J’ai acheté ce livre hier à la librairie, juste parce qu’il était beau ! Aussi bien sûr, parce que c’était anglais et que c’était classique. Mais c’est vraiment le critère esthétique qui l’a emporté sur tout ! Il faut vous imaginer l’intérieur. Le cadre, celui des serpents dessinés en blanc sur fond noir, est repris sur chaque page ! Le texte s’inscrit à l’intérieur du cadre, qui est noir sur la couverture mais blanc (cassé peut être) à l’intérieur. Tout est noir sauf la zone du texte donc. La typographie des chapitres fait un peu ancien. Cela donne l’impression d’ouvrir un vieux livre, un vieux grimoire avec une histoire ancienne qui va nous être raconté. Si vous avez l’occasion d’aller en librairie ces prochains jours, je vous conseille de le regarder, de le feuilleter. Et donc, voilà pourquoi je l’ai acheté parce que l’histoire ne me tentait pas trop au départ. Pensez donc ! Une histoire avec un serpent qui assiège sa proie pendant des jours …
Mais en fait, c’est beaucoup mieux que ne le laisse supposé la quatrième de couverture (en tout cas, le premier paragraphe). On est dans un petit village anglais, dans les années 1780. Un homme a promis à son protégé, de retour de Ceylan, la main de sa fille adorée. Lui ayant toujours fait confiance, il l’a confiée avec grand plaisir au jeune homme. D’autant que celui-ci a acquis une fortune considérable lors de son séjour en Inde. Le problème est que justement on est dans un petit village et qu’il refuse de s’expliquer sur la manière dont il a acquis cette fortune. C’est une grave erreur puisque cela laisse beaucoup de place aux ragots, cancans et inventions de toutes sortes. La plus véhémente à ce sujet n’est autre que la sœur du père. Le jour où elle apprend l’histoire (en tout cas, ce qu’elle suppose être l’histoire) de la bouche même du petit serviteur indien que le jeune homme a ramené avec lui, elle ne peut que jubiler : il aurait en effet liquider le père pour épouser ensuite la fille et la tuer pour pouvoir récupérer toute la fortune. Elle s’empresse de propager cette histoire sous un prétexte plus que fallacieux (ou une justification plus que bancal), qui m’a beaucoup fait rire :
Mais alors, pourquoi refuse-t-il de dévoiler à quiconque la façon dont il l’a obtenue ? Laissez-moi vous dire, mon frère, que lorsqu’un homme peut se glorifier d’une action positive, il n’est pas si prompt à tenir sa langue ; je dirais même que tenir sa langue tout court n’est naturel en aucune circonstance, et je vous garantis que celui qui se soumet à une contrainte aussi déplaisante a nécessairement une très bonne raison de le faire. Les Williamson pensent la même chose, et les Jones, et mon cousin Dickins également, de même que toute la famille Burnaby ; car je ne suis pas, moi, d’un tempérament aussi secret que chez votre cher Evrard, Dieu merci ! Non, si je suis en possession d’une nouvelle, je suis trop généreuse pour ne pas la partager et ne trouve le repos qu’une fois tous les voisins instruits comme je le suis. C’est ainsi que ce matin, sitôt informée de cette sanglante histoire, j’ai fait préparer ma voiture pour sillonner le village et communiquer ces renseignements à tous nos amis et relations. Évidemment, ils furent grandement choqués par ce récit. Qui ne l’aurait été ? Et pourtant, ils ont tous avoué avoir déjà soupçonné quelque méfait à l’origine de ce mystère, et ont appris avec soulagement que j’avais découvert la vérité avant que les choses ne soient allées trop loin entre Everard [le nom du jeune homme] et votre fille Jessy.
Au vu de la réaction de ses voisins mais aussi pour se justifier aux yeux du père et de sa fille, le jeune homme décide d’expliquer la véritable histoire. Parti pour Ceylan, il a « la chance de trouver une place dans la maison d’un homme qui gagnait l’estime de tous grâce à ses vertus, et qui m’accorda de si nombreuses faveurs que je lui fus extrêmement attaché ». Il est engagé tout d’abord comme secrétaire mais devient rapidement l’ami du couple, l’homme de confiance aussi. En rentrant tôt un matin, un jour avec la femme du couple, après avoir réglé une affaire à Colombo, les deux cherchent l’homme du couple. Le domestique leur explique que le maître est allé dans une sorte de bungalow, qui se situe à une centaine de mètres de la maison principale et qui est entouré de palmiers, qui font à la fois de l’ombre et permettent de voir le paysage et ainsi d’admirer le lever du soleil. Les deux décident d’aller le retrouver là-bas. La femme part cependant se changer avant. Pendant ce temps là, le jeune homme observe le bungalow, et voit une branche d’un palmier bougée, plus exactement ondulée, alors qu’il n’y a pas de vent. Il ne comprend pas tôt de ce qu’il se passe. Il appelle le domestique et lui demande son natif. En tant que natif de Ceylan, il reconnaît tout de suite un anaconda, serpent qui peut rester des mois pour attendre la proie qu’il a repéré. Il est évident que cette proie est l’homme dans le bungalow. Celui-ci a vu le serpent et a calfeutré le bâtiment pour l’empêcher de rentrer. Un compte à rebours s’engage pour délivrer l’homme de ce piège.
On assiste à toutes les tentatives pour réussir cet exploit auquel très peu de gens croient. On a particulièrement le droit aux démonstrations de force du serpent. Comme le dit la quatrième de couverture, M.G. Lewis reprend les codes du gothique (le type de personnage, la géographie des lieux…) pour les transposer dans un environnement tropical et recréer une atmosphère étouffante et angoissante (j’avoue que l’attitude peu avenante du serpent aide bien quand même). Le livre fait 125 pages et l’auteur est excellent pour ce type de format : les personnages sont plantés rapidement (l’imagination fait le reste), le décor aussi.
L’éditeur a choisi de publier cette grosse nouvelle dans une nouvelle traduction, ce qui à mon avis est un très bon choix vu la qualité du travail effectué. D’un autre côté, L’anaconda a été édité pour la dernière fois en 1822 en France ; cela aurait pu être gênant de reprendre cette traduction. Ici, le texte est moderne, tout en conservant l’élégance d’un style ancien. Cela donne une lecture très agréable, dans le sens où on n’est pas freiné par des tournures de phrases un peu étranges. Je précise cela car je viens de finir un livre, édité cette années mais où une ancienne traduction a été reprise et franchement, cela m’a gêné dans ma lecture. On est bien en présence d’un texte qui semble intemporel.
C’est donc aussi une très belle lecture de « rentrée littéraire » !
Vous trouverez un autre avis sur le blog Lire au lit.
Références
L’anaconda de M.G. LEWIS – traduit de l’anglais par Pauline Tardieu-Collinet (éditions Finitude, 2016)
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