J’ai fait la connaissance de la maison d’édition Névrosée, dans un des derniers numéros du Matricule des Anges. Cette maison se donne pour projet de rééditer des femmes de lettres belges, oubliées ou méconnues. Curieuse, j’ai donc été faire un tour sur leur très beau site internet où j’ai repéré deux titres intéressants. C’était une période où on ne pouvait pas trop se fier aux services postaux, j’ai donc fait le choix de lire le seul des titres disponibles en numérique : Dora de Marianne Pierson-Piérard.
Née en 1907 à Frameries, elle voyage toute sa vie, d’abord avec son père, journaliste et écrivain, puis avec son mari, Marc-Antoine Pierson, Ministre d’État. Ses nombreux voyages font que sa production est peu nombreuse, une quinzaine de romans et nouvelles, mais qui lui valent (sauf exception) une certaine reconnaissance, puisqu’elle reçoit plusieurs prix. Dora est son troisième roman ; il a été publié en 1951 et a reçu le prix Marguerite Van de Wiele (je vous avoue que je ne connais pas du tout ce prix ni cette dame d’ailleurs).
On est prévenu dès la préface que l’intrigue peut paraître extrêmement simple, mais le charme du roman tient dans la description psychologique de ses personnages. Pour une fois, une préface ne ment pas (en tout cas, c’est mon avis), car c’est exactement ce que j’ai pensé en lisant ce livre.
Le roman est une histoire de famille. Tous les dimanches, Patrice, Christian et Julienne, des frères et sœur, se réunissent dans la maison familiale, avec leurs conjoints respectifs, sous l’égide de la maîtresse de maison, Alicia, femme de Christian. En effet, lui, avocat, et elle, femme au foyer, sont venus habiter dans la maison familiale, après le décès des parents, et ont tenu à perpétuer la tradition dominicale. Le couple file le parfait amour, sont entièrement dévoués l’un à l’autre et à leurs trois enfants. Christian est lui architecte, métier qu’il a choisi en rejet de sa maison d’enfance qu’il trouve de très mauvais goûts. Il aime faire la fête (et avoir les dettes qui vont avec). On le voyait déjà finir vieux garçon, mais il a surpris tout le monde en épousant la jeune Dora, orpheline de père, mais avec un père notaire plutôt riche. Le couple ne s’entend pas particulièrement. Au contraire du couple Patrice – Alicia, l’amour a déjà disparu et n’a pas laissé la place à la tendresse. Lui continue à sortir, elle s’ennuie à la maison. Julienne et Germain n’apparaissent pas trop dans le roman. Julienne aime beaucoup sa jeune belle-sœur, et cherche à l’attirer dans ses distractions et voyages, Alicia étant peut-être trop terne à son tour.
Ce gentil portrait familial va basculer quand Dora va se mettre en tête en qu’elle est amoureuse de Patrice et qu’elle doit le séparer d’Alicia. C’est d’autant plus intéressant qu’avant d’être mariée à Patrice, Alicia sortait avec Christian. Durant le roman, on suit les tactiques mises en place par Dora pour faire aboutir son projet, et le bouleversement des certitudes d’Alicia et Patrice. L’auteure décrit aussi en profondeur toute la psychologie et l’histoire personnelle de Dora, pour qu’elle ne nous apparaisse pas comme une sale garce. Au final, on arrive à ressentir de l’empathie pour les trois personnages. Christian, qui intervient plus vers la fin de roman, reste un personnage creux, correspondant à son caractère, plutôt qu’à un défaut de construction du roman.
Il ne faut donc pas s’attendre à de l’action au détour de chaque page. C’est un pur roman psychologique, mais extrêmement réussi. La langue est très roman des années cinquante. Elle n’est jamais vulgaire, ou même familière. On ne se dispute pas, en se donnant des noms d’oiseau. On sait tenir son rang. Pour le lecteur de notre époque, cela peut apparaître simple, voire daté. Pourtant, Marianne Pierson-Piérard fait des miracles, puisqu’on vit la situation et ressent de l’empathie pour les trois personnages principaux.
En conclusion, une bonne découverte.
Références
Dora de Marianne PIERSON-PIÉRARD (Névrosée, 2019)
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