Cecile's Blog

Dans le pavillon rouge de Pauline Chen

Je suis sûre qu’il vous arrive à vous aussi de tomber sur un livre que vous adorez, dans lequel vous vous plongez entièrement, corps et âmes, et de vous réjouir d’être tombé sur ce livre par le plus grand des hasards (dansDansLePavillonRougePaulineChen la masse des livres à lire), alors que vous n’en aviez jamais entendu parler. C’est exactement ce qu’il m’est arrivée avec ce livre ci. Je cherchais juste un livre chinois dans le catalogue de la bibliothèque numérique de Paris et j’ai emprunté celui-ci par le plus grand des hasards. Et cela a été un pur plaisir de lecture.

Pauline Chen a réécrit un classique du 18ième siècle de la littérature chinoise, Le Rêve dans le Pavillon Rouge de Cao Xueqin, d’un point de vue féminin. Le roman est énorme (2 tome de Pléiade, 3278 pages), comporte une multitude de personnages et est raconté visiblement du point de vue des personnages masculins, même si les personnages féminins sont omniprésents. Ici, Pauline Chen a resserré l’intrigue en supprimant des personnages et des actions pour atteindre un total de 566 pages dans l’édition de poche, tout en donnant plus de corps aux voix féminines de la maison, à leurs pensées plus exactement.

L’action se situe sous la dynastie des Qing, la dernière dynastie, dans la capitale Pékin, principalement au palais de Rongguo, palais de la famille Jia, femme qui est depuis longtemps au service de l’Empereur et qui a bâti sa réputation et sa fortune sur cela. De multiples personnages habitent dans ce palais, de la famille plus ou moins éloignée (il y a un arbre généalogique au début du livre, mais en réalité on n’en a pas besoin au cours de la lecture tellement le livre est bien écrit).

La douairière du domaine est Grand-Mère Jia. Elle est vieille et affaiblie, reste la plupart du temps dans ses appartements mais manipule toute la famille pour que tout se passe comme elle le souhaite. Elle a eu trois enfants avec son mari, qui lui est mort au début du roman. Les trois enfants sont Jia Jing, Jia Zheng et Jia Min. Il faut voir qu’à l’époque les hommes des « bonnes familles » devaient préparer le concours pour devenir fonctionnaire, monter les échelons, gagner du prestige et de l’argent pour eux et pour leur famille. Bien sûr, les deux fils de la famille Jing et Zheng ont réussi ce concours. Malheureusement Jing est mort, mais Zheng sert loyalement l’Empereur au poste qu’il occupe. Il est l’homme de la famille, celui qui prend les décisions (avec l’accord de sa mère) et rapporte l’argent et le prestige. Min est partie depuis longtemps de la maison, fâchée avec sa mère car elle a osé choisir son mari (et bien sûr son choix ne correspondait pas avec celui de sa mère).

Les trois enfants ont eu eux-même des enfants. Jing a eu deux enfants avant de mourir : Lian qui est marié avec Wang Xifeng et Xichun qui a une vingtaine d’années dans le roman. Wang Xifeng, en tant que bru s’occupe de l’administration de la maisonnée puisque Grand-Mère Jia ne peut plus s’en occuper. Cela lui coûte beaucoup de temps, de soucis et lui rapporte très peu de reconnaissance. En plus, son mari n’a que mépris pour elle ; ils ne s’entendent pas du tout et ne forment donc pas un couple uni.

Jia Zheng a eu deux enfants avec sa femme (légitime), Dame Wang qui est morte avent le début du roman : Zhu (garçon lui aussi décédé après avoir réussi les examens de fonctionnaires tout de même) et Baoyu. Baoyu est le personnage principal du roman de Cao Xueqin. Le légende familiale indique qu’il est né avec un jade dans la bouche. C’est un garçon d’une vingtaine d’années, extrêmement beau, très sensible, choyé par toutes les femmes de la famille, surtout par sa grand-mère (même si visiblement c’est très indécent à son âge). Il cause cependant des sueurs froides à son père car par fainéantise, et non par manque d’intelligence, il ne prépare pas de manière efficace les fameux examens de fonctionnaires et il semble qu’il ne semblera jamais prêt. Jia Zheng a aussi une concubine (vivante elle), avec qui il a eu deux enfants : un garçon Huan (très jaloux de Baoyu son demi-frère) et une fille, Tanchun. Avec Xichun, tout le monde les appelle toutes les deux les « Deux-Printemps ».

