et qu'un écrivain peut ne pas savoir regarder assez profondément pour la voir. En tout cas, une chose est sûre : c'est un petit livre surprenant. Je pense compléter cette lecture par un autre ouvrage de Stevenson sur le même thème paru lui chez Payot : Essais sur l'art de la fiction.
P.S. Il y a des références que je n'ai pas compris : qui sont les gamins
d'Harrow ? qui est Dancer ? Quelqu'un pourrait-il m'aider ?
Références
Les porteurs de lanternes de Robert Louis STEVENSON – traduction de Marie Picard (Édition Sillage, 2009)
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