C’est Ys qui m’a donné envie de lire ce texte. Elle l’a fait très discrètement puisque elle met juste une citation sur le côté droit de son blog. Mais voilà quelle citation. Je l’admire parce que moi, personnellement, j’avais envie de tout noter. Je vais mettre plein d’extraits mais pas tout le livre.
Tout comme écrire, lire c’est protester contre les insuffisances de la vie. Celui qui cherche dans la fiction ce qu’il n’a pas exprime, sans nul besoin de le dire ni même de le savoir, que la vie telle qu’elle est ne suffit pas à combler notre soif d’absolu, fondement de la condition humaine, et qu’elle devrait être meilleure.
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Qu’ils le veuillent ou non, qu’ils le sachent ou pas, les fabulateurs, en inventant des histoires, propagent l’insatisfaction, en montrant que le monde est mal fait, que la vie de l’imaginaire est plus riche que la routine quotidienne.
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La littérature est une représentation fallacieuse de la vie qui, néanmoins, nous aide à mieux la comprendre, à nous orienter dans le labyrinthe dans lequel nous sommes nés, que nous traversons et où nous mourons. Elle nous dédommage des revers et des frustrations que nous inflige la vie véritable et grâce à elle nous déchiffrons, du moins partiellement, ce hiéroglyphe qu’est souvent l’existence pour la grande majorité des êtres humains, principalement pour nous, qui abritons plus de doutes que de certitudes, et avouons notre perplexité devant des sujets tels que la transcendance, le destin individuel et collectif, l’âme, le sens ou le non-sens de l’histoire, l’en deçà et l’au-delà de la connaissance rationnelle.
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Aussi faut-il le répéter sans cesse jusqu’à en convaincre les nouvelles générations : la fiction est plus qu’un divertissement, plus qu’un exercice intellectuel qui aiguise la sensibilité et éveille l’esprit critique. C’est une nécessité indispensable pour que la civilisation continue d’exister, en se renouvelant et en conservant en nous le meilleur de l’humain. Pour que nous ne revenions pas à la barbarie de la non-communication et que la vie ne se réduise pas au pragmatisme des spécialistes qui voient les choses en profondeur mais ignorent ce qui les entoure, précède et prolonge. Pour qu’après avoir inventé les machines qui nous servent nous ne devenions pas leurs esclaves et serviteurs. Et parce qu’un monde sans littérature serait un monde sans désirs, sans idéal, sans insolence, un monde d’automates privés de ce qui fait que l’être humain le soit vraiment : la capacité de sortir de soi-même pour devenir un autre et des autres, modelés dans l’argile de nos rêves.
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Rien n’a semé autant l’inquiétude, secoué autant l’imagination et les désirs que cette vie de mensonges que nous ajoutons à celle que nous avons grâce à la littérature afin de connaître la grande aventure et la grande passion que la vie véritable ne nous donnera jamais. Les mensonges de la littérature deviennent des vérités à travers nous, ses lecteurs, transformés, contaminés d’aspirations et cela par la faute de la fiction, remettant toujours en question la médiocre réalité.
J’ai tellement aimé me sentir moins seule. Ils ont eu raison de donner le prix Nobel à Mario Vargas Llosa. Rien que le choix du thème de son discours est admirable. Il aurait pu parler de l’écriture (et cela n’aurait concerner que lui et quelques autres) mais il a choisit de parler de la lecture et de ce que la lecture peut apporter au monde.
J’ai envie d’offrir ce livre à tous les gens qui se moquent de moi quand je dis que ma passion c’est la lecture (je ne veux pas dire la littérature car dans mon esprit il faut aller beaucoup plus loin dans l’analyse que ce que je fais), à tous les gens qui se croient malin en me disant « ah, mais tu as sûrement lu ça » (et à qui je réponds non mais raconte mais peut être que cela m’intéressera. En général, soit je connais déjà et il s’avère que c’est le dernier succès à la mode que l’on n’a pas besoin de lire car tout le monde a déjà tout raconté. Sinon, c’est le livre que la personne a lu il y a quinze ans, une fois, qui n’a absolument rien changer à sa vie mais bon, voilà, dans la vraie vie, il faut faire la conversation et quand on n’a rien lu depuis quinze ans, c’est difficile).
Entre mes sept ans et dix ans, j’ai eu une période où la lecture m’apportait tout un monde, me faisait vivre des choses dont j’avais peur et me disais que je pourrais m’en sortir (le décès d’un de mes parents ou de mon frère dans un accident ou par une maladie était ma hantise). Elle m’aidait à dédramatiser des évènements dont je ne pouvais pas parler. De mes 10 ans à mes 20 ans (période collège, lycée et DEUG), j’ai eu une période comme cela où la lecture était mon passe-temps. J’apprenais plein de choses, cela me détendait. Il y avait plein d’histoires. C’est toujours le cas mais maintenant les livres m’apportent encore plus, même les livres que certains qualifient de moins bons, de populaires, de faciles. Je ne lisais pratiquement pas du tout pendant l’année scolaire. Puis en grandissant (pour ne pas dire en vieillissant), la lecture a commencé à prendre de plus en plus de place. Cela va de paire avec le travail, avec le fait que la vie s’installe dans une sorte de routine qui semble incassable (à ce moment là j’ai choisi les études qui décideraient de toute ma vie et on répète tellement souvent qu’un trou dans le CV … on ne laisse pas le temps à la vie d’avoir des temps morts).
C’est pour cela que ce que dit Mario Vargas Llosa me touche tant. J’ai cette impression que la vie ne tient pas les promesses qu’elle laisse miroiter dans les livres. Cela donne l’impression d’être une inadaptée, d’avoir trop lu et de confondre maintenant la réalité avec la fiction. Parfois, je me dis que j’aimerais ne plus lire (dans mon cas, c’est un peu comme arrêter de respirer) pour pouvoir vivre la vie des gens qui semblent (je dis bien semblent parce que je ne suis pas dans la tête des gens) se contenter de ce que la vie leur propose (en sachant que je ne ferais jamais rien pour casser les choses car je suis quelqu’un de très conventionnel). C’est ce qui manque dans le discours de Mario Vargas Llosa : comment vivre dans un monde que la lecture nous a fait souhaiter meilleur ? comment vivre dans un monde où les lecteurs ne sont qu’une minorité ?
Bien sûr, je l’ai lu en livre électronique. Il ne me reste plus qu’à attendre qu’il soit de nouveau disponible en papier …
Références
Éloge de la lecture et de la fiction : Conférence du Nobel de Mario VARGAS LLOSA (Gallimard, 2011)
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