Min a eu une fille, Lin Daiyu, dont personne au début du roman n’a entendu parler. À tout ce petit monde s’ajoute la belle-sœur de Jia Zheng, Mme Xue, sœur de sa femme décédée et elle même veuve, et sa fille, Baochai, âgée elle aussi d’une vingtaine d’années. Il y a peut être encore cinq personnages, mais ils ne sont pas importants pour ce billet.

Il faut quand même préciser que les femmes « les plus âgées » vivent au palais, tandis que les jeunes filles ont leurs propres appartements dans le jardin, où chacune à un petit pavillon à sa disposition (cela m’a fait rêver quand j’ai lu cela).  Cela « facilite » les intrigues entre les jeunes.

Au début du roman, on assiste à la mort de Min, dans une ville du sud. Son dernier souhait est que sa fille Daiyu rencontre sa famille qu’elle n’a jamais rencontré puisque sa famille était fâchée avec elle. Il faut voir qu’elle vit dans des conditions beaucoup plus pauvres qu’au palais de Rongguo (mais bon, elle, elle aimait son mari). Pourtant elle et son mari ont assuré à leur fille, une éducation peu compatible avec celle d’une jeune fille de bonne famille. En effet, ils lui ont fourni une éducation qui est jugée à l’époque inutile pour une femme. Min a appelé (par écrit) son frère, Jia Zheng quand elle a vu que la fin approchait. Celui-ci arrive trop tard pour voir une dernière fois sa sœur (de laquelle il était un peu jaloux) mais repart avec sa nièce pour un séjour de plusieurs mois un autre monde. Elle découvre un tout autre monde : Dame Jia (la grand-mère) la hait car elle est trop comme sa mère, Xifeng ne lui semble qu’une autoritaire, légèrement robot sur les bords. Elle n’arrive pas à se lier à ses cousines car elle ne sait pas comment s’y prendre. Elle sera cependant conseillée par une servante Oie-Des-Neiges et finalement se lie d’amitiés avec Baochai, qui lui propose même d’habiter dans son pavillon. Cependant, cette dernière reste très froide, ne montrant aucuns sentiments. Ce n’est pas faute d’en avoir, pour Baoyu en tout cas dont elle est amoureuse (mais ne le montre pas car celui-ci flirte avec les servantes et un peu tout ce qui est féminin ; elle a don peur d’être déçu). De plus, elle doit se montrer forte pour aider sa mère à gérer les frasques de son frère (il tue quelqu’un par accident au début du roman).

Daiyu a donc du mal à se faire une place dans cette famille malgré les petites attentions de tous, restant une extérieure. Pourtant, cela s’améliore au fur et à mesure jusqu’à ce qu’elle tombe amoureuse de Baoyu et que cela soit réciproque, contrariant les plans de toute la maison. C’est cette intrigue amoureuse qui est l’intrigue principale du roman mais pas seulement, car on va aussi suivre la grandeur et la décadence de la famille Jia.

Pauline Chen adopte le point de vue Xifeng, de Daiyu et de Baochai. C’est un très bon choix car elles ont toutes les trois un caractère très différent et n’ont pas les mêmes fonctions à l’intérieur du palais. Par l’intermédiaire de Xifeng, on découvre le quotidien d’une femme très intelligente et pratique (muni d’un mari qui n’a pas ces qualités), gérant d’une main ferme un énorme palais et les domaines appartenant à la famille. Ces responsabilités ne sont reconnues par personne, femmes comme hommes. C’est un travail silencieux et sous-terrain, qui n’intéresse pas. Ainsi, elle paraît froide alors qu’elle souffre comme tout le monde, d’autant qu’au cours du roman, son mari prendra comme concubine sa servante depuis son enfance qu’elle considère comme une sœur et sa seule alliée dans cette maison. Tout cela parce qu’elle n’arrive pas à lui faire d’enfants (ce n’est pas suffisamment de bien administrer, la femme doit aussi faire des enfants pour faire l’ensemble du travail qu’on attend d’elle). La description de la vie de Xifeng est l’occasion pour le lecteur de découvrir tous les détails de la vie, quotidienne ou non, d’un tel palais, de comprendre aussi comment fonctionnait la domesticité, le couple … à cette époque.

Daiyu, comme je l’ai dit plus haut, reste observatrice de la vie du palais et décrypte pour le lecteur ce qu’il se passe, ce qui est normal ou ce qui est insensé pour le commun des mortels. Elle est aussi très clairvoyante sur les relations familiales.

Avec Baochai, on apprend beaucoup du devoir d’une femme, de ce qui est attendu traditionnellement d’elle car c’est la principale inquiétude et le principal moteur de cette jeune fille. Accessoirement, on apprend beaucoup aussi sur les rouages de la Chine impériale lorsqu’elle essaie de régler les problèmes de son frère.

J’ai aimé le personnage de Daiyu mais c’est le personnage de Xifeng qui m’a le plus plu car c’est celui qui est le plus moderne et en décalage avec son époque. C’est elle qui fait bouger les frontières et qui forcément fait et créer les tensions. J’ai trouvé l’intrigue amoureuse plus classique. Du fait que l’auteur centre son action sur les femmes, je n’ai pas réussi à me faire une idée précise du caractère de Baoyu et donc comme Daiyu, je n’ai pas réussi à comprendre rapidement, si c’était aussi sérieux pour lui que pour elle. La fin du coup m’a semblé un peu extrême.

Pauline Chen insiste dans ses notes qu’elle est restée très proche du sens et du contexte profond du roman malgré le fait qu’elle est nettement resserrée l’action. Cependant, elle indique aussi avoir pris des libertés sur la reconstitution historique pour que l’action soit suffisamment fluide. Je pense que quand même beaucoup de choses restent exactes, peut-être pas pour les historiens, mais dans l’ensemble oui.

Ce livre est un dépaysement garanti, qui se suffit à lui-même, mais aussi une manière originale et moderne de s’initier au classique de Cao Xueqin, Le Rêve dans le Pavillon rouge.

Références

Dans le Pavillon rouge de Pauline CHEN – traduit de l’anglais(États-Unis) par Odile Demange (Points Seuil, 2015)


Commentaires

6 réponses à “Dans le pavillon rouge de Pauline Chen”

  1. J’avoue avoir du mal à accrocher à la littérature chinoise, et même si tu sembles conquise, ce roman ne sera pas pour moi, j’en suis presque sûre.

    1. Avatar de cecile
      cecile

      Techniquement, c’est de la littérature américaine 🙂 Je suis en train de lire une adaptation en BD du roman chinois et franchement, elle a beaucoup modernisé, simplifié et réécrit. J’irais même jusqu’à dire qu’elle a un peu occidentalisé le roman. Mais tu as raison, il faut pas se forcer à lire quand on n’a pas envie. Ce n’est pas comme si on manquait de livres à lire !

  2. Wow, quelle intrigue ! Avez-vous dû faire un schéma des liens entre les personnages pour vous y retrouver ? Votre enthousiasme est tentant même si je pense plutôt d’abord tenter un des autres romans chinois que vous avez chroniqué (plutôt contemporain).

    1. Avatar de cecile
      cecile

      Comme je disais à Kathel, elle a quand même beaucoup modernisé l’intrigue en prenant ce point de vue féminin et faciliter la compréhension en resserrant l’intrigue sur quelques personnages. C’est, je pense, plus facile à suivre que les romans chinois contemporains.
      Par exemple, j’ai lu récemment Cris dans la bruine de Yu Hua. C’est un très beau livre mais avec une structure narrative qui rend le livre complexe pour des gens non familiers des noms chinois, comme moi. Il y a des émotions du personnage qui m’ont paru incompréhensible. On ne voit pas forcément où l’auteur veut en venir.
      Tandis qu’ici, je pense que Pauline Chen a écrit principalement pour un public occidental, pour faire découvrir ce roman classique. Elle a par exemple gommé toute l’interprétation de la pierre de jade de Baoyu, qui se base sur les croyances chinoises qui nous sont souvent inconnues.

  3. après un tel billet, je dois forcément noter 😉
    j’espère que je m’y retrouverai à travers tant de personnages

    1. Avatar de cecile
      cecile

      J’ai oublié de répondre à moitié à Lewerentz. En fait au début du roman, il y a un index des personnages et un arbre généalogique. Comme je l’ai lu en numérique, je ne pouvais pas y accéder facilement. Et franchement, je n’en ai jamais ressenti le besoin ou la nécessité. Je n’ai jamais été perdu au cours de ma lecture, alors que je lisais d’autres livres en même temps et que je ne prenais celui qu’une à deux fois dans la semaine (il m’a duré 5 semaines et demi tout de même).

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